IV. Réforme bancaire, ouverture et croissance dans le MENA
Une autre raison qui explique l’accumulation d’actifs financiers extérieurs par les pays arabes,
est la faible capacité d’absorption de leurs économies. Cela est valable bien sûr pour les pays
peu peuplés, tels les pays pétroliers du Golfe, mais c’est aussi le cas de pays pétroliers plus
peuplés, tels l’Arabie Saoudite et l’Algérie. Le cas de l’Algérie est extrême, car, plus peuplée
que l’Arabie Saoudite, elle n’est pas non plus un très gros producteur de pétrole et elle reste
un producteur moyen de gaz. Dès lors, si les capitaux domestiques n’arrivent pas à s’investir
dans le pays, comment s’attendre à ce que des capitaux étrangers, seraient-ils arabes,
viennent ? Par contre, d’autres pays en plein développement, comme la Tunisie, manquent
réellement de capitaux et pourraient représenter une opportunité pour les fonds arabes ou
chinois qui cherchent à diversifier leurs placements.
Cette faible capacité d’absorption des économies arabes est analysée dans la littérature sous
l’angle de l’inefficience des systèmes bancaires et financiers domestiques, leur incapacité à
mettre en adéquation entre offre et demande de fonds prêtables. Cela nous renvoie à la
question de la réforme financière dans ces pays.
La littérature sur le développement des pays du MENA de ces vingt dernières années est
largement unanime pour faire le constat que ces pays ne décollent pas et s’interroge sur les
raisons d’une croissance si décevante, erratique, volatile et instable (El Badawi, 2004) en
comparaison notamment avec les pays d’Asie du Sud Est. Certains lient ce retard à la lenteur
de l’intégration de ces économies à la mondialisation, par rapport à des pays de niveau de
développement comparable (Looney, 2005). Parmi les multiples causes envisagées pour
expliquer le déficit de croissance dans la région, la question du lien entre libéralisation
financière et développement fait partie de celles qui ont suscité le plus de controverses.
Une grande partie de cette littérature porte sur la nécessaire modernisation des systèmes
financiers domestiques, dont la faible performance est considérée comme un frein au
financement du développement. Dans de nombreux pays, notamment pétroliers, le retard de
développement ne serait pas essentiellement un problème de ressources financières. Si ces
pays n’absorbent pas les revenus que leur procurent les exportations d’hydrocarbures, ce
serait à cause d’une mauvaise allocation des fonds prêtables (de l’épargne interne et externe),
par un système financier non performant, comme dans le cas de l’Algérie. De même pour les
pays non pétroliers, dont les systèmes financiers devraient être modernisés afin de mieux
collecter et allouer l’épargne domestique et attirer les capitaux étrangers.
Tout au long des dix dernières années, ce thème a alimenté un débat qui s’est orienté en
priorité sur la question de l’opportunité de l’ouverture des secteurs financiers. Ainsi, pour
Alouani (2008) la réforme financière, qui est l’un des plus importantes prescrites par le FMI
dans le cadre du consensus de Washington, devrait avoir lieu à la dernière étape du processus
de libéralisation économique. Pour Beji (2007) également, la libéralisation commerciale doit
précéder l’ouverture financière. Sur la base du calcul de seuils de développement légal à partir
desquels une ouverture financière peut produire du développement financier, il considère que
dans l’état actuel de l’environnement institutionnel et légal dans les pays du Sud de la
Méditerranée, une ouverture financière ne pourrait produire que le contraire du
développement financier.
Omrana, Bolbol (2003) soutient au contraire que cette réforme devrait précéder l’ouverture
aux investissements directs et la politique de promotion de ces IDE. Pour cet auteur, les effets
positifs des IDE dépendent des capacités d’absorption des économies, parmi lesquelles il
place en premier le développement financier. Il vérifie cette hypothèse dans le contexte des
économies arabes à financement bancaire prédominant et montre que les IDE dans ces pays
pourraient avoir un effet favorable sur la croissance s’ils interagissaient avec des variables
financières à 3 niveaux de seuils de développement. Neame (2005) préconise de son côté de
promouvoir l’intégration financière régionale des petites économies ouvertes du MENA, du
point de vue cette fois de la volatilité de la consommation. Mais les résultats de son étude
empirique de l’impact de l’intégration gionale et internationale sur la volatilité
macroéconomique dans les économies en développement du MENA durant la période 1980-
2002 montrent au contraire une hausse de la volatilité de la consommation en lien avec
l’ouverture financière. Il explique cela par le faible développement du secteur financier dans
ces pays, un haut degré de développement du secteur financier étant lié significativement à un
faible niveau de volatilité macroéconomique.
