Les relations entre progrès technique et croissance chez Joseph

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Les relations entre progrès technique et croissance :
L’analyse de Joseph Schumpeter (1883 1950)
Le progrès technique se définit comme l’ensemble des transformations technologiques entraînant
une nouvelle manière de produire qui permet d’obtenir plus de produits avec une même quantité de fac-
teurs de production (progrès de processus) ou un nouveau produit (progrès de produit).
Quant aux innovations au sens de Schumpeter, elles concernent aussi bien les nouveaux produits
que les nouvelles techniques de production, les nouvelles formes de gestion des entreprises, l’exploitation
de nouveaux marchés ou de nouvelles sources de matières premières.
Le concept d’innovation englobe donc celui de progrès technique.
Ces innovations en tant que nouvelles occasions et façons d’investir peuvent donc être à l’origine
de gains de productivité importants et stimuler ainsi la croissance économique.
L’analyse de Schumpeter sur le rôle des innovations nous amène à nous poser les questions sui-
vantes :
Quelle est l’origine de cette « révolution dans la routine de production » qu’engendrent les inno-
vations ?
Quel est l’impact du progrès technique sur le système économique en général et sur les relations
entre progrès technique et croissance économique ?
Quels sont les mécanismes par lesquels le progrès technique donne naissance à la croissance ?
Pourquoi la dépression succède-t-elle à la croissance ?
Comment le capitalisme va-t-il évoluer ?
I. L’entrepreneur innovateur : un acteur de la transformation du système économique.
A. L’innovation : de l’économie stationnaire à l’évolution économique.
Schumpeter met en évidence le rôle déterminant de l’innovation en prenant comme point de dé-
part la modélisation d’une économie stationnaire appelée circuit économique qui est une représentation
simplifiée de la vie économique et des relations qui se créent entre les agents économiques. Ce circuit se
transforme de manière continue et ce changement est peu perceptible à court terme pour les agents éco-
nomiques.
Ce modèle va lui servir de référence pour repérer les facteurs déterminants qui mettent l’économie en
mouvement.
A partir de là, quelles sont la logique et les caractéristiques de ce circuit économique ?
Sa logique est celle de l’équilibre générales des néoclassiques (cf. Léon Walras) : les fluctuations des
prix assurent l’adaptation parfaite entre les différentes variables économiques et chaque facteur de pro-
duction est rémunéré à son prix (cf. le « commissaire-priseur » de Walras : Représentation suggérée par
Walras dans sa théorie de l’équilibre général afin d’illustrer le mécanisme d’équilibre par tâtonnement de
l’offre et de la demande sur les différents marchés.
Le commissaire-priseur (ou crieur de marché) se charge d’annoncer des prix, de les modifier tant que
l’offre n’est pas égale à la demande, de communiquer les prix d’équilibre et d’organiser la distribution des
biens échangés à ces prix. _ Paradoxalement, la main invisible, symbole du marché décentralisé est incar-
née par un individu unique qui centralise les transactions, sans être rémunéré qui plus est.). Dans une
économie reposant sur la libre concurrence, la propriété privée et la division, les agents économiques
agissent en ayant pour référence leur expérience passée. Ces agents n’introduisent donc aucune rupture
fondamentale dans leurs comportements et les relations économiques existantes.
Ainsi, les méthodes de production et les pratiques de consommation restent stables, et le méca-
nisme des prix assure l’égalisation de l’offre et de la demande.
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Comportements routiniers et mécanismes adaptatifs conduisent donc à l’état stationnaire ; la re-
production et l’équilibre constituent une règle.
