Traian SANDU Docteur en histoire, Professeur agrégé à l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle La longue marche vers le traité franco-roumain de 1926 : Alliance d’un système de revers, réassurance à Locarno ou texte de circonstance ? Les synthèses d’histoire des relations internationales peinent à expliquer la signature des traités entre la France d’une part, la Roumanie puis la Yougoslavie de l’autre après les accords multilatéraux de Locarno d’octobre 1925. Cette dernière solution de sécurité comprenait le repli sur le Rhin en échange de la garantie britannique -et accessoirement italienne. Dans cette configuration, l’alliance polonaise et les accords tchécoslovaques -assez modestes du fait de Prague- sont revus à la baisse et soumis aux règles d’engagement de la SDN, perdant ainsi leur automaticité. Alors pourquoi la France contracte-t-elle avec des pays qui intéressent moins sa sécurité que la Pologne ou la Tchécoslovaquie et qui risquent de tendre ses relations avec l’Union Soviétique et avec l’Italie ? Trois interprétations, partiellement exclusives l’une de l’autre, ont été avancées. La première, officielle, souligne la volonté de compléter le cycle de traités avec les pays d’Europe centre-orientale ; l’insertion de Locarno entre les deux phases (1921-1924 et 19261927) est escamotée et cette interprétation ignore la baisse d’intérêt pour les alliances de revers au cours de la seconde phase. La deuxième interprétation, utilisée notamment par l’historiographie actuelle1, privilégie la théorie des « deux fers au feu » : si Locarno échouait, il restait l’alternative des alliances de revers. Une analyse minutieuse des documents du Quai d’Orsay ont amené récemment plusieurs chercheurs, dont moi, à abandonner cette théorie.2 Une troisième interprétation semble se vérifier, tant Briand a privilégié Locarno jusqu’à la fin de son activité et de sa vie : celle d’un événement aléatoire, très circonstanciel, soumis à une conjoncture particulière et éphémère. La solution de la problématique historique et historiographique portant sur la nature du traité passe d’abord par le crédit que j’accorderai provisoirement à la première interprétation, systémique. Pour en montrer les limites, j’en insérerai ensuite la conclusion dans la 1 FRANK, Robert et GIRAULT, René, Turbulente Europe et nouveaux mondes, 1914-1941, Masson, coll. Relations internationales contemporaines, 1988, p.147. 2 Voir le résumé de ma thèse, dont je reprends ici certaines des conclusions : SANDU, Traian, Le Système de sécurité français en Europe centre-orientale, l’exemple roumain (1919-1933), Paris, L’Harmattan, coll. Aujourd’hui l’Europe, 1999, 495pp. chronologie événementielle, afin de prendre la mesure de la rupture introduite par la proposition de pacte rhénan (qui aboutit à Locarno) en février 1925. Enfin, le texte du traité et des accords -notamment militaire- qui l’accompagnent méritent analyse, sans jamais perdre de vue leur contexte post-locarnien. I - Un système français aux articulations paralysées La conception formelle d’un système de sécurité français en Europe centrale, fournissant à la France l’allié de revers contre l’Allemagne qui lui faisait défaut depuis la Révolution d’Octobre, se cristallise avec l’arrivée de Philippe Berthelot au secrétariat général du Quai d’Orsay en septembre 1920 : « Monsieur Berthelot a exprimé avec la plus grande énergie le point de vue français qui est de soutenir la Petite Entente et d’en obtenir le maximum de rendement et pour les Etats eux-mêmes, et pour la France qui veut avant tout assurer un bloc fort tenant en respect l’Allemagne dans ses velléités vers le Sud ou l’Est. ... Le ministre des Affaires étrangères polonais ayant fourni des détails sur l’accord militaire polono-roumain « signé ou presque » impliquant la garantie et l’aide de l’armée réciproque pour la frontière orientale, Berthelot a exprimé la satisfaction profonde de la France pour cette entente ».3 Berthelot favorise le regroupement le plus cohérent possible des petits vainqueurs centre-européens, afin de constituer une aile marchante contre l’Allemagne -comprenant la Pologne et la Tchécoslovaquie-, un flanc défensif face à l’Union Soviétique -avec l’alliance polono-roumaine éventuellement prolongée auprès des Baltes- et secondairement des soussystèmes pour observer ou maîtriser les autres mécontents -la Yougoslavie face à l’Italie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie face à la Hongrie et à la Bulgarie, appuyée dans ce dernier cas par la Grèce. Ce tableau théorique aboutit, à la veille de Locarno, à la configuration suivante de traités défensifs accompagnés de conventions militaires secrètes : Paris a signé des accords avec Varsovie (février 1921) et avec Prague (janvier 1924), qui visent l’Allemagne, et dans une bien moindre mesure un appui matériel contre une attaque soviétique -pour la Pologne- et contre l’Anschluss ou une restauration habsbourgeoise -pour la Tchécoslovaquie. Les petits vainqueurs contractèrent aussi des assurances entre eux contre les petits vaincus -la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et la Roumanie signèrent des traités bilatéraux entre août 1920 et juin 1921 afin de contrer les irrédentismes hongrois et bulgare. 