Microcosme
Par Paul SCHWEITZER
" La première fois qu'on ouvre une ruche, on éprouve un peu de l'émotion qu'on aurait à violer un objet inconnu…"
Maurice Mæterlinck - La vie des abeilles
L'organisation des hyménoptères sociaux et tout particulièrement celle des abeilles fascine toujours et encore. Les
apports de la science et de l'arbre de la connaissance ont beaucoup contribué à démystifier ce monde qui, petit à petit, dévoile
ses mystères. Pourtant, comme l'écrit Maurice MÆTERLINCK, l'ouverture d'une ruche reste toujours un moment magique. La
première fois, l'émotion que l'on ressent peut également être comparée à celle que ressentirait un explorateur découvrant un
monde nouveau et encore inexploré.
Pour mieux appréhender la société des abeilles, ces sentiments de viol ou de pénétration dans un monde encore vierge
peuvent être rapportés à deux notions scientifiques très importantes: celles de " surperorganisme " et de " micro-écosystème
".
La notion de superorganisme est la plus ancienne. Elle est déjà sous jacente chez certains auteurs antiques et apparaît
clairement chez les auteurs modernes. La colonie des abeilles avec sa reine, ses mâles, ses ouvrières, son couvain, ses
réserves devient un organisme à part entière, ses habitants étant assimilés aux cellules et organes assurant les différentes
fonctions régulées par des phéromones.
Les théories de la sélection de la parentèle et de la manipulation parentale tentent d'expliquer comment l'évolution a pu
favoriser l'évolution de ces sociétés. Celle de microécosystème résulte d'une approche différente basée sur l'écologie. À bien
des points de vue, elle est intéressante. Rappelons que selon la définition qu'en a donnée HAECKEL en 1866, l'écologie est la
science de l'habitat (du grec : oikoz = maison), l'écosystème étant, lui, " un système d'interactions complexe des espèces entre
elles et entre celles-ci et le milieu ".
Entrons donc en douceur et avec son consentement (il n'y aura donc pas viol) dans l'écosystème " ruche ".
La maison des abeilles
Comme tout écosystème, le microécosystème ruche est constitué de populations formant un peuplement d'individus habitant
un même milieu encore appelé " biotope ". Il s'agit ici de l'intérieur de la ruche. Ce peuplement ou biocénose est constitué de
nombreuses populations : celle des abeilles bien sûr mais aussi celles de tous les autres individus de même espèce vivant
dans ce milieu de manière transitoire ou permanente.
Les apiculteurs ne soupçonnent pas toujours que leur ruche abrite une multitude d'autres espèces que les abeilles elles-
mêmes, animales parasites ou commensales dont beaucoup d'acariens, et végétales avec, en particulier, une abondance de
mycètes. Ces différentes populations sont en interaction entre elles et avec leur milieu, chacun influant sur l'autre ce qui
confère au système des propriétés nouvelles et globales que ne possèdent pas chaque élément pris isolément.
L'écosystème lui-même est en interaction avec d'autres écosystèmes voisins (d'autres ruches) ou plus grand dont il fait partie
et ne devient qu'un des éléments. Entre autres, l'écosystème ruche dépend étroitement des apports extérieurs en ce qui
concerne son approvisionnement énergétique.
Échanges de matière
Un des éléments les plus caractéristiques cet écosystème est qu'il est presque entièrement clos, l'entrée de la ruche étant la
seule ouverture au travers de laquelle les échanges avec l'extérieur sont possibles(1). L'absence de lumière solaire donc de
photosynthèse exclut toute production primaire interne au système dont toute la vie dépend de productions extérieures. La
matière organique rentrant dans le système étant d'origine végétale, si l'on revient à la notion de superorganisme, la " ruche "
doit donc être considérée comme se situant au niveau trophique des consommateurs primaires ou herbivores.
Au niveau du système lui-même les chaînes trophiques sont néanmoins beaucoup plus complexes avec présence de
consommateurs secondaires comme les varroas par exemple mais également d'une nécromasse exploitée par des détritivores
(acariens) et des décomposeurs (champignons, bactéries…). La majorité de la biomasse de l'écosystème est représentée par
les abeilles.
Comme dans tous les écosystèmes, celui de la ruche est régulé au travers de grands cycles dont les principaux sont ceux de
l'eau, du carbone, de l'azote, du soufre et du phosphore.
Le cycle de l'eau
C'est un des cycles les plus complexes. L'eau présente dans la ruche a de multiples origines à la fois exogène et endogène.
D'une part, l'humidité atmosphérique de la ruche est partiellement sous la dépendance de l'humidité atmosphérique extérieure.
Les abeilles ventileuses prennent une part active (donc consommatrice d'énergie) dans cette régulation. Mais, elles ne
peuvent imposer à la ruche un gradient d'humidité contraire aux lois de la physique et tout particulièrement à celles de la
thermodynamique. L'humidité de la ruche ne peut être inférieure à celle de l'extérieure(2).
En période d'élevage, des ouvrières ramènent de l'eau puisée dans les écosystèmes extérieurs. Les nectars et les miellats en
contiennent également de grandes quantités laquelle est évaporée grâce aux échanges alimentaires et à la ventilation des
ouvrières. L'eau endogène a une origine métabolique. Elle provient essentiellement de la consommation de miels selon le
processus d'oxydation des sucres bien connu qui produit de l'eau et du dioxyde de carbone. C'est une origine qui est loin
d'être négligeable. À titre d'exemple, la consommation de 10 Kg de miel (supposé contenir 18% d'eau et 82% de sucres - on
négligera les autres éléments dont certains peuvent également produire de l'eau métabolique) produit 6,72 Kg d'eau (1,8 Kg
est l'eau contenue dans le miel et 4,92 Kg provient l'oxydation des sucres).
Ramenée à l'état gazeux (dans les conditions normales de température et de pression), cette eau occupe un volume de 8363
litres qu'il s'agit d'évacuer !!! Ramenez ces paramètres aux conditions hivernales au cours desquelles cette eau ne peut être