Demofoonte : Opéra napolitain en trois actes (1743) Le compositeur : Niccolo Jommelli (1714-1774) Livret de Pietro Metastasio En langue italienne Argument : Démophon, roi de Chersonèse de Thrace, doit chaque année sacrifier une jeune vierge de son peuple. Il demande à l'oracle d'Apollon quand prendra fin cette cruelle exigence. L'oracle répond : "Quand l'innocent usurpateur d'un trône se connaîtra lui-même." La suite de l'opéra donnera la solution de l'énigme. Démophon a des filles, mais il les a fait élever en lieu sûr, afin qu'elles échappent au sacrifice. Son ministre Matusio, qui a lui aussi une fille, Dircéa, veut faire de même, mais le roi, refusant le tirage au sort, condamne la jeune fille. Il ignore toutefois que Dircéa est mariée secrètement à son propre fils, Timante, héritier du trône, à qui il destine Creusa. Celle-ci est en fait aimée du fils cadet du roi, Cherinto. Creusa, offensée du dédain de Timante, veut s'en aller et repousser Cherinto. Démophon découvre alors le mariage secret de Timante et Dircéa. Il les condamne à mort, puis les gracie. Mais Matusio apprend, par une lettre de sa défunte femme, que Dircéa n'est pas sa fille, mais celle du roi : elle est donc la soeur de Timante. Heureusement, celui-ci apprend d'un document laissé par sa mère qu'il n'est pas fils du roi, mais de Matusio. Il peut donc aimer Dircéa sans obstacle, mais la prophétie se réalise : il était usurpateur sans le savoir, et le sacrifice des vierges peut donc cesser. Démophon donne Creusa pour épouse à Cherinto, son unique héritier légitime. Demofoonte s’inscrit dans le cadre de la réhabilitation de l’opéra napolitain du 18è siècle Opéra baroque rarement joué, d’un très grand compositeur, un des plus célèbres de son époque. Ce natif de Naples aura produit une synthèse originale des styles italiens, allemands et français et sera célébré à sa mort comme « le plus grand compositeur d’Europe », « le plus profond et le plus grand artiste parmi les musiciens », « un Horace ». Riccardo Muti, natif de Naples également, est un des plus grands chefs vivants, à l’égal d’un Claudio Abbado. Ancien directeur musical de La Scala de Milan, dont il a démissionné en 2005. Il sera à la tête d’un ensemble de jeunes chanteurs et de jeunes musiciens de l’Orchestra Giovanile Luigi Cherubini Fidélio : Opéra en deux actes (1814) Le compositeur : Ludwig Von Beethoven Livret de Joseph Von Sonnleithner d’après Léonore ou l’Amour conjugal de Jean-Nicolas Bouilly Dialogues par Martin Mosebach En langue allemande Durée : environ 2h (sans compter l’entracte) Œuvre fétiche de Gerard Mortier. Seule incursion de Beethoven dans le domaine lyrique, Fidelio a été la partition la plus remaniée du compositeur. Il aura fallu 2 versions préalables (1805, 1806) pour aboutir à la version définitive de 1814. Œuvre donnée au Châtelet en 2006. Dernière production à l’Opéra de Paris en 1982. Argument : En Espagne, dans une prison près de Séville à la fin du 18è siècle. Florestan a été jeté en prison par le gouverneur Pizarro dont il avait dénoncé les agissements illégaux. Léonore, épouse de Florestan, est déterminée à sauver son mari. Déguisée en jeune garçon, sous le nom de Fidelio, elle parvient à s’introduire auprès du geôlier Rocco, à gagner sa confiance et à libérer Florestan, aidée en cela par l’arrivée providentielle du Ministre venu mettre fin à l’arbitraire tyrannique de Pizarro. Hymne à l’amour conjugal et à la liberté, le livret met en scène une héroïne au caractère d’une force exceptionnelle, une femme incarnant l’aspiration à un idéal humaniste et fraternel. C’est un des très rares exemples dans l’histoire de l’Opéra où la femme n’est ni victime ou soumise, ni l’instrument perfide de la fatalité. L’opéra s’apparente, dans sa forme, à un singspiel allemand (cf la flûte enchantée), alternant numéros traditionnels (airs, duos, trios, quatuor, ensembles et chœur) et dialogues parlés. Musique d’une « sobriété opulente » (dixit Berlioz), où