4 / 5
Les élèves sont subjugués par ce jeune professeur, ce « type épatant », dit l'un d'eux, qui parle
sans notes, sans une hésitation, reprenant son cours, d'un jour à l'autre, au mot précis où il l'avait
interrompu. Il marche à pas lents dans la salle de classe ; parfois, avec la paume de la main un
peu fermée, il semble couper l'espace de haut en bas. Puis, librement, il bavarde comme un aîné à
peine plus vieux. Point besoin de discipline, non pas seulement parce que les élèves sont peu
nombreux, mais surtout parce que l'autorité morale, le prestige et l'imperium intellectuel de Jaurès
sont absolus.
Max GALLO, Le grand Jaurès, Robert Laffont, pp. 47-51.
Simone Weil La rentrée des classes eut lieu le vendredi 2 octobre. Il parut à Mme Weil que
Simone était un peu soucieuse à l'idée de faire ses débuts ; elle n'avait pas beaucoup dormi. Elle
mit ce jour-là un chapeau, ce qui ne lui arrivait guère et qui peut-être ne lui arriva plus... C'est
presque dès le début que ses élèves sentirent dans son enseignement une pensée forte,
solidement liée, rigoureuse. Elles l'admiraient profondément. En même temps, la sentant comme
désarmée dans la vie pratique, elles cherchaient à la protéger. Même les plus petites, ses élèves
de grec, la protégeaient maternellement. Une fois, elle arriva en classe ayant mis son chandail à
l'envers (ou le devant derrière). Les petites le lui dirent et s'arrangèrent pour qu'elle pût se mettre
derrière le tableau, enlever son chandail et le remettre. L'une d'elles faisait le guet pour prévenir si
la directrice s'était montrée.
Simone PÉTREMENT, La vie de Simone Weil, t. 1, Fayard, 1973, pp. 186-187.
De tous les grands philosophes, c'était assurément Descartes que Simone préférait alors et qu'elle
préférera longtemps. Pendant sa première année d'enseignement, au Puy, les grands volumes de
l'édition Adam-Tannery étaient toujours ouverts sur le plancher de sa chambre. Elle se mettait à
genoux pour pouvoir les lire sans les déplacer et rampait de l'un à l'autre quand elle préparait ses
cours.
Simone PETREMENT, La vie de Simone Weil, t. 1, Fayard, 1973, p. 91.
Nietzsche professeur de lycée
Dès la première leçon, nous eûmes l'impression qu'une heureuse fortune nous avait amené un
maître d'une qualité exceptionnelle, et de leçon en leçon, notre respect et notre admiration ne
firent que croître. Un profond silence, une admiration générale régnaient dans la classe dès son
entrée. Nous nous réjouissions d'avance en pensant à la lecture des classiques et des
philosophes, aux leçons du maître sur la tragédie ou sur la philosophie grecques, où il nous
introduisait de façon passionnante... En dépit de son caractère calme, timide et modeste,
Nietzsche pouvait, en parlant, se laisser entraîner par la beauté de son sujet, au point d'oublier
tout le reste. Une après-midi où nous lisions Sophocle de trois à quatre, Nietzsche nous fit une
magnifique leçon sur la tragédie grecque, et son ardeur l’empêcha de s'arrêter. À quatre heures
vingt, il parlait encore et nous l'écoutions, muets d'enthousiasme. Un élève qui avait, à quatre