Pour la première fois en France, nous ne pouvons pas séparer l

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Christine de Pizan:
La raison, l’étude et la paix
À la une: Christine dans son cabinet d’étude
(London, British Library, Harley MS 4431).
Jennie Verheij
Mémoire de fin d’études
Sous la direction de dr. R.E.V. Stuip
Université Utrecht
Mai 2005
Introduction
Introduction
Dans le cadre de notre mémoire de fin d’études, nous nous proposons d’étudier un aspect
omniprésent dans les textes de Christine de Pizan (début XVe siècle), à savoir la notion
‘raison’. Comme c’est un domaine de recherche assez vaste, nous nous limitons à l’étude de
cette notion dans trois textes de Christine de Pizan.
Notre étude, qui vise à répondre à la question de savoir s’il y a des évolutions dans les textes
de Christine de Pizan à propos de ses idées sur ‘la raison’, ne sera pas complète sans avoir
étudié les développements qui ont eu lieu pendant la vie de l’auteur. En nous faisant une idée
de la vie de Christine et de son temps (les XIVe et XVe siècles) nous serons mieux à même de
comprendre Christine comme écrivain et philosophe ou penseur.
Pour cette raison, l’objet du premier paragraphe du chapitre un sera une enquête sur les
développements et événements qui marquent la vie de Christine de Pizan. Dans les chapitres
suivants nous nous poserons la question de savoir si son idée à propos de ‘raison’ a été
influencée par ces développements.
Au deuxième paragraphe de ce premier chapitre nous étudierons les événements historiques
qui ont influencé Christine de Pizan. Puis nous chercherons une réponse à la question de
savoir quelle est la place qu’on attache à la raison au XVe siècle. Cette enquête nous permettra
ensuite (dans le deuxième chapitre) d’évaluer, à travers l’écriture de Christine de Pizan, ce
que le concept de ‘raison’ signifiait pour elle.
Pour cette étude nous utiliserons trois textes de Christine de Pizan: le Livre du chemin de lonc
estude, le Livre de l’advision Cristine et le Livre de la paix.1 Les deux premiers textes ont été
écrits relativement au début de sa carrière: le Livre du chemin de lonc estude en 1402 / 1403
et le Livre de l’advision Cristine en 1405. Le Livre de la paix a été écrit quelques années plus
tard, à savoir entre le 1er septembre 1412 et le 1er janvier 1414. Le troisième paragraphe du
premier chapitre donnera des aperçus des trois textes que nous emploierons dans cette étude.
1
Nous utilisons les éditions suivantes:
PIZAN, Christine de, Le Chemin de longue étude, éd. critique du ms. Harley 4431, trad., prés. et notes par
Andrea Tarnowski, Librairie Générale Française, 2000, 467 p.
PIZAN, Christine de, Le livre de l’advision Cristine, éd. critique par Christine Reno et Liliane Dulac. Honoré
Champion, 2001, 261 p.
The ‘Livre de la paix’ of Christine de Pisan, a critical ed. with introduction and notes by Charity Cannon
Willard, Mouton, 1958, 219 p.
2
Introduction
Après avoir étudié globalement la vie, l’époque et les trois textes de Christine de Pizan il
conviendra de voir (au deuxième chapitre) quels ont été la signification, l’importance et le
rôle de la notion ‘raison’ selon Christine. Nous viserons à une étude comparative de trois
textes de Christine dans lesquels nous comparerons ces aspects du concept ‘raison’.
Au chapitre suivant (chapitre trois) nous poserons la question de savoir si la raison est pour
Christine la valeur par excellence. En d’autres mots: Comment est-ce que cette notion se
rapporte à d’autres concepts de son temps comme la chevalerie, la noblesse, et cetera? Il sera
surtout intéressant de voir comment Christine a lié la notion ‘raison’ à celle de la foi (valeur
omniprésente et importante au Moyen-Âge). Est-ce que l’intérêt de la raison surpasse celui de
la foi dans les textes de Christine de Pizan?
Finalement nous tirerons une conclusion en répondant à la question centrale qui est de savoir
si le concept ‘raison’ impliquait toujours la même chose pour Christine de Pizan.
3
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Pour la première fois en France, nous ne
pouvons pas séparer l´étude de l´œuvre et
celle de l´écrivain. Voilà, au sens qui
deviendra classique, notre premier auteur, et
cet auteur est une femme.2
Chapitre 1
Chistine de Pizan: sa vie et son époque
§ 1.1 Point marquants dans la vie de Christine
Les textes autobiographiques de Christine de Pizan nous montrent que sa vie a connu des
développements à plusieurs niveaux: au niveau géographique, au niveau relationnel ou social
et au niveau professionnel. Examinons ces trois types de développements de près.
§ 1.1.1 Changement au niveau géographique
Presque toutes les introductions aux éditions des textes de Christine de Pizan traitent les
origines de Christine, ce qui n’est pas étonnant vu l’influence de ce changement géographique
sur son écriture. C’est pour cette raison que nous aussi décrirons dans les grandes lignes
comment et pour quelle raison Christine est venue en France.
Christine de Pizan était d’origine italienne. Elle venait d’Italie en France vers 1368. La
famille De Pizan qui habitait à Venise, a quitté l´Italie et s’est installée en France à
l’invitation du roi Charles V. Le père de Christine (Thomas de Pizan), homme savant, avait
pris déjà sa position à la cour française vers 1365. Il y était connu comme médecin et
astrologue. Thomas de Pizan était un homme considéré à la cour, ce que nous savons par les
textes de Christine. Surtout le Livre de l’advision Cristine contient beaucoup d’éléments
autobiographiques. Dans plusieurs de ses textes (Livre de la paix, Livre des fais et bonnes
meurs du sage roy Charles V, Livre de l’advision Cristine) Christine a décrit l’aimable accueil
2
D. POIRION, « Christine de Pisan », Le Moyen Age, II (1300- 1480), Arthaud, 1971, p. 206.
4
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
de sa famille par Charles V au château du Louvre. En écrivant ses textes, Christine en était
toujours reconnaissante au roi Charles V. Pour ces passages Christine a dû puiser dans les
souvenirs de son enfance ou dans les histoires racontées par ses parents, parce qu’elle n’avait
que quatre ans quand elle est arrivée en France. Elle a donc vécu en France depuis sa plus
tendre enfance.
Ce changement géographique a influencé sans doute l´écriture de Christine. Cette idée est
soutenue par Margolis, qui pose que:
« (L)e parallélisme déterministe entre le hasard personnel (famille et naissance
italiennes) et le parti-pris volontaire (pro-français) chez Christine (...) est l´un
des traits les plus marquants de sa personnalité littéraire et morale. »3
Dans ses textes Christine souligne en effet assez souvent son origine italienne et son
attachement à la France. Qu´elle soit d´origine italienne est en particulier significatif pour son
usage de la notion ´raison´. Christine est fière du fait qu´elle joue un rôle dans la ´translatio
studii´.4 Son origine la rattache en effet à l´Italie en tant que lieu de savoir. Christine et son
guide la Sibylle sont toutes deux italiennes, comme nous le montre le Chemin:
« Combien que comme moy fust nee
En Ytale, en cité amee
Ou mainte gallee est armee.»
Ainsi Sebile qui fu la
Sienne merci de moy [Christine] parla ».5
Les textes de Christine se conçoivent en fait comme une « translatio sapientiae ».6 Christine
fait pour ainsi dire un effort individuel pour transmettre la culture antique, déjà transportée de
la Grèce en Italie, en France. Elle a sa place dans ce grand mouvement, sans aucun doute.
3
N. MARGOLIS, « Culture vantée, culture inventée: Christine, Clamenges et le défi de Pétrarque », Au champ
des escriptures: IIIe Colloque international sur Christine de Pizan, Lausanne, 18-22 juillet 1998, éd. E. Hicks,
Honoré Champion, 2000, p. 279.
4
Ce thème de la ‘translatio studii’ fait de Paris le principal pôle culturel de l’Europe en lieu et place d’Athènes et
de Rome. Cf. le Livre du chemin de lonc estude, v. 6206-6265.
5
Idem, v. 6296-6300.
6
J’emprunte cette notion à B. RIBÉMONT, « Christine de Pizan: Entre espace scientifique et espace imaginé »,
Une femme de lettres au Moyen Age: études autour de Christine de Pizan, éd. L. Dulac et B. Ribémont,
Paradigme, 1995, p. 253.
5
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
§ 1.1.2 Changements au niveau relationnel ou social
Christine de Pizan vivait comme les filles de son temps. Sa mère souhaitait que Christine
s’occupe des travaux domestiques. Son père cependant contribuait à son instruction
intellectuelle. Bärbel Zühlke a décrit cette instruction de manière suivante:
« Kenntnisse der Wissenschaften wurden ihr nicht systematisch vermittelt;
vielmehr nahm sie nebenbei Wissensbrocken auf. »7
Christine n´est vraisemblablement jamais entrée dans une salle de classe. Çà et là Christine a
assimilé les leçons savantes de son père. Dans ses textes Christine a référé à plusieurs reprises
à cet enseignement.
Puis, à l’âge de quinze ans, Christine s’est mariée avec Étienne de Castel. Ils ont eu trois
enfants. Cependant en 1389, après dix ans de mariage, Étienne de Castel est mort. Ici nous
touchons à un changement essentiel dans la vie de Christine, parce que par cet événement
triste sa vie a complètement changé. Christine, devenue veuve à l’âge de vingt-cinq ans, s’est
mise à étudier et à écrire. La mort inattendue de son mari, Étienne de Castel, a donc marqué
un tournant dans sa vie. Dans le Livre de l’advision Cristine Christine a décrit ce point
important dans sa vie de manière suivante:
« Ainsi en cellui temps que naturellement estoit pervenu mon aage au degré
de congnoissance, regardant derriere moy les aventures passees et devant moy
la fin de toute chose - tout ainsi comme ung homme qui a passé perilleuse
voie se retourne arriere regardant le pas par merveille, et dit que plus n’y
entrera et qu’a meilleur se tendra -, ainsi considerant le monde tout plain de
laz perilleux, et qu’il n’est fors pour toute fin ung seul bien, qui est la voie de
verité, me tiray au chemin ou propre nature et constellacion m’encline, c’est
assavoir en amour d’estude. »8
Après la mort de son mari Christine a dressé, pour ainsi dire, le bilan de sa vie. Elle regrettait
qu’auparavant elle n’ait pas eu le temps d’étudier. Christine a donné plusieurs raisons qui
expliquent le fait qu’elle ne s’est pas consacrée aux études jusqu’au moment de la mort de son
mari. Elle l’a reproché respectivement à elle-même et à la tradition.
D’abord Christine regrettait que pendant sa jeunesse elle s´est trop amusée à jouer. Une
citation du Livre de l’advision Cristine montre que Christine était désolée qu’elle ait perdu
son temps à jouer:
7
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 56.
8
Le Livre de l’advision Cristine, p. 109, 110.
6
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
« (L)a trop grant jeunesce, la trop mignote anemie de sens qui ne laisse
souventesfois aux enfans, quelque bon engin qu’ilz aient, pour le desir de
jouer, henter l’estude, se crainte de bateures ne les y tient. Et pour ce que celle
crainte n’avoie, voulenté de jouer si maistrisoit l’engin et sentement si que
constant ne pouoit estre ou labour d’aprendre. »9
Deuxièmement Christine a motivé le fait qu´elle a négligé l´étude en disant que sa mère
voulait donner à sa fille une éducation compatible avec les traditions de son temps.
Enfin sa situation de femme mariée et de mère l’avait empêchée d’étudier. Nous savons de ses
textes que Christine avait trois enfants à charge. Elle était donc très occupée:
« (M)e tolloit y vaquier l’occupacion des affaires que ont communement les
mariees et aussi la charge de souvent porter enfans. »10
Sa nouvelle position sociale de veuve marque donc un tournant dans sa vie. Comme veuve
elle a commencé sa carrière d’écrivain. C’était vers l’âge de trente ans qu’elle s’est mise à
étudier et à écrire. Pourquoi n’a-t-elle commencé qu’à ce moment-là? Impossible de dire qu’il
y a une seule raison. Les textes de Christine donnent plusieurs motifs.
D’abord les difficultés financières de Christine. Après la mort de son mari, il lui a fallu gagner
de l’argent pour sa famille: ses enfants, sa mère et une nièce. Pendant une période assez
longue de sa vie, à en juger par le Livre de l’advision Cristine, Christine de Pizan a été
pauvre. Dans le texte elle raconte sur ses vêtements élimés, sur ses repas sobres, mais aussi
sur le fait qu’elle a eu affaire à des procès, à des créanciers. Elle décrit les attentes
interminables dans les salles des tribunaux. Bref, l’écriture de Christine peut donc être vue
comme gagne-pain.
D’une part, Christine de Pizan considérait donc son travail comme nécessité pour gagner sa
vie, d’autre part, elle soulignait qu’après la mort de son mari elle avait eu l’opportunité
d’étudier et d’écrire. Comme nous avons vu plus haut, sa position sociale de femme mariée
l’avait en effet toujours empêchée de faire des études. Il ressort des mots de dame Philosophie
dans le Livre de l’advision Cristine que le décès de son mari Étienne de Castel a changé la
situation:
« (...) il n’est mie doubte que, se ton mary t’eust duré jusques a ore, l’estude
tant comme tu as n’eusses frequenté, car occupacion de mainage ne le t’eust
souffert, auquel bien d’estude tu te mis comme a la chose plus eslevé selon
9
Idem, p. 108.
Ibid., p. 108.
10
7
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
ton jugement aprés la vie qui est de tous poins pour les parfaiz, c’est la
contemplative, laquelle est vraie sapience. »11
Dame Philosophie indique le bien qui ressort du mal. La citation montre qu’il serait
inconcevable que Christine étudie en tant que femme mariée. Il nous semble que c’était plutôt
la tradition que le manque de temps qui l’avait empêchée d’étudier pendant la vie de son mari,
parce qu´après la mort de son mari elle avait toujours la charge de ses trois enfants. En plus
comme veuve, Christine avait aussi des occupations ménagères. Cependant dans une situation
matérielle précaire, Christine avait été forcée de gagner sa vie et dans cette situation elle a
laissé la charge de ses enfants et de son ménage à sa mère, ce qui serait inconcevable pendant
la vie de son mari. Donc sa position actuelle de veuve et de soutien de famille lui ont permis
d’étudier et d’écrire. Voilà une deuxième raison pour laquelle Christine n’a commencé à
écrire qu’après le décès de son mari.
Bien que Christine ait regretté qu’elle n’ait pas fait beaucoup d’études avant la mort de son
mari, il va, selon nous, trop loin de conclure que Christine a regretté sa position de femme
mariée. Pour cela il y a trop d’indices qui prouvent que Christine a eu un mariage heureux:
« Si fu a bon droit plaine d’amertume, regraittant sa doulce compaignie et la
joie passee, qui ne mes ∙X∙ ans avoit duré. »12
« Sans cesser remembrant cellui
Par lequel sens autre nullui
Je vivoye joyeusement ».13
Ces citations illustrent que Christine soulignait dans ses textes qu’elle n’a jamais regretté sa
position de femme mariée. Elle s´est seulement rendue compte, d’un ton déçu, d´une des
conséquences de cette position, à savoir de ne pas avoir étudié. Mais si elle a reproché
quelque chose à quelqu’un à propos de ce sujet, c’était seulement à elle-même et pas à son
père ou à son mari.14 On se souvient les soupirs de Christine dans le Livre de l’advision
Cristine qu’elle aurait été trop attachée aux jeux pendant sa jeunesse (voyez la note 9).
En fait, nous constatons que Christine, d’une part, a regretté sa condition actuelle (à savoir
d’être veuve) et que, d’autre part, elle s’est rendue compte du fait que comme femme mariée
elle n’avait jamais eu la possibilité d’étudier. En d’autres mots Christine était triste à cause de
11
Ibid., p. 123.
Ibid., p. 100.
13
Le Chemin, v. 73- 75; jusqu’au vers 146 Christine décrit son mariage heureux et sa tristesse à cause de la mort
de son mari.
14
Le seul reproche qu’elle a fait à son père dans ses textes est sur un autre sujet: son imprudence dans le
domaine financier. Selon Christine son père a été trop charitable (cf. l’Advision, p. 99).
12
8
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
la mort de son mari qu’elle aimait beaucoup, mais elle n’était pas affligée sur les
conséquences que sa nouvelle position sociale entraînait: du temps pour (ou la nécessité d’ ?)
étudier. En effet, Christine ne s’est jamais lamentée dans ses textes sur le fait qu’elle a dû
étudier ou écrire pour gagner sa vie.
Troisièmement, Christine s’est mise à l’étude après le décès de son mari pour se distraire. Elle
avait besoin de distraction. Par sa passion de l’étude elle a essayé à changer les idées:
« Et meismement pour passer temps et pour aucune gaieté attraire a mon cuer
doulereux, me pris a faire ditz amoureux et gays d’autrui sentement, comme je
dis en un mien virelay. »15
Le Livre du chemin de lonc estude nous fait savoir que Christine a trouvé aussi de la
consolation dans l’étude. Au début de ce texte Christine s’est représentée en proie à la
solitude et au chagrin; elle a remédié à cette tristesse par une lecture réconfortante, celle de
Boèce:
« Et lors me vint entre mains
Un livre que moult amay,
Car il m’osta hors d’esmay
Et de desolacion »
« Si fus auques hors de l’esmay
Que j’avoie, (...) ».16
L’étude était donc essentielle pour Christine. C’était comme une thérapie pour soulager son
chagrin. Il nous semble que, d’une part, Christine de Pizan a cherché de la consolation dans
des textes d’autres auteurs (comme par exemple les textes de Boèce), d’autre part, ses
problèmes personnels lui ont donné l’idée et l’inspiration d’écrire ses propres textes:
« (J)e n’y trouvasse en effect riens bon pour moy, ung jour desconfortee sur
ces choses, en plourant fis ceste balade. »17
Dans la balade Christine se plaint des nobles et des juges qui ne protègent pas les veuves.
À juste titre Bärbel Zühlke a décrit cet aspect de l’étude et de l’écriture de Christine de Pizan
comme suit:
L’Advision, p. 107.
Le Chemin, v. 202-205; v. 295, 296.
17
L’Advision, p. 105. Il s’agit de sa balade citée dans son Livre de l’advision Cristine. L’écriture constitue pour
Christine de Pizan une soupape de sûreté. Elle essaie de cacher ses problèmes aux autres dans son entourage: cf.
le Livre de chemin de lonc estude le vers 168 et les vers 141-146. Dans son texte cependant elle avoue qu’après
treize ans elle est encore très triste et qu’elle pense encore chaque jour à son mari mort: les vers 127-134.
15
16
9
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
« Ihre literarische Tätigkeit fungiert (...) als Mittel zur positiven Beeinflussung
ihrer depressiven Gemütsverfassung. »18
Christine a déjà compris qu’en écrivant sur ses problèmes elle pourrait faire face à son
chagrin. Alors, selon nous, la citation suivante explique la raison pour laquelle les textes de
Christine de Pizan contiennent tant de passages autobiographiques:
« (C)omme ce soit moult grieve chose de tenir douleur enclose sanz
regehir ».19
Christine avait donc besoin d’écrire sur ses problèmes. Elle donne beaucoup de
renseignements de sa vie dans les trois textes que nous utilisons dans cette étude. Les
passages autobiographiques sont cependant plus étendus dans le Livre du chemin de lonc
estude et le Livre de l’advision Cristine que dans le Livre de la paix.
En concluant nous pouvons dire qu’il n’est pas juste de constater que Christine écrivait
seulement par nécessité financière. Il est évident que Christine aimait étudier et écrire. Nous
illustrons cette thèse par la citation suivante:
« (...) qui plus te delicte et te plaist a avoir, c’est assavoir le doulx goust de
science ».20
Christine est heureuse de ses connaissances. Dans le Chemin elle remerciait la Sibylle de
l’avoir enseignée.21 Il ressort de tous ses textes que Christine aimait étudier et écrire.
En bref il y a donc, selon nous, plusieurs raisons pour lesquelles Christine aurait commencé sa
carrière d’écrivain. Difficile à dire lequel des motifs a été le plus important pour Christine. Il
est évident que l’ensemble de ces motifs l´a forcée et lui a permis à étudier et à écrire. Il est
inutile et pas juste, selon nous, d’accentuer l’un des motifs plus que les autres. En fait, nous
pouvons dire que Christine de Pizan a eu son statut d’écrivain à cause de sa position de veuve.
Comme nous avons accentué plus haut, à cause de son veuvage Christine avait à la fois le
besoin et la possibilité d’étudier. Mme Solente a résumé tous les motifs dans une seule phrase.
18
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 91.
19
L’Advision, p. 107. Cf. les mots que Christine fait dire à la personnification ´dame Terre´ dans le Chemin, v.
2611-2614: « A mes doulours speciffier / A toy, la mere d’equité, / Dont pour les te signiffier, / Mon cuer en
sera acquité. »
20
L’Advision, p. 123. Il y a encore beaucoup plus de passages qui montrent la fascination de Christine pour
l’étude. Nous reviendrons sur ce point dans § 2.2.1 de ce travail.
21
Cf. le Chemin, v. 1156-1170.
10
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Cette belle citation montre plus ou moins les points que nous avons décrits plus haut. Dans un
de ses textes sur Christine de Pizan elle a dit:
« Grâce à sa ténacité, elle a eu la joie de pouvoir écrire et de faire vivre les
siens de son talent. »22
Soulignons les mots ‘joie’, ‘pouvoir écrire’ et ‘faire vivre les siens’. Selon nous, il faut dire
que Christine, qui avait toujours eu de la passion pour l’étude, devait, pouvait et avait le
besoin d’étudier et écrire après la mort de son mari. En d’autres mots:
« (D)as Schreiben (...) bildet Mittel und Ziel ihrer Existenz ».23
Le fait que l’étude et l’écriture étaient pour Christine ‘moyen’ et ‘but’ de son existence,
pourrait expliquer, selon nous, sa passion et son fanatisme pour l’étude qu’elle a exprimés
dans ses textes.
Bref, un changement dans la vie de Christine au niveau social donnait donc lieu à un
développement au niveau professionnel. Car après le décès de son mari Christine est devenue
écrivain: elle allait développer ses talents au niveau professionnel.
§ 1.1.3 Développement au niveau professionnel
Jusqu’ici nous avons vu plusieurs changements dans la vie de Christine: d’Italienne elle
devenait Française, de fille elle devenait femme mariée et mère, puis veuve. Il nous reste
encore d’étudier sa vie professionnelle d’auteur.
Christine était un auteur spécial à son époque. D’abord Christine était particulière parce
qu’elle était un auteur étranger en France. Comme nous avons vu, la famille de Pizan venait
de l’Italie.
Sa particularité consistait aussi dans son statut de femme auteur. Dans ses textes il s’agit à
plusieurs reprises de ce sujet. Christine a écrit des problèmes qu’elle a eus comme auteur à
cause de sa féminité. Elle s’est rendue compte du fait qu’à cause de sa féminité elle a encouru
du scepticisme, de l’incompréhension et même de la réprobation. Christine a dû se défendre et
22
S. SOLENTE, Christine de Pisan, Klincksieck, 1969, p. 81, 82.
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 91.
23
11
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
se justifier. Très souvent Christine s’est présentée en toute humilité dans ses textes. Dans les
dédicaces de ses textes elle a accentué sans cesse son manque d’intelligence et de
compétence. Pour illustrer cela nous citons une phrase tirée du Livre de la paix:
« (...) moy, femme simple et ignorent en qui n’a science ne autre savoir ».24
Puis dans le Chemin Christine a demandé au roi de la pardonner à cause de son
« ignorance »25. Bien qu’on ait accentué dans certaines études la tradition littéraire qui veut
que les écrivains du Moyen-Âge montrent de la modestie vis-à-vis de leur mécène et qu’il soit
tout à fait normal de s´adresser de cette manière aux princes, Christine a eu une raison de plus
(comme d´ailleurs plusieurs autres auteurs de son époque) de se présenter de manière humble
dans ses textes. Dans ses textes Christine est en effet critique à l’égard de la cour. Elle a osé
écrire sur ses abus. Ainsi elle a dénoncé la luxure, la jalousie, la corruption, l’abus de pouvoir,
et cetera. Christine a donc trouvé sage de se présenter de manière prudente pour ne pas perdre
sa position.
Il faut souligner cependant que Christine a opposé à ce manque d’intelligence (plus ou moins
feint) sa passion pour l’étude et l’écriture. En fait, Christine a plus accentué son ardeur que sa
‘simplece’:
« Ainçois vous plaise acepter le desir
Qu’ay de servir ou faire aucun plaisir
A vostre tres digne et haulte noblece:
(…)
Et pris en gré ma loyal desirance ». 26
En plus, à la ´simplece´ et à l´ignorance feintes dans les dédicaces de Christine se substitue
une prise de conscience par l´auteur de ses compétences d´écrivain. Dans l´Advision Cristine
elle s’est même vantée de son œuvre et de son expérience:
« Adonc me pris a forgier choses jolies, a mon commencement plus legieres,
et tout ainsi comme l’ouvrier qui de plus en plus en son euvre se soubtille
comme plus il la frequente, ainsi tousjours estudiant diverses matieres, mon
sens de plus en plus s’imbuoit de choses estranges, amendant mon stille en
plus grant soubtilleté et plus haulte matiere, de puis l’an mil ·III cIIIIxx· et
24
Le Livre de la paix, p. 60; cf. aussi p. 132: « selon mon petit savoir l´ay fait ».
Cf. la dédicace du Chemin, les vers 28 et 33.
26
Le Chemin, v. 29-34. Cf. aussi le Livre de la paix, p. 60: « ta servante et humble creature de bon vouloir ».
25
12
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
·XIX· que je commençay jusques a cestui ·IIII c· et ·V· ouquel encore je ne
cesse ».27
On peut donc dire que Christine a été consciente de sa compétence intellectuelle, tout en se
présentant de manière très humble. Nous illustrons cette thèse encore avec la citation
suivante:
« (...) mais de simple personne
Peut bien venir vraye raison et bonne. »28
D’un ton ironique elle a réagi à un certain homme qui l’avait critiquée:
« Si comme une fois respondis a ung homme qui reprouvoit mon desir de
savoir, disant qu’il n’appertenoit point a femme avoir science, comme il en
soit pou, lui dis que moins appartenoit a homme avoir ignorance, comme il en
soit beaucoup. »29
Christine de Pizan a même cru à l’immortalisation de sa personne au moyen de son œuvre
littéraire. Cette idée n’atteste pas la modestie, selon nous. Bien au contraire! Christine a eu
l’idée qu’on parlerait de son œuvre dans l’avenir. Dans l´Advision elle a fait dire à la
personnification ‘Nature’:
« Or vueil que de toy naissent nouveaulx volumes, lesquelz les temps a venir
et perpetuelment au monde presenteront ta memoire devant les princes et par
l’univers en toutes places ».30
Or, on pourrait dire que Christine n’a pas mis en doute sa propre compétence, mais qu’elle
s’est rendue compte de l’accueil de son œuvre par son public à une époque où la femmeauteur était une singularité.
Christine de Pizan a dû se défendre contre les idées de son époque à propos de son statut de
femme auteur. Mais elle a su très bien aussi que sa féminité a rendu ses textes plus attrayants:
L’Advision, p. 111. Cf. aussi la citation empruntée à Kennedy: « En ironisant sur l´impuissance de la femme à
maîtriser ses émotions, elle crée en effet l´image d´un écrivain très assuré de sa compétence et de son autorité ».
Kennedy est cité par J. MONAHAN, « Authority and marginal status », Au champ des escriptures: IIIe Colloque
international sur Christine de Pizan, Lausanne, 18-22 juillet 1998, éd. E. Hicks, Honoré Champion, 2000, p. 44.