l’effectif orchestral, utilisé souvent avec parcimonie, est au service de l’expression la plus profonde, la plus dense. Pour beaucoup d’observateurs, l’écriture orchestrale est plus habile que l’écriture vocale, même si Beethoven y semble précurseur en matière de chant, en s’émancipant, tout particulièrement au 2è acte, du bel canto traditionnel et en jetant les bases du chant wagnérien. En outre, le rôle de Léonore, un des plus prisés du répertoire pour soprano, exige de l’interprète une voix large, capable de graves opulents comme d’aigus lumineux. Mise en scène de Johan Simons ( Simon Boccanegra) Très belle distribution avec Angela Denoke, soprano (Katia, Emily dans L’Affaire M, Marie dans Wozzeck), Jonas Kaufmann, ténor (Cassio dans Otello, Alfredo dans Traviata) et Franz- Josef Selig, basse (Roi Marke dans Tristan, Gurnemanz dans Parsifal) Macbeth : Melodramma en 4 actes (1847) Le compositeur : Giuseppe Verdi (1813-1901) d’après la tragédie de William Shakespeare En langue italienne Durée : environ 2h Après Luisa Miller, Macbeth illustre une autre de ces pièces charnières dans l’œuvre du compositeur : premier opéra de Verdi inspiré de Shakespeare avant Otello et Falstaff. Opéra révisé en 1865. Argument : Suite à une prédiction de sorcières, Macbeth devient, avec l’aide de sa femme Lady Macbeth, roi d’Ecosse, après avoir assassiné le roi Duncan. La prédiction prévoyant également que Banco, ami de Macbeth, deviendrait père de rois…, Macbeth le fait assassiner, ne pouvant empêcher la fuite de Macduff, fils de la victime. Ce dernier finira par châtier le tyran, permettant à Malcom, héritier légitime, de ceindre la couronne. Livret tiré de la pièce de Shakespeare : efficacité théâtrale, dimension fantastico-dramatique. Verdi souhaitait que ses interprètes respectent la situation dramatique et le poète plus que le compositeur. Musique d’une tension dramatique, d’une violence, d’une théâtralité en tous points exceptionnelles pour l’époque de la composition. Verdi souhaitait pour Lady Macbeth, personnage central de l’œuvre, une interprète « laide et monstrueuse », dont la voix devrait être « âpre, étouffée, sombre ». Peu d’airs véritables, mais plutôt des ariosi, insérés dans la trame des récitatifs, permettant une continuité dramatique Mise en scène de Dmitri Tcherniakov (cf Eugène Onéguine) Le chef, invité régulier du théâtre Mariinski, va diriger Don Carlo cette saison. C’est le directeur musical de l’Opéra de Novosibirsk (Russie). Distribution 5 étoiles, avec le superbe Carlos Alvarez, baryton, dans le rôle-titre (Iago d’Otello, Simon Boccanegra) et la magnifique Violeta Urmana, soprano, (Kundry dans la précédente production de Parsifal), dans celui de Lady Macbeth. Eugène Onéguine : Scènes lyriques en 3 actes et 7 tableaux (1879) Le compositeur : Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893) D’après le poème d’Alexandre Pouchkine En langue russe Durée : environ 2h Opéra romantique par excellence qui s’est imposé sur toutes les scènes internationales comme « l’œuvre témoin du romantisme russe » Argument : Tatiana, jeune fille réservée et romantique, vit dans un domaine retiré avec sa mère Mme Larina et sa sœur Olga. Par le biais d’un jeune poète, Lenski, épris d’Olga, elle rencontre Eugène Onéguine, être froid et cynique dont elle tombe éperdument amoureuse. Il la repousse, prétextant qu’il n’est pas fait pour le bonheur, pour une vie rangée. Lors d’un bal en l’honneur de Tatiana, Eugène Onéguine danse avec Olga. Lenski, fou de jalousie, le provoque en duel. Onéguine le tue et choisit la fuite. Quelques années plus tard, Tatiana, devenue princesse Grémine, retrouve Onéguine lors d’un bal à St Petersbourg. Se rendant compte qu’il est passé à côté d’un grand amour, il la supplie de revenir à lui mais il est trop tard : Tatiana est mariée et ne saurait trahir la confiance de son mari. Tchaïkovski se décrivait lui-même comme un peintre réaliste des sentiments. Afin de rendre