Chapitre 2 La révision de la Constitution
NB : On va ici se limiter à l’étude de la révision de la Constitution, qui emprunte les formes prévues par la Constitution,
soit l’étude du Pouvoir constituant dérivé. Il ne faut pas oublier que la Constitution peut par ailleurs évoluer, par des
moyens plus informels (modification non textuelle), par la voie de la coutume, de l’interprétation de la Constitution ou
de la pratique politique.
Section 1 Le pouvoir constituant dérivé
§1 Définition
Le pouvoir constituant dérivé est l’organe habilité par la Constitution à réviser le Constitution.
Il a pour objet la révision du droit constitutionnel formel. Comme le pouvoir constituant dérivé est
prévu par la Constitution elle-même, il présente un caractère dérivé (par opposition au pouvoir
constituant originaire).
On rappellera que dans une Constitution souple, la procédure de révision est identique à la
procédure d’adoption de la loi ordinaire. A l’inverse, dans une Consitution rigide, la Constitution
prévoit les modalités spécifiques de sa révision, qui sont en général plus contraignantes que celles
prévues pour lois ordinaires.
Toute Constitution formelle contient des règles relatives à sa révision. Il s’agit en effet de
permettre l’évolution des institutions (éviter blocages) tout en garantissant la stabilité des
institutions en prévoyant une procédure plus contraignante afin que les gouvernants ne modifient
trop aisément la Constitution à l’exercice du pouvoir.
Pour éviter une confiscation de la souveraineté, ce pouvoir de révision est généralement réparti
entre plusieurs organes, et l’intervention du peuple est en principe prévue.
Dès lors qu’il ne peut s’exercer que conformément aux prescriptions de la Constitution, le pouvoir
constituant dérivé est en outre limité, dans sa forme et parfois sur le fond.
§2 Limitations du pouvoir constituant dérivé
A/ Limites procédurales ou formelles
Ces limites renvoient à la procédure spécifique, plus ou moins contraignante, prévue par la
Constitution pour sa propre révision.
La procédure peut être très contraignante :comme aux EU
1
. Dans cet Etat, la complexité de la
procédure explique le faible nombre d’amendements adoptés depuis 1787 (et l’importance de
l’interprétation de la Constitution, par voie jurisprudentielle notamment). Dans certains cas, la
rigidité de la procédure de révision peut poser problème. Cf. en Espagne certaines dispositions
sont plus « protégées » que d’autres. C’est le cas de celles renvoyant aux droits fondamentaux ou à
la monarchie. Aux termes de l’article 168, c’est la procédure de la révision totale qui s’applique qui
suppose notamment une dissolution des Cortes (chambres) et référendum, deux procédures que l’on
1
Art V : Le Congrès, quand les 2/3 des 2 Chambres l'estimeront nécessaire, proposera des amendements à la présente
Constitution ou, sur la demande des législatures des 2/3 des États, convoquera une convention pour en proposer ;
dans l'un et l'autre cas, ces amendements seront valides à tous égards comme faisant partie intégrante de la présente
Constitution, lorsqu'ils auront été ratifiés par les législatures des 3/4 des États, ou par des conventions dans les 3/4
d'entre eux, [selon que l'un ou l'autre mode de ratification aura été proposé par le Congrès, sous réserve que nul
amendement qui serait adopté avant l'année mil huit cent huit ne puisse en aucune façon affecter la première et la
quatrième clause de la neuvième section de l'article premier, et qu'aucun État ne soit, sans son consentement, privé
de l'égalité de suffrage au Sénat].
préfère parfois éviter
2
.
Certaines Constitutions prévoient simplement des conditions de majorité renforcée : le vote est alors
simplement rendu plus difficile : c’est le cas en Allemagne où, selon l’article 79 de la Loi
Fondamentale, une révision est une loi approuvée par les deux tiers des mb de chq ass
3
.
B/ Limites temporelles et circonstantielles et contrôle du pouvoir constituant dérivé
L’exercice de la révision est interdite soit pendant une certaine durée ou lorsque certaines
circonstances sont réunies.