28
Le Chemin, v. 53, 54.
29
L’Advision, p. 109; cf. aussi p. 88.
30
Idem, p. 110. Cf. les vers 496 et 497 du Chemin: « Que ton nom sera reluisant / Aprés toy par longue
memoire ». Cf. l’Advision, p. 89 (la prophétie de dame Opinion) et le Livre de la paix, p. 132: « ceulx qui, le
temps avenir ou quant ces choses seront oubliées et bien appaisiées, pourroient ce livre lire ou ouir ».
27
13
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
« leur [les princes] fis presens comme de nouvelles choses, quelque petis et
foibles qu’ilz fussent, de mes volumes de plusieurs matieres, lesquelz de leur
grace comme princes benignes et tres humains les virent voulentiers et
receurent a joie - et plus, comme je tiens, pour la chose non usagee que femme
escripse, comme pieça n’avenist, que pour la digneté que y ssoit. Et ainsi
furent en pou d’eure ventillez et portez mes dis livres en plusieurs pars et pays
divers. »31
Cette citation montre que Christine a cru que ses textes étaient bien accueillis, parce qu’il était
inaccoutumé qu’une femme écrivait. Cette nouveauté a dû fasciner son public.32 Donc cette
exception de femme auteur n’était pas nécessairement défavorable. Selon Nadia Margolis:
« Christine se présentait (...) comme une étrangère et une veuve: elle
transformait son état civil vulnérable en une marginalité privilégiée. »33
Les princes ont de plus en plus découvert les textes de Christine. Partant d´un anonymat
presque total, elle a obtenu beaucoup de succès. Elle bénéficiait du mécénat le plus recherché
du pays, puisqu´elle écrivait pour la famille royale et pour la cour.
Christine nous a laissé une œuvre considérable en vers et en prose. Cette œuvre peut être
divisé grosso modo en trois parties: la poésie lyrique, les œuvres allégoriques et les œuvres
politiques et didactiques.
Cette analyse des développements dans la vie de Christine aux trois niveaux nous montre que
ces changements l´ont influencée dans l´écriture de ses textes.
D’abord nous avons accentué l’origine de Christine qui la rattache à l’Italie en tant que lieu de
savoir (translatio studii). Puis au niveau relationnel, nous avons référé à l’enseignement par
son père et la décision qu’elle a prise comme veuve. Ce changement donne, selon nous, lieu à
l’intérêt de Christine pour l’étude et pour l´écriture et par conséquent pour la faculté pensante
ou la raison.
L’Advision, p. 111.
Idem, p. 113: « si comme dit le proverbe, choses nouvelles plaisent ».
33
N. MARGOLIS, « Culture vantée, culture inventée: Christine, Clamenges et le défi de Pétrarque », Au champ
des escriptures: IIIe Colloque international sur Christine de Pizan, Lausanne, 18-22 juillet 1998, éd. E. Hicks,
Honoré Champion, 2000, p. 287.
31
32
14
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
§ 1.2 L´époque autour de 1400
Il est important d’étudier les textes de Christine en relation avec son époque. Nous pensons
qu´il est opportun, avant d´entrer dans le vif du sujet, de tracer rapidement les événements
historiques de son époque. Cette époque n’est cependant pas seulement intéressante à cause
de ses événements historiques. Elle l’est aussi par le développement des idées.
§ 1.2.1 Événements historiques
Christine de Pizan n’a pas vécu, étudié et écrit dans un passé historique très stable. Dans son
siècle il y avait trois grands conflits, qui ont sans doute influencé son œuvre.
D’abord la Guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre. Dès 1328 le roi d’Angleterre
avait prétendu à la couronne de France. Une longue guerre a éclaté en 1337 environ. Les
chevauchées anglaises pendant cette guerre ont provoqué des ravages. Les invasions des
Anglais ont suscité beaucoup de chagrin, de peur et de dégâts au peuple français.
Deuxièmement Christine a mentionné dans ses textes les disputes intérieures de la France.
D’abord la lutte entre les frères de Charles V quand Charles VI était encore mineur. Car à
partir de 1380, quand Charles VI (il avait douze ans) a succédé à son père, des groupes se sont
formés autour de ses oncles. Ils ont lutté pour le pouvoir. À cause de ce désaccord des princes,
les classes moyennes et le ´commun´ se disputaient le gouvernement de Paris. Entre 1380 et
1385 il y avait des émeutes. Il y avait des massacres à Paris.34
Ensuite il y avait la lutte entre le frère de Charles VI et son cousin à partir du moment que
Charles VI a eu des coups de folie. À partir de 1392 deux camps se sont disputés le pouvoir:
celui du duc d’Orléans et celui du duc de Bourgogne Jean sans Peur. Les maisons princières
de Bourgogne et d’Orléans se livraient donc bataille. En 1405 Jean sans Peur se dirigeait sur
Paris avec une armée considérable. Puis, en 1407 Jean sans Peur a fait assassiner le duc
d’Orléans, ce qui empirait encore la situation. La guerre civile a éclaté. Cette guerre a
paralysé la France.
34
Cf. la troisième partie du Livre de la paix.
15
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
En 1413 les troubles du règne de Charles VI ont culminé avec la révolution cabochienne
(c´était la révolution du peuple sous la direction du boucher Caboche)35 à Paris. Le peuple
commençait à bouger. Il s’est révolté de nouveau à cause de la misère provoquée par la lutte
des partis: l’insécurité et la pauvreté. Le duc de Bourgogne, l’ami du peuple, n’a même pas
réussi à réprimer les émeutes. Les cabochiens ont fait régner la terreur à Paris jusqu’au quatre
août 1413. Christine a décrit cette misère de manière suivante:
« (L)es occisions, les grans cruaultéz, les ruines, les rebellions, l’orgueil de
vile et chetive gent, le fol gouvernement de menu et bestial peuple, le prince
comme asservi, et le despris des nobles, et à brief dire, les infinis maulx et
detestables tourmens qui ont couru trop pires que oncques mais ceste present
année? »36
Les disputes intérieures ont donc dévasté la France. Les Bourguignons pour se renforcer ont
même contracté une alliance avec les Anglais. En 1415 le roi d’Angleterre a débarqué en
France. Les Bourguignons ont ensuite occupé Paris en 1418. Christine de Pizan a dû quitter la
ville pour échapper aux massacres. En 1419 la guerre civile s´est intensifiée après le meurtre
de Jean sans Peur.
Les dernières œuvres de Christine de Pizan sont toutes inspirées par les dangers intérieurs et
extérieurs de son époque. En ce qui concerne le Livre de la paix, les traités de paix successifs
lui ont donné l´occasion d’étudier et d’écrire. La guerre, par contre, l’a forcée d’arrêter son
travail et même de quitter Paris.37
Un troisième conflit dont Christine a fait mention dans ses textes c’est le Grand Schisme.
Depuis 1378 il y avait deux papes: un pape résidait à Rome et un deuxième pape à Avignon.
Cette situation a divisé l’église. Les hommes politiques ont encore contribué à ce conflit. Car
l’Angleterre et la Flandre ont soutenu le pape de Rome, lorsque Charles V a encouragé le
pape Clément VI. La guerre entre la France et l´Angleterre et le Schisme ont sans doute
influencé l’un l’autre, ce qui a fait du Schisme une crise politico-religieuse. L´église traversait
une longue période de crise à la suite du Schisme, parce que le Schisme menaçait l’unité de
l’Église. Pendant quarante ans cette situation de deux papes rivaux a jeté la confusion auprès
du peuple. En 1417 le Concile de Constance a mis fin à cette situation: on a déposé les deux
papes. L’effet de ce scandale sur le peuple a été très grave selon Christine. Selon elle le
35
Cf. E. CARPENTIER, « La guerre de Cent Ans et le temps des épreuves (1328-1483) », Histoire de France,
Éd. du Seuil, 1987, p. 152.
36
Le Livre de la paix, p. 89.
37
Elle entreprend la rédaction du Livre de la paix le 1er septembre 1412 après la conclusion de la paix d’Auxerre
(Christine parle de cette paix dans la première partie). Elle interrompt ensuite l’écriture de ce texte en novembre
1412 « pour cause de paix defaillie ». Le 3 septembre 1413 Christine reprend sa plume.
16
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
peuple chrétien est comme un troupeau de moutons sans berger. Dans ses textes on retrouve
plusieurs réactions plaintives ou indignées à propos de ce sujet:
« L’Eglise de Dieu desolee
Est plus qu’onques mais adoulee;
Or en sont ferus les pastours,
Et les brebis vont par destours
Esperses et esperdües,
Dont maintes y a de perdues ».38
Christine fait ici allusion à la parabole des brebis dispersées. Elle décrit de cette manière les
conséquences désastreuses du Schisme. Elle fait comprendre que l’Eglise de France, accablée
de maux, n’est pas en mesure de répondre aux angoisses des populations éprouvées. Dans le
Livre de l’advision Cristine on trouve aussi une petite remarque à propos du Schisme:
« N’est elle [envie] celle qui en l’Eglise de Dieu met la division et le sisme?
Certes, se elle n’estoit ne convendroit pas deux papes, ains a peine ung le
vouldroit estre. N’est elle principalle du debat de mon royaume? »39
Selon Christine, ce ne sont donc pas seulement les princes qui luttent pour le pouvoir, mais
aussi les hommes d’église.
L´époque de Christine de Pizan (fin XIVe siècle et début XVe siècle) était donc une époque
mouvementée. Christine a été témoin des misères de son époque: elle a décrit ce qu’elle a vu,
entendu et senti. Cet aspect a rendu ses textes intéressants pour les historiens. Christine a,
pour ainsi dire, donné un compte rendu des disputes territoriales, civiles et religieuses dans
ses textes. Elle soulignait que ses histoires sont véridiques: que celui qui ne croit pas à ses
mots regarde autour de lui!:
« Et qui vouldroit dire: «elle ment »,
Si regarde l’air et la terre; »40
La guerre de Cent Ans, le grand Schisme d´Occident et la querelle des princes ont tellement
accablé Christine qu’elle a été désespérée des fois:
« Mais je ne sçay pas se jamais
Homme qui adés vive voye
Le monde aler par autre voye; »41
38
Le Chemin, v. 371-376.
L’Advision, p. 46.
40
Le Chemin, v. 404, 405.
39
17
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Nous croyons que les trois grands conflits de son époque, que nous avons tracés plus haut, ont
sans doute influencé de manière décisive l’aspect spirituel et intellectuel de cette époque et
plus précisément les textes de Christine de Pizan. Dans le paragraphe suivant nous analysons
quelques idées spirituelles et intellectuelles de son époque.
§ 1.2.2 La notion ‘raison’
Autour de 1400 on voit un retour aux œuvres classiques. C´est un phénomène connu à la fin
du Moyen-Âge. Nous appuyons cette idée entre autres sur un article de Dulac et Reno. 42 Elles
signalent un goût nouveau pour la sagesse et un intérêt pour les Anciens. À la cour de Charles
V on faisait des traductions des livres des Anciens.43 Dulac et Reno parlent d’un « premier
humanisme parisien ». L´intérêt pour les œuvres classiques est aussi un trait caractéristique
dans les textes de Christine. Bien qu´elle ne parle pas d’humanisme, elle parle quand-même
d’un âge d’or. Cet âge d’or est pour Christine une époque de réforme spirituelle:
« Que les siecles furent dorez
Pieça ; si ert pour ce que honorez
Estoient lors les plus savans ».44
Christine espère que la France vivra une fois dans une telle époque, où la science et la raison
sont importantes. Christine de Pizan a donc sa place dans le grand mouvement où le thème de
la raison joue un rôle important.
Aussi essayerons-nous, dans ce paragraphe, de définir le mot ‘raison’ et chercherons-nous une
réponse à la question de savoir quelle est la place qu’on attache à la raison au tournant du
XIVe siècle. Une réponse à cette question nous permettra ensuite d´étudier cette notion
omniprésente dans les textes de Christine de Pizan.
41
Idem, v. 378-380.
L. DULAC et C. RENO, « L’Humanisme vers 1400, essai d’exploration à partir d’un cas marginal: Christine
de Pizan, traductrice de Thomas d’Aquin », Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle. Actes du
Colloque international du CNRS, éd. M. Ornato et N. Pons, Fédération Internationale des Instituts d´Études
médiévales, 1995, p. 161-178. Cf. surtout la page 161.
43
Closson dit à propos de l’activité intellectuelle à la cour de Charles V: « Charles V possède à sa mort en 1380,
917 volumes dans sa bibliothèque. C´est sous son règne que l´on découvre les philosophes de l´antiquité. Charles
V fait traduire par Nicolas Oresme toute l’œuvre d´Aristote ; les érudits s´imprègnent de culture païenne ». M.
CLOSSON, « La femme et la culture à l´époque de Christine de Pizan », Sur le chemin de longue étude..., Actes
du colloque d´Orléans, juillet 1995, dir. B. Ribémont, Honoré Champion, 1998, p. 66.
44
Le Chemin, v. 5099-5101.
42
18
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Le mot ´raison´ dans son sens actuel est le synonyme des mots ´bon sens´ et ´jugement´. Le
mot ´raison´ indique, selon Le Petit Robert, 45 « La faculté pensante et son fonctionnement,
chez l’homme » ou bien « la connaissance naturelle ». Selon Le Petit Robert, la raison est «
opposé à ce qui vient de la révélation ou de la foi ».
Il n´est cependant pas juste d´étudier l´importance d’une notion dans des textes du MoyenÂge en nous basant sur la signification que nous donnons de nos jours à ce mot. Nous n´avons
pas le droit de transporter nos idées à propos d’une notion aux textes d´il y a six siècles et
d’étudier la notion ‘raison’ dans les textes de Christine de Pizan à partir de la signification que
nous en donnent les dictionnaires contemporains.
Donc, avant d’étudier l’intérêt, l’utilisation et la valeur de la notion ‘raison’ dans quelques
textes de Christine de Pizan, il nous faut une définition de cette notion telle qu’elle existait au
Moyen-Âge. Nous soulignons que nous ne visons pas à une étude étymologique complète de
cette notion, mais que nous nous limitons à trouver une définition opérationnelle. En plus il
est important d’étudier quelle valeur on attachait, en général, à la raison à la fin du XIVe siècle
et au début du XVe siècle, avant d’étudier ce sujet dans les textes de Christine de Pizan.
On a noté dans un article dans l’Histoire culturelle de la France que la raison au Moyen-Âge
est « la faculté intellectuelle essentielle qui différencie l’homme de l’animal » et qu’elle
« désigne aussi les formes de raisonnement discursif liées à cette faculté ».46 J. Garcia Álvarez
confirme, dans un article où il essaie de définir et de résumer la notion ‘raison’, qu’au MoyenÂge le terme ‘ratio’ renvoie déjà
« à la faculté qu’a l’homme d’élaborer des démonstrations (et) à la
démonstration elle-même ».47
Cette signification de la notion ‘raison’ a été influencée par la philosophie grecque. On peut
tracer une ligne des idées de la philosophie grecque (surtout d’Aristote) à propos du terme
‘raison’ aux idées qu’on a au Moyen-Âge.
Jusqu’ici les définitions du mot ‘raison’ dans l’Histoire culturelle de la France et dans le
Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Âge ne différencient même pas vraiment de la
45
J. REY-DEBOVE et A. REY (dir.), Le Petit Robert, Dictionnaires le Robert, 1997.
SOT, M, dir., Histoire culturelle de la France I: Le Moyen Age, Éd. du Seuil, 1997, p. 166. Cf. aussi S.
SWIEŻAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XV e siècle, Beauchesne, 1990, p. 111: « Le MoyenÂge avait hérité de la pensée antique (…) suivant laquelle l’homme, à la différence des animaux et des plantes,
avait reçu une âme immortelle douée de sagesse ».
47
J.G. ÁLVAREZ, « Raison », Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Âge, A. VAUCHEZ, dir., Éd. du CERF,
1997, p. 1288.
46
19
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
définition qu’on donne de nos jours à ce mot. Cependant le sens de cette notion ‘raison’ au
Moyen-Âge n’est pas complètement identique au sens où nous l’entendons. Bien au contraire!
Car tandis qu’on oppose de nos jours le plus souvent le registre de la raison à ceux de la foi et
de la révélation (cf. plus haut la note 45, la définition du Petit Robert), il est impossible de
négliger la notion ‘foi’, en étudiant la notion ‘raison’ chez un auteur du Moyen-Âge (même
chez des auteurs non-chrétiens). Au Moyen-Âge la notion ‘raison’ avait un lien important
avec la notion ‘foi’, parce que la faculté ‘raison’ devait toujours être subordonnée à la foi. Les
principes de la foi étaient intangibles. C’est pourquoi la signification actuelle du mot ‘raison’
ne répond que partiellement à la définition du mot ‘raison’ au Moyen-Âge. J. Garcia Álvarez
confirme cette idée en disant que le mot ‘raison’ fait en plus son apparition au Moyen-Âge par
la voie biblique. Elle est alors la faculté par laquelle on peut parvenir à la connaissance de
Dieu.48
Ces idées s’appuient entres autres sur les idées d’Augustin (354-430). Car selon la théorie
augustinienne le but de l’activité intellectuelle est de parvenir à Dieu. Pour y arriver la raison
a besoin de la foi. Augustin a traduit ses idées dans la phrase connue: « credo ut
intellegam »49. Ainsi l’amour de Dieu (la foi) est pour Augustin la base de la sagesse. Comme
l’esprit est obnubilé par les péchés, la raison - pour être capable de faire des activités
intellectuelles - doit être illuminée par Dieu. Dieu est donc à la fois l’objet et le point de
départ de la connaissance. La foi est donc indispensable à la raison: Augustin met une relation
entre ‘raison’ et ‘foi’ de manière qu’elles ne sont pas à séparer l’une de l’autre. Bref, selon
Augustin, la foi précède la raison ou la réflexion philosophique.
On pourrait tracer une ligne d’Augustin au Moyen-Âge. Ainsi Gerson (1363-1429),
chancelier de l’université de Paris au tournant du XIVe (et donc un contemporain de Christine
de Pizan; ils sont tous les deux contre le Roman de la Rose), a souligné l’idée d’Augustin:
« (C)’est par la vertu et la lumière de Dieu, qui illumine les yeux de l’âme,
que l’homme peut comprendre quelque chose de la Divinité. »50
Pour la théorie augustinienne le critère qui désigne l´homme raisonnable est l’illumination,
œuvre de Dieu lui-même.
48
Idem, p. 1288.
Cf. G. MADEC, « Augustinisme », Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Âge, A. VAUCHEZ, dir., Éd. du
CERF, 1997, p. 150 et S. SWIEZAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle, Beauchesne,
1990, p. 54.
50
L. MOURIN, Six sermons français inédits de Jean Gerson, Vrin, 1946, p. 122. L’illumination est donc
importante pour Gerson. Cela ne veut pas dire qu’il ne tient pas à la raison. En effet Gerson s’efforce d’arriver
par les efforts de l’intelligence à une connaissance analogique de la nature de Dieu.
49
20
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Autour de 1100 saint Anselme de Cantorbéry a fait de la théologie une science, une science
où le raisonnement et l’argumentation étaient soumis aux principes de la foi. Le courant de la
scolastique a aussi rangé, diffusé et expliqué les idées des Pères de l’Église. Leur tâche n’était
pas de trouver la vérité (puisqu’on pouvait trouver la vérité dans la bible), mais plutôt de
confirmer la vérité. On voulait prouver les dogmes chrétiens par la raison. Ici nous touchons
au problème majeur de la scolastique à savoir l’équilibre de la raison et de la foi.51
Les scolastiques n´étudiaient pas seulement les textes des Pères de l´Église, mais
s´intéressaient aussi aux œuvres des philosophes classiques. Leurs philosophies avaient
souvent été insérées dans le dogme chrétien. Ainsi saint Thomas d’Aquin a relié les
philosophies d’Aristote avec celles d’Augustin. On pouvait dire qu´il suivait plus ou moins
Augustin en théologie, mais qu´il lui préférait Aristote en philosophie.
Cependant à la fin du Moyen-Âge il y avait de plus en plus une zone de tension entre les
notions ‘raison’ et ‘foi’. D’un part parce qu’on se détournait de plus en plus de la
métaphysique à cette époque. D´autre part parce qu’on se posait la question de savoir si la foi
se raisonne. Jacques le Goff nous fait comprendre que:
« A partir de 1320 environ (...) la tradition anselmienne de la foi en quête de
l’intelligence est abandonnée ». 52
Álvarez a plus ou moins la même opinion quand il constate qu’à la fin du Moyen-Âge
« l’accent [avait été] mis de plus en plus sur l’autonomie et l’indépendance
absolue de la ratio ».53
Cette tendance à l’autonomie de la raison à la fin du Moyen-Âge a mené à la disjonction
moderne de la ‘raison’ et de la ‘foi’, selon R. Imbach:
« La connaissance d’Aristote en Occident a permis, vers 1260, l’éclosion d’un
courant philosophique que l’on peut qualifier d’aristotélisme radical. Un
groupe de penseurs (...) réclame une pleine autonomie de la philosophie, une
51
Les opinions diverses à propos de ce problème avaient pour conséquences que dans la scolastique tardive il y
avait trois courants: 1. le thomisme (coordination de la philosophie et de la foi); ce nom vient de Thomas
d´Aquin. 2. le scotisme (basé sur les idées de Saint Augustin et d’Anselme de Cantorbéry); ce nom vient de
Duns Scot. 3. le nominalisme (le courant d’Ockham; il a fait une distinction nette entre la connaissance et la foi.
Selon les nominalistes c’est une tâche impossible d’expliquer ce qu’on tient par la foi).
52
J. LE GOFF, Les intellectuels au Moyen Age, Éd. du Seuil, 1962, p. 149.
53
J.G. ÁLVAREZ, « Raison », Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Âge, A. VAUCHEZ, dir., Éd. du CERF,
1997, p. 1289.
21
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
stricte séparation méthodique de la foi et de la raison, et ne s’intéresse
exclusivement à ce qui peut être saisi par la raison (...) ». 54
Dès le XIIIe siècle les idées sur la raison de l´homme ont donc fortement été influencées par
Aristote. Dès cette époque on considérait Aristote comme ‘le’ philosophe. Lui, il avait été
d’un grand poids pour défendre une philosophie qui luttait pour son autonomie. On
commençait à abandonner la tradition de voir les choses en relation avec l’éternité. La raison
représente de plus en plus la faculté par laquelle on recherche la connaissance pour la
connaissance. Cette autonomie de la raison aboutira finalement au développement des
sciences particulières. Auparavant, c´étaient les conceptions augustiniennes qui dominaient.
Nous soulignons cependant que, malgré cette tendance à l’autonomie de la raison à la fin du
Moyen-Âge, la théorie d’Augustin n’a pas disparu. On retrouve encore les idées d’Augustin
au XVe siècle.55
Notre analyse montre que la signification du terme ‘raison’ n’est pas constante au MoyenÂge. Le Moyen-Âge a vu se développer des conceptions différentes de la raison et de la
connaissance.56 L´interprétation du mot ´raison´ dépend donc de la philosophie qui a
influencé l´auteur. La signification du mot ‘raison’ a été influencée à la fois par la philosophie
grecque et par les pensées des pères de l’église. On retrouve les influences des deux
philosophies au XVe siècle, l’époque où Christine de Pizan réfère sans cesse au mot ‘raison’
dans ses textes. Bien que les deux philosophies soient attachées à la faculté de la raison, cette
notion n’a pas la même valeur pour les deux courants. Nous avons constaté que selon la
théorie augustinienne, la valeur de raison consiste à prouver les dogmes de la bible et les idées
chrétiennes. Dans ce sens la raison est donc importante. Elle reste cependant toujours soumise
à la foi selon les augustiniens. Les augustiniens avaient foi en la vérité chrétienne et ils
s’appliquaient à en acquérir l’intelligence. Pour les aristotéliciens, au contraire, la raison est la
faculté qui rend à l’homme son autonomie. Ainsi ils sont attachés à la raison pour la faculté en
soi.
54
R. IMBACH, « Philosophie », Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Âge, A. VAUCHEZ, dir., Éd. du
CERF, 1997, p. 1207.
55
Christine de Pizan cite souvent Augustin dans ses textes. Nous reviendrons sur ce point aux chapitres suivants.
56
Pour notre analyse à propos des influences sur le terme ‘raison’ nous nous sommes limitée délibérément à
l’influence de l’augustinisme et de l’aristotélisme au Moyen-Âge. Un compte rendu des idées d’autres penseurs
dépasse le cadre de cette analyse. En plus les influences de ces deux extrêmes que nous avons étudiées sur le
concept ‘raison’ au Moyen-Âge sont les plus évidentes.
22
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
§ 1.3 Résumés des textes
Pour répondre à la question de savoir s’il y a une évolution du concept ‘raison’ dans les textes
de Christine de Pizan, nous étudierons donc les textes suivants: le Livre du chemin de lonc
estude, le Livre de l’advision Cristine et le Livre de la paix. Dans ce paragraphe nous
donnerons des aperçus de ces textes. Pour le moment nous dirigeons notre attention sur les
contenus des textes. Au deuxième chapitre nous visons à analyser le rôle de la ´raison´ dans
les textes.
§ 1.3.1 Le Livre du chemin de lonc estude
Comme nous avons indiqué plus haut l´œuvre de Christine de Pizan peut être divisée en trois
parties. Christine a commencé sa carrière littéraire en écrivant de la poésie lyrique. Puis elle a
écrit des textes allégoriques. Et elle a fini sa carrière en écrivant surtout des œuvres politiques
et didactiques. Nous soulignons que cette division n´est pas une division stricte mais plutôt
une division globale.
Le Livre du chemin de lonc estude, composé en 1402 / 1403,57 marque en fait une période de
transition. Car écrit en vers le texte est déjà allégorique et, en plus, c´est un texte narratif de
presque 6400 vers. Le texte peut donc être situé à la charnière de deux périodes.
L´œuvre a été dédiée au roi Charles VI:
« Le VIe Charles du nom nottable,
Que Dieu maintiengne en joye et en santé,
Mon petit dit soit premier presenté ». 58
Après la dédicace Christine exprime ses misères: sa peine et sa solitude. La lecture d´un livre
de Boèce (« De Consolacion ») lui offre enfin du réconfort. À l´heure de se coucher,
Christine, au lieu de s´endormir, continue ses pensées sur le temps malheureux. Tout à coup
elle a une vision bizarre. Alors Christine raconte l´histoire d´un voyage qu´elle fait en rêve.
Ce songe offre le cadre d´un voyage allégorique, dans lequel Christine est guidée par la
57
58
L´œuvre a été écrite entre le 5 octobre 1402 et le 20 mars 1403.
Le Chemin, v. 10-12.
23
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Sibylle de Cumes. Christine et la Sibylle parcourent d´immenses espaces. Ainsi elles arrivent
par exemple à la fontaine de Sapience dont Christine nomme les qualités. Près de cette
fontaine habitaient Aristote, Socrate, Platon et d´autres philosophes. Le chemin qui y mène
s´appelle « Lonc Estude ». Les deux femmes traversent le monde entier et s´élèvent ensuite
vers les cieux au moyen de l´échelle de Spéculation. Cette échelle aboutit au cinquième ciel
(le firmament pour Christine). Christine apprend beaucoup, surtout en matière d´astrologie.
Puis elles descendent jusqu´au premier ciel.59 Là, Christine assiste à une discussion entre
Noblesse, Chevalerie, Richesse et Sagesse (les quatre influences du monde). Au milieu d´elles
siège Raison. Raison a une visite d´un ambassadeur de la Terre. Le messager de la Terre se
plaint et il donne à Raison une requête de la Terre dans laquelle elle demande à Raison de
remédier aux vices et aux crimes de ses enfants. Raison soumet le problème à ses quatre
dames. Elle leur demande de désigner une personne comme unique roi du monde pour mettre
un terme aux guerres qui divisent l´humanité. Les quatre dames font des propositions.