3 Télégramme n°1635 du prince Ghica, ministre plénipotentiaire de Roumanie à Paris, à Take Ionescu, ministre des Affaires étrangères, du 4 février 1921, Archives du ministère des Affaires étrangères de Roumanie (AMAER), fond Paris 46, publié dans le volume d’annexes de ma thèse, SANDU, Traian, La Grande Roumanie alliée de la France, une péripétie diplomatique des Années Folles ? (1919-1933), Paris, L’Harmattan, coll. Aujourd’hui l’Europe, 1999, 283pp., doc. n°38, pp.100-102. Enfin, l’alliance polono-roumaine de mars 1921 achevait, avec l’Union Soviétique, la composition d’un tableau où tous les foyers d’instabilité issus des règlements de 1919-1920 semblaient maîtrisés. Tous les fils reliant l’ensemble paraissaient de même conduire à Paris, en tant que principale puissance garante de la nouvelle configuration européenne. Des faiblesses de quatre ordres minaient ce système. Bien que ces faiblesses aient elles-mêmes formé un contre-système cohérent, nous pouvons les distinguer par ordre de gravité pour la France. La première recouvre les divergences d’intérêt géostratégique entre ses membres : la Pologne n’a de conflit ni avec la Hongrie -dont elle souhaiterait au contraire se rapprocher pour étoffer le glacis anti-soviétique-, ni avec la Bulgarie ; de même, la Tchécoslovaquie ne connaît pas de tension avec la Bulgarie. Plus grave encore, le système est miné par des querelles intestines : une des plus bénignes fut celle qui opposait Bucarest à Belgrade dans le Banat occidental, que l’Entente avait également promis à la Roumanie ; Vilnius divisait Polonais et Lituaniens ; surtout, le conflit polono-tchécoslovaque de la région sidérurgique de la Silésie de Teschen -mal réglé en 1920 et prolongé par la tension autour de l’insignifiante Javorzina- resta une plaie ouverte fichée entre les deux éléments du supposé volet anti-allemand du système français. Ces faiblesses internes occupaient suffisamment les petits vainqueurs pour les détourner du principal danger qui les menaçait, c’est-à-dire les grandes puissances hostiles et déjà -ou bientôt- mues par les messianismes communiste et fasciste, et que les défaites ou les frustrations de 1918-1920 n’avaient mis que momentanément hors-jeu : la Roumanie était menacée par l’Union Soviétique en Bessarabie, la Yougoslavie par l’Italie en Dalmatie, bientôt la Tchécoslovaquie par l’Allemagne dans les Sudètes et la Pologne par l’Allemagne et l’Union Soviétique à la fois. Enfin, la France et ses alliés n’avaient pas les mêmes intérêts, ni dans la zone, ni hors-zone : Paris ne comptait aucun contentieux direct avec Budapest et avec Sofia ; selon les périodes, elle tenta même de s’entendre avec l’Italie, la Russie et l’Allemagne sur des points de difficulté limités avant 1925 ; ces tentatives s’élargirent à partir de 1924, aboutissant à la reconnaissance de l’Union Soviétique, à la participation de l’Italie à la garantie rhénane et à la réconciliation francoallemande sur le Rhin. Ces forces et faiblesses du « système » centre-européen de la France se répercutent sur la Roumanie, qui était supposée servir de pivot à l’ensemble. En effet, participant à la fois à la Petite Entente aux côtés de la Tchécoslovaquie et à l’alliance avec la Pologne, la Roumanie devait rapprocher les deux frères ennemis slaves pour former le front anti-allemand attendu à Paris. Mais des intérêts périphériques face à la Hongrie et à l’Union Soviétique pouvaient-ils faire de la Roumanie l’articulation de l’ensemble ? Un survol (très) cavalier des relations franco-roumaines de sécurité entre 1918 et 1925 nous permettra de mieux saisir la préférence que la diplomatie de Briand, annoncée en cela par celles de Herriot et même de Poincaré, finit par accorder à la garantie britannique limitée au Rhin plutôt qu’à une garantie centre-européenne qui avait plus que prouvé sa déficience entre 1919 et 1924. II – Une alliance franco-roumaine soluble dans la chronologie Le caractère incertain, laborieux et chaotique de la mise en place d'un après-guerre qui se prolonge en Europe centrale jusqu'à la fin de 1921, avec le risque d'embrasement de la seconde tentative de restauration habsbourgeoise, est bien illustré par les relations francoroumaines, dont elles constituent un élément par moments essentiel. En effet, la présence militaire française dans la zone jusqu'en 1920, l'implication des experts français dans l'élaboration des nouvelles frontières et l'amorce d'un système de revers dirigé contre les vaincus centre-européens pouvaient faire espérer une activité intense de la diplomatie française auprès de Bucarest. Le désir de préserver la Pologne, qui devint l'élément principal de ce dispositif de revers, de son autre adversaire, la Russie bolchevique, accrut la nécessité d'intégrer la Roumanie à la sphère d'influence française; la paix séparée que la Roumanie avait signée avec l'ennemi en mai 1918 fut donc partiellement oubliée. Mais les priorités de la politique roumaine, qui la portaient vers la