Haut fonctionnaire issu du Conseil d’État, passé dans la Résistance et l’engagement dans les Forces
françaises libres, Pierre Laroque est alors chargé par le gouvernement provisoire de mettre en oeuvre
ce projet qui élargit l’assise des premières assurance sociales établies en 1930 en France par le très
… libéral André Tardieu. Si les communistes se rallient au principe d’une cotisation salariale à la-
quelle ils avaient été hostiles, c’est surtout parce qu’elle permet de justifier la gestion de la « sécu »
par les représentants des syndicats. Dès lors, la « sécu » peut être présentée… tardivement, comme
la grande conquête ouvrière ! Tant il est vrai, aussi, qu’elle avait pour ambition première de rendre la
société plus juste en faisant des prestations sociales l’instrument de larges transferts sociaux. Il ne
s’agissait pas seulement de faire payer les bien-portants pour les malades et les actifs pour les retrai-
tés. Il s’agissait aussi de prendre aux riches pour donner aux pauvres.
En fait, très rapidement, la « sécu » allait devenir le moyen privilégié de satisfaire les nouveaux be-
soins de santé des élites et des classes moyennes. Dès les origines de la « sécu », le « trou » était
annoncé. En 1954, le docteur Péquignot anticipait l’avenir en écrivant : « Si l’on guérit aujourd’hui
l’homme d’une maladie, on le guérira jamais de cette autre maladie, la vie, qui se termine d’une ma-
nière constante, la mort ; et si nous l’empêchons de mourir aujourd’hui de tuberculose, nous lui don-
nons l’occasion de mourir dans dix ans d’un infarctus ou d’un cancer ; et si dans dix ans, on le guérit
d’un infarctus ou d’un cancer, on lui donnera l’occasion de mourir dix ans plus tard d’une hémiplégie.
De sorte qu’on ne voit jamais apparaître d’éléments d’économie »
Jacques Marseille, professeur d’histoire économique à Paris-I Sorbonne.
Doc. 4 - 1945-1946 : la naissance du modèle social français
De la Libération à 1946, une salve de réformes jette les bases de ce qui est devenu, dans le débat
d'aujourd'hui, le "modèle social français", lequel modèle est en fait à la fois social, économique et,
fondamentalement, politique. Le 22 février 1945, une ordonnance institue en effet les comités d'entre-
prise dans les établissements de plus de 100 salariés. Les 4 et 19 octobre 1945, c'est la naissance de
la Sécurité sociale des salariés, qui couvre les risques maladie, invalidité, vieillesse, décès et acci-
dents du travail. Le statut de la Fonction publique, quant à lui, est rédigé en octobre 1946. Sur le plan
économique, une vague de nationalisations permet à l'État non seulement d'assurer un certain
nombre de services publics, mais aussi de maîtriser les grands leviers économiques, à travers le con-
trôle des transports, de l'énergie, du secteur bancaire et des assurances et de quelques grandes en-
treprises clés. Dans le même temps, différentes institutions sont fondées, en premier lieu le Commis-
sariat général au Plan, permettant de renforcer le pilotage de l'économie.
Une démarche commune à toute l'Europe
Cette mise en place d'une économie mixte et d'un Etat-providence n'est cependant pas propre à la
France. Au Royaume-Uni, les gouvernements successifs installent un Welfare State, un Etat-
providence, étendu. Dès 1944, L'Education Act instaure la scolarité obligatoire jusqu'à 14 ans. En
1946, le National Health Service Act nationalise les hôpitaux, regroupe les services médicaux locaux
et fonctionnarise la médecine de ville et le paramédical. La même année, le National Insurance Act
accorde à tous les salariés le droit à une retraite d'État et aux allocations maladies, chômage et ma-
ternité, ainsi que le principe d'un revenu minimum pour tout citoyen en difficulté. Le National Assis-
tance Act de 1948 organise l'aide d'urgence, puis en 1949 le Housing Act donne la priorité à la cons-
truction de logements sociaux.
Les travaillistes au pouvoir au sortir de la guerre opèrent aussi d'importantes nationalisations dans le
domaine énergétique et des infrastructures: entre 1946 et 1948, 20% de l'industrie britannique passe
sous contrôle d'un État qui tient à avoir des participations importantes dans des entreprises clés
comme Rolls Royce (moteurs) et British Petroleum. Même si entre 1951 et 1964, les conservateurs
privatisent le transport routier et une partie de la sidérurgie, la politique économique reste globalement
la même.
En Allemagne de l'Ouest, les nouveaux dirigeants, prenant le contre-pied de l'étatisme et du centra-
lisme nazi, privatisent et régionalisent nombre d'activités. Mais l'État garde sous son contrôle 40% du
secteur minier, les deux tiers de la production d'électricité, les deux tiers du capital bancaire et les trois
quarts de l'industrie de l'aluminium. Dans les années 50, devenue la vitrine de l'Occident face au bloc
communiste, la RFA développe un système de protection sociale et des services publics performants.
Surtout, les relations professionnelles sont institutionnalisées; elles reposent sur le dialogue entre des
organisations syndicales puissantes, du côté patronal comme du côté des salariés. Le rôle des syndi-
cats est aussi renforcé par la cogestion, dont la première pierre est posée avec la loi du 21 mai 1951,