Chacune soutient son propre candidat. Ainsi Noblesse prouve que le plus noble doit régner.
Selon Chevalerie l´homme le plus guerrier sera apte à être roi du monde. Pour Richesse ce
sera plutôt l´homme le plus riche. Sagesse enfin soutient le candidat le plus sage. Les dames
décrivent chacune les caractéristiques des candidats qu´elles proposent pour cette
magistrature. Raison mène le débat.60 Finalement cette dame décide de soumettre le problème
du gouvernement du monde aux princes français. Christine doit transmettre à la cour de
France les questions dont on l´a chargée. Ainsi elle devient la messagère de la cour de Raison,
chargée de demander aux princes de juger le débat. À ce moment Christine est réveillée par sa
mère qui frappe à la porte de sa chambre.
§ 1.3.2 Le Livre de l’advision Cristine
Le Livre de l’advision Cristine est une œuvre en prose. C´est un texte allégorique, écrit en
1405. Ce livre de Christine de Pizan contient le plus d’éléments autobiographiques. L´œuvre
comprend trois parties. La première partie a été consacrée à la crise du début du XVe siècle.
Christine rencontre dans son rêve l´allégorie Libera, dame couronnée (elle représente la
France), qui se plaint de la situation actuelle. Elle dit que les dames Raison, Chevalerie et
Justice (ses dames d´honneur) sont en prison, tandis que Fraude, Luxure et Avarice sont au
59
60
Le ciel d´air, selon Christine. Cf. le Chemin, v. 1765, 1766.
Dans le chapitre II nous étudierons de plus près le rôle de dame Raison et celui des autres dames.
24
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
pouvoir. Cette situation malheureuse est en contraste avec le passé glorieux qu´elle a vécu.
Dame Libera se plaint de ses enfants qui font la guerre. Elle charge Christine d´écrire de ses
malheurs:
« (D)emeures constante avec moy ou gracieux labour de tes dictiez, duquel
mains plaisirs encore feras a moy et mes enfans, lesquelz je te pry que me
salves et que leur segnefies les plaintes de mes clamours et que comme
loyaulx et vrais enfans vueillent avoir pitié de leur tendre mere ». 61
Dame Libera donne donc à Christine un commandement honorable mais difficile.
Dans la deuxième partie Christine visite les écoles parisiennes. Là elle rencontre dame
Opinion. Cette dame est une grande ombre formée d´autres petites ombres. Cette figure parle
de sa vie. Elle existerait déjà depuis le commencement du monde. Elle dit avoir séduit Ève et
Adam au paradis et avoir trompé beaucoup d´autres gens. Dame Opinion parle de son pouvoir
dans le monde du savoir. Elle parle longuement des philosophes et de leurs philosophies. Puis
elle réprimande Christine d´avoir attribué trop de pouvoir à Fortune, qui n´est que son aide. À
la fin de la deuxième partie dame Opinion loue Christine pour le travail qu´elle a fait et elle
lui conseille de continuer son travail.
Dans la troisième partie Christine rencontre dame Philosophie. Christine lui raconte sa vie
personnelle: c´est un long passage autobiographique. D´abord elle parle des temps heureux.
Puis elle se plaint auprès de dame Philosophie de ses malheurs. Finalement elle révèle
comment elle s´est mise à l´étude. La dame lui répond en lui reprochant ses plaintes. Cette
troisième partie se finit par la consolation de Christine par l´allégorie Philosophie. L´allégorie,
à laquelle Christine s´adresse au dernier chapitre en la nommant « Sainte Theologie », lui
conseille de chercher la vraie félicité, c´est-à-dire Dieu.
§ 1.3.3 Le Livre de la paix
Le Livre de la paix a été écrit entre le 1er septembre 1412 et le 1er janvier 1414. Il a été dédié à
Louis, duc de Guyenne, fils de Charles VI. Le Livre de la paix est une œuvre en prose.
Christine a divisé cette œuvre, comme d´ailleurs beaucoup de ses textes, en trois parties. La
première partie contient quinze chapitres, la deuxième dix-huit chapitres et la troisième partie
61
L’Advision, p. 50.
25
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
contient quarante-huit chapitres. Chaque chapitre est précédé d´une citation biblique ou
antique. Plus loin Christine traduit ou paraphrase très souvent la citation.
Par cette œuvre Christine montre que les temps n´étaient pas appropriés à faire des études.
Les conflits extérieurs et intérieurs l´empêchent souvent de travailler. Il semble que Christine
n´a pas écrit entre août 1410 et septembre 1412. En septembre 1412 (après la paix d´Auxerre)
elle commence par écrire la première partie du Livre de la paix. Le 30 novembre elle finit
cette partie.62 Après l´insurrection cabochienne (cf. § 1.2.1), Christine se remet au travail le 3
septembre 1413.
Dans le Livre de la paix Christine lutte pour la paix. Dans les premiers chapitres des première
et deuxième parties Christine exprime sa joie à cause de la paix récemment obtenue. Illustrons
cette joie avec la citation suivante:
« Plus que ne pourroie dire, et ne cessasse ne saroie actaindre à exprimer la
tres grant joie dont mon cuer est rempli presentement à cause de ceste
glorieuse paix ».63
Pour maintenir la paix, on a, selon Christine, besoin d’un bon prince. Christine désigne les
qualités d’un bon prince. Dans la première partie elle loue la vertu de ‘prudence’. De cette
vertu résultent d’autres qualités: justice, magnanimité, force (deuxième partie), clémence,
libéralité et vérité (troisième partie). Comme modèle d´un bon prince Christine prend à
plusieurs reprises l´exemple du roi Charles V (le grand-père du duc de Guyenne): « vueille
avoir à memoire comment ton saige ayol (...) ». 64 Ce défunt roi Charles V incarne pour
Christine toute la sagesse d´un règne paisible.
Christine ne parle pas seulement des vertus d’un bon prince, elle y oppose les conséquences
désastreuses d’un mauvais gouvernement. Ainsi elle accentue la misère et la guerre,
conséquences de la haine, de l’envie, de la vengeance et de la convoitise. Christine prend des
exemples du passé et du présent pour prouver le lien étroit entre ces vices et leurs
conséquences néfastes. Christine a comme but de corriger par ses textes les mauvais
comportements des princes:
« (À) dire aucunes choses prouffitables à la discipline et correction de ceulx
qui sont trop convoiteux, qui qu’ilz soient, princes ou autres, est bon me
semble ».65
62
Cf. le Livre de la paix, p. 57.
Idem, p. 89.
64
Ibid., p. 159.
65
Ibid., p. 152.
63
26
Chapitre 1: Christine de Pizan: sa vie et son époque
Dans son Livre de la paix Christine souligne sans cesse qu’un bon comportement et un bon
gouvernement du prince mènent à la paix. Elle énumère les vertus qui sont à la base d’un bon
gouvernement, mais elle nomme aussi les vices qui sont à éviter. Dans son texte Christine
n’évite pas de critiquer les princes (dont elle dépend quand même pour ses ressources) et de
référer à leurs corruptions.
27
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Chapitre 2
Raison: porte-bonheur?
Jusqu’ici nous avons parlé de notre auteur et de son époque. Nous avons vu que Christine de
Pizan a vécu dans une époque instable, une époque où la guerre faisait rage et le peuple était
inquiet. Nous avons montré que Christine écrit sur cette instabilité de l’époque, mais aussi sur
ses problèmes personnels.
En plus nous avons étudié le terme ‘raison’, qui, comme nous avons vu, avait une autre
signification au Moyen-Âge qu’il a de nos jours. Nous avons démontré que cette notion avait
une relation forte avec ‘la foi’. Une relation qu’on croit le plus souvent impossible de nos
jours.
Enfin nous avons présenté les contenus des trois œuvres auxquelles nous nous référons
principalement dans ce travail.
Il est maintenant intéressant d’aborder la question de savoir comment Christine de Pizan a
utilisé le terme ‘raison’ dans ses textes. Cette question est liée aux questions suivantes:
‘Qu’est-ce que ce concept ‘raison’ impliquait?’ ‘Que signifiait-il pour Christine?’ ‘Pourquoi
est-ce qu’elle a utilisé sans cesse ce mot ‘raison’ dans ses textes?’ Ou en d’autres mots: ‘Dans
quel but Christine s’est-elle servie de ce terme?’ Et finalement ‘Comment est-ce qu’elle veut
atteindre son but?’ et ‘Quel est son public?’ Dans ce chapitre nous nous bornerons à trouver
des réponses à ces questions. Dans ce but nous étudierons l’emploi de la notion ‘raison’ dans
les trois textes que nous avons présentés au premier chapitre: le Livre du chemin de lonc
estude (écrit en 1402 / 1403), le Livre de l’advision Cristine (écrit deux ans plus tard à savoir
en 1405) et le Livre de la paix (écrit relativement vers la fin de sa carrière, à savoir entre le 1 er
septembre 1412 et le 1er janvier 1414). Ce Livre de la paix a été écrit par Christine à la fin
d’une période de production énorme.66 Christine a donc écrit ces trois textes pendant
différentes périodes de sa vie d’écrivain, ce qui nous permettra d’étudier notre question
principale de savoir s’il y a une évolution dans les textes de Christine à propos de ses idées
sur ‘la raison’. Il est intéressant de savoir si la notion ‘raison’ a eu la même signification dans
les œuvres de la première période de Christine de Pizan que dans ses œuvres ultérieures.
L’Epistre d’Othea (1400-1401); le Livre du chemin de lonc estude (1402-1403); le Livre de la mutacion de
Fortune (entre 1400 et 1403); le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V (1404); le Livre de la Cité
des dames (1404-1405); le Livre des trois vertus (1405); l’Epistre à la reine Isabeau (1405); le Livre de
l’advision Cristine (1405); le Livre de la Prod’ommie (1405-1406); le Livre du corps de Policie (entre 1404 et
1407); les Sept psaumes allégorisés (1409-1410); le Livre des fais d’armes et de chevalerie (1410); la
Lamentation sur les maux de la France (1410).
66
28
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Dans ce chapitre nous nous poserons donc plusieurs questions, qui sont reliées à notre
question principale de savoir si le concept ‘raison’ impliquait toujours la même chose pour
Christine de Pizan:
(1) Que signifiait le terme ‘raison’ pour Christine de Pizan? (paragraphe 2.1)
(2) Est-ce que Christine utilisait le terme ‘raison’ dans ses textes toujours dans le
même contexte ou le même but et quel est ce but? (paragraphe 2.2)
(3) Comment est-ce que Christine voulait arriver à ses fins? À quel public est-ce que
Christine s’adressait pour atteindre son but? (paragraphe 2.3)
§ 2.1 La signification de la notion ‘raison’ chez Christine
Il est hors de doute que le concept ‘raison’ était très important pour Christine de Pizan. La
’raison’ est un terme omniprésent dans la plupart de ses textes.67 Cependant quelle valeur estce que Christine attachait exactement à la notion ‘raison’? Essayons de trouver une réponse à
cette question.
D’abord il est nécessaire de savoir comment Christine définit son terme ‘raison’. Christine a
fait souvent une personnification de la notion ‘raison’. Nous nous demandons donc plutôt
‘Qui est le personnage Raison?’ Dans le Livre du chemin de lonc estude l’auteur la nomme
« amee fille de Dieu », « royne » et « elite de Dieu ».68 Ces qualifications montrent que le
respect de Christine pour Raison est grand. Christine fait Raison même descendre du ciel, le
symbole ultime du bonheur chrétien. Dame Raison descend du ciel dans un atmosphère
céleste: il y a des chants d’anges et Raison et ses compagnes sont entourées d’une lumière.
Dans le Livre de la paix Christine qualifie encore la raison de « fille de Dieu ».69
Le physique de dame Raison nous dit aussi quelque chose de la préférence de Christine de
Pizan pour la raison. Comme souvent dans la littérature médiévale, Christine fait de son
67
Cf. http://www.arts.ed.ac.uk /french/christine/conc_r.htm (concordance des mots fréquents dans les textes de
Christine de Pizan sur l’internet).
68
Le Chemin, v. 2598 et v. 2557, 2558. Dans le texte Raison se présente donc comme une reine. Il est intéressant
de voir que Christine accentue qu’elle évite de l’appeler « déesse ». Christine souligne que les Anciens ont fait
une erreur de l’adorer de cette manière. Pour Christine Raison est une fille de Dieu ou, pour ainsi dire, la faculté
‘raison’ est selon Christine un don divin, mais elle n’est pas une déesse et Christine ne veut pas lui faire honneur
divin. Cf. le Chemin v. 5243-5262.
69
Le Livre de la paix, p. 66.
29
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
personnage préféré une image très positive. Pourtant elle ne nous donne qu’une description
très brève de dame Raison,70 parce que Dame Raison excelle tellement en beauté, que
Christine ne sait pas la décrire:
« Mais la beauté d’elles descripre
Je ne suis souffisant, n’escripre
En cent mille ans ne la [Raison] pourroie,
Car de son cler visage roye
Une resplandeur qui esclere
Toute chose, soit trouble ou clere.
A brief parler, toutes sont brunes
Autres beautez et trop communes
Envers la sienne especiale;
Toute autre vers la sienne est pale. » 71
Il est donc évident, par les appellatifs et la description du physique de dame Raison que le
personnage Raison (et par conséquent la faculté ‘raison’) est vraiment important pour
Christine. Raison ne surpasse pas seulement les autres allégories en beauté, mais elle est aussi
l’allégorie centrale du débat. Voilà un deuxième point qui nous intéresse: la fonction de la
raison. Quelle est, selon Christine, exactement l’activité de la raison? Le rôle de la
personnification Raison dans le débat dans le Chemin est, selon nous, significatif. C’est
Raison qui mène la discussion. La fonction essentielle de la raison est donc de juger, ce que
montrent les mots de la personnification ‘Sagesse’ dans le Chemin:
« Si en vueillés juger, ma dame
Raison qui ne fait tort a ame ».72
Ce bref passage montre que la raison agit de façon correcte. Elle fonctionne de manière juste
et objective. Dame Raison écoute jusqu’au bout les points de vue de Sagesse, de Chevalerie,
de Noblesse et de Richesse avant de tirer une conclusion.73 Les citations suivantes confirment
bien la méthode impartiale de dame Raison:
« Raison, qui est pure et monde,
veult que on voise par autre voye. »
« Raison et son conseil le cas
70
Cf. le Chemin v. 2535-2561.
Idem, v. 2525-2534. C’est un trait constant de la littérature médiévale. Chrétien de Troyes, par exemple, en
décrivant la beauté de ses personnages fait la même chose.
72
Ibid., v. 5455, 5456.
73
Nous soulignons que Christine n’exprime cependant pas nettement la conclusion de dame Raison dans son
texte. Nous reviendrons encore sur ce point dans le § 2.3.1.
71
30
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Aviserent en tous endrois ». 74
On retrouve cette même fonction de juger de la raison dans le Livre de l’advision Cristine, où
Christine a noté: « Mais jugemens en nul cas riens ne vallent se fondez sur raison ne sont ».75
La raison est donc indispensable pour Christine: elle est la première condition ou bien la
condition nécessaire du jugement. Ainsi dame Opinion s’adresse à Christine de la manière
suivante:
« Si te conseil que ton oeuvre tu continues, comme elle soit juste, et ne te
doubtes d’errer en moy. Car tant que je seray en toy fondee sur loy, raison et
vray sentement, tu ne mesprendras es fondacions de tes oeuvres es choses plus
voir semblables ».76
Pour ne pas se tromper Christine doit donc se fonder sur la raison, selon son personnage dame
Opinion. Christine croit donc à l’infaillibilité de la raison, ce que confirme la citation
suivante:
« (L)es sens par le moien d’estude qui raporté l’a a ton entendement, lequel
par raison est certain que ainsi soit. »77
Le Livre de la paix nous montre que dix ans plus tard Christine juge encore que la faculté
‘raison’ est fondamentale pour l’homme:
« Quant à raison, est chose neccessaire, tout ainsi que se un bon phisicien
estoit establi à garir le corps d’un homme malade par toutes ses parties et il en
reservoit à garir les jambes et les piéz ou autres menus membres, on ne
tendroit mie la cure estre belle ne tout le corps sain. »78
On voit par ce qui précède que la raison a plusieurs qualités, selon Christine. Nous avons
constaté en effet que l’instrument ‘raison’ est impartial et infaillible pour Christine.
Cependant ce qui est le plus important, c’est que la raison fait de l’homme l’être qu’il est. La
possession de cette faculté distingue l’homme des bêtes, selon Christine:
74
Le Chemin, v. 3346, 3347; v. 6230, 6231. Cf. aussi les vers 6098-6103: « Les parties / Des raisons qui cy
proposees / Nous ont esté, soient pesees / Par mon conseil, qui ordener / Bien en sara et dicerner / Tel droit
comme il y peut avoir. »
75
L’Advision, p. 57. Cf. aussi p. 8: « quel folie en homme qui le sens doit gouverner raison se fonder sens elle
sur moy et jugier par moy certainement de chose non certaine et qu’ilz ignorent! ».
76
Idem, p. 89.
77
Ibid., p. 87.
78
Le Livre de la paix, p. 117. Christine se sert ici de sa métaphore favorite: la comparaison avec le corps
humain.
31
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
« (P)luseurs d’eulx par simplece, mauvais conseil, ou autrement, n’en
courrussent maint deffaulx veu nature humaine estre de soy encliné à tous
vices là où discrecion et raison ne l’en garde, laquelle raison est petite
communement es menus populaires par ce que grant admenistracion
d’enseignement de choses vertueuses et que c’est que bien en difference du
mal ne les endoctrinéz en leur temps, parquoy maintes en y a on puet veoir ne
estre gaires plus que bestes. »79
Nous touchons ici donc à une qualité importante de la faculté ‘raison’ au Moyen-Âge.
Christine emprunte à ce propos des idées à la pensée antique. Elle cite entre autres Macrobe et
Sénèque.
Dans un autre passage Christine décrit l’homme plutôt comme un animal noble:
« (S)i noble animal que est homme ouquel raison doit dominer, autrement est
comme beste brute et defective ».80
Pour Christine de Pizan il est donc essentiel que la raison de l’homme maîtrise son
comportement:
« Tu, homme qui es créé afin de suivre l’effect de l’entendement qui de sa
proprieté requiert haultes choses, laisses, laisses les charnalitéz et delis du
corps et basses choses aux bestes mues qui n’ont autre gloire, et t’abitues aux
grandes euvres qui parfont l’ame et donnent renommée. »,
lit - on dans le Livre de la paix.81 Il est important que l’homme soumet la volonté à la raison,
ce que Christine souligne aussi dans la citation suivante:
« Quant la voulenté est obeissant à raison, adont la plus noble partie de
l’omme est dame et royne du royaume du cuer. »82
L’usage de la raison garantit à l’homme sa condition humaine, selon Christine. Les hommes
disposent en général librement de leur raison. Cet instrument est une qualité spécifique de
l´homme. Il rend l’espèce humaine supérieure aux animaux. Au moyen de la raison l´homme
peut acquérir d´autres qualités. En d’autres mots, la possession de la raison peut donc
améliorer l’humanité. La raison, par ses qualités, rend l’homme prudent et sage, ce qui est
montré par la citation suivante:
79
Idem, p. 117. Cf. § 1.2, la note 46.
Le Livre de la paix, p. 175.
81
Idem, p. 175. Cf. le Chemin, v. 5179-5182.
82
Le Livre de la paix, p. 174.
80
32
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
« Il n’est ou monde plus grant bien (...) que cellui qui vient de l’entendement
et qui le perfait en savoir, laquel chose fait estude qui aprent science et
experience de moult de choses. Ces deux causes font la personne estre saige,
se faulte d’entendement ne lui toult. »83
Ici nous touchons à quelques notions que Christine a souvent liées à la faculté ‘raison’, à
savoir ‘savoir’, ‘science’ et ‘experience’. D’autres concepts qu’elle a reliés au terme ‘raison’
sont ‘sagece’, ‘sapïence’ et ‘prudence’. ‘Sagece’ et ‘sapïence’ ont aussi une relation étroite,
selon Christine.84 Christine donne des définitions de ces notions dans ses textes.
La science est pour Christine une combinaison de prudence et de connaissances. 85 La
prudence est déjà une notion importante dans le Chemin. Puis dans l’Advision Cristine
Christine est encore d’opinion qu’elle est d’une valeur considérable. Dame Opinion,
personnage principal dans la deuxième partie du texte, souligne que ‘la prudence’ est
essentielle en rapport avec ‘la raison’. Cette dame insiste sur le fait que même les gens
intelligents se trompent des fois, parce qu’ils ne sont pas assez prudents. Finalement dans le
Livre de la paix la prudence est toujours une vertu qui évoque d’autres vertus:
« vij. principaulx racines de vertu dont la premiere et de laquelles les autres
naissent et viennent a nom de prudence. Et ensuivant sont les autres vj.
nommées: justice, magnanimité que on dit grant courage, force, clemance,
liberalité et verité. »86
Le fonctionnement de la science, Christine le compare avec le soleil. La science est comme
une lumière. Nous citons un beau passage du Livre du chemin de lonc estude:
« C’est le souleil par quel lumiere
Ajourne o sa lueur plainiere
Es tenebres de la pensee. »87
Dans les trois textes auxquels nous référons, Christine parle surtout des sciences de
l’astrologie et de la rhétorique.
L’Advision, p. 123.
Nous citons Christine dans le Chemin, v. 2760-2763: « Sagece qui y vint grant erre, / Accompaignee de ses
filles / Qui tant sont sages et soubtilles; / Ce sont Sapïence et Scïence »
85
Idem, v. 5073-5075: « Et qu’il soit ainsi que scïence, / Prudence avec grant escïence, / Soit plus que autre riens
neccessaire ». Nous reviendrons encore sur les définitions de Christine de Pizan à propos de ‘sagece’ et de
‘sapïence’.
86
Le Livre de la paix, p. 64.
87
Le Chemin, v. 5223-5225.
83
84
33
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
La notion ‘sagece’ a été définie, entre autres, par la personnification Sagesse dans le Chemin.
Selon elle son candidat a « parfaict sens et prudence ».88 Sagesse n’est pas un savoir livresque
pour Christine, mais un savoir-faire et de l’expérience, ce que montre bien la citation
suivante:
« (C)eulx que seulement le scevent par raport des livres doivent estre appelléz
sçavans mais non sages. Et pour ce, à dire des sages, y peuent estre compris,
mesmement des laiz, ceulx qui ont bon entendement et prudemment scevent
mectre à euvre ce qu’ilz ont experimenté ».89
Le mot ‘sage’ renvoie donc surtout au comportement de l’homme. La sagesse est une vertu.
Ce n’est pas une valeur théorique, mais plutôt pratique. Cette définition du mot ‘sagesse’ de
Christine correspond avec la signification de ce mot au Moyen-Âge.90
La notion ‘sapïence’ de Christine, finalement, appartient à un niveau de style plus élevé et
renvoie à la philosophie, ce que montrent les vers suivants:
« Les Grigois qui de moy parlerent
Sophie en leurs dis m’appellerent;
Des Latins la sage emparlee
Sapïence suis appellee. »91
Bref, nous voyons que la faculté ‘raison’ est la base d’autres qualités, selon Christine. Il est
intéressant de voir que Christine ne donne pas tout simplement une définition du terme
‘raison’ dans ses textes, mais qu’elle ajoute sans cesse des valeurs pour préciser un peu plus la
signification et la valeur de ce mot. La définition de la notion ‘raison’ est donc assez vague.
En somme la signification et la valeur de la notion ‘raison’ sont, à notre avis, dans nos trois
textes toujours plus ou moins les mêmes. Il s’avère que la raison est pour Christine un
instrument considéré comme exclusivement positif dans les trois textes. On est donc loin de
conclure qu’il y a une vraie valorisation ou dévalorisation du terme ‘raison’ dans le Livre de
la paix en comparaison du Livre du chemin de lonc estude et le Livre de l’advision Cristine.
La signification et la valeur de ce mot sont constantes. Est-ce qu’il en est de même pour les
motifs de l’usage de la notion ‘raison’? Nous étudierons cette question dans le paragraphe
suivant.
88
Idem, v. 3435.
Le Livre de la paix, p. 70.
90
« Sage qui est circonspect, prudent, réglé dans ses mœurs, dans sa conduite », F. GODEFROY, Dictionnaire
de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IX e siècle au XVe siècle, T7, Vieweg, 1938, p. 609; cf.
aussi l’étude de C. BRUCKER, Sage et Sagesse au Moyen Age, Droz, 1987, p. 421 et 422.
91
Le Chemin, v. 5403-5406.
89
34
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
§ 2.2 L’intérêt de la notion ‘raison’
Nous avons démontré que la raison et les autres qualités qui sont liées à la raison (par
exemple sagesse, sapience et science) sont importantes dans les textes de notre auteur. Il est
maintenant intéressant d’aborder la question de savoir si Christine a des motifs pour lesquels
elle souligne l’importance de la raison. Est-ce que Christine utilise le terme ‘raison’ dans ses
textes toujours dans le même contexte ou le même but?
§ 2.2.1 Motifs personnels
Il convient tout d’abord de signaler que l’étude a pris une place importante dans la vie de
Christine. Au premier chapitre nous avons déjà souligné la transformation radicale de sa vie
après la mort inattendue de son mari, Étienne de Castel. Dans le Chemin et l’Advision Cristine
l’auteur écrit de sa résolution de poursuivre une vocation littéraire. Ce changement dans sa vie
a influencé l’utilisation de la raison. Nous répétons que Christine exprime de la passion pour
l’étude dans ses textes. Pendant son voyage avec la Sibylle dans le Chemin elle répète à
plusieurs reprises qu’elle a « grant desir de veoir ».92 Elle désire donc apprendre des choses,
ce que montre aussi le vers 2491, où elle dit: « La verité moult desiroie ».
Avide de connaissances, Christine a passé une grande partie de sa vie sur les livres. L’auteur
insère les éléments autobiographiques d’une telle manière dans ses textes que le lecteur voit,
pour ainsi dire, Christine au travail. Quelques éléments renforcent la réalité des textes, de
sorte que nous voyons l’image de Christine en train d’étudier. Ainsi elle décrit les limitations
de l’homme qui l’empêchent de continuer sans cesse: la fatigue ou bien le rythme biologique.
« (J)e leu toute la seree;
Mais se j’eusse eu longue asseree,
L’i eusse, croy, voulu user,
Tant me plaisoit m’i amuser »93
Le Chemin, v. 1751. Cf. § 1.1.2 la note 20. Cf. aussi l’Advision, p. 110: « Fille, solace toy quant tu as attaint en
effait le desir que je te donne, ainsi continuant et vacant tousjours a l’estude, comprenant les sentences de mieulx
en mieux. » et p. 92: « De plus hault monter pour veoir diverses beautez fu souffisant seulement mon bon désir
et amour a m’empetrer lieu et licence de plus savoir » et le Chemin, les vers 492, 1751, 1798, 2504, 2505, 2586,
2587, 6329, 6330.
93
Le Chemin, v. 285-288.
92
35
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
« Mais il fu temps d’aler coucher,
Car ja estoit mi nuit passee.
Et en assez lie pensee
Je me couchay; il fu saisons »,94
lit-on dans le Livre du chemin de lonc estude. Prenons un autre exemple qui illustre l’insertion
des éléments de la vie de tous les jours:
« (F)us huchee
De la mere qui me porta,
Qu’a l’uys de ma chambre hurta ».95
Le songe (où Christine vit dans un monde irréel), qui offre le cadre d´un voyage allégorique
dans le texte, finit par la mère de Christine qui frappe à la porte de sa chambre et qui la remet
dans le monde réel.