consolidation de la Transylvanie, étaient-elles compatibles avec l'appui anti-bolchevik que les responsables français espérèrent d'abord ? La Conférence des Alliés avait-elle assez d'autorité pour imposer un règlement pacifique aux Hongrois, afin de dégager le plus possible de troupes roumaines à l'est ? La Roumanie pouvait être tentée de couvrir en priorité la possession de la Transylvanie face à la petite Hongrie par un rapprochement avec les autres co-partageants. Mais quels droits lui reconnaîtrait alors la diplomatie française sur la Bessarabie ? Toutes ces questions reçurent leur réponse avant la fin de l'année 1921, qui mit un terme aux doutes qui pesaient encore sur le rôle que Paris entendait faire jouer à la Roumanie dans la sécurité européenne. Dans l'immédiat après-guerre, entre novembre 1918 et mars 1920, la tension verbale qui caractérise les échanges franco-roumains à propos du statut d'allié de la Roumanie, de l'occupation de Budapest par l'armée roumaine et du refus de signer les traités en raison des clauses concernant les minorités, ne doit en effet pas faire illusion. Elle relève de l'éphémère animosité de Clemenceau envers le Premier roumain Bratianu et est en partie à usage externe : elle devait rassurer les Anglo-Américains sur le souci de la France d'apaiser les tensions locales. Sur le plan géo-stratégique, les responsables français s'emploient, au début de 1919, à doter la Roumanie de frontières orientales aptes à remplir un rôle de glacis face à une Russie hostile aux nouveaux règlements; surtout, ils lui ménagent des frontières septentrionales et occidentales créant un contact territorial avec les autres Alliés protégés de la France, la Pologne et la Tchécoslovaquie, -la frontière roumano-yougoslave étant plus délicate à définiret incluant les voies de communication capables d'acheminer le matériel stratégique français de Salonique à Varsovie : si la Hongrie n'est pas un adversaire direct pour la France, Paris pouvait-elle pour autant laisser un des rares axes ferroviaires fiables aux mains d'un ancien vaincu ? Dès février 1919, Foch pensa recueillir les fruits de cette Grande Roumanie, en essayant en vain de l'utiliser contre la Russie : les responsables roumains maintinrent leurs priorités, qui les amenèrent à occuper Budapest en août. A partir de cette date et jusqu'en mars 1920, les efforts des Alliés pour faire évacuer le territoire hongrois aboutirent au repli définitif des troupes roumaines dans les limites des nouvelles frontières : l'état de fait correspondit enfin à l'état de droit. La période de mars à septembre 1920 constitue le premier test de fiabilité du pont roumain vers la Pologne et de capacité d'intégration à l'ensemble centre-européen sous égide française. Cette expérience se déroula sous d'assez mauvais augures. A l'est, la Roumanie pouvait-elle participer à une "aventure" polonaise sans incitation de Paris et sans engagement de troupes françaises ? Aiderait-elle le Russe blanc Wrangel, soutenu par Millerand, mais soupçonné de convoiter la Bessarabie ? Du moins, le francophile Take Ionescu, qui dirigea la diplomatie roumaine après juin, facilita le passage des armes françaises vers la Pologne et amorça ses efforts de reconciliation entre la Pologne et la Tchécoslovaquie avec l'aide de la France, pour renforcer la cohérence d'un système français exclusivement fondé sur les vainqueurs centre-européens. Durant la crise polonaise, la France refusa de signer la convention accordant la Bessarabie à la Roumanie, se réservant ainsi un levier de pression sur cette dernière pour la faire participer au sauvetage de la Pologne. A l'ouest de la Roumanie, la France s'était engagée dans un processus de rapprochement économique avec la Hongrie que les Etats co-partageants de l'Empire austro-hongrois craignirent à tort de voir glisser vers une révision des clauses militaires, voire territoriales, du traité de paix de Trianon; la Roumanie, entraînée par la Tchécoslovaquie et, à un moindre titre, par la Yougoslavie, accepta de se rallier de façon encore informelle à une "Petite Entente" contre d'éventuelles revendications territoriales hongroises. Enfin, d'octobre 1920 à décembre 1921, la Roumanie prit part à la stabilisation du système centre-européen de la France sur des fondements défensifs et hostiles aux anciens vaincus, une fois l'alerte polonaise heureusement terminée. A l'est, la France reconnut la Bessarabie roumaine et incita Bucarest à signer un traité avec la Pologne sur le modèle défensif de son propre traité du 19 février avec Varsovie : le 3 mars 1921, ce fut chose faite, et l'élément essentiel du glacis défensif français contre la Russie, qui devait couvrir l'appui de la France à la Pologne en cas d'opérations anti-allemandes, fut enfin en place. A l'ouest, cet ancrage de la Roumanie à la France lui permit d'officialiser, après la première tentative de restauration habsbourgeoise, sa participation à la Petite Entente au printemps 1921, aux côtés de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie. Briand accorda immédiatement son soutien à la nouvelle formation, afin de faire oublier