La géopolitique du conflit tchétchène

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Conférence de J. Villemain
Fiche de lecture - C Montel
LA GEOPOLITIQUE DU CONFLIT TCHETCHENE
Vlatcheslav Avioutskii Défense nationale janvier 2004
On assiste à un conflit systémique
I. Dimension de politique intérieure russe
Selon Rouslan Khasboulatov (ancien président du Parlement russe), l'instabilité tchétchène
représente le seul élément constant et certain de la Russie de Vladimir Poutine, le reste
n'étant qu'incertitude. En avril 2003, il a signalé que la 2ème guerre de Tchétchénie avait
coûté à la Russie 40 milliards $ (budget annuel de la Russie, donc la Russie perd environ 1/4
de son budget annuel en Tchétchénie). Jusqu'où la Russie est-elle prête à aller?
Le conflit tchétchène n'est pas un simple séparatisme mais oppose en Russie une majorité
russe chrétienne orthodoxe (85% de la population) aux minorités musulmanes
superficiellement russifiées. C'est cette rupture civilisationnelle qui est au cœur de
l'effondrement de l'URSS (H. Carrère d'Encausse).
En 1991, la Tchétchénie demande l'indépendance dans l'indifférence russe et cette exigence
est vécue comme un drame à partir de 1994 car les Russes sont alors en train de construire
leur nouvelle nation essentiellement fondée sur l'identité russe et orthodoxe en tentant de
faire disparaître les "fiefs féodaux" aux confins de l'ex-empire, cet "étranger intérieur".
Poutine a tenté d'insérer la Tchétchénie dans le champ constitutionnel russe en créant une
administration tchétchène pro-russe (Kadyrov élu président à 80,8% de voix)
Les Tchétchènes n'ont pas le sentiment de faire partie de la nation russe en raison de leur
déportation vers l'Asie centrale en 1944 par Staline qui les accusait de collaboration avec les
Nazis. La vraie motivation de Staline était la diminution du nombre de musulmans dans le
Caucase. Lors de cette déportation, 20 à 30% de la population tchétchène a péri. Les
Tchéchènes sont revenus dans le Caucase en 1957 et ont été dès lors hantés par la menace de
leur dissolution ce qui explique leur politique nataliste et le réveil de leur identité anti-russe.
Ainsi, en 2000, 59% de la population tchétchène avait moins de 18 ans et l'islam est ainsi
apparu comme le catalyseur de la dissidence.
II. Dimension religieuse
Au XIXè siècle, la guerre du Caucase oppose le Tsar à l'imam Chamil vaincu en 1859 et
ainsi cette région représente un limes cosaque à la "Sainte Russie" qui l'isole du monde
islamique. Le sentiment frontalier a façonné la mentalité russe dans cette région.
En face, les Tchétchènes font partie de l'islam du Nord, façonné par le soufisme et l'idéologie
du Djihad depuis le XIXè s.. Cet islam est plus ouvert vers la réforme que l'islam de
l'Hinterland, plus refermé.
Le Caucase est donc marqué par cet islam "frontalier" ou de contact avec le monde chrétien
qui s'étend dans un "couloir islamiste transnational" du Turkestan chinois au Kosovo en
passant par le Cachemire, l'Afghanistan, et la Bosnie. Cet axe définit la géopolitique d'une
grande partie de l'Eurasie et la stratégie de Ben Laden est de mener la lutte dans cet islam du
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nord en y entretenant des mouvements islamistes afin de déstabiliser la périphérie Nord de
l'islam et d'imposer le modèle salafiste.
Les Américains ont à cœur de déstabiliser l'islam de cet axe, surtout depuis qu'on sait que 4
des 19 kamikazes du 11 septembre ont fait la guerre en Tchétchénie en 1999-2000. D'autre
part, il semble que les moudjahidin afghano-arabes aient combattu à Grozny en 1994-1995
puis en Bosnie et avant de retourner en Tchétchénie après les accords de Dayton en 1996. De
même, une filière arabo-tchétchène a été démantelée en France en décembre 2002.