Souvent utilisée dans les premières périodes du constitutionnalisme moderne, la technique des
limites temporelles vise à empêcher qu’une Constitution formelle ne soit pas modifiée au gré
d’une majorité momentanée, la décision devant être mûrement réfléchie, prise par plusieurs
représentations successives. Cette technique est illustrée par la 1re Constitution française, de 1791,
dont la révision exigeait un vœu formulé par 3 législatures successives puis un vote par une
Assemblée spéciale de révision. Cette Constitution n’a pourtant pas pu fêter son 1er anniversaire.
Quant aux limites circonstancielles, elle interdisent la modification de la Constitution dans certaines
circonstances afin notamment d’empêcher qu’un changement des règles constitutitionnelles
n’intervienne à un moment les citoyens ou les représentants ne sont pas libres de leur
décision. En France, la Constitution de 1946 (art. 94) puis celle de 1958 (art. 89) ont tiré les leçons
de la démission démocratique de l’Assemblée nationale après la débâcle de 1940 en interdisant
toute révision « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Comme le Conseil
Constitutionnel l’a indiqué dans sa décision du 2.9.1992, Maastricht II, il convient d’ajouter les
interdictions des art. 7 (vacance ou empêchement définitif du président de la République) et 16
(mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels du président de la République).
C/ Limites matérielles
1. Définition
L’inscription de limites matérielles à la révision de la C a pr objet d’empêcher la révision de
certaines données fond de l’ordre juridique. Il s’agit de valeurs essentielles dont on veut garantir
la pérennité, ce qui renvoie à l’idée d’un ‘noyau dur’, placé hors d’atteinte du pv de révision. Ce
noyau dur est le plus souvent composé de dispositions garantissant la forme de l’Etat ou les droits
fondamentaux.
Exemples :
Article 79 al. 3 de la Loi Fondamentale allemande : « Toute modification de la présente loi
fondamentale qui toucherait à l'organisation de la Fédération en Länder, au principe du concours des
Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 et 20, est interdite » (article 1 : La
dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et
de la protéger ; Article 20 : « al. 1 : La République fédérale d'Allemagne est un Etat fédéral
démocratique et social. » marque l’ancrage des principes de la démocratie, de l’Etat de droit et
2
« […] on procèdera à l'approbation du principe de la révision à la majorité des deux tiers de chaque chambre, et à la
dissolution immédiate des Cortès. 2. Les chambres élues devront ratifier la décision et procéder à l'étude du
nouveau texte de la Constitution, qui devra être adopté à la majorité des deux tiers des deux chambres. 3. La
révision approuvée par les Cortès générales, sera soumise à ratification par référendum. »
3
Soit proc très souples article 8 loi du 25 février 1875 : peu de différence avec proc lég : AN réunissant les 2 chb
devant voter à la majT absolue), peuple (art 90 C 46 : résolution adoptée par 2 lectures succ après 3 mois précisant
l’objet de la révision, puis vote projet par les Ass, puis réf ou vote maj qualif) ou majT renforcées (All : 2/3 chq ass).
du fédéralisme après l’effondrement du nazisme.
Article 110 de la C grecque du 9 juin 1975 : « Les dispositions de la C peuvent faire l'objet d'une
révision, à l'exception de celles qui déterminent la base et la forme du régime politique en tant que
République parlementaire » .
France : Si les institutions de la IIIe République sont au départ ouvertes à une restauration
monarchique, le consensus républicain s’établit au contraire progressivement. La révision du 14
août 1884 complète alors le § 3 de l’art. 8 de la loi constitutionnelle du 25.2.1875 relatif à la
révision : « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision ». Cette
formulation a été reprise en 1946 puis dans l’article 89 al. 5 de la C de 1958.
2. Les questions soulevées par l’existence de limites matérielles
Deux thèses différentes peuvent être présentées.
- Thèse 1 : la « super constitutionnalité »
NB : Il peut être préférable d’utiliser le terme de « super constitutionnalité » à celui de supra-
constitutionnalité qui laisse envisager que les dispositions correspondantes sont placées au-dessus
de la C. Ce n’est pas le cas : ces dispositions restent des dispositions constitutionnelles, mais leur
caractère intangible leur confère une valeur constitutionnelle renforcée (d’où super-
constitutionnalité ”).