Ce débat semble avoir été tranché momentanément du moins par la crise financière de
2008. En effet, alors que nombre d’économistes s’accordaient à préconiser l’ouverture des
systèmes financiers, il apparaît que la surprenante résilience des économies arabes aux effets
de la crise financière internationale en 2008 serait due à leur faible intégration à la finance
globalisée. Ce constat donnait raison à ceux qui redoutaient une ouverture du secteur financier
et préconisaient une approche gradualiste. Cependant, la question de la réforme des systèmes
bancaires domestiques reste posée, en termes de modernisation, si ce n’est de libéralisation,
au vu de leur faible capacité à mobiliser l’épargne, accorder des crédits et financer l’activité
économique
1
. Ainsi, Bhattacharya et Wolde (2009) placent les difficultés d’accès aux
financements en tête des contraintes pesant sur les entreprises locales de la région MENA qui
ont un effet négatif sur la croissance économique.
Si une approche institutionnaliste gradualiste permet de faire la distinction entre
modernisation des institutions financières domestiques et ouverture du secteur financier à la
finance internationale, il reste que l’ouverture est plus pressante pour les pays qui ne disposent
pas de richesses naturelles exportables suffisantes, et ont besoin de recourir à l’épargne
extérieure.
Cependant, à côté des questions de rythme des réformes et d’agenda de l’ouverture, se pose
aussi celle de leur contenu. De ce point de vue, la plupart des pays du MENA ont globalement
adopté le standard préconisé par les institutions financières internationales. Ces réformes sont
d’ailleurs largement menées à l’aide de l’expertise de ces institutions, aussi que, pour les pays
méditerranéens, de celle de l’UE, dans le cadre des accords d’association.
Plus fondamentalement, certains s’interrogent sur la pertinence de ce modèle pour les pays du
MENA. Ainsi, écrit Cobham (2010)
2
:
« None of these countries are anywhere near the type of monetary architecture which
would be necessary for a ‘modern’ monetary policy of the inflation-targeting type. And
[..] it should be recognised that while there are benefits to be obtained from a move
towards the modern polar type there are also costs in terms of the employment of scarce
capital, intellectual and physical resources. Research is needed to estimate those costs and
compare them with the likely benefits. It should also be recognised that for some of the
MENA countries, particularly the smaller ones, the strategic monetary choice so far made,
to fix the exchange rate as a substitute for a serious monetary policy, may not be
inappropriate. »
1
Barajas, Chami, Espinoza et Hesse (2010) analysent la baisse récente du crédit dans le MENA à la lumière de
trois facteurs : l’ampleur du boom de la période antérieure ; l’importance du le des fonds bancaires et le fait
que la baisse des dépôts et des emprunts extérieurs est parfois masquée par une politique monétaire
expansionniste ; les fondamentaux que sont le niveau de capitalisation et la qualité des prêts, qui expliquent les
différences de croissance du crédit entre banques et pays de la région.
2
Voir aussi Boughzala, Cobham (2011).
Certes, les autorités de ces pays sont souveraines et leur marge de manœuvre, bien que
limitée, existe
3
. Mais, au vu de la lenteur des réformes, on peut se demander si, pour l’heure,
celle-ci ne réside pas surtout dans la seule option d’en freiner le rythme et de geler ou reporter
certaines mesures.
Cela fait maintenant plusieurs années que les pays du MENA ont engagé des réformes et on
pourrait s’interroger sur leurs effets tant sur le secteur financier que sur la croissance
économique. Il existe quelques travaux mettent l’accent sur les réalisations de ces réformes.
Murshed (2008) insiste sur le fait que, malgré des taux de croissance modestes, ces pays ont
réalisé des progrès substantiels en termes de développement humain (qu’il relie à l’héritage
culturel, avec une faible tolérance à la pauvre et aux inégalités) et des réalisations non
négligeables en matière de développement institutionnel, ce qui est de bon augure pour les
perspectives de croissance à long terme. Pour lui, les rentes pétrolières récentes n’ont pas été
trop mal gérées, mais il faut faire plus pour favoriser la diversification économique et
diminuer la dépendance aux ressources naturelles. En ce qui concerne plus précisément la
réforme du secteur financier, Alouani (2008), qui en fait un bilan exhaustif pour la Tunisie,
l’Algérie, le Maroc et l’Egypte - tant du point de vue de leurs effets sur le développement
financier et les performances des banques, qu’en termes d’impact de la libéralisation sur
l’investissement, l’épargne, les entrées de capitaux - conclue que des progrès significatifs ont
été faits ces dernières années.