Le texte suivant de Philippe Moati: "Hétérogénéité des entreprises et échange international",
Economica, illustre l'entreprise et l'entrepreneur selon l'approche néo-classique :
« La firme est un point dans un espace économique sur lequel elle n'exerce qu'une influence infini-
tésimale, donc imperceptible pour le producteur. Elle est un point, du fait de l'hypothèse &atomicité, mais
aussi parce qu'elle est une entité abstraite qui se ramène à un stock de facteurs de production et à un pro-
ducteur qui ressemble davantage à un robot ou à un ordinateur qu'à un être humain. En effet, le produc-
teur se contente de percevoir correctement (il ne fait aucun effort pour cela) les signaux que son environ-
nement lui envoie à travers le système de prix. Face à ces informations.., l'entrepreneur (le producteur) ne
prend pas de décision; il calcule. La décision, en effet, implique "la volonté, le pouvoir et finalement, la
liberté du sujet agissant", alors que le calcul n'implique qu'un déterminisme. C'est pour cela qu'il paraît
raisonnable &appeler "producteur" le pilote de la firme du modèle de concurrence pure et parfaite et de
conserver le terme &entrepreneur pour une conception plus spécifique. »
Mais, pour Schumpeter, la routine économique et l’état stationnaire sont brisés par l’entrepreneur
et ses innovations. Selon Schumpeter, l’évolution du système économique ne peut venir d’une modifica-
tion quantitative (hausse de la population ou du capital) mais d’une transformation qualitative. Dès lors,
l’évolution devient synonyme de nouveauté, de bouleversement des comportements économiques (niveaux
et modes de vie) et des conditions de l’activité économique.
Il faut souligner que ces transformations vont affecter essentiellement la sphère industrielle et
commerciale et non la sphère des besoins et de la consommation. Schumpeter développe ainsi une idée
qui sera reprise plus tard par J.K. Galbraith dans son livre « Le nouvel état industriel », celle de la filière
inversée : « Les innovations en économie ne sont pas, en règle générale, le résultat du fait qu’apparaissent
d’abord chez les consommateurs de nouveaux besoins, dont la pression modifie l’orientation de l’appareil
de production, mais du fait que la production procède en quelque sorte à l’éducation des consommateurs
et suscite de nouveaux besoins, si bien que l’initiative est de son côté. » (cf. $IV : Les prolongements con-
temporains)
Selon Schumpeter, l’innovation est le facteur déterminant entraînant l’évolution économique. Elle
explique le processus de croissance mais aussi les transformations structurelles plus importantes. C’est
dans la recherche de nouvelles combinaisons productives que réside la force de changement du circuit
économique. En conséquence, la nature fondamentale du capitalisme est d’être en déséquilibre perma-
nent.
Ces innovations renvoient aux cinq cas suivants :
L’introduction de nouvelles méthodes de production, ou de nouveaux procédés commerciaux ;
L’introduction de nouveaux produits, ou de nouvelles qualités pour les produits ;
L’ouverture de nouveaux marchés pour les produits ;
La découverte de nouvelles sources d’approvisionnement (matières premières et produits semi-
finis) ;
La création de nouvelles organisations (concentration, système des grandes surfaces…).
B. L’entrepreneur schumpétérien.
Toutes les entreprises ont un dirigeant mais toutes n’ont pas nécessairement un entrepreneur au
sens de Schumpeter. Dans sa conception, l’entrepreneur se caractérise davantage par une fonction
qu’une position. Il se définit avant tout par le fait qu’il incarne le pari économique de l’innovation. Ainsi,
l’ouvrier ou l’employé peut être plus apte à être entrepreneur qu’un directeur ou un président d’une en-
treprise. La possession du capital ou la direction de l’entreprise sont donc des critères insuffisants pour
établir son profil.
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L’entrepreneur n’est pas l’inventeur ou le découvreur d’un bien mais celui qui tente d’introduire
une innovation. Pour cela, il doit surmonter plusieurs obstacles : proposer de nouvelles combinaisons
productives ou de nouvelles techniques commerciales ou encore présenter un nouveau produit, sans sa-
voir comment la situation se déroulera et en se heurtant parfois à des résistances. Il doit rompre avec les
automatismes existants et il doit lui-même aux habitudes de manière à pouvoir penser.
Il faut souligner que Schumpeter distingue quatre types d’entrepreneurs qui apparaissent succes-
sivement au cours de l’histoire :
Le fabricant-commerçant qui détient les moyens de production le capitaliste et sa position est
souvent héréditaire car le propriétaire d’une affaire va le transmettre dee génération en génération ;
c’est donc la propriété qui est transmise, seule condition pour exercer la fonction d’entrepreneur. Il oc-
cupe, par ailleurs, toutes les fonctions au sein de l’entreprise.