les bruits d'appui à la tentative habsbourgeoise; le second essai de restauration ne rencontra d'ailleurs plus la même complaisance de la part de certains milieux polonais ou de monarchistes français, et vérifia la combativité de la Petite Entente, avec l'approbation distante des Français. Mais la France avait-elle obtenu pour autant un système de sécurité en Europe centrale solide et conforme à ses intérêts ? La période de 1922 à la conclusion du traité avec la Roumanie en 1926 débuta de façon encourageante. Le soutien apporté par la Roumanie -et par ses nouveaux alliés- aux positions de la France durant la préparation et le déroulement de la conférence de Gênes leur permit de discuter de coopération de sécurité durant l'année 1922. Toutefois, la divergence des préoccupations géo-stratégiques -chacun des deux partenaires ayant tendance à se méfier du signataire de Rapallo qui le menaçait le plus-, les tensions franco-britanniques à propos de la guerre gréco-turque, la non-ratification de la Convention bessarabe, puis l'aggravation de la crise de la Ruhr et l'échec d'un emprunt auprès de la France destiné à financer du matériel militaire incitèrent la Roumanie à se rapprocher des positions de la Grande-Bretagne durant le second semestre de 1923. Le rétablissement de l'influence française auprès des Petits Puissances amies à la fin de 1923 passait par la négociation de traités en vue d'obtenir leur soutien diplomatique lors du règlement international de l'affaire de la Ruhr -plus qu'une coopération militaire, puisque le temps des solutions de force était momentanément révolu. Mais comment les préoccupations de sécurité orientale de la Roumanie pouvaient-elles se concilier avec le système souple de Poincaré ? Les négociations avec la Roumanie continuèrent néanmoins de façon sérieuse jusqu'à la proposition germano-britannique de pacte rhénan en janvier 1925; après ce tournant, un traité franco-roumain intéressa moins la France. Si nous maintenons la date-butoir de mai 1924, c'est en raison de la mise en veilleuse des pourparlers bilatéraux au profit d'une tentative d'ampleur pour organiser la sécurité collective, déjà amorcée par Poincaré et par Foch, d'ailleurs. La rupture de Herriot avec les théories de Poincaré et de Foch, -qui se dirigeaient également vers la discussion avec les Anglo-Américains, la reconnaissance de l'Union Soviétique et le renforcement de la Société des Nations-, ne semble en effet pas avoir l'ampleur que l'historiographie conservatrice lui reconnaît habituellement. Les discussions pour le traité franco-roumain ne furent momentanément interrompues que parce que la France tenta de mettre en place une sécurité collective qui utilisât pleinement le potentiel britannique; elles furent ensuite reprises et achoppèrent sur les mêmes empêchements -notamment le refus de la France de s’impliquer contre l’Union Soviétique- que durant la législature précédente. Elles ne passèrent réellement au second plan de la recherche française de sécurité qu'après l'adhésion de la Grande-Bretagne à la sécurité zonale avec le pacte rhénan. La conclusion du traité franco-roumain en juin 1926 ne se réalisa qu'à la faveur d'une crise de cabinet en France et sous la double pression du traité germano-soviétique d’avril 1926 et de la concurrence politique de l'Italie dans l'Europe danubio-balkanique, qui aboutit au traité italo-roumain de septembre 1926. La France, ayant retrouvé sur le Rhin la garantie britannique, avait-elle encore besoin de risquer d'entrer en collision avec la Puissance soviétique pour intégrer la Roumanie dans un système de sécurité centre-européen à l'équilibre délicat et aux multiples adversaires ? Mais pouvait-elle l'ignorer totalement, au risque de livrer la zone à des conflits qui auraient déséquilibré la sécurité européenne ou de voir détourner son potentiel stratégique au bénéfice d'une autre Puissance -l’Italie bien plus que l’Allemagne- que la France ? En retour, la stabilisation occidentale ne soulageait-elle pas l'Europe centrale en faisant partiellement éclater le couple germano-russe ? III – Contexte et textes de l’ »alliance » franco-roumaine du 10 juin 1926 Plusieurs événements, d'ordres très divers, décidèrent Briand à signer le traité. La Roumanie accepta d'abord une formulation très large de la déclaration de non agression contre la Russie dont elle négociait le texte depuis les discussions avec Poincaré : le Quai d'Orsay l'approuva.4 Moscou entendait de son côté relancer le traité germano-russe en s'appuyant sur 4Note non datée (classée entre le 2 avril et le 15 mai 1926) de la légation de Roumanie, Archives du ministère des Affaires étrangères français (AMAEF), série Z Europe, sous-série Roumanie, volume 64, folio 182, annotée dans la marge. l'échec de l’Allemagne à obtenir un siège permanent à la SDN en mars sur le renouvellement erga omnes du traité polono-roumain le même mois. Le 24 avril 1926 fut signé à Berlin le traité germano-russe d'amitié et de neutralité : Diamandi pressa dès le lendemain Berthelot.5 Mais ce traité ne pouvait pas créer un choc en faveur d'une conclusion franco-roumaine, puisque