London, British Library,
Harley MS 4431.
94
95
Idem, v. 304-307. Cf. aussi l’Advision, p. 11.
Le Chemin, v. 6394-6396.
36
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Les aspects autobiographiques des textes nous permettent donc bien de suivre le processus
d’apprentissage de Christine. R. Reisinger dit à juste titre que:
« Le chapitre ‘Dit Christine comment elle se mist a lestude’ et le suivant, ‘Le
Plaisir que Christine prenoit a lestude’ de la troisième partie de LavisionChristine, nous entr’ouvrent la porte qui nous permet d’observer Christine
dans son refuge, dans son atelier d’écriture, où elle se consacre à fond à
l’apprentissage philosophique et littéraire et se met à faire ses propres pas
d’écrivaine. »96
Christine n´est vraisemblablement jamais entrée dans une salle de classe. Elle s’est formée en
lisant des livres et en suivant l´enseignement de son père. De cette manière elle s’est faite des
idées. Dans ses textes elle rend compte de ce qu’elle a lu, étudié et appris:
« Ou milieu des .iiii. en ot une
Plus excellant qu’autre nesune:
Or vous vueil leurs façons compter
Ainsi com je le sos notter. »97
Christine décrit jusqu’au détail de ses progrès intellectuels. Dans le Chemin et l’Advision les
descriptions des voyages que Christine fait dans ses rêves sont, pour ainsi dire, les équivalents
des progrès intellectuels de Christine. Ces textes font voir le parallélisme entre les voyages
qu’elle fait et ses processus d’apprentissage. Les textes contiennent en plus des aspects
psychologiques du développement intellectuel de Christine. Ainsi Christine enregistre les
sentiments qu’elle a pendant ses activités intellectuelles et elle décrit sa position d’élève.
Christine se présente en effet comme une élève. Dans le Chemin c’est la Sibylle, femme de
savoir, qui la guide: « Tout le me monstrast elle (la Sibylle) au doy ».98 Christine écoute la
guide. Des fois elle lui pose des questions:
« Je ne me fusse retardee
Pour riens que je ne demandasse
(...)
Car n’oz pas appris a me taire,
Quant quelque doubte me venoit,
Devant celle qui me menoit.
Si lui priay qu’elle me dist
Et tout entendre me feïst ».99
96
R. REISINGER, « Le contexte patriotique, biographique et psychologique de Christine de Pizan et ses reflets
rhétoriques dans ‘Lavision-Christine », Contexts and continuities: Proceedings of the IVth International
Colloquium on Christine de Pizan (Glasgow 21-27 July 2000), T.III, Éd. A.J. Kennedy, etc., University of
Glasgow Press, p. 709.
97
Le Chemin, v. 2263-2266. Cf. v. 2071.
98
Idem, v. 1114.
37
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Dans l’Advision Christine reçoit l’instruction de trois personnages allégoriques. Dans la
première partie elle est l’élève de la dame couronnée (qui représente la France), de dame
Opinion dans la deuxième partie et celle de dame Philosophie dans la troisième partie. Il est
frappant que Christine devient de plus en plus active dans le texte. Dans la première partie
elle écoute surtout, puis dans la deuxième partie elle pose des questions et dans la troisième
partie finalement elle a la parole (avant l’instruction de dame Philosophie). Le fait que
Christine pose de temps en temps des questions montre une fois de plus qu’elle est avide de
connaissances.
L’étude est tellement importante pour Christine qu’elle prend comme devise sur le chemin de
la vie la phrase suivante: « Vaille moy lonc estude ». 100 Cette phrase est une sorte de mascotte
qui la fait surmonter ses problèmes, ce que montrent les vers suivants:
« Si dis que je n’oublieroie
Celle parole, ains la diroie
En lieu d’Evvangille ou de croix
Au passer de divers destrois
Ou puis en maint peril me vis;
Si me valu, ce me fu vis. »101
Étudier, c’est donc presque un acte de foi pour Christine. Christine a, pour ainsi dire, un zèle
religieux pour la science. Sa devise fait partie de son dogme religieux, ce que montrent les
mots ‘Evvangille’ et ‘croix’ dans ce passage. Le passage sur la ‘Fontaine de Sapience’
contient aussi un aspect religieux, celui du baptême. La Sibylle dit à Christine de se baigner
dans l’eau de la fontaine:
« Tu vois la fontaine versant
A gros boullions l’eaue qui coule;
Mais s’estre de si haulte escole
Ne peus, tout au mains a seaulx
Puiseras dedens les ruisseaulx;
Si t’i baigneras a ton ayse,
A qui qu’il plaise ou a qui poyse. »102
99
Ibid., v. 1616, 1617, 1620-1624.
Ibid., v. 1136.
101
Ibid., v. 1147-1152.
102
Ibid., v, 1082-1088. Cf. B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer
frühhumanistischen Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 154: « Das empfohlene Bad in dem der Quelle
entströmenden Wasser stellt gewissermaßen ein Initiationsbad, eine ‘Taufe’ dar, durch welche Christine in die
‘Gemeinde’ der zuvor erwähnten gelehrten Männer aufgenommen wird ».
100
38
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Les formes des textes de Christine de Pizan que nous étudions sont aussi significatives. Les
trois textes sont en effet de longs raisonnements, ce qui prouve la valeur de la faculté raison,
qui est la voie au raisonnement. Christine et ses personnages ont des idées, des points de vues,
qu’ils veulent prouver. En d’autres mots, ils raisonnent: ils donnent leurs arguments et
jugements.
Pour terminer nous concluons donc que Christine a un motif individuel pour l’usage de la
notion ‘raison’. La vie de l’auteur explique l’usage de cette notion. En sachant que l’étude
donne du plaisir à Christine, qu’elle trouve de la consolation dans ses livres et que l’écriture
lui sert de gagne-pain, il ne nous étonne pas que Christine a un penchant pour la faculté
pensante. Car la raison est, selon Christine, à la base de la sagesse. Elle est la voie à la
connaissance qui peut mener à la sagesse. La raison est l’instrument qui permet à Christine
d’étudier et d’écrire, ce qu´illustre bien le passage suivant où Christine se trouve devant
Raison:
« Et maintes sentences m’apprist
Dont a tousjours je vauldray mieulx,
Se bien les ay devant les yeulx. »103
Ces motifs autobiographiques, qui donnaient lieu à Christine à s´intéresser à la raison, se
retrouvent surtout dans le Chemin et l’Advision Cristine (dans ces textes on trouve de longs
passages autobiographiques). Dans le Livre de la paix Christine n’écrit presque plus sur ces
thèmes. On retrouve les renvois à ses études et à son métier d’écrivain donc surtout dans ses
œuvres de la première période. Pourquoi? Selon nous il est tout d’abord évident qu’au temps
où Christine écrivait son Livre de la paix elle s’était faite déjà une réputation. Elle n’a plus
besoin de montrer ce qu’elle vaut ou de justifier son travail à cause de sa féminité.
Deuxièmement en 1412 / 1414 Christine s’est déjà présentée comme écrivain au lecteur. Elle
a déjà largement (ou trop ?) informé son public à propos de ses misères personnelles et de son
amour pour l’étude dans le Livre du chemin de lonc estude, le Livre de la mutacion de
Fortune, le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V et le Livre de l’advision
Cristine. Ces thèmes sont donc déjà connus auprès du lecteur.104
103
Le Chemin, v. 6326-6328.
Cf. l’introduction à l’édition du Livre de paix, p. 52: « One of Christine’s most curious practices is her
economical habit of using her material more than once. »
104
39
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
« (V)ivions desormais et à tousjours en
union et paix »105
§ 2.2.2 Motifs pacifiques
Dans paragraphe 2.2.1 nous avons conclu que la raison a de la valeur pour Christine. Il est
cependant évident que Christine de Pizan n’écrit pas seulement sur sa propre personne ou
pour son plaisir personnel. Les éléments autobiographiques jouent, il est vrai, un rôle
important dans ses textes de la première période, mais il y a aussi d’autres thèmes dans ses
textes.
Nous remarquons que le monde chaotique de son époque est souvent le sujet de ses textes.
Nous avons déjà indiqué brièvement dans le premier chapitre que le peuple vivait dans des
temps turbulents. Le chaos régnait sur le territoire français. Les conséquences de la guerre
franco-anglaise et des querelles des princes français dévastaient le pays. La crise dans l’Église
aggravait encore l’inquiétude du peuple. L’Église catholique, depuis longtemps vue par les
laïques comme une instance qui avait des réponses à leurs questions, perdait de plus en plus
sa position forte, parce qu’elle était - paradoxalement - trop occupée par le pouvoir.
Christine de Pizan, choquée par la situation misérable de son pays, fait de ses textes des
sources intéressantes pour les historiens. Ses textes permettent de connaître certains
évènements et idées qui avaient cours de son temps. Car Christine décrit longuement les faits
historiques de son époque. Elle ajoute des réactions personnelles. Elle nous fait savoir par
exemple que la situation politique de la France lui faisait peur. Pendant une période de paix
où elle a l’occasion d’écrire son Livre de la Paix Christine se souvient des jours horribles et
dangereux pendant la guerre civile et elle pose la question rhétorique suivante:
« (O)ù est le cuer qui tout ne doye fremir pensant la perilleuse aventure où ce
royaume a esté de toute perdicion à cause de ceste piteuse guerre? »106
Christine se pose dans ses textes des questions comme: ´Quelle est la cause de la misère dans
le monde ?´ ‘Est-ce que les guerres sont des châtiments de Dieu ?’ `Et est-ce qu´on peut
trouver une solution à cette misère ?´ Christine ne décrit donc pas seulement les évènements,
elle veut aussi analyser le problème jusqu’à la racine. Elle croit que les désordres politiques
sont dus à la corruption, la jouissance, la convoitise, l’avidité, la luxure et les disputes à la
105
106
Le Livre de la paix, p. 125.
Idem, p. 135.
40
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
cour. Christine condamne ces abus de la cour.107 La convoitise est cependant le plus grand
péché, selon Christine, parce qu’elle crée d’autres péchés. Dans le Livre de la Paix, elle
s’écrie:
« O! convoitise, racine de tous maulx et de tous vices, certes, qui t’acomperra
au gouffre d’enfer lequel tant sache engloutir d’ames ja n’est assouvis, bien te
nomma adroit comme riens ne soit plus insaciable que est le cuer du
convoiteux auquel faire et perpetuer tous maulx à celle cause n’empesche à ce
qu’il s’en faut de l’effaict ne mais la non puissance, car quant est de l’ueil de
conscience tout avugle Dame Convoitise. »108
Ainsi ce péché de la convoitise provoquait même une guerre civile, parce que les princes de la
France voulaient disposer de plus en plus de territoires. La dame couronnée (elle représente la
France) s’écrie:
« Quelle plus grant perplexité peut venir en cuer de mere que veoir yre et
contens naistre et continuer jusques au point d’armes de guerre prendre et
saisir par assemblees entre ses propres enfans legittimes et de loyaulx peres, et
a tant monter leur felonnie qu’ilz n’aient regart a la desolacion de leur povre
mere qui comme piteuse de sa porteure se fiche entre deux pour departir leurs
batailles? »109
La discorde évoque donc de la misère. Christine, qui le constate déjà dans le Chemin et dans
l’Advision, a toujours cette opinion dans le Livre de la paix. Ce Livre de la paix est son
dernier espoir que les catastrophes seront détournées de la France.110
Christine pose que les guerres sont un châtiment de Dieu. Dieu punit la France pour ses
péchés, a-t-elle conclu dans ses textes:
« Et ainsi Dieux pugnist son siecle tous les jours pour cause de la petite amour
que creature humaine a l’un à l’autre oultre son digne commandement et tout
à cause de ceste desloyal convoitise que chascun a de prendre sur son
prouchain, et c’est parquoy pugnicion divine, quoy que pou de consideracion
Le Chemin, v. 5527-5529: « Que la chose plus desseant / A un prince et plus mal seant / C’est luxure ». Idem,
v. 5545-5550: « De luxure est tres deffendu / En cuer de prince estre espandu. / (...) / Gloutonnie le prince doit /
Aussi fuÿr, qui ne lui loit. ». Ibid., v. 321: « si corrompt est le monde ». Ibid., v. 340-344: « Tous li mondes est
empeschez / De guerres, et plus sont renté, / Tant mains aiment leur parenté / Et plus queurent sus l’un a l’autre /
A armeures, lances sur fautre ».
108
Le Livre de la paix, p. 97. Vu le contexte de son temps (la querelle des ducs, la crise dans l’Église) il n’est pas
étonnant que Christine indique l’envie comme cause de la situation misérable de son temps. Christine l’explique
de manière suivante: « Mais des crestïens c’est dommages, / Qui pour envie des hommages / Et d’estranges
terres conquerre, / S’entreoccïent par mortel guerre. / C’est pitié quant tel couvoitise / Homme mortel si fort atise
/ Qu’il consent tant de sanc espandre; » (le Chemin, v. 351-357).
Cette constation n’est cependant pas nouvelle. Car la convoitise a été depuis longtemps considérée comme péché
qui est à l’origine d’autres péchés: cf. Génèse 3.
109
L’Advision, p. 25.
110
Cf. le Livre de la paix, p. 135.
107
41
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
y ayons, nous envoye tous les jours guerres, mortalitéz, traysons et
pestillences infinies. »111
Christine réfère à plusieurs reprises aux histoires du peuple juif, qui était régulièrement puni
pour sa désobéissance envers Dieu. Prenons par exemple le passage suivant:
« Et toutevoye par les dessertes d’iceulx enfans et peuple d’Israel punicion a
tres long temps leur a esté par maintes fois de Dieu envoiee, comme il appert
par la Bible, qui de ce fait mencion. »112
Christine veut convaincre son public du fait que Dieu punit la France pour ses péchés et elle
veut l´engager à se convertir:
« Ainsi de eulx amender et mettre a paix devers leur Dieu de qui ja voy la
guerre, bien vouldroye qu’a mes parolles si adjoustassent foy, ains que pis
leur venist, que ilz me creussent ne que du tout ja son yre fust sur eulx
espandue par plus griefve vengence. »113
Les trois textes que nous étudions montrent donc la tristesse de Christine devant les conflits
qui bouleversent le monde. Christine, qui a peur du chaos et de voir la guerre tout envahir, ne
reste cependant pas passive. La belle citation de Gianni Mombello soutient cette idée:
« Ballottée par les événements d´une période parmi les plus troubles de
l´histoire de France, elle ne les a pas acceptés passivement. Elle s´est faite
l´apôtre de la cause française en prêchant la paix et la concorde. »114
Christine essaie de trouver des solutions pour parer aux catastrophes et rétablir la paix. Elle a
une mission à accomplir qui pourrait transformer le destin de la France. Nous croyons que la
faculté ‘raison’ joue un rôle important dans son projet pacifique. Il est intéressant de constater
que dame Raison a une branche d’olivier à la main dans le Chemin. Cette branche d’olivier
est le symbole chrétien de la paix.115 Pourquoi ce rôle pacifique de la raison? En fait c’est une
conséquence logique pour Christine du fait qu’elle croit que le manque de raison a incité de la
Idem, p. 152. La phrase ‘quoy que pou de consideracion y ayons’ montre que Christine trouve que on ne se
rend pas bien compte en France des dangers. À la page 121 de ce même texte Christine a choisi la métaphore
suivante à propos de cette insouciance: « Comment pourra mengier aise les chieres et delicatives viandes à sa
table le mauvais à qui le glaive pent sur la teste à un petit filet, qui est à entendre que la pugnicion de Nostre
Seigneur puet venir soubdainement sur le mauvais. »
112
L’Advision, p. 41.
113
Idem, p. 48.
114
G. MOMBELLO, « Quelques aspects de la pensée politique de Christine de Pizan d´après ses œuvres
publiées. », Culture et politique en France à l´époque de l´humanisme et de la renaissance: Études réunies et
présentées par Franco Simone, Torino: Accademia delle scienze, 1974, p. 153.
115
Le symbole a été emprunté à l´histoire de la colombe de Noé (Génèse 8: 6-12).
111
42
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
guerre. L’usage de la raison pourra donc, par conséquent, mettre fin à la misère. Prouvons
cependant d’abord par quelques citations que selon Christine la négligence de la faculté raison
et la tolérance des vices à la cour (voir la note 107) ont suscité la misère. Dans l’Advision, par
exemple, Christine s’écrie:
« Or regarde a quel prejudice tournent les delices quant ilz rameinent la
voulenté, qui doit suivre raison, a tel bestialité que elle ne vise, ne que une
beste mue, ne mes aux pastures basses, et ne s’eslieve ne regarde a son naturel
propre lieu, qui est le ciel dont l’ame formee a l’image de Dieu est venue et
doit tendre a aler. »116
« (L)e vent penetrant qui donne l’enfleure maloitte qui bestourne le sens
d’homme raisonnable en beste mue. »117
L’homme de son époque ne se fait pas guider par la raison, selon Christine, qui dit que la
reine qui porte ce nom s’est retirée aux cieux pour cette raison:
« Ha, dame Raison juste et pure,
Et tu t’en es lassus fouÿe,
Pour ce que d’umaine nature
Tu ne povoies estre ouÿe; »118
Les gens préfèrent plutôt « non poissance, ygnorance et concupiscence ». Ce sont, selon
Christine, des concepts qui sont tout à fait opposés à la raison et qui détruisent pour cette
raison la faculté pensante:
« La trinité qui nous deffait, c’est une trinité miserable. Quelle est elle? C’est
non poissance, ygnorance et concupiscence. Et par ceste trinité miserable est
deffaitte nostre trinité raisonnable, c’est assavoir memoire, entendement et
voulenté. »119
Selon Christine l’usage de la raison rétablira l’ordre dans le monde. Étudions la théorie de
Christine là-dessus de plus près. D’abord il faut constater que la raison a de l’importance
parce qu’elle encourage les vertus, selon Christine. Dans le Chemin la reine Raison a été
accompagnée par vingt dames, des vertus.120 Puis, la qualité importante de la raison est selon
116
L’Advision, p. 124.
Idem, p. 41.
118
Le Chemin, v. 2683-2686. Cf. les vers 2725-2730.
119
L’Advision, p. 139.
120
Le Chemin, v. 2515-2522: « Ainsi celle princesse vint / En sa chayere, et plus de .XX. / Nobles dames
environ soy, / (…) / ce furent toutes / Les Vertus, et de tel mesgnee / Est celle dame acompaignee. »
117
43
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Christine qu’elle n’accepte pas les méchancetés: « Raison, qui tout pechié exille ».121 Ceci fait
ressortir aussi que de l’usage de la raison résulte un bon comportement. Le passage suivant
confirme cette idée:
« (D)e ce entremettre
Moult voulentiers el (Raison) se vouldroit,
Qu’on se gouvernast plus a droit.
Et se pieça eust esté creue,
Ceste meschance si acreue
Ne fust mie, c’est chose voire.
Mais ne fu homs qui voulsist croire
Son conseil, quant au monde estoit
Et leur bien leur amonnestoit. »122
Cette qualité de la raison est essentielle parce que par cette qualité elle est « la maistrece / Qui
garist de toute destrece; ».123 En d’autres mots l’usage de la raison ne garantit pas seulement
la paix (voyez le passage cité aussi plus haut: « Et se pieça eust esté creue, / Ceste meschance
si acreue / Ne fust mie, c’est chose voire. »), elle ressuscitera aussi la paix (elle « garist de
toute destrece »). Finalement, de la fonction des personnes allégorique dans le débat ressort
aussi que la raison est la faculté qui peut résoudre le problème de la France. Car dame Terre
s’adresse à dame Raison pour améliorer sa situation déplorable. C’est dame Raison qui mène
le débat. C’est elle qui commande aux personnages allégoriques Sagesse, Noblesse, Richesse
et Chevalerie de trouver une solution pour la misère. La tache de Raison est donc d’être la
coordinatrice du projet de rétablir l’ordre et la paix sur terre. Toutes les quatre puissances
acceptent ce rôle et cette puissance de Raison, elles ne les discutent pas. Les quatre personnes
s’attaquent l’une l’autre, mais elles n’attaquent pas la position de dame Raison.
Résumons la théorie de Christine à propos de la paix dans les schémas suivants:
Non poissance / ygnorance / concupiscence ↔ Raison
121
Idem, v. 2602. Ailleurs dans le Chemin, dans les vers 5343-5345, Christine pose que « sens et bon
entendement / donne a homme le sentement / De soy plainierement congnastre ». Voilà peut-être la raison pour
laquelle Christine fait l’expression citée.
122
Ibid., v. 2716-2724.
123
Ibid., v. 2571, 2572.
44
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Raison → bon comportement → paix
Nous concluons donc que la raison est le moteur dans le projet de paix de Christine. La raison
est la condition nécessaire pour maintenir la paix. Elle n’est donc pas la finalité de Christine,
mais elle est plutôt le moyen de rétablir l’ordre dans le monde chaotique. La paix c’est le but
final de l’œuvre de Christine, ce qu’illustre encore la citation suivante:
« (P)aix est la plainitude de toute vertu et la fin et somme de toutes noz euvres
et labours. (...) sans paix ne pouons vivre deuement ne selon vertu. Et
doncques, puis que afin de avoir paix sont tous noz labours, (...) soit mise
toute peine que elle soit gardée entre nous, creatures raisonnables ».124
L’écriture de Christine constitue donc un moyen pour faire le bien. Christine est à la
recherche de voies pour sortir son pays de la crise. Déjà dans ses textes de la première période
elle cherche le bonheur de son pays. Le Livre de la paix est une preuve de plus de l’affection
ou plutôt du dévouement de Christine pour la France. Elle veut contribuer au moyen de ses
textes au perfectionnement du pays. Notre paisible Christine livre, pour ainsi dire, un vrai
combat pour la réalisation de la paix.
Terminons ce chapitre en disant que Christine s’intéresse à la raison pour des motifs
personnels et des motifs pacifiques. Christine se rend compte que c’est la raison qui l’a aidée
à surmonter la misère personnelle. La raison a joué un rôle constant dans sa vie personnelle.
Christine constate que la raison devrait aider aussi à tirer les Français et leur pays de la misère
publique. La raison qui était un porte-bonheur pour elle-même devrait l´être aussi pour
l’intérêt commun.
Il y a selon nous cependant une différence entre le Chemin et l’Advision d’un côté et le Livre
de la paix de l’autre côté. Tandis que Christine accentue encore les deux motifs pour l´usage
de la raison (donc aussi l’importance de la notion ‘raison’ pour son intérêt personnel) dans le
Chemin et l’Advision, l’usage du mot raison dans le Livre de la paix est exclusivement lié à la
paix ou au bonheur de son pays. Dans ce texte Christine s’intéresse complètement à l’intérêt
public. Comment expliquer cette évolution?
124
Le Livre de la paix, p. 117, 118.
45
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
À la fin du paragraphe 2.2.1 nous avons déjà fait des hypothèses à propos du fait que
Christine omet les remarques personnelles dans le Livre de la paix. Nous y ajoutons encore
quelques remarques. D’abord nous voyons que Christine se met de plus en plus à sa tache de
contribuer à la réalisation de la paix. Peut-être parce qu’elle s’est débarrassée un peu de sa
douleur personnelle. Deuxièmement les conséquences de la guerre sont de plus en plus
pressantes. Pendant l’écriture du Livre de la paix Christine a été touchée même
personnellement par les ennuis de la guerre. La situation l’a forcée à interrompre l’écriture de
son texte.125 Cette interruption après la première partie à cause de la guerre montre une fois de
plus que les conseils de Christine dans ses textes sont vraiment très actuels. Christine croit à
l’efficacité de ses textes. Elle trouve que la société a besoin d’elle.
En résumant, nous posons que la vie et l’époque de Christine peuvent expliquer l’évolution de
son usage de la notion ‘raison’ dans ses textes.
125
Cf. la note 37 de ce travail.
46
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
§ 2.3 Contributions à la réalisation de la paix
Dans ce paragraphe nous étudierons comment Christine de Pizan veut contribuer
concrètement à la réalisation de la paix.
Dans § 2.2.2 nous avons déjà vu que la raison est son arme dans le combat pour la paix.
Quelles sont les caractéristiques de cette arme? Nous avons démontré que la raison est pour
Christine à la base de la sagesse, de la prudence, de la sapience et de la science. Idéalement
l’homme raisonnable est donc une personne qui aime ces qualités. Au moyen de ces valeurs,
inséparablement liées, la raison peut maintenir et rétablir la paix sur terre:
« Se sappïence en ton cuer entre,
Et scïence se fiche ou centre
De ton ame, conseil plaira
A toy qui point ne te laira,
Et te conservera prudence
De toute mauvaise accidence. »126
La tâche de Christine de Pizan est donc de répandre la sagesse dans son public (§ 2.3.1). Pour
arriver à ce but il est cependant nécessaire que Christine dispose elle-même de cette valeur (§
2.3.2). Nous envisagerons l´étude du programme de paix dans l´œuvre de Christine donc
selon deux perspectives: son public et la réalisation du programme.
§ 2.3.1 Vita activa
Christine pose que raison, sagesse, science, prudence et sapience (les réalisateurs de la paix)
sont surtout importantes pour les princes. Les princes doivent servir comme des exemples
pour leurs sujets. Christine veut convaincre et engager les hommes politiques de choisir pour
la paix. Voilà ce que nous appelons la ‘vita activa’ de Christine. Elle prévient les princes des
dangers qui menacent le pays à cause des vices à la cour (comme nous avons vu dans le §
126
Le Chemin, v. 5427-5432. Cf. le Chemin, v. 5440, 5441: « sapïence est de concorde / La mere »; le Chemin,
v. 5059-5066: « Et que scïence plus louable / Soit qu’aultre riens et prouffitable, / Appert au commun cours du
monde. / Car tant qu’il dure a la reonde, / Se par ordre n’yert gouverné, / A confusion ert mené; / Ne sens ordre
ne peut durer / Nulle chose et riens endurer. »; le Chemin, v. 5229-5234: « C’est celle [la science] qui l’auctorité
/ A de droite proprieté / Par sa bonne conversion / De müer l’opperacion / De l’oeuvre imparfaicte et terrestre / A
la perfeccïon celestre. »
47
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
2.2.2), ce qui lui donne une position précaire vis-à-vis de la cour. Christine dépend en effet de
la cour, puisque les princes sont ses mécènes. Christine se rend bien compte de cette situation.
De plusieurs manières elle crée une position qui lui permet de s’engager.
D’abord elle ne cesse de souligner qu’elle agit dans une bonne intention, qu’elle vise au
bonheur de son pays. Dans l’Avision elle fait dire à dame Libera (qui représente la France):
« (M)ais pourquoy ne a qui dis je ces paroles, quant je sçay que n’en seray pas
creue? Car ne pourront entrer es corages adurcis: si comme on dit, le fol ne
croit jusques il prent. Mais habondance de voulenté le me fait dire comme
tendre mere a ses enfans. »127
En plus aux passages critiques succèdent des passages où elle accentue les bonnes actions des
princes. Dans le Livre de la paix, par exemple, elle adoucit sa critique par un éloge de Louis
de Guyenne pour son apport dans les négociations de paix. En soulignant les qualités des
princes, Christine veut les encourager à continuer leur bon travail. La critique de Christine,
c’est vraiment de la critique constructive.