justice au poème de Pouchkine, le compositeur souhaitait que l’on chante comme on parle. « Il se peut qu’Onéguine n’ait rien de dramatique. Cela n’a aucune espèce d’importance. De toute façon, en quoi consiste un effet dramatique ? Vous en trouverez peut-être dans Aïda, par exemple, mais je vous jure que pour rien au monde je n’aurais écrit un opéra sur un tel sujet. Qu’est-ce que je demande à un sujet d’opéra ? Des personnages qui ressentent en leur âme ce que je ressens moi-même, afin que je puisse les comprendre et compatir à leurs tourments. Ceux que vivent Aïda, Radamès, les africains et les dieux me laissent totalement froid, comme les scènes de foule dans lesquels ils apparaissent. Je recherche un drame intime, poignant, basé sur des situations que j’ai ou aurais pu vivre. » Eugène Onéguine est une oeuvre sans effet de théâtre, « alla Tchekov », une chronique intime orientée vers la vie intérieure des personnages et placée sous le signe du fatum. La musique, d’un lyrisme contenu, intense et profond est imprégnée de rythmes populaires (danse paysanne, mazurka, polonaise, valse). Opéra admirablement écrit pour les voix Production donnée au théâtre du Bolchoï en 2007, et qui a reçu un accueil critique enthousiaste. De plus, caractère évènementiel de la venue du Bolchoï, plus connu pour son ballet que pour son orchestre et sa troupe de chanteurs Extrait de presse : « Le Bolchoï, un des six théâtres membres de l'association, propose une des premières les plus marquantes de la saison 2006/07. Cette nouvelle version de Eugène Onéguine a été saluée par les critiques pour son mariage réussi de tradition et d‘innovation. Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov, qui avait réalisé plusieurs spectacles dans les opéras et théâtres dramatiques de Moscou, Saint-Pétersbourg, Novosibirsk, Kazan, Vilnus, etc., est connu pour sa capacité à éviter habilement les clichés en simplifiant au maximum les décors, costumes et scénographies pour mettre en valeur l'aspect dramatique. Dans Eugène Onéguine, Tcherniakov ne s'intéresse pas au conflit entre la province et la capitale Saint-Pétersbourg. Il se concentre plutôt sur l'aspect émotionnel, c’est-à-dire sur l’indifférence et la disparition de la sincérité qui caractérisaient selon Pouchkine (auteur d’Eugène Onéguine) la société civilisée. L'orchestre, dirigé par Vedernikov, privilégie une interprétation sobre, et le choeur est irréprochable. Quant aux décors et aux costumes, minimalistes, ils sont marqués par la stylistique Art nouveau » La Fiancée vendue : opéra en trois actes (1866) Le compositeur : Bedrich Smetana Livret de Karel Sabina En langue tchèque Durée : environ 2h15 Smetana est le fondateur de l’opéra tchèque dans un pays soumis, en son temps, à la loi impériale (empire austrohongrois) où le répertoire était essentiellement chanté en langue allemande ou italienne. Son influence sur Dvorak et Janacek ne saurait être sous-estimée, surtout quant à la mise en musique de la langue tchèque et l’utilisation des traditions musicales populaires. Symbole de la culture tchèque, l’opéra de Smetana est devenu un symbole de l’indépendance nationale et la fierté de tout un peuple. Argument : L’intrigue se passe dans la campagne tchèque. Krusina, pour rembourser une dette qu’il a contracté auprès du riche fermier Tobias Micha, a promis sa fille Marenka à Vasek, fils de son créditeur, benêt bégayeur soumis à sa mère. Cependant, Marenka aime Janik, aux origines mystérieuses, et ne souhaite pas y renoncer. Kecal, marieur du village, se promet de convaincre Janik de renoncer à Marenka. Janik accepte de signer un contrat dans lequel, moyennant 300 écus et l’assurance que Marenka épouse un fils de Micha, il renonce à sa bien-aimée. Finalement, Janik s’avère être le fils de Micha, issu d’un premier mariage, contraint de fuir sa famille à la mort de sa mère devant l’hostilité de sa marâtre. Marenka et Janik pourront donc se marier. Le livret, dans cette