Berlin avait fait attendre à Moscou -comme Paris à Bucarest- sa tentative d'entrée à la Société des Nations; Stresemann avait aussi mis au courant ses partenaires de Locarno des tractations, pour ne pas les alarmer.6 Mais le traité germano-soviétique ne fut sans doute pas étranger à la lettre de Diamandi à Berthelot du 15 mai, qui contenait la dernière mouture de la convention militaire secrète entre leurs deux Etats : la formulation de la convention avait été encore adoucie : elle prévoyait que "les états-majors respectifs procéder[aient] à des échanges de vues sur les conditions techniques de cette coopération."7 Le 5 juin encore, aucun indice ne pouvait laisser penser que le traité devait être signé rapidement, ainsi qu'en témoigna une conversation entre le ministre de France à Bucarest Robert de Billy et le chef de la diplomatie roumaine, Ion Mitilineu.8 Comment expliquer alors la brusque décision de Briand de signer le traité le 10 juin 1926 ? La principale raison relève du contexte politique intérieur. Joseph Caillaux, accusé pendant la guerre d'intelligence avec l'ennemi, était de retour aux Finances après la crise de mars; or il menait des tractations secrètes avec Berlin pour en obtenir une aide financière contre des compensations révisionnistes, et sa formation, le Parti radical, avait l'intention de mettre le gouvernement en difficulté sur ce point.9 Le retard apporté au traité avec la Roumanie pouvait apparaître comme un gage donné à Berlin, et Diamandi avait sans doute 5Conversation citée dans MOISUC, Viorica, Premisele izolarii politice ale României (1919-1940) (Les prémisses de l'isolement politique de la Roumanie), Bucarest, Humanitas, 1991, p.213-215. 6Voir la note non datée (antérieure à la mi-avril 1926) de Stresemann dans BERNHARD, Henry, Six années de politique allemande. Les papiers de Stresemann, Paris, Plon, 1932-1933, volume II, p.351-352; voir son commentaire du 26 avril devant la presse (ibid., p.370-376); voir sa note du 27 avril : "j'ai également invité notre ministre à Bucarest à faire observer aux Roumains que le gouvernement allemand n'était vraiment pas débonnaire au point d'admettre que le ministre de Roumanie à Paris se permît de dire dans une interview que l'Allemagne dans ce traité montrait deux visages, un tourné vers la Russie et aimable, un autre tourné ailleurs et respirant la haine." (ibid., p.377-379). Voir BAECHLER, Christian, Stresemann (1878-1929). De l'impérialisme à la sécurité collective, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p.672. 7Lettre de Diamandi du 15 mai 1926, avec la convention militaire en annexe, Z Roumanie 64, f.183-185. 8Dép. n°147 de Billy du 5 juin 1926, Z Roumanie 63, f.190 : voir SANDU, La Grande Roumanie..., op. cit., doc. n°80. 9BARIETY, Jacques et POIDEVIN, Raymond, Les Relations franco-allemandes, 1815-1975, Paris, Colin, 1977, p.268-269. encouragé ces bruits auprès des parlementaires. Briand, fragilisé, ne pouvait donner l'impression de négliger la politique d'assurance envers l'Allemagne en boudant la Roumanie. Les archives sont muettes sur les négociations de dernière minute, témoignant de leur caractère aléatoire. Nous possédons la relation de Diamandi, qui avait légué des papiers sensibles à Raoul Bossi, un diplomate roumain, qui n'a pas pu les récupérer auprès des héritiers, mais dont il retranscrit de mémoire certains propos : "Quand (en 1926), par la démission de Pérat [le ministre des Finances], s'est produit une crise ministérielle (gouvernementale), Diamandi a attiré l'attention de Briand -ministre des Affaires étrangères démissionnaire- qu'il se pourrait qu'il soit accusé par ses adversaires d'avoir commis une erreur grave, c'est-à-dire celle de ne pas avoir resserré davantage les liens de la France avec ses anciens Alliés orientaux, dans le cas où sa politique de rapprochement avec l'Allemagne ne porterait pas de fruits. ... Briand s'est laissé convaincre à la fin, afin de prévenir de futures attaques contre sa politique et, comme il ne prévoyait pas de se maintenir au Quai d'Orsay, il signa le traité entre deux portes."10 C'était sous la pression d'une crise intérieure que Briand avait signé, lors d'un ultime assaut de Diamandi, qui le menaçait d'aggraver la crise parlementaire. Certains historiens affirment que le traité fut signé en réalité le 15 juin, mais qu'il fut anti-daté du 1011 pour ne pas paraître une compensation au retour de Caillaux. Les conditions de la signature n'engageaient pas intimement Briand. D'ailleurs, les dernières modifications du texte témoignaient de ses réticences.12 Le traité lui-même n'était que le premier des trois textes publiés que Diamandi et Briand signèrent le 10 juin 1926; les autres étaient la déclaration de non-agression envers l'Union Soviétique et une convention de conciliation franco-roumaine. Dans le traité "de paix, d'entente et d'amitié" (préambule), le caractère éminemment pacifique était omniprésent et occupait les attendus du préambule. Les deux premiers articles avaient été profondément modifiés par rapport aux projets. L'article premier définissait les cas 10BOSSI (Raoul) : Amintiri din viata diplomatica (Souvenirs de la vie diplomatique), volume I, Bucarest, 1993, p.177 (les mots en italique sont en français dans le texte). 