Troisièmement Christine base ses textes sur des autorités: la bible et les œuvres classiques. En
fait ce n´est plus Christine qui s´exprime mais plutôt la sagesse ancestrale. Ce sont donc
Salomon, Aristote, Cicéron, et cetera, qui parlent. Ces sources renforcent l’autorité de ses
textes:
« (V)ueille ta tres belle jouvence un pou estudier et nocter, non mie parolles
qui sont neant, mais les beaulx dis des sages, tant ycy comme autre part
ramenteus, qui t’enseignent et demonstrent toutes choses propices et qui à
excercer t’appartiennent ».128
Le choix de ses figures allégoriques et mythologiques n’est pas non plus innocent. Dans la
dédicace du Livre du chemin de lonc estude Christine annonce:
« (M)oy, qui sans pratique
Le compteray par maniere poetique ».129
La Sibylle, le symbole du savoir, la guide dans le Chemin. La figure de dame ‘Sebille’ permet
à Christine de se distancier du discours. Dans ce même texte Christine est la messagère de
L’Advision, p. 48. Cf. le Chemin, v. 14: « Mais bon vouloir comme bon fait me vaille. » et le Livre de la paix,
p. 60: « l’escripture de ta servante et humble creature de bon vouloir meue et pure affection du bien de ta digne
personne ».
128
Le Livre de la paix, p. 176.
129
Le Chemin, v. 41, 42. Pour la signification du mot ‘poetique’ cf. la note 2 du Chemin.
127
48
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Raison, la fille de Dieu. Raison et ses compagnes, qui cherchent une messagère « Couvenable,
stilé et sage »,130 choisissent Christine. Il semble qu’elles ont fait un bon choix, parce que
Raison est contente de sa transcription du débat, ce qui veut dire qu’elle est satisfaite de
l’œuvre de Christine.131 Christine a donc l’approbation d’un personnage important.
« Raison, Emanation des göttlichen Willens, erteilt Christine den Auftrag, das
Gehörte schriftlich zu fixieren und an ein Publikum zu vermitteln. Ihre
Autorschaft ist also gottgewollt, der Chemin ein von Gott inspiriertes Werk. »,
lit-on dans Christine de Pizan in Text und Bild.132 Au moyen de son personnage Raison
Christine peut donc se légitimer. Ce qui est cependant plus important, c’est que ce personnage
accentue aussi l’intérêt du message de Christine.
Puis dans l’Advision Christine se cache derrière les paroles de dame Libera, un autre
personnage allégorique. En fait Christine n’est qu’un ‘témoin’ des mots accusateurs de dame
Libera. Cette instance supérieure la charge d’écrire son texte et de noter ce dont elle s’est
plainte. Cette tâche est pour Christine en même temps un « onneur » et une « charge ».133
Un autre personnage allégorique, à savoir dame Opinion, pose même qu’il n’y a pas d’erreurs
dans l’œuvre de Christine. À la page 88 elle dit à Christine:
« Car je te dis que non pour tant t´ay je blasmee de ce que prerogative de
honneur volz, comme je ay dit devant, donner a Fortune, et moy, comme je
soie principe, y oublias, faulte n´y a, non obstant que par moy maint s´en
debatent diversement ».
Il est évident que Christine utilise ces personnifications de l’Advision aussi pour se justifier.
Sa stratégie est de se présenter dans ses textes comme un personnage qui ne fait qu´écouter et
copier les mots d´autres personnages. De cette manière Christine peut formuler des critiques
et exposer ses idées sur son époque.
Il est intéressant de voir que Christine est plus directe dans son Livre de la paix que dans les
deux autres textes. Christine a abandonné les figures allégoriques. Elle a eu sans doute plus
d´autorité à cette époque, ce qui fait qu´elle n´a plus besoin de sa stratégie d’enrober ses
propos dans des allégories et de faire parler ses figures allégoriques.
130
Idem, v. 6278. Cf. v. 6288, 6289. Christine est donc assez fière de ses connaissances. Elle ajoute très
humblement que « Ainsi Sebile qui fu la / Sienne merci de moy parla, / Et plus louange qu’il n’affiert / En dist »
(le Chemin, v. 6299-6302).
131
Ibid., v. 6363-6369.
132
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 166.
133
Cf. l’Advision, p. 50.
49
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Mais quelles sont les idées politiques de Christine? Nous constatons qu’elle nous montre
plusieurs idées à propos de la situation politique de son pays dans ses textes.
D’abord Christine trouve que la discorde entre les princes ennemis de Bourgogne et d’Orléans
doit cesser. Les partis opposés doivent faire la paix, il faut la concorde dans le royaume. Dans
le Livre de la paix Christine compare la guerre civile avec un homme qui se démembre:
« Avisons quel forcenerie sembleroit estre veoir un homme tel atourné par
grant yre que il mesmes se veast à destruire, si comme se les dens esrachacent
sa propre char, les mains s’entreferissent grans coups, et tirassent à confondre
l’une l’autre les piéz, à frapper es yeaulx se estre puest, et ainsi tout le corps
fut en tel forcené mouvement contre soy meismes, certes, bien diroit on que
un tel seroit meu par grant desverie. Helas! N’est ce pas pareil de guerre
civille en une contrée ».134
Alors Christine conseille aux princes de se réunir de sorte qu’ils soient plus puissants envers
leurs ennemis, les Anglais.135
Deuxièmement Christine s´attaque dans ses textes au problème de la monarchie. Il est évident
que Christine est contre un gouvernement par le peuple:
« Et quant est de ce que aucuns pourroient dire que Romme sans seigneur bien
et bel jadis se gouvernast, je dis que non pas le menu peuple gouvernoit, mais
les nobles, si que en la cité de Venise font aujourdhui et tousjours ont fait bien
et bel et en acroissement de siegneurie, mais c´est par les anciens lignaiges de
bourgois notables de la cité, et s´appellent nobles et ne souffreroient pour
riens un de peuple aler à leurs consaulx. »136
Dans ses textes Christine pose que la monarchie représente, pour elle, la meilleure forme de
gouvernement. Un seul roi devrait gouverner le royaume de France, selon Christine, parce qu´
un tel état garantit la paix. Dans le Chemin elle décrit le monarque idéal. Christine espère que
la France aura encore une fois un roi comme Charles V (Christine a toujours loué ce roi pour
sa sagesse et sa justice). Dans le texte Christine compare le monde réel de discorde avec le
monde idéal de concorde et elle conclut qu´il faut trouver quelqu´un qui soit susceptible de
restaurer l´ordre. Christine fait un effort, mais elle ne donne cependant pas de solution
concrète dans son texte. Les personnages, à savoir Sagesse, Richesse, Chevalerie et Noblesse
font des propositions pour un roi unique, mais Christine ne prend pas de décision finale. Aussi
134
Le Livre de la paix, p. 135, 136.
Cf. le Livre de la paix, p. 118.
136
Idem, p. 132. Christine consacre une grande partie de la troisième partie du Livre de paix à ce sujet. Cf. p 124138. Elle nomme les désavantages du gouvernement par le peuple. Christine impute la misère pour une grande
part au peuple. À la page 89 du Livre de la paix Christine s´écrie: « et qui ne la menroit, voyant cesséz les
occisions, les grans cruaultéz, les ruines, les rebellions, l´orgueil de vile et chetive gent, le fol gouvernement de
menu et bestial peuple ». Cf. aussi la page 90 de ce texte.
135
50
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
la tâche de Christine est d´être la réceptrice du message et de le transmettre à la cour de
France. C´est cette cour qui doit prendre la décision:
« (A) la fin accordé
Se sont par communal acort
Quë ilz s´en mettront au recort
Des princes françois, dont la court
Est souveraine, et de qui court
Le renom par l´univers monde
De sens, d´onneur et de faconde,
De franchise, de grant noblece. »137
C´est donc un problème politique qui motive le texte. Pour Christine, la politique signifie
cependant surtout la science de se comporter bien. Christine cherche à apprendre à bien vivre
et à bien se tenir. Dans ses textes elle donne des exemples d´un bon comportement. Elle décrit
les caractéristiques d’un bon prince: un tel prince doit être sobre, mais généreux, il a un cœur
noble et il garantit la justice, il a de la patience, il est sage et il aime la science, et cetera.
Christine accentue l´intérêt de la sagesse à la cour. Elle prévient contre les conseillers qui ne
cherchent que leur intérêt personnel. Christine fait donc surtout de la morale dans ses textes
´politiques´. Selon Gianni Mombello:
« Chez elle [Christine], politique, morale et pédagogie se confondent et ce
sont même ces deux dernières qui paraissent primer. »138
Le programme de paix de Christine est donc plutôt moral que politique. Elle veut infléchir le
comportement des hommes à la cour. Voilà un troisième point essentiel dans le programme
´politique´ de Christine de Pizan.
En publiant ses idées politiques dans ses textes, Christine mène plus ou moins une ‘vita
activa’, parce qu’elle s´engage dans la politique de son époque. Nous ne voulons cependant
pas exagérer cette ‘vita activa’ de Christine, parce que Christine parle surtout de la ‘vita
activa’, mais son mode de vie c’est surtout la ‘vita contemplativa’. Passons donc maintenant à
ce mode de vie de Christine.
137
Le Chemin, v. 6258-6265. Christine s´adresse directement à Charles VI: cf. v. 38.
G. MOMBELLO, « Quelques aspects de la pensée politique de Christine de Pizan d´après ses œuvres
publiées. », Culture et politique en France à l´époque de l´humanisme et de la renaissance. Études réunies et
présentées par Franco Simone, Torino: Accademia delle scienze, 1974, p. 58.
138
51
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
§ 2.3.2 Vita contemplativa
Commençons par dire que la ‘vita contemplativa’ ne réfère pas seulement à la vie dans les
monastères des ordres religieux. Stefan Swieżawski nous fait comprendre que cette notion
renvoie aussi à la vie consacrée aux études:
« Le développement des universités favorise la naissance d’une nouvelle
conception de la contemplation: celle de la vie consacrée aux études. (...) la
vie contemplative ne serait pas exclusivement réservée aux religieux. De
nombreux chrétiens veulent s’adonner à l’étude et à une réflexion
systématique (vita speculativa sive studiosa). »139
Alors est-ce qu’il y a un mode de vie qui s’attache mieux à la vie de Christine que cette ‘vita
contemplativa’? Christine elle-même nous donne sa réponse:
« Adonc cloy mes portes, c’est assavoir mes sens, que plus ne fussent tant
vagues aux choses foraines, et vous happay ces beaulx livres et volumes et dis
que aucune chose recouvreroie de mes pertes passees ».140
C’est cette vie consacrée aux études qui lui plaît beaucoup:
« Aprés ces choses, comme ja fussent passez maiz plus jeunes jours et aussi la
plus grant partie de mes occupacions foraines, revins a la voie qui plus
naturelment me plaisoit, c’est assavoir solitaire et quoye. »141
Christine se consacre à ses études pour réaliser son programme de paix. Pour la construction
de son message Christine prend trois voies, à savoir:

la voie du passé: les ´auctoritates´

la voie du présent: l´expérience

la voie du futur: l´astrologie
La voie du passé: les auctoritates
Christine se tourne très souvent vers le passé pour trouver des passages exemplaires pour son
public. Elle se plonge dans des sources livresques, comme, par exemple, les commentaires sur
139
S. SWIEZAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle, Beauchesne, 1990, p. 189.
L’Advision, p. 110.
141
Idem, p. 107.
140
52
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
la bible. Les commentateurs142 de la bible notent trois aspects du texte de la bible: la lettre
(littera), le sens (sensus) et la sagesse (sententia).143 Christine s’intéresse, selon nous, surtout à
la sagesse. Nous répétons que le mot ‘sage’ indique à l’époque un savoir-faire et une
expérience.144 Christine cherche d’un côté des passages dont son public peut tirer des leçons à
suivre,145 de l’autre elle cite des passages contenant des messages avertisseurs par lesquels
elle avertit le royaume français des dangers:
« (L)es tieuxtes des saintes Escriptures, que nyer ne pouons et ou n’a
mençonge, nous doivent a tout le moins estre fondement de paour et de petite
asseurance, et aussi les veritez des vraies histoires approuvees. Qui me
gardera doncques de trembler quant je congnois que la justice de Dieu riens ne
passe sanz punicion et je voy les occasions d’inconveniens courir toutes
communes. »146
Christine donne aux princes de France les exemples des rois David, Nabuchodonosor,
Balthasar et le roi de Ninive. Christine a donc plein d’exemples bibliques qui doivent avertir
ses lecteurs. Dans le Livre de l’advision Cristine Christine en dit: « N’ont doncques les miens
assez example d’eulz repentir? »147 Or, il est donc important selon Christine de connaître les
exemples du passé.
Christine ne se limite pas seulement à des sources bibliques pour acquérir de la sagesse, elle a
beaucoup d’autres sources. À côté de ses sources chrétiennes elle a ses sources ‘païennes’ (la
philosophie grecque et romaine). Christine lit aussi les livres des Anciens pour en tirer ce dont
elle a besoin pour augmenter sa sagesse personnelle et en plus pour améliorer son
argumentation en transmettant cette sagesse à son public. Son regard sur la société a donc
également été influencé par les Anciens. Christine apprend des Anciens une certaine
expérience de la vie. Les Anciens peuvent servir d’exemple pour les pieux, selon Christine.
Augustin, un des grands exemples de Christine, a propagé cette même opinion.148
142
Christine réfère par exemple à Chrysostome et à saint Augustin, ce que montrent les citations suivantes:
« Mais bien dit voir Crisostome quant sur l’Epistre saint Pol aux Hebrieux il dist » et « Et ad ce propos ne dit
saint Augustin sur le .XXIe . pseaulme » (l’Advision, p. 130, 119).
143
Cf. M. SOT, (dir.), Histoire culturelle de la France I: Le Moyen Age, Éd. du Seuil, 1997, p. 156.
144
Cf. la note 90 du § 2.1.
145
Par exemple l’histoire du roi et du peuple de Ninive, l’Advision, p. 48.
146
L’Advision, p. 41.
147
Idem, p. 49.
148
Augustin leur reconnaît une prescience des vérités fondamentales du christianisme. Cf. A. Augustinus, De
stad Gods (in haar begin en voortgang bevattende eene Verhandeling over Gods Kerk of de Stad Gods; alsmede
eene Verdediging der Christelijke Religie tegen de dwalingen en lasteringen der Heidenen en andere vijanden;
op vele plaatsen met voortreffelijke historiën vermengd; beschreven door den kerkvader Aurelius Augustinus),
J.P. Van den TOL, 1979, p. 169, 250, 251.
53
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Christine qui désapprouve par exemple la luxure, ne trouve pas seulement le soutien de saint
Matthieu, mais aussi celui des Anciens. Ainsi Christine dit:
« Saint Jerome en son premier livre
Sus l’Evvangille que nous livre
Saint Mathieu, dit que ycellui
Si est plus serf que aultre nullui
Qui ses richeces tient et garde,
Car comme serf en a la garde; »149
Les Anciens ont aussi souligné cette servitude à la richesse:
« Et que tieulx richeces on doye
Desprisier, (…)
Car toutes plaines les leçons
En sont des sages ancïens,
Qui les repputoient lïens
De servitude a creature. »150
Christine emprunte beaucoup d’idées aux œuvres classiques. Elle n’a pas du tout l’intention
de montrer de nouvelles idées ou d’être originale, ce que montre bien ce passage intéressant
du Livre de la paix:
« (L)es beaulx dis des sages, (...) desquelles, pour ce qu’en plusieurs livres et
volumes ça et là sont dispers, ay cueilli partie afin de tout ensemble estre veu
plus legierement, et encores en epiloguant et concueillant en brief sur les
maitres passées et dictes cy devant, afin du mieulx retenir. »151
Christine sert donc de relais pour la transmission du savoir. Elle énumère ses connaissances
des textes classiques de manière didactique. Cependant elle plie les sources à son propos. Car
c’est Christine qui fait le choix des textes et des arguments qui lui sont propices pour son
programme pour la paix.152 Ses livres sont des manuels moraux pour son public.
149
Le Chemin, v. 4885-4890.
Idem, v. 4743-4749.
151
Le Livre de la paix, p. 176. Dans l’Advision Christine se sert aussi du verbe ‘cueillir’ pour indiquer son
emploi des sources: « (S)i comme oudit livre de Boece je prouvay par sa bouche; et les fleurs d’icelui je ay
cueillies et appliquees yci a ton propos pour faire d’une sorte ung gracieux chapel avec les ditz des sains docteurs
pour ton livre a la fin comme victorieux couronner. » (p. 136).
152
« Il ne faut pas voir dans cette démarche une soumission de la pensée, mais plutôt une recherche triomphante,
une façon de s´affirmer qui va de pair avec les exigences d´un livre unique », pose Van Hemelryck dans T. VAN
HEMELRYCK, « Christine de Pizan et la paix: la rhétorique et les mots pour le dire », Au champ des
escriptures: IIIe Colloque international sur Christine de Pizan, Lausanne, 18-22 juillet 1998, éd. E. Hicks,
Honoré Champion, 2000, p. 681.
Paupert a fort raison de décrire l’écriture de Christine de Pizan comme suit: Lecture - écriture - réécriture invention d’une écriture personnelle. Cf. A. PAUPERT, « Christine et Boèce. De la lecture à l’écriture, de la
réécriture à l’écriture du moi », Contexts and continuities: Proceedings of the IVth International Colloquium on
150
54
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
La voie du présent: l’expérience
Christine ne se tourne cependant pas seulement vers le passé pour acquérir de la sagesse et
pour trouver des passages qui pourraient prévenir son public. Christine souligne qu´il est
important aussi de se rendre compte de ce qui se passe autour de soi. Elle-même mentionne
les conflits de son époque, dont les conséquences lui font peur. Christine sent pour ainsi dire
les menaces et les dangers de son époque. Dans l´Advision elle écrit qu´il y a un silence
menaçant dans son pays:
« Et de tant comme plus il les retarde [Dieu qui ´retarde´ les punitions], de
tant plus grant paour avoir devons, tout ainsi comme de l’archier: de tant
comme plus il retarde a fraper tendis que fort il tire la corde, de tant fiert il
plus grant coup quant il assene. »153
Christine prévient donc ses compatriotes de tirer des leçons du temps actuel et du passé récent
et elle leur dit de se convertir pour éviter plus de punitions. Elle croit que, si la situation ne
change pas, les punitions seront encore plus graves dans un avenir proche. Dans le Livre de
paix Christine dit à son public de regarder tout simplement autour de soi et d´apercevoir la
situation pénible du pays:
« Or, pensons un petit, à voir dire, que ce eust esté à veoir en assemblée de
mortelle bataille, si comme on y taschoit tous les jours et chacune heure, tant
de princes et nobles hommes tous d´un meismes corps et soubz un chief de
souverain seigneur eulx entre-occirre et perir piteusement par le douleureux
entregiet de fortune en la maison de mesheur. »154
Christine est donc une moraliste pratique. L´empirisme joue un rôle important chez elle, ce
que nous prouverons encore au moyen de quelques citations:
« et meismes l´experience en noz aages le nous aprent »
« Et que ceste sentence soit vraie, le nous aprent l´experience des choses de
nouvel passées. »
« si comme il (Saluste) dit et experience le nous certiffie »
Christine de Pizan (Glasgow 21-27 July 2000), T.III, Éd. A.J. Kennedy, etc., University of Glasgow Press, 2002,
p. 645-662.
153
L’Advision, p. 43.
154
Le Livre de la paix, p. 135. Cf. aussi p. 89 de ce texte: « les infinis maulx et detestables tourmens qui ont
couru trop pires que oncques mais ceste present année ».
55
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
« et qu´il soit vray (ce que dit l’autorité) le nous aprent pure experience. »
« si que le tesmoigne l´Euvangile et mesmement la present experience. »155
Christine croit que l´expérience et l´étude de ses sources lui permettront de trouver des
solutions pour des problèmes qui concernent tout son pays. Ce sont ces qualités aussi qui l´ont
aidée à surmonter sa tristesse personnelle. Christine veut donc transmettre ses expériences
personnelles dans un système général. L´Advision nous montre très bien ce parallèle: la
première partie contient les problèmes du pays, tandis que dans la deuxième partie il s´agit
des misères personnelles de Christine. La dernière partie contient finalement une solution aux
deux types de problèmes.
L´expérience est donc, selon Christine, nécessaire pour être capable d’analyser des problèmes
et d’y trouver une solution. Bärbel Zühlke appelle cette expérience de Christine ´la sagesse
pratique´ de ses textes:
« Das Material besteht in einer Mischung aus theoretischem und praktischem
Wissen - den Lektüreerfahrungen und den Lebenseindrücken Christines. »156
Chez Christine la transmission de la sagesse passe par la connaissance du monde. Elle veut
transmettre ses expériences de la vie, tout comme ses connaissances des commentaires sur la
bible et des textes anciens, à son public.
Christine continue même d´avertir son public pendant une période de paix. Ainsi elle dit au
prince dans le Livre de la paix que, pour maintenir la paix et la garantir à l’avenir, il lui suffit
de penser à la situation récente de guerre et de misère. Le prince doit donc tirer une leçon:
« Te sont doncques necessaires deux choses par especial afin que le bien de
paix soit tousjours avec toy: l´une est avoir à memoire sans oubly et devant les
yeulx le mal qui vient par guerre et bataille ». 157
Si on étudie les citations citées plus haut (voyez la note 155) dans leurs contextes, il nous
semble que l´empirisme de Christine sert surtout à souligner la sagesse tirée des sources. Le
155
Idem, p. 143, 133, 92, 79, 92.
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 94.
157
Le Livre de la paix, p. 92.
156
56
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
présent ou bien le passé récent prouve, selon Christine, que les évènements du passé se
répètent.
Passons maintenant à la dernière voie de la ´vita contemplativa´ de Christine de Pizan, qu´elle
prend pour accéder au savoir.
La voie du futur: l´astrologie
Nous avons vu jusqu´ici que la faculté ´raison´ de Christine lui est utile dans ses études des
livres des Anciens et dans l´apprentissage à partir de ses expériences personnelles. Dans ses
textes nous découvrons un nouveau champ d´études. Christine, retirée dans son cabinet
d´étude, s´intéresse aussi à l´astrologie. Dans ses textes elle consacre beaucoup de passages à
ce domaine. Surtout dans le Livre du chemin de lonc estude Christine décrit largement les
astres. Elle consacre plus de deux cents vers à ce sujet.158 Accompagnée de la Sibylle,
Christine monte au firmament. Christine est très contente de cette proposition de la Sibylle. 159
Il faut dire que Christine ne fait pas de remarques scientifiques sur l´astrologie dans ses livres.
Elle n´a que des connaissances globales en matière d’astrologie. Elle énumère les noms des
planètes, leurs positions et leurs effets. Christine se rend compte de ses connaissances
rudimentaires de cette science, ce que montre le passage suivant:
« Je ne pense pas a parler,
Car ne m’appartient a mesler
Des jugemens de tel clergie,
Car scïence d’astrologie
N’ay je pas a l’escole apprise;
Si en pourroie estre reprise;
Mais de ce qu’en general vis
Puis compter qu’il m’en fu avis. »160
Vu la quantité de vers sur l’astrologie on dirait que Christine de Pizan attache donc beaucoup
d’importance à cette science. Le fait qu’elle rattache l’astrologie à la philosophie souligne une
fois de plus que Christine reconnaît la valeur de l´astrologie, ce que montrent les vers
suivants:
« Or, t´ay je [la Sibylle] tout le voir appris
158
Le Chemin, v. 1781-2030.
L´intérêt de Christine pour l’avenir et pour la prophétie s´exprime aussi dans le fait que Christine est
accompagnée d´une Sibylle sur son chemin d’étude. Les sibylles prédisaient l’avenir au moyen d’oracles dans
l´Antiquité.
160
Le Chemin, v. 1849-1856.
159
57
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
De ce beau lieu et du pourpris
De la fontaine de clergie,
Ou l´en apprent astrologie;
Et Philosophie y repaire ».161
Ce lien est significatif, parce que la philosophie est au sommet de toutes les sciences au
Moyen-Âge.
Pourquoi est-ce que Christine se fixe tellement sur l´astrologie? Essayons de répondre à cette
question. Commençons par répéter que l’astrologie était un des domaines scientifiques de son
père.162 C’était l’astrologie qui a rattaché Thomas de Pizan - et indirectement donc Christine à la cour de France. Thomas de Pizan était astrologue à la cour de Charles V. Christine a donc
un lien personnel avec cette science. Une des sources de son savoir astrologique était sans
aucun doute son père. Nous supposons que son père l’a mise en contact avec les
connaissances élémentaires de l’astrologie pendant sa jeunesse.
Deuxièmement l’astrologie était une science respectée à son époque. Au XVe siècle on
s’intéressait énormément à l’astrologie.163 Cette position de l´astrologie a encore été renforcée
par l´acceptation d´Aristote comme philosophe.
À notre avis ces motifs ne suffisent pas à expliquer l’intérêt que Christine porte à l’astrologie.
Nous croyons que Christine a un motif spécial pour lequel elle est passionnée pour
l´astrologie. Selon nous, ce domaine scientifique l´intéresse surtout parce que l’astrologie
c´est la science de l´avenir. Un astrologue pouvait prédire l’avenir. Il interprétait et déchiffrait
des signes. Comme la France est en état de guerre et de maladies, il n’est pas étonnant que
Christine soit curieuse de savoir ce qui se passera dans l’avenir (peut-être que l’avenir
amènera un peu plus de bonheur) et par conséquent l’intérêt pour l’astrologie de Christine est
logique. Aussi faut-il voir, selon nous, dans l’intérêt que Christine porte à l’astrologie plutôt
un intérêt pour l’avenir de l’homme, de la France et du monde, qu’une passion pour le savoir
astrologique proprement dit. Cette thèse correspond tout à fait avec la description de Stefan
Swieżawski du terme ´astrologie´ au Moyen-Âge:
« Ce qui intéresse les astrologues, à la différence des astronomes, ce n’est pas
seulement la connaissance des phénomènes du cosmos, qui suppose la
connaissance de l’astronomie, mais c’est surtout leur relation quo ad nos,
c’est-à-dire l’influence des puissances célestes sur l’homme et son
environnement. »164
161
Idem, v. 1089-1093.
En Italie le centre principal de l´astrologie se trouve à Bologne. En cette ville Thomas de Pizan a fait ses
études.
163
Astrologie et astronomie ne sont pas nettement distingués à l´époque.
164
S. SWIEZAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle, Beauchesne, 1990, p. 266.
162
58
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Christine se prononce souvent sur se qui se passera à l’avenir. Elle suggère que ses propres
écrits sont prophétiques. Le mot ‘advision’ dans le titre du Livre de l’advision Cristine
l´indique déjà. Puis à la première page de ce texte Christine écrit:
« Et comme tost aprés, mes sens liez par la pesanteur de somme, me survenist
merveilleuse advision en signe d’estrange presage. »
Christine base ses prévisions sur ses sources.165 Elle intègre dans ses textes les prédictions qui
ont été faites dans le passé par les Anciens, les Pères de l’Église et les personnages bibliques.
Nous donnons un exemple, pris de l´Advision:
« Ha! Bien prophetiza le temps que je voy et le lieu ou tu es en ses proverbes
Salomon, .XXXme. chappitre ».166
Christine utilise donc la raison, la faculté la plus importante pour l’étude, pour tirer des leçons
des prophéties qu´elle trouve dans ses sources. Ces prophéties lui apportent de la sagesse. Or,
nous croyons que Christine se plonge surtout dans la matière de l´astrologie, parce qu´elle
croit à l´utilité de l´astrologie pour la prophétie.
Il est intéressant de voir que Christine est toujours orientée vers l’homme, sa place et sa tâche
dans la société. L’intérêt de Christine pour l´amélioration de l’humanité est primordial et
omniprésent dans ses livres. Il fait qu´elle se tourne au passé, au présent et à l´avenir pour
acquérir de la sagesse pratique. Dans le Livre de la paix Christine conseille ses lecteurs de
faire la même chose dans la vie de tous les jours:
« (L)’une est prepenser les choses passées ès semblables cas et y prendre
exemple; la ii.e, le temps avenir pour y pourveoir; et la iii. e, l’estre du temps
present pour bien se disposer. » 167
L’Advision, p. 41: « Ceste figure me fait doubter grans perplexitez a venir ains le reparement de ma ruine.
