par l'engendrement plutôt que par l'esprit, enfin par nos devoirs vis-à-vis d'elle
plutôt que par ses fonctions ou performances, il faut tenir bon et sur cette filiation,
et sur cet engendrement, et sur ces devoirs. L'humanité n'est pas un jeu ; c'est un
enjeu. Pas d'abord une création, mais, une transmission. Pas une invention, mais
une fidélité. Qu'on puisse se servir des formidables progrès de la génétique pour
rendre à tout être humain, autant que faire se peut, la plénitude de son humanité
(c'est ce qu'on appelle les thérapies géniques), nul ne songe à s'en plaindre. Ce
n'est pas une raison pour vouloir transformer l'humanité elle-même, fut-ce pour
1'améliorer. La médecine combat les maladies; mais l'humanité n'en est pas une :
c'est dire qu'elle ne saurait relever légitimement de la médecine.
Dépasser l'homme. ? Ce serait le trahir ou le perdre. Tout être tend à
persévérer dans son être, disait Spinoza, et l'être d'un homme n'est pas moins
détruit s'il se change en ange que s'il se change en cheval... Eugénisme et barbarie,
même combat! Guérir un individu, oui, et on ne le fera jamais trop. Modifier
l'espèce humaine, non. Je sais bien que la frontière entre les deux, s'agissant des
thérapies géniques, est ténue ou problématique. Raison de plus pour y réfléchir,
et pour y veiller. L'homme n'est pas Dieu : il ne restera pleinement humain qu'à la
condition d'accepter de n'être ni sa cause ni sa ruine.
Que l'humanité soit d'abord une espèce animale, c'est ce qui pose aussi, et
surtout, la question de l'humanisme. Le mot peut se prendre en deux sens. Il y a
un humanisme pratique ou moral, qui consiste• simplement à accorder une
certaine valeur à l'humanité, autrement dit à s'imposer, vis-à-vis de tout être
humain, un certain nombre de devoirs et d'interdits. C'est ce qu'on appelle
aujourd'hui les droits de l'homme, ou plutôt leur enracinement philosophique : si
les hommes ont des droits, c'est d'abord que nous avons des devoirs, tous, les uns
par rapport aux autres. Ne pas tuer, ne pas torturer, ne pas opprimer, ne pas
asservir, ne pas violer, ne pas voler, ne pas humilier, ne pas calomnier... Cet
humanisme est une morale avant d'être une politique, et c'est celle, presque
toujours, de nos contemporains….
Mais il y a un autre humanisme, qu'on peut appeler théorique ou
transcendantal. De quoi s'agit-il ? D'une certaine pensée, d'une certaine croyance,
d'une certaine connaissance, ou qui se veut telle : c'est ce que nous saurions de
l'homme et de sa valeur, ou ce que nous devrions en croire, qui viendrait fonder
nos devoirs à son égard... Cet humanisme-1à bute sur le savoir même dont il se
réclame. Car ce que nous savons de l'homme, c'est d'abord qu'il est capable du
pire, voyez Auschwitz, et du médiocre plus souvent que du meilleur…« Je déplore
le sort de l'humanité, écrivait La Mettrie, d'être, pour ainsi dire, en d'aussi
mauvaises mains que les siennes. » Mais il n'y en a pas d'autres : notre solitude
commande aussi nos devoirs. Ce que les sciences humaines nous apprennent sur
nous-mêmes, qui est précieux, ne saurait tenir lieu de morale. Ce que nous savons