11BOIA, op. cit., p.127, se référant à CAMPUS, Eliza, Din politica externa a României (1913-1947) (Pages de politique extérieure roumaine, 1913-1947), Bucarest, 1980, p.267. 12Voir le texte du traité franco-roumain du 10 juin 1926 dans Z Roumanie 64, f.191-204 : voir SANDU, op. cit., doc. n°81; voir une rapide analyse dans NANU, op. cit., p.128, et une vision critique dans Nicolae TITULESCU, qui affirme ne connaître "aucun instrument diplomatique plus dépourvu de contenu que le traité franco-roumain signé le 10 juin 1926." (Politica externa a României (la politique étrangère de la Roumanie), Bucarest, 1994, exceptionnels dans lesquels les deux Etats pouvaient recourir à la guerre : outre la légitime défense, les deux possibilités prévues par le Pacte de la Société des Nations étaient l'injonction d'intervention au nom de l'article 16 et l'autorisation selon l'article 15, alinéa 7, à condition que l'action fût dirigée contre l'Etat agresseur. Cette dernière clause permettait aux contractants de ne pas dépendre de la décision unanime de la Ligue en matière d'intervention. L'article 2 était une annonce de la convention de conciliation entre les deux pays, ce qui alignait le traité sur les nombreux textes signés sous l'égide de Genève. Les articles importants se trouvaient en troisième et quatrième position. Ils contenaient les engagements pour la sécurité mutuelle. Les expressions étaient à la fois générales, -ce qui permettait d'englober la totalité des territoires dans la garantie (comme à l'article 3, où l'on évoquait "la sécurité extérieure de la France ou de la Roumanie ou ... l'ordre établi par les traités dont l'un et l'autre sont signataires")- et faibles, non contraignantes -ce qui permettait à la France et à la Roumanie de ne pas se laisser entraîner dans des crises balkanique ou rhénane respectivement (avec les engagements d'"examiner en commun" de l'article 3 ou "les deux gouvernements se concerteraient sans délai" de l'article 4). A l'article 5, les deux Etats promettaient de se concerter sur les tentatives "de modification du statut politique des pays de l'Europe", ce qui soulignait leur hostilité à l'Anschluss ou à la restauration des Hohenzollern ou des Habsbourg. L'article 6 comportait une reconnaissance mutuelle des traités signés par ailleurs, mais sans allusion explicite, pour effacer la menace d'intégration du traité à un système régional sous égide française. L'article 7 soumettait encore le traité "aux droits et obligations des Hautes Parties contractantes en vertu du Pacte de la Société des Nations." L'article 8 stipulait l'enregistrement à la Société des Nations et l'article 9 signifiait la durée, qui était de dix ans renouvelables, ce qui représentait une durée longue. La convention militaire prévoyait "des échanges de vues" entre états-majors en cas d'une coopération dans le cadre défini par le Pacte de la Société des Nations.13 Ce que l'on a le plus reproché à cette convention, au-dela de son caractère vague et pacifiste, ce fut la subordination de la coopération militaire à l'apparition des circonstances la nécessitant, ce qui la rendait trop tardive, car manquant de capacité de prévision. La preuve en fut rapidement p.159 (plus loin, TITULESCU, Politica externa..., p.159); de même, voir MOISUC, Premisele izolarii..., p.277279. 13Publié par Viorica MOISUC, "Izolarea politica a României pe plan international" (l'isolement de la Roumanie sur le plan international), dans Probleme de politica externa a României, 1918-1940 (problèmes de politique extérieure de la Roumanie, 1918-1940), volume III, p.276 : voir SANDU, loc. cit.. administrée par une annotation de Berthelot en marge d'une dépêche de Billy transmettant un long rapport du lieutenant-colonel Thierry : "Non, il n'y aura pas de négociations d'accord militaire; la stipulation jointe au traité ne prévoit de conversation que si les faits la rendent nécessaire."14 En fait, l'accord militaire existait, mais il n'était visiblement pas contraignant. La collaboration franco-roumaine enregistrait ainsi les conséquences des choix stratégiques effectués à Locarno, de façon logique et mutuellement acceptée -puisque c'était Diamandi qui avait proposé la formulation. Sans doute subissait-elle le regain des théories de la fortification défensive des frontières, auxquelles l'évacuation française de la zone de Cologne en janvier 1926 et la présence de Painlevé à la Guerre n'était pas étrangères : durant ce même mois de juin fut adopté le premier plan de mobilisation défensif -le plan A bis-, qui reculait la ligne de mobilisation : la concentration ne se ferait plus sur le Rhin.15 Toutefois, malgré le caractère modéré des textes politiques, les deux gouvernements décidèrent de ne les rendre publics que par accord mutuel; dans l'immédiat, ils restèrent secrets : Paris espérait éviter des récriminations et attendait l'entrée de l'Allemagne à la Société des Nations, tandis que la Roumanie désirait ne pas irriter Rome, en