(…) Et se sur ce croire n’en voulons des anciens les prophecies, si comme Merlin, les Sebilles, Joachim et mains
autres qui nous dient tout plainement les advenemens de noz adversitez et trebuchement (...) ».
166
Idem, p. 38.
167
Le Livre de la paix, p. 67. Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V confirme que la sagesse
est liée au présent, au passé et à l’avenir chez Christine. À la page 179 de ce texte Christine définit la véritable
sagesse comme suit: « tout ordre de vie bien menée, justice, droit et equité à chascun faire, memoire du temps
passé, pourveance sus cellui à venir, arroy ou present, et Paradis en la fin. »
165
59
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
On voit par ce qui précède que le mode de vie de Christine de Pizan ne se limite pas à la ‘vita
activa’ ou la ‘vita contemplativa’. Christine participe à toutes les deux. Son mode de vie est
un mélange d’une vie consacrée à la sagesse et la dévotion et d’une vie d’engagement
politique. Christine souligne l’importance de la ‘vita contemplativa’. Cette vie mène, selon
elle, à une meilleure société, une société qui vit en paix. La ‘vita contemplativa’ a donc des
conséquences positives pour la vie politique, la ‘vita activa’. Christine utilise en effet ses
études pour sa contribution à la réalisation de la paix. Elle a donc un esprit pratique. Ses
études ont un but précis, ce que montrent les vers suivants:
« Car ton delit est de courir
Par ces beaulx lieux; il te souffit
Que ton sens en ait le prouffit. »168
Les études de Christine visent donc complètement à l’amélioration de la ‘vita activa’. Elle
veut faire connaître aux autres les moyens de mieux vivre. Cette ‘vita activa’ influence à son
tour la vie passée dans le cabinet d’études. Car de bonnes conditions politiques permettent à
Christine d’étudier (ou bien de mener sa vie contemplative).169 Dans une situation de paix,
elle n’a plus à s’inquiéter pour les dangers qu´entraîne la guerre. De cette manière les deux
modes de vie dépendent donc l’un de l’autre. Ils sont, selon nous, indissolublement liés dans
la vie de Christine.
Nous touchons ici à la question qui se pose très souvent dans les études autour de Christine de
Pizan, c’est la question de savoir si Christine peut être appelée un des premiers humanistes en
France, à cause de son intérêt porté à la raison et aux œuvres antiques. Ce que je voudrais
tenter, à la fin de ce chapitre, sera une synthèse à partir de quelques recherches sur
l’humanisme à la fin du Moyen-Âge par rapport à Christine de Pizan.
Constatons d’abord que la notion ’humanisme’ a été définie de plusieurs manières. Jacques
Lemaire l’a définie, par exemple, de manière suivante:
« (L)’humanisme est une attitude intellectuelle qui se caractérise par une
affirmation de l’homme en tant qu’individu, par une exaltation de sa liberté
face aux autorités et par un goût particulier pour le beau, notamment pour le
beau langage et la rhétorique classique, nécessaire au bon orateur, ainsi que
pour la nature, considérée d’un point de vue esthétique; cette attitude “prend
sa source dans une assimilation approfondie de la culture antique, que les
représentants littéraires du mouvement entendent égaler, ou même
dépasser” ».170
168
Le Chemin, v. 974 - 976.
Cf. la note 37.
170
Cf. M. SOT, (dir.), Histoire culturelle de la France I: Le Moyen Age, Éd. du Seuil, 1997, p. 260.
169
60
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
Cette définition est une définition de l’humanisme dans sa forme la plus achevée. Si on prend
cette définition de façon très stricte il sera difficile de trouver au Moyen-Âge un vrai
humaniste.
Dulac et Reno signalent dans leur article plusieurs caractéristiques de l’humanisme chez
Christine de Pizan. Elles indiquent son intérêt porté à la situation de la femme et plus
précisément l’accent mis sur sa propre personnalité (les éléments autobiographiques). Selon
Dulac et Reno, Christine est donc en partie une ‘pré humaniste’ à cause de sa féminité.
Ensuite elles soulignent son retour aux œuvres antiques et son attachement au concept de la
‘translatio studii’.
À part de ces caractéristiques humanistes il y a, à notre avis, des indices qui montrent, tout au
contraire, l’influence de la scolastique sur l’œuvre de Christine.
D’abord on retrouve dans la manière de travailler de Christine et dans ses textes la structure
profonde du raisonnement scolastique. Selon Swieżawski171 la tradition scolastique connaît
trois fonctions de l’intellect de l’homme. D’abord la formation des idées. Puis la jonction des
idées dans les jugements. Finalement la jonction des jugements dans le raisonnement. Si on
compare ces fonctions avec la construction des textes de Christine on voit, à notre avis, des
aspects comparables. Chez Christine on les retrouve de manière suivante: la formation des
idées à partir de la lecture des sources - un jugement des idées de ces sources (Christine
choisit ce dont elle a besoin pour son argumentation) - et dernière étape: - l’ajout de ces idées
dans son raisonnement en faveur de la paix.
En plus il ne faut pas oublier que Christine porte plus d’intérêt aux contenus des textes
antiques qu´à leurs formes. Ce fait montre aussi plutôt l’influence de la scolastique que celle
de l’humanisme. Nous appuyons cette idée sur les mots de Le Goff à propos de la forme et le
fond:
« Pour les humanistes la première (la forme) est tout, pour les scolastiques elle
n’est que la servante de la pensée. »172
Les œuvres antiques sont importantes pour Christine pour leurs contenus. Ce ne sont pas la
forme ou les éléments esthétiques (un beau langage ou la rhétorique) qui comptent. Il s’agit
plutôt de la sagesse pratique des textes. Nous avons déjà démontré que la notion ´sagesse´
signifie surtout un savoir-faire pour Christine (voyez le § 2.1, la note 90). C’est pour la même
171
172
Cf. S. SWIEZAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle, Beauchesne, 1990, p. 113.
J. LE GOFF, Les intellectuels au Moyen Age, Éd. du Seuil, 1962, p. 179.
61
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
raison que Fourrier dans l’Humanisme médiéval dans les littératures romanes du XIIe au XIVe
siècle rejette le caractère humaniste des travaux de traduction à la cour de Charles V. Selon lui
le roi Charles V ne s’intéressait que pour les textes qui avaient un caractère pratique. C’est la
vertu civique des Anciens qui inspirait le roi. Les travaux à la cour avaient surtout des buts
pratiques et politiques (et pas spécialement des buts culturels ou esthétiques), selon
Fourrier.173 Selon lui l´humanisme comprend trois composantes: la recherche philologique, la
jouissance esthétique et le perfectionnement moral. En comparant le retour aux textes anciens
en France avec celui en Italie il conclut que - contrairement à l´Italie - il s´agit en France pas
vraiment de la forme d´un texte ancien:
« On y a [en France, XVe siècle] partout traduit les anciens pour répondre à un
besoin d´information technique ou de perfectionnement moral; le souci de la
forme est absent. »174
En effet Christine de Pizan vise aussi surtout à un ‘perfectionnement moral’ dans l’usage de
ses sources.
Bref, par ce qui précède on peut conclure qu’on peut trouver à la fois des traits humanistes et
scolastiques dans les textes de Christine. Observons, par exemple, encore une fois les deux
perspectives du paragraphe 2.2. Dans la première partie de ce paragraphe nous avons vu que
Christine utilise la raison et l’étude pour son plaisir personnel. La recherche de Christine est
en effet en partie une nécessité intérieure. Elle est une écrivaine solitaire (nous avons décrit
l´image de Christine dans son cabinet d´étude entourée de ses livres). Cette passion pour
l´étude peut être utilisée comme argument pour prouver l’humanisme chez notre auteur. C’est
pour cette raison entre autres que Bärbel Zühlke appelle Christine de Pizan une
‘frühhumanistische Intellectuelle’. Nous la citons:
« Insbesondere der Anspruch auf Ruhm in der Nachwelt, die Hervorhebung
ihrer Vorliebe für das studium der Wissenschaften und der Literatur sowie die
wiederholte Betonung ihrer Wißbegierde sind als humanistische Züge der
Selbstdarstellung Christines zu werten. »175
À cette opinion on peut faire l’objection que pour Christine le renom personnel n’est pas
vraiment une fin en soi, mais plutôt un moyen pour atteindre son but final, à savoir la
173
A. FOURRIER, L´humanisme médiéval dans les littératures romanes du XII e au XVe siècle: colloque
organisé par le Centre de Philologie et de Littératures romanes de l´Université de Strasbourg du 29 Janvier au
2 Février 1962, Klincksieck, 1964, p. 232.
174
Idem, p. 246.
175
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 201.
62
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
réalisation de la paix (que nous avons présenté dans le § 2.2 comme le deuxième motif de
Christine de l’usage de la notion ‘raison). C’est la prospérité de la France qui compte et qui
est en fait plus importante aussi que son plaisir personnel pour l’étude. Quand on compare les
textes de la première période avec le Livre de la paix, il semble que ce bonheur de son pays a
même de plus en plus d’importance pour Christine. Nous avons déjà constaté plus tôt que ce
dernier texte ne contient plus beaucoup de remarques personnelles.176 S´il faut croire le
passage suivant dans le Livre de la paix le bonheur de son pays est même le seul but de
Christine de Pizan:
« (C)omme tous mes motifs soient, et se scet Dieux, afin de tirer à paix et tout
bien et eschever guerre ».177
Or, le fait que certaines gens appellent Christine une humaniste et que d’autres la placent
plutôt dans la tradition scolastique est, selon nous, dû au fait qu’ils mettent des accents
différents sur l’œuvre de Christine. Le premier groupe accentue plutôt son plaisir pour
l’étude, son regard sur le métier d’écrivain, son sentiment de l’individualisme et son retour
aux sources anciennes, tandis que les autres réfèrent à l’utilité pratique des sources anciennes
et au raisonnement scolastique des textes de Christine. Pourquoi voir cependant dans la
personne de Christine de Pizan à toute force une des premiers humanistes ou pourquoi
accentuer seulement sa tradition scolastique? Nadia Margolis a relié, à juste titre, les deux
notions ‘humanisme’ et ‘scolastique’ en posant qu’il y avait deux humanismes au Moyen-Âge
tardif: un humanisme plutôt scolastique en langue vulgaire et un humanisme en latin
classique.178 Dans Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle nous trouvons encore
le terme ‘humanisme civique’. Stefan Swieżawski décrit ce terme de manière suivante:
« Dès le XIVe siècle en Italie et au XVe dans toute l’Europe, naît le
programme de l’humanisme civique. Ce ne sont pas les liens littéraires,
scientifiques ou universitaires qui forment son universalisme, mais des
communautés de « bon citoyens ». (...) On met au premier plan l’intellect
pratique, la volonté et l’activité. La dignité et le caractère exceptionnel de
176
Cf. § 2.2.2.
Le Livre de la paix, p. 132.
178
Cf. N. MARGOLIS, « Culture vantée, culture inventée: Christine, Clamenges et le défi de Pétrarque. », Au
champ des escriptures: IIIe Colloque international sur Christine de Pizan, Lausanne, 18-22 juillet 1998, éd. E.
Hicks, Honoré Champion, 2000, p. 271. Cf. aussi A. FOURRIER, L´humanisme médiéval dans les littératures
romanes du XIIe au XVe siècle: colloque organisé par le Centre de Philologie et de Littératures romanes de
l´Université de Strasbourg du 29 Janvier au 2 Février 1962, Klincksieck, 1964, p. 246. Fourrier parle aussi
d’« un humanisme en langue vulgaire qui suit pas à pas les développements de l’humanisme latin. »
177
63
Chapitre 2: Raison: porte-bonheur?
l’homme s’appuient sur les vertus dont la plus haute expression est la vertu
civique. »179
L’humanisme civique est un terme très propice, selon nous, qui s’attache bien à Christine de
Pizan et son œuvre. Car les mots ‘bon citoyens’, ‘intellect pratique’, ‘volonté’, ‘activité’ et
‘vertu civique’ sont significatifs dans le programme de paix de Christine. Ils expliquent son
retour aux livres des anciens. Sous le couvert que des bons exemples résulte du bien et du
bonheur Christine propage d’analyser les livres des Anciens. L’humanisme scolastique et
l’humanisme civique sont donc deux termes qui tiennent comptent, selon nous, de tous les
aspects et de toutes les qualités de l’œuvre de Christine de Pizan.
179
S. SWIEZAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XVe siècle, Beauchesne, 1990, p. 116.
Swieżawski distingue plusieurs humanismes: l’humanisme universitaire, l’humanisme littéraire, l’humanisme
civique et l’humanisme mysticisant.
64
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Chapitre 3
Raison: porte-bonheur par excellence?
Nous avons conclu dans le chapitre dernier que Christine considère la raison comme très
précieuse pour son bonheur personnel et celui de son pays. C’est pourquoi elle souligne
l’importance de l’étude, de la progression dans le savoir et les sciences dans ses textes. Après
nous être livrée à l’analyse de la signification, de la valeur et de l’usage de la notion ‘raison’,
nous visons maintenant à étudier ce que fait Christine avec d’autres concepts de son temps.
Qu’est-ce que son intérêt pour la notion ‘raison’ signifie pour d’autres concepts? Est-ce que
‘la raison’ est pour Christine de Pizan la valeur la plus importante pour faire face aux
problèmes? Autrement dit: Est-ce que ‘la raison’ est un porte-bonheur par excellence?
§ 3.1 L’usage d´antithèses
Dans le Chemin Christine oppose à dame Raison (la puissance céleste et l’intermédiaire entre
le ciel et la terre) quatre puissances terrestres, à savoir dame Chevalerie, dame Noblesse,
dame Richesse et dame Sagesse. Ces quatre dames l’une après l’autre trouvent que leur propre
candidat est la solution pour la situation misérable sur terre. Elles proposent respectivement
un prince guerrier, noble, riche et sage. Nous avons déjà vu que Christine ne se prononce pas
clairement en faveur d’une des quatre dames. Ainsi elle dit:
« Mais pour abreger mon lengage,
Sans dire qui mieulx y lengage,
J’en diray trestout en un mont ».180
Christine prend donc une certaine distance des propos des personnages de son texte. Elle le
fait sans doute pour des raisons de sécurité et de modestie. Malgré cette stratégie Christine
nous fait connaître ses préférences en filigrane. Il est évident, selon nous, que dame Sagesse
180
Le Chemin, v. 3023-3025.
65
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
exprime les opinions de Christine. D’ailleurs il n’est pas étonnant que Christine, tout en
soulignant l’importance de la raison, préfère les mots de dame Sagesse aux mots des autres
dames. Dame Sagesse a bien sûr un lien fort avec dame Raison, ce qui ressort aussi de la
réponse de Sagesse à Raison:
« (M)a dame, comment
Me blasmez vous dont n’ay retrait
Le monde du mal ou il trait?
Et comment l’en peusse retraire,
Sans vous? »181
Dame Sagesse souligne donc qu’elle dépend de dame Raison et qu’elle ne peut pas
fonctionner sans elle.
Selon nous, il y a plusieurs indices qui montrent la supériorité de dame Sagesse aux autres
dames. D’abord dame Sagesse est la seule personne qui s’attaque vraiment au problème, posé
au début du livre, à savoir le désordre sur terre. Elle pose que son candidat sage enrichi des
connaissances philosophique (la sapience) aidera les gens à surmonter la misère:
« Par sapience gouvernoient
Yceulx, et pour ce en paix regnoient. »182
C’est dame Sagesse qui argumente que son candidat rétablira l’ordre et c’est là le but final de
Christine. Christine l’appelle au vers 3348 « Sagece la quoye ». Christine lie donc la valeur
‘paisible’ à la notion ‘sagesse’. Dame Noblesse et dame Chevalerie, au contraire, énumèrent
bien les qualités de leurs candidats, mais ces qualités n’ont rien à voir avec le problème du
désordre. Dame Richesse finalement était même la cause de la guerre, ce que montrent ses
propres mots:
« Je dis que le desir d’avoir
De mes biens et de mon avoir
(…)
Les [les gens qui amassent des richesses] faisoit aller de tous lez
Estranges terres conquerir.
C’estoit la fin de leur querir
Qu’ilz en fussent tous enrichis ».183
181
Idem, v. 2994-2998.
Ibid., v. 5115, 5116.
183
Ibid., v. 3875-3881. Cf. v. 4048, 4049 et v. 4055, 4056.
182
66
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Ce que dame Richesse appelle ici la qualité de son candidat, c’est exactement ce que Christine
a indiqué comme la cause de la guerre au début de son texte. D’ailleurs ce passage montre la
faiblesse du discours de Richesse, parce que ces paroles sont absolument le contraire de ce
qu’elle a dit plus tôt, quand on l’a accusée de rompre la paix. En effet aux vers 2904-2906
Richesse avait dit:
« Je ne met point gent a mesaise,
Ne ne les fais aller en guerre;
Mes gens ne veulent fors paix querre ».
Deuxièmement l’importance des mots de dame Sagesse a été soulignée par le nombre des vers
que Christine consacre au discours de cette dame en comparaison des autres dames. Dame
Sagesse utilise plus de deux mille vers, ce que nous montre le schéma suivant:
Premiers plaidoyers
Amplification du débat
Nombre de vers
v. 3481-3720
v. 3727-3838
v. 3844-4072
v. 4083-6078
318 vers
197 vers
300 vers
2092 vers
des dames
Noblesse
Chevalerie
Richesse
Sagesse
v. 3081-3158
v. 3170-3254
v. 3268-3338
v. 3353-3448
Dernièrement, ce qui frappe, c’est que dame Sagesse est la seule personne à qui on n’oppose
pas d’arguments. Les trois dames ne sont pas d’accord avec dame Sagesse, mais Christine ne
nous fait pas connaître leurs arguments. Elle se limite à dire qu’elles contredisent dame
Sagesse:
« (L)es autres .iii. grans princesses,
Qui moult furent poissans maistresses,
Sagece vouldrent contredire;
Leurs raisons en pristrent a dire
Devant Raison ».184
Sagesse (la dernière personne qui doit défendre son candidat), au contraire, attaque les
arguments faibles des démonstrations de ses prédécesseurs. De cette manière elle fortifie son
propre exposé. Le discours de Sagesse est aussi soutenu par beaucoup d’autorités, ce qui
rehausse l’importance de Sagesse. Les paroles des Anciens et des Pères de l’Église
184
Ibid., v. 6081-6085. Dans le vers 2793 Christine qualifie dame Richesse de « l’orgueilleuse ».
67
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
embellissent son discours. Des fois Christine reprend aussi presque insensiblement la parole
de dame Sagesse, ce qui fait que l´on ne sait plus, quelquefois, où s´arrête le discours de
Sagesse et où reprend celui de l´auteur.185
Nous constatons donc que dans le Chemin dame Sagesse est une partisane de Raison. Dame
Richesse, au contraire, est sa rivale. Dès le début de son texte Christine a dévalorisé la
richesse. Dans les vers 339-343 elle dit:
« Mais sur terre sont les meschefs;
Tous li mondes est empeschez
De guerres, et plus sont renté,
Tant mains aiment leur parenté
Et plus queurent sus l’un a l’autre ».
Ce passage nous montre bien la situation de son époque: les grands princes qui désirent de
plus en plus de territoires et de puissance. La notion ‘richesse’ est une notion qui est opposée
à la valeur ‘raison’ (le moteur dans le projet de paix de Christine). Pour cette raison il faut
donc détester la richesse.
Il nous reste maintenant à déterminer les positions de dame Noblesse et de dame Chevalerie.
Ces dames ont un statut ambigu. La noblesse de lignage et la chevalerie guerrière (telle
qu’elles sont présentées dans le Chemin) sont rejetées.186 Christine accentue que Noblesse et
Chevalerie fonctionnent seulement bien en combinaison avec Sagesse. Elles résultent même
de Sagesse. Car un homme sage aura un cœur noble (la noblesse de mérite). En plus il se
servira de ses armes pour défendre les faibles et l’Eglise (c’est la guerre juste, selon
Christine). La noblesse de mérite et la chevalerie charitable, ce sont donc des éléments de
valeur, mais elles ne fonctionnent pas sans Sagesse.
En fait malgré que Christine ne se prononce pas nettement en faveur du candidat de dame
Sagesse et malgré sa stratégie de construire donc un texte dont la fin reste ouverte, nous lisons
en filigrane que le candidat de dame Sagesse représente le meilleur prince selon Christine.
Dans l’Advision Christine utilise aussi des personnages allégoriques. Raison est une des trois
« vertus » (cf. p. 27, 28). Les autres sont Chevalerie et Justice (cf. p. 28). La dame couronnée,
dame Libera, les appelle « ses dames de compaignie » (cf. p. 27). À ces trois vertus Christine
oppose trois autres figures allégoriques, à savoir Fraude (p. 30), Richesse (p. 34) et Avarice
(p. 46). Il est évident dans ce texte que Christine a une préférence marquée pour les trois
vertus et qu’elle éprouve de l’aversion pour les trois vices. Christine l’exprime par exemple
185
186
Par exemple le passage où dame Sagesse réfère à Charles V (le Chemin, v. 5001- 5046).
Cf. le Chemin, v. 4216-4226 et v. 4427-4434.
68
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
dans les descriptions des physiques des femmes. Comparons les deux passages suivants, le
premier passage décrit le physique de Raison, le deuxième celui de dame Richesse:
« (Q)uelle divine beauté. (...) Le corps avoit droit, long et bien fait, et de la
beauté de son vis yssoit ung ray de moult grant resplandeur. (...) Ha! Quel
pitié de tel beaulté tenir couverte! »
« (U)ne dame vieille, pale, rechignee, maigre, seiche et de tres laide estature.
(...) Les ongles avoit longues, agues et crochues comme celles de griffon. » 187
Nous constatons que les contre-valeurs de Raison sont plus marquées dans l’Advision que
dans le Chemin. Le fait que l’Advision a été écrit deux ans plus tard que le Chemin pourrait
expliquer cette différence ou évolution. Les idées de Christine ont peut-être évolué ou elle a
pris plus d’assurance, de sorte qu’elle ose écrire de manière plus directe. En tout cas il était
moins dangereux d´attaquer des concepts, considérés universellement comme des vices,
comme elle le faisait dans l´Advision. Il en est autrement dans le Chemin où Christine parle
entre autres de la noblesse et la chevalerie (dans ce texte elle préfère la sagesse à la noblesse
de lignage et à la chevalerie!). Ces concepts délicats pour les hommes politiques de son
époque sont, il est vrai, à la base de la guerre interne et externe.
Dans notre troisième texte, le Livre de la paix, il est plus difficile de discerner les opposés de
la notion ‘raison’. Ce n’est pas compliqué du fait que Christine n’énumère pas de vices dans
ce texte, mais ces vices ne sont pas exclusivement antithétiques à la notion ‘raison’. Ils
s’opposent à toute une série de valeurs étroitement liées à la notion ‘raison’. Ainsi le terme
‘raison’ fait partie d’une chaîne de mots parents.188 La raison vient, selon Christine, de la
« discrecion » (cette faculté distingue le bien du mal). La raison mène, à son tour, à la
prudence, dont dépend la sapience (« principe est de tout savoir »).
Dans le Livre de la paix il s’agit dans la première partie surtout de la prudence. Dans les
autres parties Christine décrit les vertus dépendant de la prudence: justice, magnanimité, force
(deuxième partie), clémence, libéralité et vérité (troisième partie). Christine insiste sur ces
vertus et elle pose qu’il est contraire à la raison de ne pas pratiquer ces vertus. Par conséquent
la haine, la vengeance, l’envie, la cruauté, l’injustice, la tyrannie sont rejetées. Le passage
suivant illustre bien la façon dont Christine formule des antithèses dans le Livre de la paix:
« Doncques est chose aduisant à prince, si que assez est declairié dessus, estre
187
188
L’Advision, p. 28, 30.
Le Livre de la paix, p. 66.
69
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
clement, humain et debonnaire, et par consequent ne lui est cruaulté
pertinant. »189
Nous notons que dans ce texte, le Livre de la paix, écrit en 1412/1413, Christine abandonne le
plus souvent l’usage des personnifications pour indiquer des valeurs ou des contre-valeurs.190
Au contraire, Christine s’adresse directement au lecteur sans utiliser des personnages pour
exprimer ses propos.
Terminons en disant que l’importance de la raison implique une dévalorisation d’autres
concepts dans les trois textes que nous étudions. La prédilection pour la notion ‘raison’ est
renforcée par l’utilisation des antithèses pour cette notion. Elles sont plus ou moins les mêmes
dans les trois textes. Les vices que Christine énumère dans le Livre de la paix ont déjà été
rejetés dans le Chemin et l’Advision. Nous croyons que la différence entre les trois textes
consiste plutôt dans la manière de présenter les antithèses de la notion ‘raison’.
189
Idem, p. 143.
Il arrive parfois que Christine utilise encore la figure de style de la personnification. À notre avis elle le fait
seulement pour accentuer l’importance de la valeur ou pour faire passer plus facilement le concept
abstrait: « Discrecion qui est dicte mere et conduisarresse » (p. 66).
190
70
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
§ 3.2 La position de la foi vis-à-vis de la raison
Nous avons évoqué plus haut (§ 2.1) que le fonctionnement de la faculté ‘raison’ est, selon
Christine, indispensable, impartial et certain. Nous avons cependant aussi insisté sur le fait
qu’en étudiant la notion ‘raison’ dans des textes médiévaux il ne faut pas oublier la notion
‘foi’ (cf. § 1.2.2). C’est pourquoi nous étudierons maintenant la question de savoir si ‘la
raison’ est la valeur la plus importante dans les textes de Christine de Pizan ou si elle cède
cette place à ‘la foi’ (une valeur omniprésente et importante au Moyen-Âge). Dans ce
paragraphe nous essayerons d’éclairer ce point.
Dans le chapitre deux nous avons démontré la valeur de la raison dans les textes de Christine.
Nous avons constaté en effet que la raison est précieuse à Christine, parce qu’elle croit qu’elle
est porte-bonheur pour elle-même et pour son pays.
Nos conclusions du deuxième chapitre nous permettent de prendre comme hypothèse que la
raison est pour Christine de Pizan supérieure à la foi et que, par conséquent, Christine
abandonne les connotations augustiniennes du terme ‘raison’ (cf. p. 20).
§ 3.2.1 ‘Raison’ et ‘foi’, deux concepts importants
Plusieurs éléments dans les textes que nous étudions semblent soutenir notre hypothèse. Tout
d’abord le fait que Christine utilise des fois le superlatif pour exprimer la valeur qu’elle
attache à la raison. Dans le passage suivant, Christine, tout en référant à Aristote, prétend: «
l’entendement est le souverain des biens ».191 La citation suivante confirme encore cette idée:
« Il n’est ou monde plus grant bien - et toy meismes pas ne le me nyeras - que
cellui qui vient de l’entendement et qui le perfait en savoir, laquel chose fait
estude qui aprent science et experience de moult de choses. »192
En utilisant le superlatif pour désigner le registre de la raison, il paraît donc que Christine
trouve que la raison est une valeur plus importante pour l’homme que la foi catholique.
191
192
L’Advision, p. 75.
Idem, p. 123.