Le capitaine d’industrie n’est plus le représentant de ses propres intérêts ou de ceux de sa fa-
mille ; il agit par influence personnelle. Soit il possède l’entreprise, soit il est actionnaire majoritaire
mais il peut aussi être président d’un conseil d’administration ou occuper un autre type de poste. Il peut
n’avoir aucune relation directe soit avec l’entreprise soit avec la main d’œuvre ce qui ne l’empêche pas
de diriger la politique d’une ou plusieurs entreprises.
Le directeur est avant tout un salarié de l’entreprise si bien qu’il peut, à l’intérieur même de
l’entreprise, conduire celle-ci et innover. Il n’est pas capitaliste et n’assume donc pas dans ce cas les
risques techniques et commerciaux. Il recherche des revenus élevés mais son principal souci sera le goût
du travail bien fait, la responsabilité, la recherche d’une reconnaissance tant auprès de ses collabora-
teurs que du public.
Le fondateur est seulement motivé par le « lancement » de nouvelles affaires et peut, une fois
« lancées », s’en détourner.
Par ailleurs, les consommateurs et les collaborateurs ne sont pas toujours prêts à modifier leur
comportement ; et les concurrents, menacés par la nouveauté, chercheront à empêcher cette innovation
nuisant à leurs intérêts. C’est ce non-conformisme de l’entrepreneur qui permet à une économie
d’évoluer.
L’entrepreneur n’est donc plus un homo-oeconomicus, dominé par le calcul rationnel. Il n’est pas
non plus au service du consommateur qui exprime ses besoins et cherche à obtenir une satisfaction
maximale. Il n’est pas non plus celui qui cherche à obtenir le profit maximal. Il serait davantage celui qui
crée et cela pour des motifs irrationnels : volonté de puissance, plaisir de créer…
Toutefois, l’action de l’entrepreneur est principalement motivé et guidé par la réalisation de béné-
fices obtenus par les risques pris. La conception du profit défendue par Schumpeter est originale. con-
trairement aux Classiques qui font du profit la contrepartie des efforts productifs (capital et travail) de
l’entrepreneur ou à la conception marxiste qui place l’origine du profit dans la confiscation de la plus-
value (appropriation par le capitaliste d’une partie de la richesse créée par le prolétariat), Schumpeter
pense que le profit est la sanction de l’initiative créatrice et des risques pris par l’entrepreneur. Les pro-
fits seront d’autant plus importants et durables que l’entrepreneur est capable d’éliminer toute forme de
concurrence directe et immédiate.
L’entrepreneur a donc un rôle dynamisant : « le rôle de l’entrepreneur consiste à réformer ou à
révolutionner la routine de production en exploitant une invention, ou plus généralement, une possibilité
technique inédite » (Schumpeter). L’entrepreneur cherche donc à faire autrement c'est-à-dire produire
autrement, vendre autrement, produire autre chose ou vendre chose. Schumpeter développe le processus
de « concurrence destructrice » dans la mesure où ces nouvelles façons de procéder vont engendrer du
« gaspillage social ». Des activités, des emplois, des machines sont délaissés et remplacés, des dépenses
souvent inutiles seront réalisées : frais de publicité, achat de brevets sans exploitation seulement dans
le but d’étouffer les nouvelles méthodes de production, …
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II. Progrès technique et cycles économiques.
Selon Schumpeter, le progrès technique permet d’explique la croissance en Occident comme une
succession de cycles d’une durée moyenne de cinquante ans. Des phases de croissance de l’ordre de
vingt-cinq ans alternent avec des phases de croissance lente de la même durée.
Selon Schumpeter, c’est l’irrégularité du progrès technique qui explique les irrégularités de la
croissance.
Il reprend et rend célèbre le travail de l’économiste russe Nicolaï Dimitrievitch Kondratiev (1892
1938) [Ses travaux n’ont guère plu aux dirigeants politiques soviétiques dans la mesure où il suggérait
que le capitalisme pouvait renaitre de ses cendres ; il finira sa vie au goulag à partir de 1930 ].