espérant qu'elle signerait aussi le traité longuement négocié. Conclusion : le traité franco-roumain, entre le refus de/et l'appel tardif à une domination française en Europe centrale Les attitudes de la France et de la Roumanie en matière de sécurité européenne enregistrent, durant la période de stabilisation des règlements de l'après-guerre en Europe centrale, entre 1922 et 1928, des évolutions divergentes. Les tentatives pour les rapprocher se heurtèrent à l'incompatibilité entre des soucis similaires -le respect du statu quo territorial sur le Rhin et sur le Dniestr face aux Grandes Puissances capables de le renverser- et la politique des Puissances, Angleterre et Italie, pouvant servir de garants pour ce statu quo. Avant l'arrivée de Briand aux affaires, en avril 1925, la France essaya de s'assurer, de façon unilatérale, le soutien des petits Alliés en Europe centrale, contre le danger allemand; ainsi, 14Dép. n°169 de Billy du 2 juillet 1926, Z Roumanie 65, f.2-17. 15DOISE, Jean et VAISSE, Maurice, Diplomatie et outil militaire, 1871-1969, Paris, Imprimerie nationale, 1987, reprise en Points Seuil, p.340; voir aussi l'article du capitaine Jean-Marc MARILL, "La doctrine militaire française entre les deux guerres", dans la Revue historique des Armées, 1991, n°3, p.24-35. elle ignora en partie les craintes inspirées par l'Union Soviétique à la Pologne et surtout à la Roumanie, que le danger allemand concernait moins. La Roumanie refusa donc l'hégémonie française dans la mesure où elle excluait la garantie britannique et une pointe plus sérieuse contre l'Union Soviétique. Mais une fois Londres acquise à l'idée de sécurité européenne collective lors de la présence de gouvernements de gauche des deux côtés de la Manche, une fois la menace soviétique apparemment amoindrie par la fin du blocus diplomatique, la victoire des conservateurs britanniques vint limiter les engagements franco-anglais au Rhin. La Roumanie s'engagea alors dans une course vaine pour intéresser Paris à une coopération privilégiée pour la sécurité européenne. Plus précisément, les responsables roumains durent comprendre rapidement après Rapallo, mais sans l'accepter totalement, que la France n'armerait pas gratuitement leur pays et ne reconnaîtrait pas la frontière du Dniestr si une certaine détente n'intervenait pas avec Moscou. La fin du régime d'exception et l'état matériel de la France lui interdisaient de faire une exception au bénéfice de la Roumanie ou de tout autre créancier. Ce premier décrochage se doubla, en septembre 1922, de l'obligation pour la Roumanie de prendre position dans les tensions entre l'Angleterre et la France dans la guerre gréco-turque. Paris tenait, en passant un accord séparé avec Kemal, à priver la Russie soviétique -et par voie de conséquence, l'Allemagne- d'un allié potentiel dans le sud-est de l'Europe; la France n'avait ni intérêt, ni les moyens d'ouvrir un nouveau front en Egée contre la Russie pour défendre essentiellement les positions impériales de l'Angleterre, qui ne le lui eût pas rendu sur le Rhin. Bucarest n'était pas insensible à l'argument français de l'intégration de la Turquie parmi les Etats satisfaits, mais encore s'agissait-il de savoir à quel prix : la condition sine qua non était le maintien de la libre circulation dans les Détroits, afin d'éviter de faire de la Mer Noire un lac soviétique et de couper une route stratégique importante des Occidentaux vers la Roumanie. Or cette thèse était surtout défendue par la Grande-Bretagne, qui cherchait des alliés dans la zone pour l'étayer. La Roumanie fut près de céder, mais Poincaré mit tout son poids pour la faire échouer et marquer ainsi son autorité en Roumanie. La France n'hésita d'ailleurs pas à tenter de réaliser ses intérêts en Rhénanie en 1923, au risque de briser ce qui restait de l'Entente cordiale, que la Roumanie et la Petite Entente considéraient comme indispensable à la sécurité est-européenne. Certes, la présence dans la Ruhr pouvait apparaître comme une œuvre d'intérêt collectif pour les Alliés, un gage de règlement des réparations dont les Petits avaient besoin. Il est vrai aussi que la France n'avait pas directement besoin de la Roumanie contre Berlin; mais une fois de plus, elle fit sentir son autorité lorsqu'elle imposa à la Pologne une présence militaire face à l'Allemagne incompatible avec les accords polono-roumains sur le partage des tâches face à l'Union Soviétique. La tutelle française apparut d'autant plus déplacée que Poincaré prétendit intégrer la Roumanie, par le biais d'un traité bilatéral, à un système de soutien diplomatique et militaire à direction française, mais sans garantie spéciale pour la Bessarabie, alors que l'acte international par lequel cette province avait été attribué à la Roumanie ne se trouvait pas en vigueur. La Roumanie marqua sa mauvaise humeur et son glissement vers Londres en renonçant au prêt français à l'armement; Paris dut ratifier la Convention bessarabe, ce qui contribua au retour de la Roumanie dans son giron, mais sans abandonner les prétentions sur une garantie spécifique pour la Bessarabie lors des