71
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Ensuite Christine relie souvent des éléments religieux à la notion ‘raison’. Elle transpose des
qualités généralement attachées à la foi à la faculté ‘raison’. Ainsi Christine qualifie la raison
de « royne du cuer » dans le passage suivant, où elle réfère à Sénèque:
« Quant la voulenté est obeissant à raison, adont la plus noble partie de
l’omme est dame et royne du royaume du cuer. »193
Christine désire donc que la raison dirige le comportement de l’homme. Nous soulignons
qu’au lieu de dire que Dieu doit être le Seigneur du cœur de l’homme Christine fait honneur à
la raison. Dans l´Advision Christine a déjà transmis le mot ´raison´ au registre de la foi. Dans
ce texte elle glorifie déjà la raison, ce que nous montrons par ce qui suit.
Dans l’Advision Christine pose que la raison est une unité, composée de trois qualités: la
‘mémoire’, l’‘entendement’ et la ‘volonté’. Puis elle compare ces trois valeurs avec la trinité
divine:
« Il est, ce dit encore saint Augustin en ung sermon, plusieurs trinitez, c’est
assavoir la trinité qui nous a fait, la trinité qui nous deffait, et la trinité qui
nous reffait. La trinité qui nous a fait, c’est la Trinité pardurable, le Pere, le
Filz et le Saint-Esperit. La trinité qui nous deffait, c’est une trinité miserable.
Quelle est elle? C’est non poissance, ygnorance et concupiscence. Et par ceste
trinité miserable est deffaitte nostre trinité raisonnable, c’est assavoir
memoire, entendement et voulenté. »194
Cette comparaison avec la trinité divine (du Père, du Fils et du Saint Esprit) nous montre bien
que Christine considère la raison vraiment comme très importante.
Un autre principe, originaire du domaine de la foi, que Christine attribue à la raison est la
qualité de garder les hommes de faire des erreurs et de faire du mal. Dans l’Advision Christine
affirme (au moyen des mots de dame Opinion) que la faculté raison préserve de commettre
une erreur.
« Si te conseil que ton oeuvre tu continues, comme elle soit juste, et ne te
doubtes d’errer en moy. Car tant que je [dame Opinion] seray en toy
[Christine] fondee sur loy, raison et vray sentement, tu ne mesprendras es
fondacions de tes oeuvres es choses plus voir semblables »,
193
194
Le Livre de la paix, p. 174.
L’Advision, p. 139.
72
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
lit-on dans ce texte.195 Il est intéressant de voir que dans ce passage Christine ne réfère pas à
la foi ou à la bible avec les mots de dame Opinion. Elle se limite à la loi, à la raison et au
sentiment. Il semble que Christine a donc utilisé dans ce passage la définition aristotélicienne,
caractéristique de la fin du Moyen-Âge, du mot raison, puisque elle ne nomme pas la foi
comme instrument pour éviter des erreurs. Le fait qu’elle ne réfère pas à la foi, qu’elle ne
prend pas la foi comme condition nécessaire pour la raison, semble indiquer une certaine
indépendance et supériorité de la raison vis-à-vis de la foi.
Selon Christine la raison garde l’homme donc même de pécher: « Raison, qui tout pechié
exille ».196 Elle chasse les obstacles sur la voie du bonheur. Dans ce même texte Christine
affirme que la science, par le moyen de la raison, crée un paradis. Nous citons pour illustrer
cela un passage du Chemin:
« C’est celle [la science] qui l’auctorité
A de droite proprieté
Par sa bonne conversion
De müer l’opperacion
De l’oeuvre imparfaicte et terrestre
A la perfeccïon celestre.
C’est celle qui peut le mortel
Faire müer en inmortel,
L’umaine et transitoire vie
En gloire parfaicte, assouvie. »197
Pour Christine la raison est une valeur exclusivement positive. C’est l’usage de la raison qui
mène (par le moyen de la sagesse, des sciences, de la sapience et de la prudence) à une
situation de paix. Christine défend que la raison (par la voie de la science) par sa perfection et
son infaillibilité198 donne lieu à une situation céleste sur terre. Voilà un dernier exemple qui
nous montre que Christine attache des qualités divines à la raison et que chez Christine la
raison prend régulièrement une connotation religieuse.
En somme, il semble que dans les textes de Christine la raison a une position autonome et
même supérieure à la foi. Il paraît que Christine néglige de temps en temps aussi bien dans le
Chemin et l’Advision Cristine que dans le Livre de la paix de subordonner la raison à la foi et
qu’elle utilise même des qualifications religieuses pour glorifier l’usage de la raison.
195
Idem, p. 89.
Le Chemin, v. 2602. Cf. aussi v. 5427-5432. Un autre exemple nous est fourni par le Livre de la paix, p. 117:
« veu nature humaine estre de soy encliné à tous vices là où discrecion et raison ne l’en garde ». Christine attend
donc beaucoup de l’usage de la raison.
197
Le Chemin, v. 5229-5238.
198
Cf. la note 77.
196
73
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Alors la notion ‘foi’ ne joue-t-elle pas de rôle dans les textes de Christine de Pizan? Est-ce
que Christine va si loin qu’elle ne réfère pas à la foi catholique? Nous répondons à ces
questions en remarquant que les sentiments religieux transparaissent dans toute l’œuvre de
Christine. Dans le Chemin Christine exprime, par exemple, sa dévotion pour les saints:
« Et ancor vouloye viseter
Le lieu ou il couvient monter,
Ou la vierge est tres honoree
Sainte Katherine aouree;
Car g’i os ma devocion
Et pour ycelle entencion
Sebille vers ce lieu m’avoye. »199
Puis dans la troisième partie de l’Advision l’auteur fait insister dame Philosophie auprès de
Christine de se tenir aux dogmes de l’église catholique.200 Finalement, la prière de Christine
dans le premier chapitre du Livre de la paix est un bon exemple pour illustrer l’intensité de la
foi de Christine:
« (T)res doulx Jhesu-crist, qui sies à la destre avec le saint esperit en la gloire
du Pere, nous te louons, nous te beneyssons, nous te gloriffions, rendant
graces de ce tres grant benefice à toy qui est notre vray Dieu, notre seul
createur, notre bon pasteur, juge tres juste, notre saige maistre, notre aydeur
tres puissant, notre phisicien secourable, notre clere lumiere, et notre vie. »201
Christine remercie Dieu dans ce passage du Livre de la paix, qui date de 1412, pour la
situation de paix dans son pays. Dans le même chapitre elle s’adresse à Dieu de manière
suivante: « (T)res doulx Dieux plain de bonté et infinie misericorde ».
Dans une période de guerre ou de menaces de guerre Christine passe des mots de
reconnaissance au thème de la colère divine à l’égard d’une humanité pécheresse. C’est un
thème qui revient sans cesse dans tous les trois textes. Notre auteur exprime donc un respect
profond envers Dieu et la foi catholique. Ces quelques exemples suffisent déjà, à notre avis, à
illustrer que Christine était une femme catholique attachée aux pratiques religieuses. S’il en
est ainsi il est alors difficile à croire que Christine subordonne la foi à la raison.
Cependant comment expliquer alors les arguments que nous avons donnés plus haut pour
soutenir notre hypothèse? Nous avions en effet constaté que Christine utilise même le
superlatif pour exprimer l’importance de la raison et qu’elle transpose des qualifications qui
199
Le Chemin, v. 1305-1311.
Cf. l’Advision, p. 139.
201
Le Livre de la paix, p. 59.
200
74
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
s´attachent d’habitude à la notion ‘foi’ au fonctionnement de la raison pour souligner sa
valeur.
Or, il est donc impossible de nier l’intérêt de Christine pour la raison. Cependant nous
soulignons en même temps qu’il ne faut pas non plus diminuer la valeur de la foi dans nos
trois textes. Il nous reste de constater que Christine s’intéresse à la fois à la notion ‘raison’ et
au concept ‘foi’. Cette constatation ne nous permet cependant toujours pas de répondre à la
question de savoir comment les deux notions se rapportent l’une à l’autre et s’il y a une
hiérarchie de ces notions. Essayons de trouver une réponse satisfaisante à cette question.
§ 3.2.2 Deux ‘bons chemins’
La thèse que Christine distingue plusieurs chemins de la vie dans ses textes peut nous aider à
trouver des réponses à cette question. Étudions d’abord cette thèse.
Nous avons déjà vu que Christine compare les modes de vie avec des chemins dans le Livre
du chemin de lonc estude. Elle pose qu’il y a de bons chemins et de mauvais chemins. Les
premiers mènent à la béatitude. Les autres mènent à l’enfer, ce que montre le passage suivant:
« Des voyes a cy forvoyans
Et a mal chemin avoyans
Regarde loings la voye ombreuse!
La vois tu noire et tenebreuse?
En enfer celle conduiroit
Sans revenir qui s’i duiroit. »202
Il y a, selon Christine, beaucoup de chemins. Christine varie donc l’image biblique des deux
chemins, à savoir le chemin étroit et le chemin large.203 Pour elle, il n’existe pas un seul bon
chemin étroit, mais deux chemins, ce que montrent les deux passages suivants:
« Et ceulx que tu vois si estrois
Dont .ii. y a, sans plus, non trois,
Qui ayent autelle estresseur ».204
Le Chemin, v. 947-952. Les mots qui référent à l’obscurité (‘ombreuse’, ‘noire’ et ‘tenebreuse’) donnent ces
chemins une atmosphère de désastre.
203
Matthieu 7:13,14: « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la
perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie,
et il y en a peu qui les trouvent. »
204
Le Chemin, v. 893-895. Les bons chemins, contrairement aux mauvais chemins, sont décrits comme des oasis,
remplies de fleurs, d’arbres, d’oiseaux et de lumière.
202
75
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
« (A)uquel bien d´estude tu te mis comme a la chose plus eslevé selon ton
jugement aprés la vie qui est de tous poins pour les parfaiz, c´est la
contemplative, laquelle est vraie sapience. »205
À part du chemin de la foi, il y a chez Christine le chemin de l’étude. Ces deux bons chemins,
que Christine distingue, présentent quand-même des dissemblances. Sur ces chemins se
trouvent, par exemple, des guides différents. Sur le chemin de la foi l’homme est guidé par la
foi ou l’illumination, tandis que sur le chemin de l’étude l’homme est guidé par la raison. Une
autre différence, c’est que le chemin de la foi mène directement à Dieu. Contrairement à cela
le chemin de l’étude conduit surtout au bonheur réalisé ici-bas et indirectement aussi à Dieu
(en passant par l’autre chemin). En fait Christine distingue donc deux fins de l’humanité: le
bonheur temporel et le bonheur éternel.
La question qui se pose est la question de savoir pourquoi Christine qualifie le chemin de
l’étude de ‘bon chemin’. En fait nous avons déjà répondu à cette question dans le paragraphe
2.1. Nous avons démontré que Christine exagère la valeur de la raison. D’une part la faculté
raison préserverait de pécher. D’autre part elle serait même la source de toutes les vertus.
L’ultime perfection dont l’humanité est capable réside, selon Christine, dans la puissance de
l’intellect duquel résultent les vertus. Le chemin de la raison est donc, à part d’être un chemin
de connaissances intellectuelles, surtout un chemin de vertu ou d’œuvres pies. Ce chemin
c’est la vie temporelle qui a été menée en accord avec les commandements de l’Évangile.
L’homme en faisant des efforts moraux peut mériter le bonheur terrestre et finalement le
paradis dans la vie de l’au-delà. Dans l’Advision Christine écrit:
« Ha! Doulce chose est que de suivre la voie de vertu a qui se veult duire.
N’est il dit que l’omme vertueux a ja ung pié ou ciel? »206
Selon Christine, l’homme est capable de faire du bien et de mériter le bonheur terrestre et
céleste partiellement par ses propres forces. Les vertus résultent de la grâce de Dieu mais
aussi de l’industrie humaine. Christine souligne la responsabilité et la capacité de l’homme
d’arriver au bonheur terrestre. Elle n’attribue pas seulement l’initiative à Dieu lui-même.
Selon notre auteur, l’homme, en suivant le sentier de la vertu, est capable de créer une vie
paisible sur la terre. C’est l’effort moral, qui suit de l’étude, qui compte dans la philosophie de
205
L´Advision, p. 123.
Idem, p. 47, 48. Cf. le Livre de la paix, p. 145: « car l’omme vuit de vertus est mortisié par vices, et est si que
neant vers Dieu, mais le vertueulx vit et vivra perpetuellement. »
206
76
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Christine. C’est pour cette raison que Christine considère la voie de l’étude aussi comme un
bon chemin. Nous traduisons nos remarques dans les schémas suivants:
Flèche 1= le chemin
de l’étude où
l’homme est guidé
par la raison.
Dieu et le bonheur céleste
1
Flèche 2= le chemin
de la foi ou de la
théologie où
l’homme est guidé
par la foi.
2
Ligne 1= la
béatitude céleste (le
septième ciel selon
Christine).
Ligne 2= le
firmament (le
cinquième ciel selon
Christine).
1
2
Ces deux chemins reviennent dans les trois textes de Christine que nous étudions.
Dans le Livre du chemin de lonc estude Christine nous raconte comment elle décide de
prendre le chemin de l’étude après la mort de son mari. Dans ce texte la Sibylle conseille de
choisir cette voie. Elle motive le fait que Christine n’opte pas pour l’autre chemin de la
manière suivante:
« Mais celle autre est ymaginee;
Par celle nous fault toutevoye
Passer, car ceste estroite voye
Te seroit trop fort a suivir ».207
En fait pour arriver à la béatitude éternelle il est plus efficace de prendre directement le
chemin de la théologie ou de la foi. Cependant le passage cité montre que Christine trouve la
voie de la foi trop difficile à suivre pour elle. Aussi préfère-t-elle la voie de l’étude - où tout
207
Le Chemin, v. 916-919.
77
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
est subordonné à la raison - à celle de la foi. À travers le chemin de l’étude elle veut parvenir
au bonheur terrestre. Ce bonheur est, d’une part, le bonheur individuel, ce que montre la
réponse de Christine à la Sibylle:
« Moult m’avez fait grant courtoisie,
Qui a lonc estude menee
M’avez, car je sui destinee
A y user toute ma vie;
Ne jamais je n’aray envie
De saillir hors de ceste voye
Qui a tout solas me convoye
Ne vueil autre perfeccion
C’est toute mon affeccion
En ce monde, car a devis
N’est plus deduit, ce m’est avis. »208
Dans ce passage Christine réfère en effet au motif personnel pour lequel elle s’était mise à
l’étude. D’autre part Christine vise au bonheur universel, comme nous avons déjà vu au
chapitre dernier. Le bonheur ultime dans la vie temporelle est pour Christine une situation de
paix. Nous rappelons que nous avons déjà étudié comment Christine désire contribuer à
réalisation de la paix au moyen de l’étude et de l’écriture. Dans le Chemin elle décrit ses
progrès intellectuels comme un voyage. Un voyage qui mène jusqu’au firmament (ligne 2 du
schéma), ce que montre le passage suivant:
« Monter ou firmament te fault,
Combien que autres montent plus hault;
Mais tu n’as mie le corsage
Abille a ce. Toutefoiz say ge
Que de toy ne vient le deffault,
Mais la force qui te deffaut
Est pour ce que tart a m’escole
Es venue. »209
Qu’est ce que cela veut dire que Christine va seulement jusqu’au firmament et pas plus loin?
Selon nous, ce passage réfère de nouveau au fait que Christine ne s’est mise à l’étude
qu’après la mort de son mari et qu’elle a pris du retard parce qu’elle a négligé l’étude
auparavant. La Sibylle, femme de savoir, souligne cependant que ce n’est pas la faute à
Christine. Ce passage mentionne que si elle s´était mise plus tôt à l´étude, elle aurait pu aller
plus loin que le firmament. Par l´étude elle aurait pu passer au chemin de la foi ou de la
théologie.
208
209
Idem, v. 1160-1170. Cf. l’Advision, p. 116.
Le Chemin, v. 1677-1684.
78
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Ce passage réfère donc aussi à l’hiérarchie du savoir de son époque, à notre avis. Plusieurs
études sont d’accord pour estimer que cette hiérarchie du savoir se retrouve dans les textes de
Christine de Pizan. Christine distingue en effet plusieurs types de savoir: la sagesse pratique
(savoir expérimental et vertu), les sciences et la sagesse philosophique (la vraie sagesse qui
comprend aussi, comme dernière étape de l’étude, la théologie).210 Le fait que le voyage de
Christine commence par terre et qu’elle finit au firmament montre visuellement cette
hiérarchie. Dans son Chemin Christine arrive, au moyen d’une échelle, seulement au
firmament (cf. v. 1672, 1673) et pas au septième ciel, le lieu où Dieu trône selon Christine.
Elle n’atteint pas à la dernière étape de la philosophie, la théologie, qui dépasse le firmament
ou en d’autres mots qui est supérieure aux sciences comme l’astrologie et la philosophie
naturelle. L’échelle sur le chemin de « lonc estude » de Christine est donc le symbole de la
progression intellectuelle de Christine en ce qui concerne les sciences et la philosophie (sauf
la véritable philosophie qui est la connaissance sapientiale de Dieu, la théologie). Pour
Christine l’image biblique de l’échelle211 dans le Chemin n’est pas le symbole de la vie
spirituelle et mystique, mais plutôt l’allégorie de la quête intellectuelle. Christian Heck
soutient cette idée en disant que:
« Christine a repris l’image de l’échelle céleste, mais en la faisant passer du
domaine de la mystique à celui de la raison. »212
Heck souligne que l’échelle mène Christine au trône de Raison et que Christine n’est pas
guidée par des anges (cf. la note 211), mais par la Sibylle, une femme de savoir. Dans le
Chemin Christine se limite donc au chemin de l’étude où elle est guidée par la raison pour
acquérir la sagesse (de ses sources et de l’expérience). Cette sagesse mène, selon Christine, au
bonheur personnel et, par la transmission de la sagesse dans ses propres textes au public, au
bonheur de son pays. Dans le Chemin il s’agit donc avant tout du bonheur terrestre. En vivant
bien on parvient à ce bonheur selon Christine. Le désir de l’étude est, selon Christine,
l’accomplissement de la bonne vie, la vie chrétienne. Car de l’étude des textes anciens résulte
la pratique des vertus. Nous soulignons une fois de plus que le mot ‘sagesse’ chez Christine
ne comprend donc pas seulement les connaissances intellectuelles, mais aussi les vertus. Ce
210
La philosophie comprend quatre disciplines. Cf. S. SASAKI, « Le poète et Pallas dans le Chemin de long
estude », Revue des langues romanes, T. XCII, 1988, p. 379.
211
Cf. Génèse 28: 10-15. Jacob voit en rêve une échelle dressée de la terre au ciel où les anges montent et
descendent. Sur cette échelle il rencontre aussi Dieu.
212
C. HECK, « De la mystique à la raison: la spéculation et le chemin du ciel dans Le Livre du chemin de long
estude », Au champ des escriptures: IIIe Colloque international sur Christine de Pizan, Lausanne, 18-22 juillet
1998, éd. E. Hicks, Honoré Champion, 2000, p. 718.
79
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
chemin de l’étude est donc le chemin des hommes savants et vertueux. Pour Christine les
hommes abrutis (« personne rude ») sont égaux aux hommes « vilains », comme les hommes
vertueux (« les gentilz ») s’égalent aux personnes intelligentes (« les soubtils »).213
Dans le Chemin Christine croit donc que l’homme, en se basant sur la raison, peut réaliser une
situation de paix sur terre. Sur ce point Christine s’écarte d’Augustin. Augustin pensait
impossible de créer un état de paix dans la vie ici-bas. Christine se rapproche de Thomas
d’Aquin qui ne réserve plus la paix à la vie dans l’au-delà.214 Christine croit qu’elle peut
contribuer au bonheur de l’humanité. Elle espère créer une situation de paix en France à l’aide
des idées philosophiques qu’elle fait passer dans ses propres livres.
Cependant Christine réalise bien que l’autre chemin, le chemin de la foi (flèche 2 du schéma),
mène plus loin, ce qu’illustre le passage suivant:
« Le chemin (...) plus drois,
Plus estroit et plus verdoiant,
La face de Dieu est voyant
Cil qui le suit jusqu’a la fin. »215
Ce chemin mène donc directement à Dieu et à la béatitude éternelle. Cette théologie est en
même temps la dernière étape du chemin de l’étude. L’homme qui suit le chemin de l’étude
peut arriver au bonheur céleste en passant par la voie de la théologie. Sur ce chemin
l’entendement de l’homme est éclairé par la raison et la foi. Le cheminement intellectuel du
premier chemin sert en fait comme une purification intellectuelle des choses terrestres qui
prépare au chemin de la théologie. La théologie c’est la science suprême de l’époque qui
révèle la vérité éternelle. Elle forme l’étape dernière de l’approfondissement intellectuel.
Toutes les sciences sont donc des sciences auxiliaires de la philosophie et la théologie. La
philosophie (y compris la théologie) est au sommet de toutes les sciences. Dans l’Advision
Christine décrit la philosophie de la manière suivante:
« Ha! doulce, savoureuse chose et enmielee, qui tous autres tresors en valeur
precedes comme souveraine! »216
213
Cf. le Chemin, v. 1104-1108.
Cf. K. FLASCH, Introduction à la philosophie médiévale, Éd. du CERF, 1992, p. 167.
215
Le Chemin, v. 902-905.
216
L’Advision, p. 109. Cf. p. 94: « O tres glorieuse Sapience, de laquelle toutes congnoiscences dependent ».
214
80
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Dans ce Livre de l’advision Cristine nous retrouvons ce que nous avons vu déjà dans le
Chemin: Christine s’intéresse à la vie spéculative et solitaire. Elle décrit de nouveau son choix
pour l’étude:
« Ainsi en cellui temps que naturellement estoit parvenu mon aage au degré
de congnoissance, regardant derriere moy les aventures passees et devant moy
la fin de toute chose - tout ainsi comme ung homme qui a passé perilleuse
voie se retourne arriere regardant le pas par merveille, et dit que plus n’y
entrera et qu’a meilleur se tendra -, ainsi considerant le monde tout plain de
laz perilleux, et qu’il n’est fors pour toute fin ung seul bien, qui est la voie de
verité, me tiray au chemin ou propre nature et constellacion m’encline, c’est
assavoir en amour d’estude. »217
Christine reprend aussi dans l’Advision la description de la hiérarchie traditionnelle des
savoirs. D’abord dans la première partie de ce texte Christine parle des vertus, des vices et de
la misère de son pays (le savoir pratique quotidien). Ensuite il s’agit des sciences dans la
deuxième partie (le savoir rationnel). Dans la dernière partie il s’agit finalement du savoir
philosophique et théologique (le savoir spirituel). À la dernière page de l’Advision Christine
illustre la valeur de ces étapes pour elle:
« La premiere est en forme de dyamant, lequel est dur et poingnant; (…) La
seconde est le kamayeu (…) La tierce au rubis precieux ». 218
C’est surtout la dernière partie de l’Advision qui nous intéresse ici. Dans cette partie Christine
est accompagnée de dame Philosophie. Christine annonce qu’elle serait même reconnaissante
pour les « petites mietes »219 de la table de dame Philosophie. Tout comme dans le Chemin
Christine dit qu’elle n’a appris que des rudiments de la philosophie, ce que montre le passage
suivant:
« Helas! Quant j’avoie coste moy les maistres de science, conte d’aprendre ne
faisoie. Et ores est le temps venu que mon engin et sentement mendie en
desirant ce que par faulte d’aprendre ne puet avoir, c’est assavoir l’art de toy,
Philosophie ma mie, science. (…) Tant sont eureux ceulz qui a plain
t’assaveurent! Et toutevoie comme de ce je ne puisse jugier fors a l’aventure si
comme de chose qu’a plain je ne congnoisse, neantmoins m’en donne la
congnoissance le tres delictable goust et saveur que je treuve seulement es
petites dependences et parties de science. Comme plus hault je ne puisse
217
Idem, p. 109, 110.
Les trois pierres indiquent l’unité des trois parties. Elles montrent aussi que Christine fait du progrès sur son
chemin de l’étude. Les pierres sont en effet de plus en plus précieuses. Avec cette image des pierres qui réfèrent à
la hiérarchie du savoir dans les trois parties Christine varie les Proverbes: « Car la sagesse vaut mieux que les
perles. » (Proverbes 8: 11).
219
L’Advision, p. 94.
218
81
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
actaindre, me fait presumer le bien de elle a ceulz qui l’aiment et l’assaveurent
et sentent souverain delit. »220
Christine exprime son humilité à l’égard de dame Philosophie de la même manière que Saint
Jean-Baptiste le faisait envers Jésus:
« O tres glorieuse Sapience, de laquelle toutes congnoiscences dependent, tant
de bon cuer remercy Dieu et toy qui tant benignement m’as fait digne de ton
acointance et n’as eu orreur de moy, femme ignorant non digne de descoudre
les lasceures de ta chaucemente ».221
Bien que Christine souligne dans l’Advision encore toujours de n’avoir que des connaissances
basales de la philosophie, le texte nous montre une évolution par rapport au Chemin. À la
différence de ce qu’elle a fait dans le Chemin, Christine s’intéresse dans la troisième partie de
l’Advision à la dernière étape de la philosophie, qui s’appelle la théologie:
« Et a moy simple de ta digne grace t´es monstree en fourme de Sainte
Theologie pour repaistre mon ignorant courage le plus sainement a mon salut.
Ne m´as pas fait comme a ta chamberiere, maiz mieulx que tu ne promis, c´est
assavoir moy servie de tes plus prouffitables et dignes mez qui viennent de la
table de Dieu le Pere ».222
Dulac et Reno décrivent le développement ou la quête de Christine de Pizan dans l’Advision
de la manière suivante:
« L’accent est mis sur le cheminement individuel qui conduit graduellement
et volontairement
connaissance. »223
la
narratrice
à
la
révélation
de
la
suprême
La philosophie dans la troisième partie de ce texte est le savoir spirituel, ce que Christine nous
montre par les mots qu’elle adresse à dame Philosophie: « toy, celestielle congnoissance
separee des viltés de ça jus ».224 D’autres passages où Christine s’adresse à dame Philosophie
Idem, p. 109. Il vaut la même pour ses connaissances de l’astrologie: « j’employoye / Toute mon entente a
apprendre, / Mais trop pou povoye comprendre / Leur grandeur pour tout mon estude, / Pour mon entendement
trop rude. » (le Chemin, v. 2022-2026).
221
L’Advision, p. 94. Cf. Marc 1:7 et Jean 1:27.
222
L´Advision, p. 140. Le fait que Christine remercie dame Philosophie au nom de dame Théologie à la fin du
livre montre que la théologie est pour Christine un domaine qui fait partie de la philosophie.
223
Idem, p. XXIII.
224
Ibid., p. 95.
220
82
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
soulignent encore cette idée, selon nous. Christine dit par exemple à cette dame: « Dieu qui
proprement est toy (Philosophie) et toy qui proprement es lui le savez. »225
À notre avis, le chemin de l’étude (notre première flèche) de Christine se continue donc dans
l’Advision sur le chemin de la théologie (deuxième flèche). Tout en tenant à l’importance de
la raison, Christine fait même dire à dame Philosophie:
« Trop enquerir de la benoite Trinité, c’est perverse curiosité; fermement
croire et tenir de la Trinité ainsi que tient l’Eglise et la foy catholique, c’est
seureté. »226
Les deux chemins, le chemin de la raison et le chemin de la foi, commencent donc à
converger à la fin de l’Advision. Dans la troisième partie du texte Christine se tourne de plus
en plus vers le spirituel et la vie dans l’au-delà. Ce thème de la gloire céleste qu’elle a évoqué
déjà un petit peu dans le Chemin, revient amplement dans l’Advision. Dans le Chemin
Christine note:
« (D)isoie
A moy meismes que Dieu celestre
Tel discorde seuffre en terre estre
Pour le prouffit d’omme mortel;
Car quant il voit le monde tel,
Bien desirer doit Paradis
Ou n’a ne meffais ne mesdis,
Mais paix, joye concorde, amour,
Et n’a l’en du perdre cremour.