Dans ce sens, s’établit une certaine hiérarchie entre les normes révisables et celles à l’abri
pouvoir constituant dérivé clause d’éternité » allemande). Si l’on veut aller au bout de la
logique, il faudrait que le juge constitutionnel puisse vérifier les révisions et les confronter à la C et
au final annuler une loi de révision constitutionnelle si elle est contraire aux principes
fondamentaux. Un tel contrôle a par exemple été accepté par la Cour constitutionnelle allemande,
mais cela ne l’a jaaims conduit à censurer des lois constitutionnelles.
- Thèse 2 : la souveraineté du pouvoir constitutant dérivé
L’existence même de limites matérielles est critiquée par une partie de la doctrine.
o Comme c’est aussi le cas pour les autres types de limites, on peut en effet considérer
qu’il suffirait de réviser la C pr supprimer de telles interdictions.
Dans ce sens, le pouvoir constituant est souverain. C’est ainsi que l’article 28 C DDHC de 1793
disposait que « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution.
Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. »
o Les tenants de cette thèse considèrent également, dans le même sens, que le juge n’a
pas la compétence pour contrôler le pouvoir constituant, ce qui découle de son
caractère souverain.
En France, le débat a porté sur la signification de l’article 89 al. 5 et sur son possible contrôle par le
CC. Cf. 2003, Lettre de saisine de 60 sénateurs qui ont saisi le Conseil constitutionnel afin qu’il
censure la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République. Pour ces
sénateurs, plusieurs dispositions de cette révision méconnaissaient l’article 89 al. 5, la notion de
« forme républicaine du gouvernement » étant entendu très largement : non pas seulement comme
l’interdiction de revenir à un régime monarchique, mais la République dans toutes ses composantes,
et notamment l’art. 1 de la C qui définit la République comme « indivisible, laïque, démocratique et
sociale ». Dans sa décision du 26 mars 2003, le Conseil constitutionnel s’estime incompétent pour
effectuer un tel contrôle en répondant simplement : « Considérant que la compétence du Conseil
constitutionel est strictement délimitée par la C ; […] que le Conseil constitutionnel ne tient ni de
l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la C le pouvoir de statuer sur une
révision constitutionnelle […] ».
Section 2 Les mécanismes de révision de la Constitution
§1 Procédures de révision partielle et de révision totale
Comme pour une loi ordinaire, la procédure à suivre pour adopter une loi constitutionnelle (= par
laquelle on peut réviser la C) comporte 3 étapes : l’initiative, l’élaboration du texte et son adoption.
En France, on verra que cette procédure est prévue à l’article 89.
Certaines Constitutions établissent une distinction entre leur modification partielle et totale.
Une révision partielle vise à réviser certaines dispositions du texte constitutionnel.
En revanche, dans la révision totale, la C prévoit sa propre substitution.
Cette possibilité, relativement rare, brouille un peu les cartes entre pouvoir constituant originaire et
pouvoir constituant dérivé. C’est à la fois un pouvoir constituant originaire parce qu’il s’agit
d’élaborer un nouveau texte ; et ausssi un pouvoir constituant dérivé parce que la procédure est
encadrée par un texte constitutionnel déjà existant. Par ailleurs, cette modalité de révision s’oppose
aussi à l’idée de souveraineté du pouvoir constituant originaire. Eu égard à l’ampleur de la révision,
une procédure plus contraignante est en général prévue. La révision doit en principe être approuvée
par référendum. On trouve de telles dispositions dans la C suisse (art. art 192-1 de la C de 1999 « la
C peut être révisée en tout temps, totalement ou partiellement ») ou dans la C espagnole (art. 168)
4
.
§2 Etapes de la révision de la Constitution de 1958
La C française prévoit une procédure assez complexe, qui a conduit à l’achoppement de
nombreuses réformes.