alternance de scènes bouffes et pittoresques et de vérité humaine douce, satinée et pure, fait écho à l’Elixir d’Amour de Donizetti La musique, écrite pour un grand orchestre symphonique, est d’un lyrisme prégnant, multipliant les motifs séducteurs et les références qui vont de Mozart à Berlioz en passant par Weber et les italiens. La forme reste classique, avec une trame de récitatifs rapides, enlevés, hérités de l’opéra bouffe italien, entrecoupée d’airs ou ariosi, de duo, trio, quatuor, ensemble et chœur. Smetana fait preuve d’un grand sens du cantabile, offrant aux interprètes des lignes de chant très harmonieuses. Les mises en scène de Gilbert Deflo (L’amour des 3 oranges, Un bal masqué, Luisa Miller), se distinguent souvent par leur univers éminemment poétique Très grand chef tchèque : Jiri Belohlavek (Juliette ou la clé des songes, Rusalka), rodé à ce type de répertoire. Werther : Drame lyrique en 4 actes et cinq tableaux (1892) Le compositeur : Jules Massenet (1842-1912) Sur un poème d’après Goethe. En langue française Durée : environ 2h15 Werther est une des œuvres phare du répertoire lyrique, donnée régulièrement sur les plus grandes scènes internationales. C’est un évènement à l’Opéra de Paris, où l’œuvre n’a pas été donnée dans sa version scénique depuis juillet 1984 (avec Alfredo Kraus). Argument : Allemagne, fin 18è. Werther est amoureux de Charlotte, la fille du bailli. Cependant, celle-ci fut promise, avant la mort de sa mère, à Albert. En fille soumise respectueuse de la volonté parentale, Charlotte a donc épousé Albert. Werther, au comble du désespoir, a dans un premier temps choisi la fuite, se contentant d’adresser à sa bien-aimée des lettres toujours plus enflammées. A la veille de noël, Werther débarque chez Charlotte : les retrouvailles sont intenses mais brèves, la jeune fille se rappelant à son devoir d’épouse. Désespéré, le jeune homme se suicide. Livret éminemment poétique, adapté des souffrances du jeune Werther de Goethe, un des fleurons du romantisme allemand Massenet, s'il ne trahit pas Goethe, donne aux deux héros une « coloration » ambiguë : Charlotte aime indiscutablement Werther. Mais elle est tiraillée entre sa libido et sa peur d'enfreindre les conventions bourgeoises. En fait, Charlotte est une femme frustrée qui, à cause d'une société impitoyable et machiste, n'ose pas vivre sa sexualité. Bref, c'est une victime beaucoup plus qu'une garce. Werther devient un personnage extraordinairement complexe. Dès que Werther apparaît sur scène, le public sait qu'il est condamné… Mélancolique, introverti, Werther porte en lui son « mal-être » romantique. Bref un antihéros qui vit extérieurement mais qui est déjà mort à l'intérieur… Charlotte n'est qu'un prétexte, une occasion d'extérioriser son mal de vivre et de justifier un suicide …qui, dès le début, est inévitable. Werther meurt davantage de ne pas aimer assez la vie que de trop aimer Charlotte. L’orchestration de Werther fait appel au grand orchestre symphonique. Massenet crée, tout au moins au début, un tissu sonore transparent, raffiné, coloré, tissu qui se densifie au fur et à mesure des actes avec l’intensification du sentiment amoureux. Le 3è acte (duo d’amour) trouve des accents wagnériens : Massenet ne voulait-il pas faire de Werther l'équivalent du Tristan und Isolde de Richard Wagner ? La référence au « drame lyrique », la matière poétique, le travail en unités plus vastes (actes plutôt que scènes), l’importance accordée aux récitatifs, à la clarté des dialogues et du jeu scénique, tout renvoie au compositeur germanique. Le rôle de Werther est un des plus prisés du répertoire pour ténor. Tous les grands artistes chantant dans cette tessiture l’inscrivent à leurs programmes de récitals. Contrairement aux habitudes prises ces dernières années, l’interprète ne doit pas chanter en force, en assombrissant démesurément le timbre pour donner une coloration dramatique, mais s’efforcer de conserver une ligne