Coopération d’Alger avec la flotte Française. LA conquête de cette ville irrita vivement Soliman, qui fit aussitôt partir du port de Constantinople cent douze galères et de trois galions. Sinam-Pacha, qui les commandait, avait Dragut sous ses ordres. La flotte parut en vue de la Sicile, et débarqua des troupes dans l’île de Malte. Mais elles furent forcées de se rembarquer, par suite de la résistance héroïque que leur opposèrent les chevaliers de l’Ordre. La flotte ottomane, se portant alors sur l’île de Gozo, en attaqua le fort, et obligea le gouverneur à capituler. Tripoli, l’une des villes les plus importantes du littoral africain, ne tarda pas à subir le même sort. Ces succès, quoique peu décisifs, exaltèrent néanmoins l’ambition de l’impétueux Soliman: il conçut, dit-on, alors le projet de conquérir l’Europe. C’est à la poursuite de cette idée gigantesque que quelques historiens attribuent l’alliance intime qui se forma alors entre la France et la Turquie. Une pareille alliance présentait un spectacle bien nouveau et bien extraordinaire: d’une part, la Turquie, l’ennemie naturelle des états chrétiens, imposait silence à sa haine et à son mépris pour les infidèles, et liait ses intérêts à ceux de la monarchie française ; de l’autre, la France, la nation très chrétienne, faisait cause commune avec l’islamisme, et favorisait ses projets de conquête. Mais la France avait en ce moment besoin d’un appui; car elle continuait ses luttes avec l’Empire, luttes sanglantes, qui divisaient tous les autres états de l’Europe. La situation politique de la France étant restée la même après la mort de François 1er Henri II, son successeur, vit dans l’alliance de Soliman, qui pesait d’un poids immense dans la balance de l’Europe, une arme puissante contre la maison d’Autriche, et suivit les errements de la politique de son prédécesseur. Henri II donna donc l’ordre à Polin, baron de La Garde, de rallier la flotte ottomane avec vingt-six galères françaises. Ce prince méditait, dès cette époque, le projet de conquérir l’île de Corse, qui, jetée dans la Méditerranée entre Marseille et les côtes d’Italie, interceptait le chemin de la Toscane et de Naples, et commandait le golfe de Gênes, dont il n’avait pas perdu l’espoir de s’emparer. Dragut, à la tête de la flotte turque, attaqua Bonifacio, pendant que le baron de La Garde se présentait devant Bastia. Cette dernière ville se rendit presque sans résistance; mais Dragut, après avoir perdu six cents hommes devant Bonifacio, fut obligé de recourir à la ruse. Un officier, que le baron de La Garde avait placé près de l’amiral ottoman, ayant demandé une entrevue avec quelques-uns des habitants, leur représenta tous les dangers auxquels leur ville était exposée, si elle persistait à se défendre. Cet officier ajoutait que, pour sauver leur fortune et leur vie, il ne restait aux habitants qu’à se mettre sous la protection de la France. Ces paroles produisirent l’effet qu’on en attendait; et Bonifacio ouvrit ses portes. Mais, comme cette soumission volontaire privait les Turcs d’un immense butin, la ville n’en fut pas moins saccagée, et une partie de la garnison et des habitants massacrés, au mépris de la capitulation. Cette indigne violation du droit des gens ayant fait éclater des divisions entre les Turcs et les Français, Dragut se sépara de ses alliés, et son départ compromit le succès de l’expédition. A quelques mois de là Doria reprit l’offensive, et rentra dans Bastia. Henri II envoya aussitôt un ambassadeur à Constantinople, pour se plaindre au sultan et réclamer l’exécution du traité. Fidèle à sa parole, Soliman ordonna que les forces navales de l’empire fussent mises de nouveau à la disposition du monarque français, pour agir contre l’île de Corse. Sa flotte se composait de cent galères, indépendamment de vingt navires de toutes grandeurs que devait fournir le pacha d’Alger. Ordre fut donné à Salah-Reis de tenir prêts ses navires, qui rallièrent les galères de Constantinople devant Piombino. De là, la flotte ottomane rejoignit le baron de La Garde, qui s’était dirigé sur la Corse avec vingt-huit galères et tout le matériel nécessaire à un siége. Les navires turcs, que commandait Dragut, et les navires algériens eux-mêmes, avaient à bord des équipages composés d’hommes déterminés; mais une guerre de la nature de celle qu’on allait entreprendre, de concert avec les Français, ne pouvait plaire à Dragut ni à ses gens, par la raison qu’elle ne rapportait aucun butin. Aussi, devant Bastia, Dragut refusa-t-il des troupes pour l’attaque, ce qui obligea le baron de La Garde à renoncer au siége de cette ville. A Calvi, place dont les Français voulaient s’emparer, les Turcs combattirent également avec répugnance et se retirèrent en poussant de grandes clameurs, signe ordinaire de leur mécontentement. Telle était la nature des événements qui avaient amené la coopération des forces maritimes d’Alger avec la flotte française. Bien que cette coopération n’eût été, pour ainsi dire, que négative, parce que les Turcs n’avaient qu’un intérêt secondaire dans l’expédition, toutefois on peut voir, par ce seul fait, de quelle importance était alors la possession de ce port. Aucun événement ne s’accomplissait dans le bassin de la Méditerranée sans que la marine algérienne y prît part.