V. Les motivations de l’accumulation des réserves de change
Artus (2009) explique que l’accumulation des réserves de change obéit à deux logiques :
- Une logique mercantiliste qui vise la dépréciation volontaire du taux de change afin de
doper les exportations et gagner des parts de marché. Il s’agit de la thèse défendue par Dooley
et al (2004) ainsi que le modèle de fear of floating surtout dans les pays ayant des dettes
libellées en devises (Reinhart et Rogoff, 2004). En effet, Dooley et al (2004) considèrent que
le « nouveau Bretton Woods » selon leur appellation, pourrait fournir une explication des
tendances en matière de déséquilibres des comptes courants et d’accumulation des réserves.
Ces auteurs stipulent que les pays émergents asiatiques s’appuient sur une sous-évaluation du
taux de change pour réaliser une croissance guidée par l’accroissement des exportations, tout
en finançant le déficit courant américain. Les États-Unis étant l’un de leurs principaux
partenaires. Ils supposent également que d’importantes réserves de change peuvent avoir été
accumulées « en garantie » des investissements directs étrangers. Cette interprétation met en
lumière la responsabilité partagée des profils de consommation aux Etats-Unis et de la
dynamique de croissance en Asie émergente dans la formation des déséquilibres mondiaux
des transactions courantes;
- Une logique de précaution dont l’objectif est la dissuasion des mouvements de
spéculation. L’accumulation des réserves de change vise aussi, selon ce motif, à protéger le
pays des humeurs versatiles des marchés financiers caractérisées par des sorties abruptes de
capitaux (surtout les capitaux de courte maturité). Cette logique peut être assimilée à une
assurance contre les risques étant l’ancrage des devises de plusieurs pays émergents au dollar.
En effet, suite aux crises financières de la fin des années 1990, les pays émergents ont amorcé
des politiques d’accumulation d’avoirs en réserve. L’objectif de ces politiques étant de se
protéger contre d’éventuelles attaques spéculatives et renforcer leur capacité à parer aux chocs
3
A ce stade, il faudrait faire une analyse en termes d’économie politique prenant en compte la nature des
régimes pour connaître les motifs qui poussent les coalitions au pouvoir à mener de cette manière le processus de
réforme, au détriment de stratégies alternatives.
induits par des interruptions brutales des entrées de capitaux. Cette auto-assurance visait
également à limiter à l’avenir la cessité de recourir à un renflouement par la communauté
internationale. Même pour les pays n’ayant pas directement souffert de la crise, ces
motivations ont probablement joué un rôle éminent, dans la mesure un certain degré de
libéralisation du compte financier était peut-être envisagé dès ce moment. Toutefois, avec le
temps, la persistance d’importants excédents courants a entraîné une accumulation sans
précédent de réserves officielles (Trichet, 2007).
Il existe aussi un autre motif, de thésaurisation, souligné par Vidon (2007), radicalement
différent de celui de l’approche mercantiliste. Il s’agit d’une analyse par les termes de
l’échange. Cette théorie souligne que l’appréciation du taux de change peut être un moyen
d’enrichissement, contrairement à la vision mercantiliste qui voit dans la dépréciation du taux
de change un effet bénéfique sur la croissance des exportations. Dans le cadre d’une stratégie
de spécialisation favorable, l’équilibre extérieur, voire l’accumulation d’excédents
commerciaux est possible en situation d’amélioration des termes de l’échange, c'est-à-dire
avec une hausse plus rapide des prix à l’exportation que des prix à l’importation. Il s’agit,
pour une économie domestique, d’une augmentation du pouvoir d’achat des biens importés.
C’est une forme d’enrichissement relatif, puisqu’elle permet de consommer à moindre coûts
les biens importés. Dans le cas d’économies émergentes qui connaissent une phase de
« rattrapage », caractérisée par des gains de productivité importants dans le secteur des biens
échangeables, l’appréciation du taux de change réel est même un phénomène d’équilibre
(effet Balassa-Samuelson). Pour que cette appréciation réelle du change ne se fasse pas
uniquement par une inflation nationale supérieure à celle des principaux partenaires, une
certaine liberté de flottement du taux de change nominal est nécessaire, dans le cadre d’une
appréciation progressive. De cette manière peuvent être combinés gains des termes de
l’échange, maîtrise de l’inflation et rééquilibrage de la croissance au profit de la demande
interne (Vidon, 2007).
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