La question comporte deux volets : (1) les conséquences pour le secteur financier en général
et bancaire en particulier ; (2) les conséquences pour le niveau des taux d’intérêt réels en
Suisse, lesquels sont les plus bas au monde (la moitié seulement, en moyenne, du niveau dans
les grands pays industrialisés).
De nouveau, on ne pourra offrir que des (hopefully) educated
guesses.
Le plus probable, à notre avis, est que la prospérité des places financières suisse en général et
genevoise en particulier serait fortement compromise, pendant un certain temps au moins, par
la levée ou la dilution marquée du secret bancaire en matière d’évasion fiscale européenne,
avec toutes les conséquences que cela aurait pour le reste de l’économie (par exemple pour le
très généreux Etat social genevois). A noter premièrement que la perte que la place financière
suisse et, plus généralement, l’économie suisse enregistreraient dans ces circonstances serait
très vraisemblablement un gain pour d’autres : notamment Singapour et Hong Kong (contrô-
lée aujourd’hui par Pékin), car il est difficile d’imaginer Singapour et, plus encore, Pékin ac-
ceptant d’échanger des informations fiscales avec l’UE. A noter deuxièmement que, toujours
dans l’hypothèse d’une abolition ou d’une dilution marquée du secret bancaire suisse, les
banques helvétiques trouveraient sans doute un certain nombre de parades partielles comme,
par exemple, la gestion de portefeuilles privés à partir de filiales situées dans des pays tiers. Il
s’ensuivrait cependant une délocalisation au moins partielle de leurs activités.
Pour ce qui est du bas niveau des taux d’intérêt réels en Suisse, les travaux existants sont con-
tradictoires. Ainsi, une étude de Peter Kugler, de l’Université de Bâle,
a abouti à la conclu-
sion que ce bas niveau ne peut pas s’expliquer par le secret bancaire alors qu’une autre étude,
due à l’Administration fédérale des finances,
conclut en sens contraire. Des recherches sont
actuellement en cours à l’Institut Créa de l’Université de Lausanne pour essayer de tirer cette
question au clair, mais elles n’ont pas encore abouti. Ce qu’elles montrent pour le moment est
que, contrairement à ce qu’avançait une récente étude de l’UBS,
il ne semble pas (encore ?)
qu’il y ait érosion de l’avantage comparatif de la Suisse dans le domaine des taux d’intérêt
réels ou, du moins, n’est-ce pas encore décelable dans les chiffres.
Une question séparée
est celle de savoir quelles seraient les conséquences économiques pour
la Suisse dans l’hypothèse d’un maintien du secret bancaire en Suisse accompagné de la mise
en place d’un impôt à la source (ou, plus exactement, d’un impôt anticipé) bénéficiant aux
pays de l’UE. A notre avis, la réponse tient en une phrase : il y aurait perte d’une partie de
l’avantage comparatif de la Suisse dans la domaine financier et bancaire. Cette partie serait-
elle grande ou petite ? Impossible de spéculer à ce sujet, notamment parce que cela dépendra
avant tout du taux de cet impôt anticipé.
Les considérations qui précèdent sont d’ordre matériel et national. Défendre le secret bancaire
sous cet angle-là se justifie certes d’un point de vue (égoïstement) suisse, mais pas d’un point
de vue plus général. En d’autres termes, l’argument ne peut guère « se vendre » hors du pays.
Il y a cependant, au plan philosophique, une ligne de défense générale qui, à notre avis, est
des plus pertinentes.
Cf. J.-Ch. Lambelet et A. Mihailov, « The Triple-Parity Law », Analyses & Prévisions, Institut Créa, Université
de Lausanne, édition du printemps 2001.
Peter Kugler and Beatrice Weder, « The Puzzle of the Swiss Interest Rate Island : Stylized Facts and a New
Interpretation », Aussenwirtschaft, 2002, Heft 1., pp. 49-63.
Administration Fédérale des Finances (AFF), « La Suisse, un îlot de taux d'intérêt ? », Analyses et perspectives,
Berne, 2001.
O. Furustol, "Taux d'intérêt suisses: la fin de l'âge d'or ?", UBS Investment, Octobre 2001.
Troisième question des trois auxquelles nous devions tenter de répondre dans notre intervention lors du col-
loque.