III. Dimension géopolitique et continentale
Le Nord Caucase est une région ethniquement hétérogène (plus de quarante ethnies) et est
devenue le champ de concurrence entre la Turquie (ouest) et l'Arabie saoudite (est, dont la
Tchétchénie). Le seul allié de la Russie dans cette région est l'Ossétie du Nord (chrétiens
orthodoxes) qui se trouve au centre des 2 ailes musulmanes
Etant donné que les pétromonarchies du Golfe financent le conflit et la collecte de fonds est
centralisée au Qatar, la question se pose de savoir si ces monarchies, et en particulier l'Arabie
saoudite doivent être des interlocuteurs dans le conflit. Elles sont diabolisées par le Kremlin.
D'ailleurs, après le 11 septembre, on a observé une convergence des intérêts américains et
russes vis-à-vis de l'Arabie saoudite qui voulaient la punir de son implication supposée dans
les attentats du 11 septembre et dans le conflit tchétchène.
IV. Dimension économique: le pétrole
Il semblerait que pour punir l'Arabie saoudite après le 11 septembre, les États-Unis aient
demandé à la Russie d'augmenter sa production de brut afin de faire chuter le cours du
pétrole. Les Russes ont aussi menacé de créer un OPEP-2 au sein de la CEI mais la Russie
n'est pas encore en mesure de rivaliser avec l'OPEP, cette lutte est donc vouée à l'échec à
long terme.
La Tchétchénie, traversée par des oléoducs, a servi pendant des années de robinet au pétrole
de la Caspienne. L'Arabie saoudite n'a pas intérêt à voir aboutir le projet d'oléoduc BakouSoupsa afin de garder son monopole de l'influence sur les cours mondiaux du brut.
Quant aux oligarques russes, ils ont intérêt au maintien de l'instabilité dans le Caucase afin
de bloquer les exportations du pétrole de la Caspienne. en effet, le pétrole azéri, moins cher
que le pétrole russo-sibérien, constitue une menace directe pour leurs profits. Leurs intérêts
convergent donc avec ceux des pétromonarchies d'où leur collusion dans la 2è guerre de
Tchétchénie depuis l'été 1999 (date de l'incursion de Bassaev au Daghestan).
Conclusion: Différents scénarios d'avenir
Les Russes ont déjà quitté massivement 3 républiques du Nord-Caucase: Tchétchénie,
Daghestan et Ingouchie, et ce, pour 2 types de raisons: l'effet répulsif de la guérilla et des
attentats-suicides dans ces régions et l'effet d'éviction de la poussée de l'Islam aux frontières
sud. Jusqu'à 8 millions de Russes pourraient émigrer de cette région.
L'abandon de la Tchétchénie est-il possible? Le général Lebed, mort récemment, était
favorable à ce scénario (c'est lui qui a signé l'accord de Khassaviourt en 1996 mettant fin à la
1ère guerre de Tchétchénie). Pour V. Poutine cet abandon serait vu comme la fin de la
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Russie. On peut envisager soit une sortie de la Tchétchénie de la CEI et/ou la création d'une
fédération caucasienne avec la Géorgie, l'Arménie, le Daghestan et l'Azerbaïdjan (avec
règlement préalable du conflit azéro-arménien au Nagorny Karabakh) ou faire de la
Tchétchénie une Bosnie du Caucase où Russes du sud et Nord-Caucasiens bénéficieraient
des mêmes droits.
Cependant ce conflit représente une des principaux obstacles au rapprochement russooccidental. Si la Russie émettait le désir de mettre fin au conflit, l'OTAN pourrait prendre la
relais, quadriller la Transcaucasie et ainsi sécuriser le flanc nord du Proche-Orient.
Note de JV : on ne peut qu’émettre des doutes sur l’affirmation selon laquelle Poutine aurait
pour but de reconstituer une Russie « orthodoxe ». Le fait est que la Russie n’a jamais été
caractérisée par une seule langue, une seule race ou une seule religion. Toute la Sibérie en
particulier, est non-russe. Sous les Tsars on parlait de « Russies » au pluriel. H. Carrère
d’Encausse insiste dans ses ouvrages (et notamment le dernier : « La Russie inachevée » sur
la difficulté de définir ce qu’est la Russie. En revanche la problématique traitant la
Tchétchénie non comme une question « civilisationnelle »
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