En 1926, à la suite d’une étude sur les mouvements de prix, Kondratiev met en évidence des fluc-
tuations cycliques de longue durée. Il montre l’existence, à intervalles réguliers, de cycles économiques,
d’une durée de 50 à 60 ans, au cours desquels se succèdent 2 phases de durée égale :
- Une phase d’expansion appelée aussi « phase A » - caractérisée par une hausse de la produc-
tion, des revenus et des prix.
- Une phase de récession appelée aussi « phase B » - caractérisée par le ralentissement de la
hausse de la production, des revenus et des prix.
Selon Schumpeter, un « cycle de Kondratiev » résulte de l’introduction puis de la diffusion
d’innovations décisives qui bouleversent le processus de production.
A. L’innovation favorise l’expansion puis la récession.
Une grappe d’innovations déclenche une phase d’expansion car elle permet le développement de
nouvelles activités.
Les innovations stimulent la demande de biens de production et de biens de consommation nou-
veaux. Les profits des entreprises innovantes augmentent. Ces anticipations de profits élevés dans les
branches innovantes vont inciter les entreprises concurrentes à investir. En effet, du fait des perspectives
de profit élevé, des concurrents vont suivre la voie des entrepreneurs innovateurs.
La rentabilité certaine des investissements permet donc le déclenchement d’une véritable vague
d’investissements qui correspond à la phase d’ascension du cycle (phase A). En effet, la diffusion d’une
innovation majeure crée un climat d’euphorie dans lequel l’investissement productif qui s’intensifie for-
tement va lui-même engendrer un accroissement de la production et aboutir à une hausse du pouvoir
d’achat et à la création de nouveaux emplois. La croissance économique s’accélère.
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Schumpeter définit la phase A comme correspondant au temps nécessaire à la diffusion et à
l’assimilation des nouvelles conditions d’activité.
Cependant, des signes majeurs annonçant la crise économique vont apparaitre au sein même de
la phase d’expansion.
Une innovation radicale traverse généralement 4 phases, depuis sa naissance jusqu’à son déclin
(cf. schéma Le cycle de vie d’une innovation d’un produit) :
1. Une phase de lancement : l’apparition d’une innovation majeure de produit entraine de nom-
breuses innovations mineures. Les firmes nouvelles sont nombreuses à entrer sur le marché mais il s’agit
d’une période de grande incertitude technologique (seules quelques entreprises réussiront à s’imposer).
De plus, au cours de cette phase, les ventes du nouveau produit sont faibles.
2. Une phase de croissance : le marché connait une croissance forte parce que les clients consom-
ment massivement le nouveau produit.
3. Une phase de maturité : le produit connait un phénomène de saturation. La demande n’est qu’une
demande de renouvellement.
4. Une phase de déclin : le produit devient obsolète et sa demande diminue fortement jusqu’à ce
qu’il soit remplacé par une autre innovation.
Dès la phase de croissance, le phénomène d’imitation se met en place et entraine progressivement
une généralisation de l’innovation. La forte concurrence entre les entrepreneurs entraine une diminution
du prix de l’innovation. Dans ce contexte, les possibilités de profits (ou encore les rentes de monopole) se
raréfient.
Cette baisse des profits est accentuée par le phase de maturité au cours de laquelle les nouveaux
besoins sont satisfaits et les demandes saturées, de telle sorte que l’innovation n’est plus rentable.
L’économie entre alors de manière irréversible dans une crise économique. La crise économique
est le moment du cycle au cours duquel on assiste à un retournement de tendance de l’activité écono-
mique, qui met fin à la phase d’expansion pour déboucher sur une récession (ralentissement de l’activité
économique) ou une dépression (baisse de l’activité économique).
Ainsi, les grappes d’innovation qui sont à l’origine du processus de croissance portent en elles les
conditions même de la dépression : « La cause de la dépression, c’est l’essor » affirmait Schumpeter.
L’innovation est donc à la fois un facteur de croissance mais aussi de crise.
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