Éthique de la recherche : enjeux de la thérapie génique et de la

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P. Jacques SIMPORE, Ph.D.
Généticien Moléculaire,
Directeur du Laboratoire Biomédical de Saint Camille
Professeur de Génie Génétique,
Université de Ouagadougou : UFR/SVT
Burkina Faso
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Génie génétique : enjeux thérapeutiques
et éthique de la recherche biomédicale
PAV 24-26 Février 2003
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Génie génétique : enjeux thérapeutiques
et éthique de la recherche biomédicale
De nos jours, le rôle et les actions des scientifiques font de plus en plus l’objet
d’interrogations, sinon de controverses. Alors que les découvertes se succèdent à un
rythme soutenu, on s’interroge sur les conséquences heureuses ou malheureuses de tels
bouleversements. De la chimie minérale au génie génétique, de l’agriculture primitive à
la « généculture», culture des gènes in vitro par clonation ou par PCR
1
, jusqu’à la
« moléculture »
2
, nous avons la pharmacologie, la médecine, la biotechnologie, la
biomédecine, la génothérapie, la clonation thérapeutique, le gène-médicament, le bio-
terrorisme et j'en passe. Depuis la découverte de l’ADN recombinant, les généticiens
peuvent désormais «créer» de nouveaux génotypes, de nouvelles espèces végétales et
animales, diagnostiquer et soigner des maladies héréditaires, élaborer des vaccins, des
enzymes, des hormones, des anticorps monoclonaux, cloner des êtres vivants, tout
comme ils peuvent fabriquer la bombe bactériologique pour détruire le genre humain.
D’un côté, le génie génétique éveille des espoirs parce qu’il semble ouvrir
d’intéressantes perspectives et par conséquent, nous sommes tous heureux de voir les
conquêtes et les exploits de la recherche scientifique mais de l’autre, il suscite des
craintes parce qu’il reste entouré de nombreuses inconnues et pour cela il nous laisse
perplexes et sceptiques.
- Où ces recherches scientifiques biomoléculaires nous conduiront-elles?
- Quelles seront les conséquences pour l’humanité de la consommation directe ou de
l’utilisation de ces OGM dans dix, vingt ou quarante ans ?
- Quelles peuvent être les conséquences de la clonation et de la thérapie génique pour
l’homme ?
Le danger le plus immédiat qui menace les chercheurs est de se croire tout permis dans
cette course accélérée et effrénée qui va de conquêtes en conquêtes dans la
biotechnologie. Certains en sont convaincus : Ils ne peuvent ni ne doivent avoir de
limites dans leur activité, le progrès lui-même justifiant tout. Il faudrait alors des garde-
fous dans la recherche car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
(Rabelais) ; d’où la nécessité de l’éthique dans la recherche.
Nous développerons brièvement en trois points les enjeux éthiques de l’application
chez l’homme, des techniques thérapeutiques du Génie génétique.
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PCR : Polymérase Chain Reaction
2
production des protéines thérapeutiques par les végétaux
3
I Génie génétique et perspectives thérapeutiques
A Prévalence des maladies génétiques dans le monde
Aujourd’hui, plus de 3000 types de maladies génétiques héréditaires sont identifiées.
Chaque année, la population mondiale paie un lourd tribut non seulement au VIH/SIDA
qui a infecté près de 40.000.000 de personnes dans le monde, mais aussi et surtout aux
maladies génétiques :
Dans le monde aujourd'hui, environ 5% des enfants naissent avec un trouble
congénital ou héréditaire
3
;
Cent millions de personnes sont atteintes de la mutation du gène qui code pour la
Glucose-6-phosphate déshydrogénase.
On estime que 250 millions de personnes, soit 4,5% de la population mondiale,
seraient porteuses d'un gène d'hémoglobinopathie potentiellement pathologique.
Selon l’OMS, 135 millions d’adultes étaient atteints du diabète en 1995, dont 33
millions en Europe et 31 millions sur le continent américain. Cette population
devrait s’élever à 300 millions en 2025, dont 80 millions dans le Sud-Est asiatique.
Les chiffres sont actuellement de 20 millions pour la maladie d’Alzheimer et 4
millions pour la maladie de Parkinson qui affecte, en Europe, 1,6 % des personnes
âgées de plus de 65 ans. John GEARHART évalue à 128 millions les personnes
souffrant, aux Etats-Unis, de maladies chroniques aiguës.
en Occident, les maladies génétiques et congénitales représentent un quart des décès
avant l'âge d'un an et 23% entre un et quatre ans.
au niveau de la population caucasienne, la mucoviscidose (fibrose cystique) frappe
1/2500 enfants nés. Les 4% de cette population portent le gène muté de la
mucoviscidose (FC).
en Afrique et en Amérique, la drépanocytose seule tue près de cent mille enfants
noirs par an.
Face à cette diversité des maladies génétiques héréditaires souvent très graves, aux
différents types de cancers, au VIH/SIDA comment le monde de la recherche peut-il
rester inactif ? C’est pourquoi nous voyons ça et là des expérimentations et des essais de
thérapie génique utilisant plusieurs méthodologies thérapeutiques.
B - Processus de la thérapie génique en 4 étapes
4
:
1. Isoler et cloner le gène d'intérêt thérapeutique,
2. Réaliser un vecteur chargé d'amener le transgène dans le noyau cellulaire,
3. Administrer le vecteur selon un protocole,
4. Vérifier l'intensité et la durée de l'expression du gène thérapeutique ainsi que les
éventuels effets secondaires.