La procédure prévue à l’ARTICLE 89 prévoit 3 étapes.
A/ INITIATIVE
Art. 89 al. 1. : L’initiative de la révision de la appartient concurremment au président de la
République, sur proposition du Premier Ministre, et aux membres du Parlement ”.
Les organes détenteurs de l’initiative sont donc le pouvoir exécutif (le président, sur proposition du
Premier Ministre) et le pouvoir législatif (membres des assemblées).
Lorsque l’initiative émane de l’exécutif, on parle de projet de révision (ou projet de loi
constitutionnelle). Lorsque l’initiative émane du pouvoir législatif, on parle de proposition de
révision.
4
« Si on propose la révision totale de la Constitution ou une révision partielle qui affecte le titre préliminaire, le
chapitre second, section première, du titre premier ou le titre II, on procèdera à l'approbation du principe de la
révision à la majorité des deux tiers de chaque chambre, et à la dissolution immédiate des Cortès. 2. Les chambres
élues devront ratifier la décision et procéder à l'étude du nouveau texte de la Constitution, qui devra être adopté à la
majorité des deux tiers des deux chambres. 3. La révision approuvée par les Cortès générales, sera soumise à
ratification par référendum. »
Absence de droit de véto du président
Juridiquement, le président n’a pas la liberté d’action qu’il peut avoir en matière de référendum (cf
art. 11 qui précise le Président peut ”...) une fois la proposition acquise, puisque l’article 89 n’est
pas un pouvoir propre du Président .
B/ VOTE PARLEMENTAIRE
La C° prévoit obligatoirement un vote du Parlement. Selon les termes de l’art. 89 al. 2 le projet ou
la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixés au 3ème alinéa de
l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques ”.
Depuis la révision de 1995, les assemblées pouvant fixer elles-mêmes leur ordre du jour, une séance
par mois (art. 48 al. 3), elles sont plus libres d’imposer l’adoption d’une proposition de révision
malgré l’hostilité du président. Auparavant, elles restaient tributairs de la fixation par le
gouvernement de l’ordre du jour d’une proposition de loi constitutionnelle.
→ Bicaméralisme
On en matière de révision constitutionnelle un bicamérisme parfait. Cela revient à accorder au
Sénat un droit de véto.
Cela explique par exemple (entre autres) le choix de De Gaulle de réviser la C par la voie non pas
de l’article 89 mais de l’article 11, qui lui a permis de soumettre directement la modification
proposée au peuple, sans passer par les deux chambres. C’est ainsi que la C a été révisée le 6
novembre 1962 afin de permettre l’élection du président de la République au suffrage universel,
ainsi qu’on l’a déjà vu. L’une des plus importantes révisions de la Ve Rép n’a donc pas emprunté la
voie prévue par la C.
Les controverses juridiques et politiques sur l’utilisation du référendum dans le cadre de l’art. 11
ont été très vives. La large victoire du oui (62%) et le fait que le Conseil constitutionnel, saisi de la
constitutionnalité de la procédure ait décliné sa compétence (au motif que le pouvoir constituant est
« l’expression directe de la souveraineté nationale ») ont conduit à clore les débats.
Une seconde utilisation de l’art. 11 pour réviser la C en 1969, sur un projet relatif à la création des
régions et à la réforme Sénat a conduit à un échec et à la démission consécutive de De G aulle.
L’usage de cette procédure (de l’art 11) pour réviser la C a depuis principalement un intérêt
historique et doctrinal.
La difficulté, dans certains cas, à user de la procédure de l’article 89, du fait du veto possible du
Sénat, n’en reste pas moins réelle.
C/ ADOPTION DEFINITIVE
Il existe deux modalités possibles d’adoption de la loi constitutionnelle votée par le Parlement
(révision de la C°).
1. Procédure de droit commun
D’après l’art. 89 al. 2 “ La révision est définitive après avoir été approuvé par référendum ”.
Le peuple est donc l’organe désigné par la comme étant celui habilité à adopter la révision de la
C°. Procédé démocratique : le peuple incarne directement la souveraineté du pouvoir constituant
dérivé.
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