claire, noble, racée, dans la plus pure tradition du chant français. Mise en scène classique transposée dans les années 30. Production importée de Munich. Jurgen Rose, scénographe et costumier sur La Dame aux camélias. Kent Nagano (Dialogue des carmélites -2004, Cardillac-2005) est un très bon chef Distribution 5 étoiles : Rolando Villazon, ténor ; Susan Graham, mezzo ; Ludovic Tézier, baryton. La petite renarde rusée : opéra en 3 actes (1924) Le compositeur : Leos Janacek (1854-1928) Livret du compositeur En langue tchèque Durée : 1h30 Janacek est un des compositeurs- fétiche de Gerard Mortier : Katya Kabanova (2004) De la maison des morts (2005) et l’Affaire Makropoulos (2007). Argument : Dans la forêt, l’été, la petite renarde Bystrouska est capturée par le garde-chasse. Harcelée par le chien, qui la désire, maltraitée par la femme du garde-chasse et par ses enfants, elle finit par s’échapper, après avoir provoqué une véritable zizanie dans la basse-cour. En été, elle rencontre un renard : ils tombent éperdument amoureux l’un de l’autre et se marient. La saison suivante (automne), alors qu’elle se promène en compagnie de son « mari » et de sa première portée, elle tombe sur Harasta, un braconnier qui porte sur son dos un panier rempli de poulets. Improvisant une diversion, se jouant de l’importun afin de permettre aux siens de chaparder le contenu du panier, elle finira par payer cher ses facéties, le braconnier la tuant avec son fusil. Dans la forêt, le garde-chasse, alors qu’il s’était endormi, est réveillé par une petite renarde, qui n’est autre que la fille de Bystrouska. Il essaie de l’attraper en se promettant de l’élever mieux que sa mère mais sa main se referme…sur une grenouille. La boucle est bouclée. « Histoire gaie qui se termine tristement », selon Janacek, la fable offre une vision anthropomorphique de la nature en prêtant aux animaux les comportements humains, tendant ainsi un miroir à nos travers, donnant une valeur comique à nos comportements (la révolte, l’amour, l’égoïsme, la lâcheté..). Réflexion « écologique » sur le rapport de l’homme à la nature, sur les malentendus qui peuvent découler d’une méfiance réciproque. Mais rien n’est tragique : c’est le cycle éternel de la vie et de la mort. (passage des saisons -été, automne-). Sujet qui a une résonnance particulière pour Janacek, qui, au crépuscule de sa vie, est tombé amoureux de Kamila Stoslova. L’amour, comme baume posé sur les souffrances de la vieillesse et l’angoisse de la mort. Omniprésent dans le monde animal comme dans celui des humains (chaque personnage connaît les affres de ce sentiment divin) il est symbole d’espoir et de renouveau. Il fertilise le monde et permet à l’homme de se réconcilier avec lui-même…et avec la nature. La petite renarde est un hymne panthéiste, une aspiration au retour à l’unité du cosmos. Lumineuse fantaisie symphonique, où l’orchestre prend sur lui la peinture des décors. Musique rythmée, colorée, d’une grande expressivité, d’une profonde poésie, capable de restituer l’ambiance de la forêt et de traduire le comportement animal (pantomimes, danses). Style plus réaliste, plus grinçant, plus austère, dès qu’il touche au monde des humains, avec des personnages médiocres, solitaires en mal d’amour. Des transitions dramatiques permettent de passer d’un univers à l’autre. Le style vocal est étroitement calqué sur le langage humain dont Janacek s’amusait à collectionner les intonations et les rythmes caractéristiques. La déclamation lyrique oscille constamment entre le récitatif et l’arioso. Les dialogues sont rapides, dynamiques, faisant progresser la fable à un rythme trépidant. Les voix sont essentiellement utilisées pour leur caractère expressif (cri des animaux). Mise en scène d’André Engel déjà donnée au théâtre des Champs Elysées en 2002. Certains critiques l’ont qualifiée de « naturaliste poétique » Dennis Russel Davis-qui a déjà dirigé K de Philippe Manoury et Lulu d’Alban Berg- est un