négociations du traité franco-roumain. L'arrivée du Cartel des gauches ne modifia la donnée à l'égard de la Roumanie que dans les modalités de recherche de la sécurité dans les deux parties de l'Europe. Après la réconciliation de Poincaré avec la Turquie, Herriot voulut priver l'Allemagne de son allié de Rapallo, ce qui inquiéta la Roumanie en juin 1924; de cette anxiété ne subsista, par la suite, que l'aspect concernant les promesses françaises sur la rétrocession de l'ancienne flotte tsariste de la Mer Noire, qui ne fut d'ailleurs jamais réalisée, en partie en raison des pressions de Bucarest. Le second aspect novateur dans la recherche de la sécurité fut sa dimension collective. L'attitude de la Roumanie resta mitigée, car si cette modalité avait l'avantage de réintroduire une Angleterre réticente parmi les garants des règlements de 1919-1920 -ce que la Petite Entente avait constamment réclamé-, elle possédait aussi un fonctionnement plus lent et plus lourd; elle comportait aussi la nécessité d'introduire l'Allemagne parmi les membres de la Société des Nations, où elle pouvait faire le jeu de Moscou en interdisant le transit à travers son territoire, risquant ainsi de distendre le lien stratégique entre la France et les Alliés centreeuropéens. Mais la véritable césure dans la position de la Roumanie au sein de la conception de sécurité de la France fut le refus britannique de garantir les frontières centre-européennes, implicite dans la proposition allemande de pacte rhénan de février 1925. Les efforts de la France pour ne pas se priver totalement d'une présence dans la zone tout en réalisant prioritairement la garantie britannique sur le Rhin ressemblèrent de plus en plus à un grand écart, au bénéfice de l'option rhénane. Le Quai d'Orsay était d'ailleurs divisé quant au choix définitif : si Aristide Briand privilégiait le Rhin et un éventuel condominium avec l'Italie en Europe centrale pour prix d'un accord anti-Anschluss, certains fonctionnaires comme Philippe Berthelot désiraient garder le pilier oriental de la sécurité française. Le compromis de Locarno se fit à l'avantage du Rhin, ce qui eut pour conséquences la tentative de la France de se décharger sur la Pologne, à défaut de l'Italie, du fardeau de la sécurité de la Roumanie. Néanmoins, la détente occidentale distendait les liens de Rapallo et obligeait Moscou à transiger, à terme, avec ses voisins occidentaux. Mais comme les engagements réels de la Roumanie envers la Pologne ne concernaient toujours que le front oriental et comme Berlin fit mine de rééquilibrer ses liens diplomatiques par le traité avec l'Union Soviétique d'avril 1926, Briand dut signer malgré lui le traité avec la Roumanie en juin. La concurrence politique et économique de l'Italie -appuyée par Londresdans la région y était pour beaucoup. Mussolini craignait la faiblesse des moyens financiers et militaires de l'Italie, et il croyait encore que la France lui proposait un marché de dupes en Europe centrale, pour le lier à ses intérêts contre l'Anschluss et pour l'étouffer grâce à une hégémonie qu'elle n'avait plus -ce que paradoxalement il reconnaissait et dont il voulait profiter. La réaction anti-italienne de la France en Roumanie fut prudente, car elle devait s'exercer avec plus de vigilance en Yougoslavie, tout en n'obérant pas une éventuelle entente anti-Anschluss; surtout, Paris privilégiait la politique de Locarno, ce qui lui interdisait les opérations bilatérales de revers au profit de tentatives multilatérales. Le bref retour de la Roumanie dans le giron français après l'épisode d'Averescu se réalisa donc sans intervention française patente; la mollesse de la réaction française aux diverses affaires opposant la Roumanie et la Hongrie, ainsi que les tensions anglo-soviétiques, déterminèrent Titulescu à revenir à une politique de diversification de ses appuis occidentaux auprès de l'Italie et même de l'Allemagne, malgré le rapprochement germano-hongrois à la Société des Nations. Cette politique reçut un coup d'arrêt avec l'arrivée aux affaires de Iuliu Maniu, décidé à réaliser une détente en matière de minorités et de protectionnisme économique, afin de sortir son pays de l'isolement. La nouvelle donne roumaine était mieux adaptée aux exigences locarniennes de la sécurité française, car elle prenait acte de l'impossibilité pour la France de mener une politique unilatérale de force, tout en ne menaçant plus le Quai d'Orsay de dérives en faveur d'autres Puissances. L'apaisement politique et l'intégration économique que prônait Maniu en Europe danubienne auraient-ils raison du déséquilibre en faveur des Etats révisionnistes introduit en décembre 1928 par le retour de Berlin dans cet espace par le biais des minorités ? Quelle serait l'attitude de la France au moment où l'Allemagne, ayant en partie épuisé les avantages occidentaux de Locarno, prétendait en cueillir des fruits modestes sur la frontière orientale -ce qui heurtait l'allié polonais de Bucarest ? Londres, Rome et Moscou allégeraient-elles leur pression à l'égard des relations de la France avec l'Europe centrale dans ce nouveau contexte ?