3
Aide-mémoire N°209, janvier 1999 de l’OMS
4
KAPLAN J.C.,Biologie moléculaire et médecine, "2° édition, Médecine-Sciences,
4
II - Les enjeux de l’application thérapeutique des techniques du génie génétique
sur le génome humain
A Les méthodes de transfert du transgène
5
:
Les techniques de transfert de gênes peuvent être classées en méthodes physico-
chimiques ou en méthodes génétiques :
1 - Les méthodes physico-chimiques utilisent des systèmes comme le bombardement
in situ, l'injection d'ADN plasmidique in situ, l'électroporation, les liposomes et les
polycathions.
2 - Les méthodes génétiques utilisent surtout : les adénovirus, les herpès virus, et les
rétrovirus désarmés.
B Problématique de la correction, du transfert et de la régulation des gènes
Si la technologie génétique sait parfaitement identifier, isoler, séquencer et
modifier un gène particulier, elle a beaucoup plus de difficultés à l’heure actuelle pour
déterminer les liens existant entre les différents gènes. Leur transfert et leur expression,
parfois ectopique, posent encore des problèmes qui restreignent, pour l’instant, le
champ d’application du génie génétique.
Mais le problème le plus gros à résoudre est que l’ADN exogène, peut s’intégrer
dans le génome occasionnellement et de manière ectopique.
Jusqu’à nos jours, aucune thérapie génique germinale n’a encore été entreprise
sur l’homme. Car la plupart des fragments transformateurs s’intégreront de façon
ectopique dans tout le génome, ce qui constitue un handicap sérieux pour la thérapie
génique humaine non seulement à cause de possibles interruptions de gènes, mais aussi
parce que l’allèle muté sera toujours présent et pourra « ségréguer » du transgène dans
les générations à venir. Il faudra donc mettre au point un système de ciblage grâce
auquel le transgène de type sauvage se substituera au gène défectueux par une
recombinaison faisant intervenir un double crossing-over.
Les problèmes liés à l’insertion du rétrovirus sont énormes :
en s’insérant, le rétrovirus désarmé
6
peut provoquer des inversions, des délétions, des
translocations, des inactivations de gènes, bref : des mutations.
Le retrovirus désarmé peut rencontrer un autre virus non pathologique dans le
génome humain et se combiner afin d’obtenir gag, pol et env pour redevenir
pathogène,
il peut aussi susciter des problèmes liés à l’immunogénicité.
5
Odile Cohen-Haguenauer, Cellules souches: différences et potentiels, in la thérapie génique, éditions Tec & Doc
6
Rétrovirus désarmé: un rétrovirus dont les gènes gag, pol et env sont délétés.
5
B Les défis techniques du clonage thérapeutique
Au delà des difficultés liées aux transferts et à l’intégration des transgènes, à la
régulation génétique, au contrôle de la différentiation cellulaire, aux risques
tumorigènes, au développement des tératomes, à l’imprinting, au vieillissement
cellulaire, au mécanisme chronologique de l’activité de la télomérase et j’en passe,
l’utilisation des cellules souches totipotentes et pluripotentes pose de nombreuses
questions éthiques. A-t-on le droit de détruire l’ovule humain fécondé pour faire des
recherches ? Est-il éthiquement adéquat de cloner des individus afin de les utiliser dans
un protocole thérapeutique ? L’embryon humain peut-il être perçu comme médicament
pour sauver d’autres vies ?
Les cellules ES, en principe, peuvent être induites à évoluer vers un appareil
particulier: ur, foie, reins... D'où leur mystère, leur importance biomédicale et la
fascination des biologistes. Ce sera un fonds, une source de pièces de rechange pour les
humains ! Cependant, de nombreuses questions se posent :
- Peut-on réellement contraindre des cellules souches pluripotentes à se
différencier d’une manière déterminée ?
- Peut-on amener toutes les cellules d’une culture à se développer dans une
direction univoque?
- Quels sont les types cellulaires intermédiaires ?
- Quels marqueurs et quelles méthodes peuvent être employés pour sélectionner le
modèle désiré ?
Jusqu’à nos jours, la capacité des cellules ES à élaborer des organes complexes en
culture reste complètement inexplorée. Nous savons que les organes résultent
d’interactions entre des tissus embryonnaires provenant de deux couches distinctes : les
poumons, par exemple, se forment lorsque des cellules issues du mésoderme
interagissent avec des cellules de l’endoderme qui donnent le tube digestif.
L’interaction stimule ces cellules endodermiques qui se ramifient en prolongements,
lesquels deviendront les poumons. Pour construire des organes, on devra apprendre à
commander les interactions des cellules souches pluripotentes. Les anomalies des
bovins clonés, par la technique du clonage somatique pourrait être à l’origine d’ « effets
pathologiques durables »
7
. Ces effets décelés après la naissance des sujets clonés ne
pourraient-ils pas être en germe dans l’embryon et affecter la qualité des cellules qui le
composent ? Que sait-on des facteurs épigénétiques qui seraient susceptibles de
compromettre leur normalité ? L’activité télomérasique d’un embryon obtenu par
clonage est-elle identique à celle d’un embryon résultant d’une procréation ? En l’état
actuel des connaissances, ces questions demeurent sans réponse et justifient, pour le
moins, la poursuite d’une recherche approfondie sur l’animal avant toute
expérimentation sur l’homme. Heureusement, de nos jours, d’autres voies à
perspectives prometteuses s’ouvrent à la recherche compte tenu des ressources offertes
par les cellules souches multipotentes, présentes dans l’organisme adulte.
7
Lancet du 1er mai 1999
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