Et par un petit traveiller
Contre le monde a batailler
Celle grant gloire l’en acquiert;
Certes folz est qui autre quiert. »227
Malgré que Christine tende vers l’idéal d’un monde paisible, ce passage nous montre que
Christine se rend compte des conséquences bienfaisantes du contretemps. Car les hommes
vivants dans un monde déchiré ne s’attacheront pas tant à la vie terrestre, mais ils désireront
plutôt le bonheur céleste, selon Christine. Le contretemps mène l’homme donc à Dieu et, pour
cette raison, l’adversité est plus utile à l’homme que la prospérité. Christine souligne qu’il y
aura de la paix perpétuelle au paradis céleste (« Ou (...) a (...) / paix, joye concorde, amour, /
Et n’a l’en du perdre cremour »). Elle admet qu’on ne peut espérer qu’une paix éphémère
dans la vie ici-bas. Malgré cette conclusion Christine se tourne plutôt vers la béatitude
225
Ibid., p. 116.
Ibid., p. 139.
227
Le Chemin, v. 438-450.
226
83
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
terrestre dans le Chemin. Christine veut contribuer à la réalisation de la paix dans son pays
pour créer un paradis sur terre. À part de ce passage Christine ne consacre pas beaucoup de
vers au sujet de la béatitude céleste. Dans le Chemin elle n’y réfère qu’en passant avec ce
passage au début du texte où elle parle du livre de Boèce.
Dans la troisième partie de l’Advision, au contraire, il s’agit amplement des fins dernières de
l’humanité. Christine accentue dans ce texte que l’homme n’est qu’un pèlerin qui s’achemine
vers la Terre promise. Dame Philosophie apprend à Christine que le monde n’est qu’une
traversée vers le ciel: « ce monde cy ne soit que ung trespas ». Le monde ne doit donc pas être
le but final de l’homme, ce qu’illustre le passage suivant:
« Nostre Sires a fait le chemin aspre a celle fin que tant ne leur plaise le repos
de ceste vie en fourme de la doulceur du chemin que ilz ne se delictent plus a
cheminer longuement que a tost venir au terme de leur repos, et que tant ne
leur plaise la voie que ilz en oublient leur propre païs, c’est le ciel ». 228
En fait le désordre du monde est donc salutaire pour l’homme, conclut Christine, puisque
«(l)es maulx qui ycy nous estrengnent, A aler a Dieu nous contraignent. »229 La souffrance
individuelle est le seul moyen qui mène à Dieu.
Christine s’oppose (avec les mots de dame Philosophie) à ceux qui ne visent qu’au bonheur
temporel, ce que nous montre le passage suivant:
« Car il leur [les riches] semble, pour ce que le monde leur rit, qu’il ne soit
autre paradis. Et qu’il soit vray, toy meismes as oy maintes fois dire de ceulx
riches qu’ilz vouldroient que Dieux gardast son paradis et a toujours les
laissast en ce monde. Or regarde a quel prejudice tournent les delices quant ilz
rameinent la voulenté, qui doit suivre raison, a tel bestialité que elle ne vise,
ne que une beste mue, ne mes aux pastures basses, et ne s’eslieve ne regarde a
son naturel propre lieu, qui est le ciel dont l’ame formee a l’image de Dieu est
venue et doit tendre a aler. »230
Christine se concentre à la fin du texte (ce que nous montre aussi la fin du passage cité)
surtout sur la béatitude éternelle. Elle se résigne plus ou moins à la situation guerrière dans le
monde et elle réalise que la paix et la prospérité présentent même un danger. Christine a donc
perdu son optimisme qu’elle avait dans le Chemin.
L’Advision, p. 137.
Idem, p. 125. Cf. p. 128: « Dieux, dist il, te punist en ce monde ad ce que la peine temporelle rachate tes
ardeures de la mort pardurable. Car, ainsi que les pierres ne sont mises en edefice se premierement ne sont
taillees et au martel aquerries, ne le grain n´est point mis au grenier tant que au fleau soit batu, aussi ne pues tu
estre logié en l´edefice de paradis ne mis ou grenier des esleus se tu n´es esprouvé par tribulacion ».
230
Ibid., p. 124.
228
229
84
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Dans la troisième partie de l´Advision Christine se rapproche un petit peu de saint Augustin.
Saint Augustin insistait en effet qu’il n’y aura pas de paix pendant cette vie ici-bas. Il vise au
bonheur céleste dans la vie de l’au-delà. Il est intéressant de constater que Christine emprunte
plus souvent que dans le Chemin et que dans les premières parties de l’Advision aux œuvres
théologiques. Surtout ces textes l’intéressent et lui sont les plus chers. Dame Philosophie dit:
« (L)es fleurs d´icelui je ay cueillies et appliquees yci a ton propos pour faire
d´une sorte ung gracieux chapel avec les ditz des sains docteurs pour ton livre
a la fin comme victorieux couronner. »231
À la différence du Chemin, Christine accentue sans cesse dans la troisième partie de
l’Advision qu’il est essentiel pour l’homme de penser à la vie future. L’humanité ne doit pas
s’attacher trop au bonheur terrestre, selon Christine. Elle découvre qu’il est mieux d’espérer la
félicité dans la vie éternelle qui consiste à jouir de la vision de Dieu. Presque à la fin de
l’Advision elle fait dire à dame Philosophie:
« (V)eoir la benoite Trinité ainsi que elle est, c’est la vraie felicité seule et
souveraine, et non autre, ou estre doit le terme et fin du desir de toute humaine
creature; a laquelle felicité te veuille conduire celle benoite Trinité, un seul
Dieu regnant ou siecle des siecles. »232
Le message de Christine à son public a donc changé. C’est au peuple de prendre appui, tout
comme elle-même l’a fait dans sa vie privée, sur la foi pour supporter ses malheurs. Selon
Christine, il ne faut pas seulement se baser sur la raison pour parvenir à la béatitude
perpétuelle. À cette béatitude nous ne pouvons pas atteindre seulement par nos propres forces,
selon elle. Dame Philosophie lui apprend
« (Q)ue tout l´ost de pensee humaine n´est pas assez fort pour soy fichier en
celle excellente lumiere pardurable se elle n´est bien purgiee par justice de
foy. »233
C’est pourquoi Christine désire se fier aussi à Dieu et à la foi. Elle renvoie à Dieu comme
principe de vérité et de salut individuel. La foi est donc primordiale pour l’homme dans la
découverte de son bonheur ultime, selon Christine dans l’Advision. Elle insiste sur la nécessité
231
Ibid., p. 136.
Ibid., p. 140.
233
Ibid., p. 139.
232
85
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
d’une réforme intérieure pour acquérir la « retribucion pardurable ».234 Christine ajoute à la
« trinité raisonnable » (cf. la note 194) une autre trinité, celle de
« Foy, Esperance et Charité; foy des articles et des commandemens et des
sacremens; esperance de pardon, de grace et de gloire; charité de pur cuer, de
bonne conscience et de foy non pas fainte. »235
Ces trois aspects du dogme chrétien améliorent l´homme selon Christine. Cette citation nous
montre une fois de plus que Christine tend à la fin de l’Advision au savoir théologique. La
troisième partie du texte est vraiment empreinte de spiritualité. Dame Philosophie l´encourage
sans cesse de chercher le vrai bonheur, c´est-à-dire Dieu. Elle lui dit qu´elle se servira bien de
son bon sens de cette manière:
« Or trayons au terme de nostre oeuvre, auquel te desir a l´utilité de ton sens
conduire, c´est assavoir a la conclusion de la vraie felicité ou tu dois tendre,
(...) c´est Dieu ».236
Christine remarque à la fin du texte même que tout ce qui n’est pas lié à la théologie est
inutile et néfaste:
« O Theologie que je vueil louer, Dame, en toy, souveraine Philosophie, je
congnois que, quant homme aprent hors de toy, se il lui est nuisible, par toy il
en scet la verité; se il lui est prouffitable, aussi tu le demonstres; et quanque il
ara peu aprendre ailleurs, se en toy ne reffiert, tout sera perte de temps et
ignorance ».237
La raison a donc reçu une nouvelle fonction. Elle doit surtout être axée sur Dieu. Elle est
maintenant plutôt une raison théologique. La citation suivante nous montre cependant que
Christine n´a pas complètement oublié son regard sur la vie temporelle:
« (T)u aprens a bien vivre, car nulle cité n´est mieulx gardee que par le
fondement et lian de foy et de ferme concorde a amer le bien commun qui est
tres vray et tres souverain. C´est Dieu de quoy tu parles ».238
234
Ibid., p. 125.
Ibid,, p. 139.
236
Ibid., p. 137 et 138. Cf. p. 136: « «Veulz tu savoir, dist il, la vraie felicité qui l´ame repaist et donne gloire,
renommee, delict et souffisance?» Ce est seul Dieu, autre chose ne l´est, si comme oudit livre de Boece je
prouvay par sa bouche. »
237
Ibid., p. 141.
238
Ibid., p. 140 et 141.
235
86
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
Christine lie ici la théologie à la vie de tous les jours et à la paix désirée. Elle revient de
nouveau un petit peu sur son thème du bonheur terrestre dans cette partie du texte dont la
teneur a un caractère fondamentalement spirituel.
Il nous reste notre troisième livre: le Livre de la paix. Quelle est la relation entre la raison et la
foi dans ce texte?
Nous avons constaté que Christine consacre ce texte aussi à sa mission. Elle tient encore à son
idéal de contribuer à la paix terrestre. Nous revoyons nettement dans le Livre de la paix son
regard sur les affaires terrestres. Cependant, bien que Christine continue sa mission de
défenseur de la paix terrestre, le ton de son texte a changé. Elle ne reprend pas tout à fait sa
manière d´écrire sur la raison et la foi du Chemin. Nous retrouvons le développement de sa
théorie à propos de la raison et de la foi de l´Advision. Dans le Livre de la paix Christine se
rend compte que la paix entre Dieu et l´homme surpasse toute autre chose. À la page 66 elle
remarque que « sapience (...) principe est de tout savoir ». Dans la marge Christine
ajoute « Inicium sapiencie timor domini ». Cette réconciliation de l´homme avec Dieu
entraîne à la fois la paix perpétuelle ou céleste et la paix terrestre, selon Christine. Dans le
Livre de la paix elle ne se représente l’idéal de la vie ici-bas que d’après la vision béatifique
des fins dernières. La vie future est donc le modèle de la vie terrestre.
Christine souligne que la paix ne résulte pas seulement de la raison humaine (qui est en plus
un don de Dieu),239 mais surtout de la grâce divine. Cette grâce a pris une place plus
importante que dans le Chemin. Vivre en ordre et en paix sur la terre est à la fois un devoir et
un don de Dieu, ce que montrent les citations suivantes:
« (Le) gouvernement qui appartient à prince pour tenir son peuple en paix,
(...) pour faire son devoir principalment vers Dieu ».
« Et adont sera la policie en son droit canal, qui trop a esté desrivé et hors
droit rigle. Dieux par sa grace ainsi faire le vous octroit. »
« Loys de France, jovencel noble, eschever et fuir toutes telz traces, si que
j´espoire fermement, à l’aide de Dieu, que se que feras. » 240
L’homme obtient la sapience, qui mène à l’ordre, grâce à l’illumination divine. Cependant
Christine continue aussi à souligner la responsabilité et en plus la capacité de l´homme de
contribuer au bonheur en ce bas monde. Le bien ne s’accomplit pas tout à fait à l’écart de la
239
240
Christine appelle la raison « fille de Dieu », le Livre de la paix, p. 65.
Le Livre de la paix, p. 137, 90 et 123. Cf. aussi la dernière phrase du livre.
87
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
nature humaine, selon Christine. Bien que la raison soit un don de Dieu, c´est l´homme
ensuite qui décide de se servir de bonne ou de mauvaise manière de ce don. L´homme doit
ouvrir l´esprit à Dieu et en est capable, d´après Christine. Les mots adressés au duc de
Guyenne l’illustrent de manière excellente:
« (Q)uoy que la vertu soit venue de Dieu qui le t´a inspiré et ne pas de toy,
neant moins l´euvre qui en est ensuivie si est par toy, tout ainsi comme se tu
ouvroies une fenestre le souleil qui entreroit ens seroit sans toy, maiz la
maison qui recevroit sa clarté l´aroit par ton occasion. »241
Dans le Livre de la paix Christine se rend compte que ce n´est pas seulement l´humanité qui
désire la paix sur la terre, mais que c´est aussi et surtout la tâche que Dieu ordonne aux
hommes de vivre en paix. Dieu bénira les gens paisibles. À la page 62 Christine remarque:
« Les paisibles beneuréz et sains car filz de Dieu seront appeléz ». Plus loin à la page 90 elle
écrit:
« Et par ces poins tenant le monde en paix, acquerres la grace de Dieu et du
monde, chascun vous louera ».
Le Livre de la paix est empreint de ce type de passages bibliques à propos de la paix.242 En
fait Christine a trouvé un nouveau motif pour encourager la paix terrestre. La foi catholique
qui l´a tournée vers la béatitude perpétuelle dans la troisième partie de l´Advision, fait
retourner Christine de nouveau à son but terrestre dans le Livre de la paix. Christine continue
à tenir à son idéalisme de réaliser le bonheur ici-bas.
Pourtant, à la différence du Chemin, seulement la raison de l´homme réconcilié avec Dieu et
connaissant donc la ´vraie sapience´ sera capable de le guider, d´après Christine dans le Livre
de la paix.243 La raison n’est donc plus indépendante de la foi. C´est donc une évolution par
rapport au Chemin, où Christine croyait rétablir l´ordre dans ce monde grâce à l´aide de la
sagesse pratique et de la culture.244 Dans le Chemin Christine ne pense pas que la foi est
Idem, p. 91. Dans l’Advision Christine a déjà écrit que l’homme fait du bien ou du mal de son plein gré. Cf. p.
47: « Il n’est si bel chasti que cil qui de soy meismes et sans contrainte vient. Plus fust honnourable laissier les
vices de pure voulenté que ce qu’a force on leur feist delaissier. »
242
Cf. par exemple le Livre de la paix, p. 152: « mieulx vault la petite piece de pain seiche à joye et paix que la
maison plaine de richesses à noise et contens ». Cf. Proverbes 17:1.
243
Christine a déjà tendu à cette opinion dans l’Advision où elle écrit sur la réhabilitation du peuple juif. Elle dit
que ce peuple vivra en paix « quant lumiere de vraie foy leur sera donnee. » (p. 41). Christine désire aussi
à « mettre » les Français « a paix devers leur Dieu » (p. 48).
244
Christine dit par exemple: « En parlant de Ulixes le sage, / Qui prudence avoit en usage / Et scïence, qui
conduisoit / Ses fais et si bien le duisoit / Que par tant de perilz orribles, / Passant aventures terribles, / Surmonta
241
88
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
primordiale pour être capable de vivre selon une morale civile ou dans une situation de paix.
C’est la raison qui guide l´homme sur son chemin de vie. Nous ne posons pas que Christine
soit si révolutionnaire qu’elle a omis les éléments de la foi dans le Chemin. Elle ne nie pas
non plus une Vérité absolue.245 Cependant pour Christine la foi n´est pas une condition pour
l’ordre dans la société dans le Chemin. Cet ordre dans la société passe surtout par la culture,
par la connaissance. Même les éléments religieux appartiennent plutôt au registre de
l’érudition. Nous pensons par exemple à l’adoration de sainte Catherine.246 Sainte Catherine,
figure religieuse, est surtout « Schutzpatronin der Lehrenden und Lernenden ».247 Il en va de
même pour la Sibylle. Bien que Christine accentue que la Sibylle est une des « secretaires
» « du secret de Dieu » et qu’elle a prophétisé la venue du Christ,248 cette figure est surtout
liée au savoir.
En terminant ce paragraphe nous pouvons conclure qu´il y a de plus en plus de collaboration
entre la raison et la foi dans l’œuvre tardif de Christine. L´instrument de la raison, enrichi par
la foi ou non, reste quand même la composante la plus importante pour arriver au bonheur
terrestre dans les trois textes de Christine. La raison, bien que mise à la disposition de
l´homme par Dieu, est un instrument dont l´homme peut se servir à son gré. Pour Christine
l´instrument humain le plus sûr c´est la raison. Christine pose:
« Et affin que tu saches que es choses de Fortune ne puet avoir felicité, je te
dis que felicité et beneurté sont les souverains biens de nature, et ce est raison
et entendement; et bien souverain ne puet estre perdus. »
« Raison (...) ensuit nature; si s’ensuit doncques que toutes choses se doivent
fonder sur raison et emprendre et encommencier de ceste raison qui est fille de
Dieu ensuit prudence. »249
toutes les tempestes / Et les merveilleuses molestes / Par l’ayde de sa grant prudence, Sapïence et grant
providence. » (le Chemin, v. 5271-5279).
245
Même dans le Chemin Christine ne peut pas séparer la spiritualité chrétienne de la culture classique et de la
connaissance intellectuelle. En effet l´époque de Christine de Pizan est pleinement une époque chrétienne. Les
gens au Moyen Âge ont l’habitude de tout voir en relation avec l’éternité. La religion est cependant souvent une
religion extériorisée. Cf. J. Huizinga, Herfsttij der middeleeuwen, studie over levens-en gedachtenvormen der
veertiende en vijftiende eeuw in Frankrijk en de Nederlanden, Contact, 1997, p. 223 et p. 183.
Dans l´Advision (p. 121) Christine fait remarquer dame Philosophie que c´est sa mère qui a cependant encouragé
sa foi personnelle. Dame Philosophie lui dit: « Avises combien grant grace Dieu te fait encore, avec tout, de si
noble mere laissier vivre en ta compaignie en sa vieillesce, plaine de tant de vertus. Et quantesfois elle t´a
reconfortee et ramenee de tes impaciences a congnoistre ton Dieu! »
246
Cf. la note 199 de ce travail.
247
B. ZÜHLKE, Christine de Pizan in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen
Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 293.
248
Le Chemin, v. 671, v. 529-540.
249
L’Advision, p. 131 et le Livre de la paix, p. 65.
89
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
La raison surpasse donc les autres biens terrestres. Pour cette raison Christine se sert des fois
du superlatif et des qualifications divines quand elle parle de la raison.250 La raison rend
l’homme en effet ferme et vertueux:
« (M)ais a force le cuer, qui est franc et fort par le conduit de raison , n’est
mie en toy de mouvoir. »251
Même Fortune, la dame à qui Christine attribue beaucoup de pouvoir, n’est pas capable de
bouleverser le cœur d’un homme conduit par la raison. 252 Christine loue la constance des
vertus qui résulte du fonctionnement de la raison. Pour cette même raison elle rejette d’autres
biens terrestres, ce que montre le passage suivant, tiré de l’Advision:253
« Que diray je (...) des delices du corps? Quant on les quiert, ilz donnent grant
travail; quant on les a, ilz tournent a anuy; quant on les a eues, ilz engendrent
enfermetez; »
Nous soulignons que Christine utilise seulement le superlatif pour exprimer la valeur de la
raison quand elle parle des instruments humains ou des biens terrestres. La raison ne surpasse
pas le bien céleste auquel on arrive au moyen de la foi, un instrument surnaturel. La
conclusion que Christine a deux valeurs suprêmes (la raison et la foi) se fait seulement
comprendre en admettant que Christine distingue deux bons chemins. Nous devons donc
abandonner notre hypothèse que la raison est supérieure à la foi dans les textes de Christine de
Pizan. Notre auteur glorifie, au contraire, les gens qui mènent une « vie contemplative
constament au service de Dieu » et qui obtiendront la béatitude éternelle.254 Cependant elle
estime aussi la raison, instrument humain et don de Dieu, guide sur le chemin de l’étude, qui
est avantageuse au bien commun et qui se mêle de plus en plus avec la piété dans ses textes.
Pour Christine la raison est devenue de plus en plus une combinaison d’intelligence et de
piété. De cette combinaison résultent les vertus et en conséquence le bonheur terrestre et
finalement le paradis céleste.
La béatitude céleste et terrestre, voilà le but de toute action morale, d’après Christine. Seul le
bonheur, selon elle, est le but de la philosophie, et le chemin qui y mène passe par l’effort
moral: même la philosophie et la théologie sont pratiques chez Christine. Christine ne borne
250
Cf. le § 3.2.1.
L’Advision, p. 134.
252
Cf. aussi le Chemin, v. 257-264 et v. 5196-5204.
253
L’Advision, p. 135. Cf. aussi p. 48.
254
Idem, p. 121. Christine parle ici de sa mère. Christine reconnaît un Dieu tout-puissant, ce que montrent les
mots suivants: « Dieu contre qui nulle force n’a puissance. » (l’Advision, p. 47).
251
90
Chapitre 3: Raison: porte-bonheur par excellence?
pas la raison à sa fonction purement théorique, elle y inclut l’activité éthique. Au lieu d’être
une contre-valeur (cf. §3.1) la foi renforce plutôt le fonctionnement de la raison.
91
Conclusion
Conclusion
Il s’est avéré de notre étude que la combinaison de ses circonstances personnelles et d’une
époque instable a fait de Christine respectivement une écrivaine et une championne de la paix.
Christine de Pizan n’est pas vraiment une théologienne, une vraie humaniste, une philosophe,
une mystique ou même une rationaliste, mais elle est plutôt un apôtre de la paix. Selon
Christine la paix est le principe le plus élevé de la politique. Alors tout ce qu’elle a exprimé
dans ses textes doit être jugé d’après ce principe.
Arrivée au terme de cette étude, nous sommes maintenant en mesure de répondre à notre
question principale, à savoir s’il y a des évolutions dans les textes de Christine de Pizan à
propos de ses idées sur ‘la raison’.
En étudiant plusieurs aspects de la notion ‘raison’ dans trois textes de Christine nous avons
appris que le mot ‘raison’ a toujours des connotations positives chez Christine. En ce qui
concerne les motifs pour lesquels Christine accorde tant d’attention à la notion ‘raison’ il y a
cependant des développements entre le Chemin et l’Advision d’un côté et le Livre de la paix
de l’autre. Christine omet de plus en plus ses motifs personnels - à savoir son penchant pour
l’étude où la faculté pensante, la raison, joue un rôle important - tandis qu’elle accentue plutôt
ses motifs pacifiques. Dans le Livre de la paix la raison fonctionne surtout comme portebonheur dans son programme pour la paix.
Il est vrai que Christine a toujours accentué les effets positifs de la raison sur le bonheur.
Cependant aussi sur ce point nous avons signalé une évolution.
Dans le Chemin la raison est l’instrument exclusif qui garantit le bonheur à Christine. Elle est
pour Christine un instrument avec lequel l’homme peut créer une situation paisible sur terre.
Alors c’est pour cette raison que la raison surpasse les autres biens terrestres, selon Christine.
Dans l’Advision Christine ajoute cependant le thème de la foi à celui de la raison. Dans la
troisième partie de l’Advision Christine est surtout fixée sur Dieu, la foi et le paradis céleste.
La foi est principe de salut. Elle met l’homme en relation avec Dieu et par conséquent elle
mène l’homme à la béatitude céleste. Christine s’intéresse donc à la fin de ce texte à la
dernière étape de la philosophie, à savoir la théologie. Elle se rend compte du fait que le
bonheur d’ici-bas peut avoir des conséquences néfastes pour la vie éternelle. À la fin de
l’Advision Christine a été convaincue du fait que la misère dans le monde sert à la perfection
spirituelle de l’homme. Finalement, dans le Livre de la paix, l'œuvre le plus tardif de Christine
92
Conclusion
que nous avons étudié, Christine cherche de nouveau des solutions pour la situation instable
sur terre. Elle nous fait voir cependant des progressions. Elle combine ses préoccupations de
la paix terrestre entre les hommes avec celles de la paix entre Dieu et l’homme. Il y a de plus
en plus une collaboration entre la raison et la foi. Foi et raison ne s’opposent pas puisque
l’une et l’autre ont leur fondement en Dieu, mais entres elles il existe, bien au contraire, une
très étroite relation.
Nous voyons donc une évolution par rapport au Chemin où Christine s’intéresse surtout aux
affaires terrestres. Pour Christine la vie future est devenue un modèle pour la vie terrestre
dans son œuvre tardif.
En somme, nous avons montré dans notre étude que Christine est toujours une femme
intéressée aux sciences dans le Livre de la paix, mais qu’elle est aussi de plus en plus une
femme religieuse. Il semble qu’avec les années les sentiments religieux sont devenus plus
ardents et que la littérature chrétienne a pris plus de place dans l’esprit de Christine.
En fait c’est la couleur bleue des vêtements que Christine porte souvent dans les miniatures de
ses textes qui est significative. C’est cette couleur qui renvoie aux différentes phases dans
l'œuvre de Christine en ce qui concerne la notion ‘raison’. Le bleu c’est en effet d’une part la
couleur de la science et en particulier celle de l’astrologie, d’autre part elle renvoie aux
affaires célestes, la sagesse divine et la piété. Selon nous c’est le symbolisme de la couleur
bleue255 qui résume donc de manière excellente les buts de la vie de Christine de Pizan et - en
même temps - nos conclusions.
255
Pour une brève analyse du symbolisme des couleurs au Moyen-Âge voyez B. ZÜHLKE, Christine de Pizan
in Text und Bild: Zur Selbstdarstellung einer frühhumanistischen Intellektuellen, Metzler, 1994, p. 134-137.
93
Bibliographie
Bibliographie
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Table des matières
Table des matières
INTRODUCTION ................................................................................................. 2
CHAPITRE 1 CHISTINE DE PIZAN: SA VIE ET SON EPOQUE .................. 4
§ 1.1 POINT MARQUANTS DANS LA VIE DE CHRISTINE ......................................... 4
§ 1.1.1 Changement au niveau géographique ................................................ 4
§ 1.1.2 Changements au niveau relationnel ou social ................................... 6
§ 1.1.3 Développement au niveau professionnel .......................................... 11
§ 1.2 L´EPOQUE AUTOUR DE 1400 ..................................................................... 15
§ 1.2.1 Événements historiques ................................................................... 15
§ 1.2.2 La notion ‘raison’ ............................................................................. 18
§ 1.3 RESUMES DES TEXTES .............................................................................. 23
§ 1.3.1 Le Livre du chemin de lonc estude .................................................. 23
§ 1.3.2 Le Livre de l’advision Cristine ........................................................ 24
§ 1.3.3 Le Livre de la paix ........................................................................... 25
CHAPITRE 2 RAISON: PORTE-BONHEUR? ................................................ 28
§ 2.1 LA SIGNIFICATION DE LA NOTION ‘RAISON’ CHEZ CHRISTINE ................... 29
§ 2.2 L’INTERET DE LA NOTION ‘RAISON’ .......................................................... 35
§ 2.2.1 Motifs personnels ............................................................................. 35
§ 2.2.2 Motifs pacifiques .............................................................................. 40
§ 2.3 CONTRIBUTIONS A LA REALISATION DE LA PAIX ....................................... 47
§ 2.3.1 Vita activa......................................................................................... 47
§ 2.3.2 Vita contemplativa ............................................................................ 52
CHAPITRE 3 RAISON: PORTE-BONHEUR PAR EXCELLENCE? ............ 65
§ 3.1 L’USAGE D´ANTITHESES ........................................................................... 65
§ 3.2 LA POSITION DE LA FOI VIS-A-VIS DE LA RAISON ....................................... 71
§ 3.2.1 ‘Raison’ et ‘foi’, deux concepts importants ..................................... 71
§ 3.2.2 Deux ‘bons chemins’ ........................................................................ 75
CONCLUSION ................................................................................................... 92
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 94
TABLE DES MATIERES ................................................................................ 100
100
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