problèmes de frontières, même dans des contextes où ils étaient bien plus limités, ont avant
tout entraîné des guerres, bien plus souvent que des réaménagements satisfaisants et
pacifiques. Or, dans le contexte africain, ce sont toutes les frontières qui sont contestables sur
toute leur longueur. Potentiellement, tout Etat africain pouvait se trouver dans la situation peu
emballante d'avoir sur son territoire une province jouant les Etats du Sud en 1860, l'Alsace et
la Lorraine sur une de ses frontières, le corridor de Dantzig sur une autre, et la troisième dans
les Balkans à la veille de Sarajevo ! On comprend que le status quo aie semblé préférable.
Dés l'origine, l'OUA proclama l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation et,
compte tenu du nombre d'absurdités frontalières qui couvrent le territoire africain, il faut bien
constater que ce principe a globalement été bien respecté.
Or, l'Afrique a aussi hérité de force d'un corpus juridique qui est, lui, l'héritage naturel de
l'histoire occidentale, et d'après lequel il y a une certaine concordance entre les Etats et les
Nations. C'est particulièrement vrai pour ceux qui furent colonisés par les Français, parce que,
dans cet héritage occidental global, une influente école de pensée française, le jacobinisme,
représente la tendance extrémiste, celle qui pose l'identité‚ Etat = Nation et considère très vite la
moindre tendance au particularisme comme une conspiration contre l'intérêt de l'Etat, voire
comme de la Haute Trahison.
Les Etats africains ont, par la force des choses et la volonté‚ de leurs colonisateurs, une
certaine unité‚économique et juridique. Ils n'ont aucune homogénéité biologique. Leur unité
linguistique se réduit à la langue héritée du colonisateur. certains ont une certaine homogénéité
religieuse, mais elle n'est le plus souvent que relative. Tous connaissent de graves disproportions
de développement entre les villes et les campagnes, aggravées par le fait que les villes, capitales
comprises, sont en général situées aux frontières, portes de sorties de pays extravertis plutôt que
cœur de territoires autocentrés.
Les Etats africains ont donc une identité nationale à construire plutôt qu'une identité
préexistante à affirmer. Leur situation s'apparente plus à celle de pays comme les USA et
l'Australie, voire dans une certaine mesure la Belgique, qu'à de "vieilles nations" comme la
France. Si les obstacles qui peuvent gêner ce "nation building" sont évidents, ils ont tout de
même aussi quelques atouts pour réussir le processus :
1. la plupart du temps, le particularisme ethnique n'est pas "fermé". Certes, il a fallu découvrir, à
l'intérieur du même ensemble colonial, des peuples dont on ne savait mme pas qu'ils
existaient. (Pour un habitant de Sakanya, un Zande de l'extrême Nord du Congo est, sinon un
Martien, du moins l'équivalent géographique d'un Lapon pour un Napolitain). Mais, avec les
ethnies voisines, on ne faisait pas que la guerre. Il y avait le commerce, les mariages,...
2. ces populations n'avaient pas que des souvenirs tribaux particularistes. Il y a aussi le souvenir
des résistances à la colonisation et des luttes pour l'indépendance. Cet acquis est ‚évidemment
d'autant plus important que cette lutte a été longue et difficile.
3. les "lingua franca"(*) offraient une possibilité naturelle de dépasser la multiplicité‚
linguistique sans recourir à la langue du colonisateur qui, non seulement est chargée de
souvenirs humiliants, mais est de plus difficile … apprendre, vu son exotisme. Là où comme
en Tanzanie, on a d'emblée fait de l'utilisation d'une langue nationale (le swahili) à tous les
niveaux, un point important de la construction nationale, les résultats ont été remarquables.
4. le décalage ville / campagne peut être dépassé‚ si on le veut vraiment. La Tanzanie a été
jusqu'à changer de capitale.
5. la possibilité théorique de garder les frontières coloniales, mais d'y construire des états qui