fin connaisseur du répertoire du 20è. Belle distribution, avec la renarde d’une habituée des lieux, Christine Schäfer, et le garde-chasse de Rasilainen (Kurvenal du « Tristan et Isolde » de Sellars, Wotan de la « tétralogie » au Châtelet). Le roi Roger : opéra en 3 actes (1926) Le compositeur : Karol Szymanowski (1882-1937) Livret de Jaroslaw Iwaszkiewicz En langue polonaise Durée : 80 minutes. Avec Penderecki, Szymanowski est l’autre grande figure de la musique polonaise. Le Roi Roger est donné pour la première fois à l’Opéra national de Paris Argument : 12è siècle, Sicile. Le roi Roger est confronté au personnage du berger, annonciateur d’un nouveau Dieu, Dionysos, dieu du plaisir, de la sensualité, de l’hédonisme. Chaque acte nous montre l’affrontement entre les deux hommes dans un endroit symbolique : le premier dans une cathédrale byzantine, domaine spirituel de l’Eglise, le deuxième dans un palais arabe, domaine du pouvoir, le troisième dans un théâtre grec en ruine. A chaque étape, Roger tente de résister aux sirènes du plaisir, se réfugiant dans une forme d’austérité morale imposée par la religion et l’exercice du pouvoir. Sommé au troisième acte de sortir de son cadre familier et rassurant et de s’exposer réellement à la tentation, il sortira vainqueur de cette lutte intérieur, acceptant de concilier puissance vitale dionysiaque et luminosité apollonienne, d’embrasser la vie avec toute sa richesse et sa complexité. Œuvre introspective, psychologique, méditative, sans action dramatique véritable, plus proche de l’oratorio païen que de l’opéra Partition écrite pour un grand orchestre, d’une beauté hypnotique et sensuel, extatique et raffinée, alternant les ornementations impressionnistes (nuances subtiles d’ombres et de lumière), orientalistes (couleurs exotiques, hédonisme lascif) et des passages au chromatisme dense hérité du « Salomé » de Richard Strauss (érotisme ardent, dimension orgiaque). La déclamation lyrique oscille entre le récitatif et l’arioso. Ecriture vocale d’une grande variété expressive, allant des chœurs stylisés grégoriens du premier acte au « parlare-cantando » de Roger, prisonnier d’une forme d’austérité, en passant par l’extatisme de Roxane (solaire, aérienne) et le caractère poétique, élégiaque du berger. Présence envoûtante des chœurs. Le metteur en scène, habitué des lieux (Iphigénie, Affaire M, Parsifal) est un compatriote du compositeur. Serat-il, de fait, le mieux à même pour traduire l’esprit de l’œuvre ? Très bon chef – a récemment dirigé Cardillac- surtout dans le répertoire symphonique. Lady Macbeth de Mzensk : opéra en 4 actes et 9 tableaux (1934) Le compositeur : Dimitri Chostakovitch (1906-1975) Livret d’Alexandre Preis et du compositeur Donnée à l’Opéra Bastille en février 1992 dans une mise en scène d’André Engel. Reprise en mai 94. Le Nez, premier opéra du compositeur, a été donné en 2005 (direction Valery Gergiev) Durée : 2h30 Argument : Négligée par son riche et veule époux, Zinovy, la belle Katerina n’en peut plus de frustration et d’ennui. De surcroît, elle est tourmentée par son beau-père, Boris, une brute épaisse, despote typique de la Russie féodale, qui lui reproche la stérilité de son couple tout en la couvrant d’un regard concupiscent. Elle finit par tomber amoureuse d’un employé de la maison, Sergueï, séducteur impénitent. Les prenant en flagrant délit d’adultère, Boris humilie Sergueï en le cravachant devant toute la maisonnée. Katerina se venge en empoisonnant son beau-père. Avec le retour de Zinovy, les amants voient s’approcher la fin de leur idylle. Le mari, constatant qu’il vient d’être cocufié, corrige Katerina. Aidée de Sergueï, elle assassine son mari et cache le corps dans la cave. Celui-ci est par hasard découvert par un vagabond, un paysan miteux, qui va prévenir la police. Les 2 amants sont arrêtés alors qu’ils venaient de convoler en juste noce. Ils sont déportés en Sibérie. Katerina soudoie un garde pour pouvoir rester