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On peut aimer Dieu, non pour lui, mais pour les biens distinguez de lui, qui dépendent de sa puissance, et
qu’on espère en obtenir, en sorte qu’on ne l’aimerait point sans ce motif. Tel était l’amour de ceux d’entre
les juifs qui étaient charnels, et qui observaient la loi, pour être récompensé par la rosée du ciel, et par la
fertilité de la terre. Cet amour n’est ni chaste, ni filial, mais purement servile. à parler exactement, ce n’est
pas aimer Dieu, c’est s’aimer soi-même, et rechercher uniquement pour soi, non Dieu, mais ce qui vient
de lui. 2 on peut, quand on a la foi, n’avoir aucun degré de charité. On sait que Dieu est nôtre unique
béatitude ; c’est à dire le seul objet dont la vue peut nous rendre bienheureux. Si en cet état on aimait
Dieu, comme le
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seul moyen propre à nôtre bonheur, et par l’impuissance de trouver nôtre bonheur en aucun autre objet : si
on regardait Dieu comme un moyen de félicité, qu’on rapporterait uniquement à soi comme fin dernière,
en sorte que l’âme fut déterminée a ne le point aimer si ce n’était pour elle-même et pour son bonheur, cet
amour serait plutôt un amour de soi qu’un amour de Dieu : du moins, il serait contraire à l’ordre ; car il
rapporterait Dieu en le regardant comme objet, ou moyen de nôtre félicité, à nous et à nôtre félicité
propre. Quoique cet amour ne nous fît point chercher d’autre récompense que Dieu seul, il serait
néanmoins purement mercenaire, et de pure concupiscence. Saint Bernard suppose cet amour, et il en fait
le second des quatre qu’il représente dans son traité de l’amour de Dieu... etc.
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3 on peut aimer Dieu D’un amour qu’on nomme d’espérance et qui peut précéder la justification du
pêcheur, alors l’homme qui a cet amour ne rapporte point Dieu comme moyen a soi, comme fin, de même
que dans l’amour de pure concupiscence. Il peut même préférer Dieu a tous les objets qui sont hors de lui.
Mais il ne préfère pourtant pas encore Dieu a soi-même. S’il le fait, ce n’est que par un amour effectif,
comme dit saint François De Sales, et non par un amour effectif, qui est le seul de préférence réelle. C’est
pourquoi cet amour ne justifie pas quand il est tout seul. Ce saint parle ainsi de cet amour... etc. Cet
amour d’espérance, quand il précède la justification, n’empêche point que
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l’amour de nous-même ne sait encore le plus fort en nous. C’est un commencement de conversion, car
c’est un commencement d’amour véritable pour Dieu, mais cet amour n’est pas encore dominant, et de
préférence de Dieu a nous même. Ainsi, ce n’est pas encore la véritable justice. C’est de cet amour
d’espérance dont saint François De Sales a parlé ainsi : le souverain amour n’est qu’en la charité ;... etc..
4 il y a un état d’amour véritablement justifiant ou l’âme ne fait pas encore fréquemment des actes de
charité. Mais ceux qu’elle fait sont purs et de la même espèce que ceux du 5 e état que nous verrons
ensuite. Ces actes regardent Dieu en lui-même et dans sa perfection, sans rapport à nous, mais il y a
encore alors dans l’âme un reste d’amour intéressé parce que l’âme qui est dans cet état fait le plus
souvent les actes d’espérance et des autres vertus sans qu’ils soient prévenus, animé et commandé par la
charité. Alors ces actes ont presque
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toujours un reste d’amour de nous même qui est la cupidité soumise et qui n’est pas l’amour de charité.
Cet état est néanmoins justifiant parce qu’il renferme, non seulement la charité infuse et habituelle, mais
encore des actes de vraie charité, et que les actes des autres vertus y sont rapportez tantôt habituellement,
tantôt virtuellement quelquefois même formellement à la fin dernière. C’est cet amour dont saint François
De Sales parle dans l’endroit ci-dessus : le souverain amour n’est qu’en la charité. L’amour de cet état
est souverain en ce qu’il préfère Dieu a toutes les choses créées et a soi-même. Ce n’est que par cette
préférence qu’il est capable de nous justifier. Il ne préfère pas moins Dieu et sa gloire, à nous et à nos
intérêts, qu’a toutes les créatures qui sont hors de nous. En voici la raison : c’est que nous ne sommes pas