avec Sergueï mais celui-ci la repousse en lui reprochant d’avoir gâché sa vie. Mieux, il la trompe ostensiblement avec une prostituée, Sonietska. Désespérée, Katerina pousse Sonietska dans la rivière glacée et s’y jette à son tour. Lady Macbeth de Mzensk est un drame du déterminisme social, au rythme haletant, d’une précision cinématographique, où une femme, au tempérament vif et passionné, décide de rompre, par une série de crimes, les chaînes qui l’attachent à un milieu archaïque, patriarcal, violent et oppressant, afin de vivre au grand jour son amour pour un homme. Katerina témoigne d’une audace, d’une détermination, d’un esprit d’initiative qui tranche avec la médiocrité masculine. Mais sa spontanéité, sa sincérité l’aveuglent. Elle ne réalise pas combien Sergueï la manipule et l’utilise afin d’assouvir son ambition de devenir marchand à son tour (d’où le côté dérisoire du titre, qui fait écho à la pièce de Shakespeare !). Le bourreau n’est en fait qu’une victime, et suscite la compassion. Mais l’autre sujet majeur de l’opéra regarde vers la satisfaction du plaisir, d’un désir féminin inassouvi. Katerina cherche à se réaliser sexuellement. Elle veut un mâle, un vrai, un amant qui soit à la hauteur afin de la satisfaire pleinement. Elle est une force qui va, affirmant la toute puissance d’une sensualité débridée. Le sujet était tellement subversif pour l’union soviétique de Joseph Staline que l’œuvre fut déclarée pornographique, dégénérée, décadente, et fut interdite de scène (malgré le triomphe de la création le 22 janvier 1934). En 1963, sous la pression des autorités soviétiques, une version remaniée et expurgée verra le jour, sous le titre Katerina Ismaïlova, en présence de la famille Khrouchtchev ! Musique brillamment orchestrée, très largement dissonante, d’une intense et brutale beauté, traduisant tour à tour la sensualité et l’ironie, la mélancolie et l’horreur, la passion et la résignation. Katerina est un des plus grands rôles du répertoire lyrique : il déborde d’un lyrisme nostalgique et passionné quand il ne tombe pas dans l’hystérie. Les autres rôles –masculins- féroces ou grotesques, sont plus ingrats, et s’écartent de la ligne cantabile, offrant un style musical proche du cirque ou de la parodie. Chostakovitch utilise les différents registres expressifs de la voix, du parlé au chanté en passant par le quasi-parlando, et le récitatif soutenu issu de l’arioso. Très grand chef, ayant dirigé Capriccio, Salomé et récemment Parsifal Mise en scène radicale, audacieuse, fascinante par son érotisation pleinement assumée, à la direction d’acteurschanteurs époustouflante La production, importée d’Amsterdam, a été captée en DVD et a fait l’unanimité de la critique Extrait de presse : « Martin Kusej signe l’un des spectacles les plus fort de la saison, et probablement la vision la plus juste, la plus irrémédiablement noire que cette Lady Macbeth ait vécue à la scène. Monde de voyeur, assoiffé de sexe, dont le seul horizon est sous eux : la fange où tous tombent et meurent. Vision terrifiante d’un univers qui ne connaît que deux pôles, le viol ou le meurtre, et dans lequel Katia et Sergey essayent de vivre tant bien que mal une passion trompeuse mais ardente. Décor terrifiant de simplicité et d’efficacité, costume d’un réalisme triste, et surtout une direction d’acteur incroyable par son jusqu’au-boutisme . Il fallait assumer la volonté si réaliste de Martin Kusej qui se sert de la laideur sans hésiter, et tous relèvent le défi avec des moyens vocaux conséquents. Désormais Katerina sera pour nous Eva-Maria Westbroek, rayonnante et brisée, fragile mais avec des ressources vocales inépuisables (on avait pu en juger lorsqu’elle s’était mesurée à la Chrysothemis straussienne à Bastille)[….] Formidable Boris, toujours à l’affût, terrifié par ses propres noirceurs, de Vladimir Vaneev, commissaire dangereux, simplement monstrueux de Nikita Storojev. Historique, tout simplement Yvonne, princesse de Bourgogne : Opéra en 4 actes (2008) Le compositeur : Philippe Boesmans (né en 1936) Livret de Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger d’après la pièce homonyme de Witold Gombrowicz Philippe Boesmans est né en Belgique à Tongres en 1936. Son parcours lyrique : La Passion de Gilles, opéra (1983) L'incoronazione di Poppea, version revisitée de l'opéra de Monteverdi (1989) Reigen, opéra (1992) commande de la Monnaie (direction G.Mortier), donné à l’amphithéâtre Bastille en février 2009 Wintermärchen, opéra (1999) Julie, opéra (2005) Evènement mondial qui sera sans doute largement relayé par la presse, du fait de la notoriété du compositeur Argument : La pièce se déroule à la cour de Bourgogne. Tout semble aller pour le mieux et chacun vaque à sa tâche en ce soir de fête nationale : le roi et la reine doivent faire le grand tour du parc - histoire de fraterniser avec le peuple - et le prince, accablé, reste dans le parc observer les femmes qui s’y promènent. C’est alors qu’apparaît Yvonne. Qui est-elle ? Nul ne le sait. Ce que l’on découvre de la jeune femme c’est ce que ses tantes disent d’elle en l’entourant : " Hier encore, tu n’as eu aucun succès. Aujourd’hui encore tu n’as eu aucun succès. Et demain tu n’auras aucun succès non plus. Pourquoi es-tu si peu séduisante ma chère ? Pourquoi n’as-tu pas une once de sex-appeal ? Personne n’a envie de te regarder. Quelle plaie ! " La jeune femme est laide et ne parvient pas à séduire. C’en est assez pour le Prince, esprit libre qui décide de se fiancer à la jeune femme inapétissante : il refuse d’obéïr à la répulsion naturelle que lui inspire Yvonne et impose à ses parents de l’accepter comme bellefille. Plus la fiancée est vilaine, plus le geste est beau. Le fils du roi a rencontré celle qui de toute éternité lui était destinée. Non parce qu’elle complète sa propre beauté, mais parce qu’elle en est l’antithèse vivante. Yvonne est dépourvue de toute grâce. Elle est dénuée d’esprit, apeurée et muette. Elle n’a même pas l’originalité d’une tare physique intéressante. C’est le repoussoir parfait dans la mesure où elle révèle à chacun non ce qu’il croit être, mais ce qu’il est en vérité ; en la regardant, chacun rencontre sa propre image. Non celle que renverrait un miroir fidèle - celle au contraire que dénude le miroir magique qui ne ment jamais : chacun s’aperçoit qu’il est le roi nu ; le laborieux édifice des conventions s’effrite. Yvonne est dominée par la peur. Car ce qu’elle représente- le dévoilement de la vérité chez autrui - est insoutenable pour tout le monde. Découvrir ce qu’on est est insupportable. Chacun a la révélation de sa propre grimace. La grimace du roi répond à la grimace de la reine. Le secret que tout le monde cache est percé à jour : derrière le masque, il n’y a rien. L’enveloppe est vide. Vide le vêtement. La cour royale est une cour fantôme. Le roi, la reine et les courtisans ne sont qu’apparences. Tous, se mirant dans la glace tendue par Yvonne, rencontrent le vide - comme les vampires au bal chez Polanski n’ont pas de reflet au miroir. Le langage musical de Boosmans, cherchant à se démarquer du dogmatisme sériel, se caractérise souvent par une sorte de frémissement, une richesse de timbres et d’harmonie luxuriante, et laisse la voix s’épanouir au premier plan (comme Britten), du récitatif au parlé-chanté… la notion de théâtre, partant la parfaite compréhension du texte, est primordiale chez le compositeur. Il revendique également (cf Wintermärchen), un héritage allant de Monteverdi à Berg, en passant par Wagner et Strauss. Luc Bondy est un très grand metteur en scène, remarquable directeur d’acteurs, dont le partenariat de longue date avec le compositeur garantit une lecture non seulement pertinente de l’action dramatique mais également en harmonie avec l’univers musical de Boosmans. Excellente distribution : Delunsch et Beuron sont de fins diseurs et de parfaits stylistes dans le répertoire français.