À l`abordage, Compagnie de Théâtre Musical

publicité
À l’abordage est une compagnie pluridisciplinaire qui rassemble de jeunes
chercheurs, musicologues, comédiens, musiciens, chanteurs et danseurs,
mus par un même désir de voguer vers des territoires trop peu explorés
du théâtre musical des XVIIe et XVIIIe siècles.
À l’abordage, Compagnie de Théâtre Musical.
Contact : [email protected]
Cahin, caha…
Dans ma jeunesse,
Les Veuves, les Mineures
Avoient des défenseurs,
Avocats, Procureurs,
Juges & rapporteurs,
Soutenaient leur faiblesse.
Aujourd’hui ce n’est plus cela :
L’on gruge, l’on pille,
La Veuve et la Fille,
Majeur & pupille ;
Sur tout l’on grappille ;
Et l’honneur va,
Cahin caha…
Dans ma jeunesse,
Quand deux cœurs amoureux
S’unissaient tous les deux,
Ils sentaient mêmes feux,
De l’Hymen les doux nœuds
Augmentaient leur tendresse.
Aujourd’hui ce n’est plus cela :
Quand l’Hymen s’en mêle,
L’ardeur la plus belle
Devient étincelle
L’Amour bat de l’aile,
Et l’Epoux va,
Cahin caha…
Dans ma jeunesse…
Et deux chansons de Pannard, sur une musique de Mouret :
Je ne suis plus dans l’ignorance ;
Je sais ma ba, be, bi, bo, bu :
Déjà mon petit cœur ému
Près d’un jeune berger commence
A faire ta, te, ti, to, tu.
Faites-moi donc présent ma mère,
D’un mari da, de, di, do, du.
Qui soit sémillant, vif et dru,
Surtout d’un âge à pouvoir plaire ;
Car un vieux pa, pe, pi, po, pu.
Si pour moi sa tendresse dure,
J’aurai toujours de la vertu ;
Mais s’il est brutal et bourru,
Ma bonne maman, je vous jure,
Qu’il sera ca, ce, ci, co, cu.
Dans ma jeunesse,
La vérité régnait,
La vertu dominait,
La constance brillait,
La bonne foi réglait
L’Amant et la Maîtresse.
Aujourd’hui ce n’est plus cela :
Ce n’est qu’injustice,
Trahison, malice,
Changement, caprice,
Détours, artifice,
Et l’amour va,
Programme
À l’Abordage, Compagnie de Théâtre musical
Présente :
Le Double Veuvage, une comédie en trois actes mêlée
de chansons de Charles Rivière Dufresny, créée à la
Comédie-Française en mars 1702.
Mise en scène : Judith le Blanc.
Jeudi 19 octobre 2006
21h
Chambre de Commerce et d’Industrie de Reims.
Addenda :
Avec :
Alice Barbosa : Thérèse, Nièce de l’Intendant.
Cécil Gallois : Gusmand, Maître-d’Hôtel de la Comtesse.
Alice Glaie : Une Suivante de la Comtesse.
Judith le Blanc : La Veuve, qui croit l’être de l’Intendant.
Jean-Charles Léon : Le Suisse de la Comtesse.
Thomas Maignien : Dorante, Neveu de l’Intendant.
Jérôme Musseau : L’Intendant de la Comtesse.
Mélusine de Pas : La Suissesse, Femme du Suisse.
Elise Trogrlic : La Comtesse.
Anne Vainsot : Frosine, Servante de la Veuve.
Andreas Linos : Viole de gambe.
Yoann Moulin : Clavecin.
Et :
Pierre Daubigny : lumières, Le Voisin de la Voisine.
(d’Atys)
Vaudeville final : Sur l’Air : L’Hymen vient quand on l’appelle
(Le public est invité à chanter)
Gusmand et Frosine, aux deux amants.
Il vous aime, elle est gentille,
N’allez pas suivre tous deux
L’exemple de la famille ;
Accordez-vous un peu mieux ;
Faites toujours bon ménage,
Poussez un effort si beau
Jusqu’à craindre le veuvage ;
Ce sera là fruit nouveau.
L’intendant et Dorante.
La vieille tante à Thérèse,
Qui compte par cinquante ans,
Pour n’en paraître que seize,
A se farder perd son tems :
Seule, elle se croit jolie ;
Malgré l’art de son pinceau ;
En la voyant on s’écrie :
Ce n’est pas là fruit nouveau.
Tous, au Public.
Sur les maris, et les femmes
On a lancé bien des traits,
On a fait force épigrammes,
On a rimé maints couplets ;
Nous serons contents des nôtres ;
S’il s’échappe un seul bravo ;
Nous croirons, après les autres,
Avoir dit du fruit nouveau.
Dufresny fait partie de ces auteurs injustement oubliés, qui ont
écrit à l’ombre de Molière, et avant l’avènement de Marivaux, à la fin
d’un règne solaire en passe de décliner. Représentant d’une langue parlée
dans toutes les Cours d’Europe, il se forge une réputation à la Comédie
Italienne, puis à partir de 1697, date de l’exclusion des Italiens, il écrit
pour la Comédie Française, tout en cultivant la verve acquise au contact
des comédiens ultramontains. Son théâtre, traduit, s’exporte à travers
toute l’Europe. On joue et on chante Dufresny en Italie, en Allemagne,
en Angleterre, en Hollande, en Pologne. Dessinateur des jardins du roi, il
en ruine la belle symétrie et invente le jardin à l’anglaise. De façon
analogue, il renouvelle le genre de la Comédie en mettant l’Opéra en
abyme, en variant les registres et en mélangeant les genres.
On a l’habitude de classer les comédies créées à cette époque
sous la dénomination peu flatteuse de « comédies fin de règne ». Aux
côtés de Dufresny, des auteurs comme Regnard ou Dancourt essayaient
de lutter contre la crispation croissante de la Cour et contre l’hégémonie
de l’Académie Royale de Musique qui interdisait aux scènes des théâtres
parisiens d’utiliser dans leurs spectacles plus de deux chanteurs et six
musiciens depuis le privilège de l’Opéra octroyé à Lully.
Dans la comédie, Gusmand se fait l’écho de ces restrictions
drastiques imposées par le monopole de Lully : « Un si joli mariage
mériterait un divertissement complet ; mais nous n’avons dans ce château
ni Musiciens, ni Danseurs, & il nous est interdit d’en prendre en ville (…)
Puisque nous manquons de musiciens, je vais chanter, moi seul, une
espèce d’Opéra en raccourci ».
Pourtant, le public avide de divertissements chantés, était à
l’affût de ces ornements du théâtre qui, depuis les comédies-ballets de
Molière, flattaient tous les sens. La comédie réagit à la vogue de l’Opéra
en inventant une esthétique hybride fondée sur l’alternance des passages
parlé et chanté. Ce sont les chansons intégrées à l’action dramatique qui
ont le plus contribué au succès du Double veuvage si l’on en croit le
Prologue, le commentaire consacré à l’œuvre par Léris dans son
Dictionnaire portatif et le fait que Dufresny ajoutait des chansons au gré des
différentes reprises de la pièce :
Ma passacaille est encore un morceau ;
Hon, je m’égare
En bécare,
Rentrons vite en bémol, pour chanter mon rondeau.
Duo, trio, sourdine, écho,
Écho, écho, écho.
Pour ma gigue, elle n’est pas si belle,
Mais elle est nouvelle.
Voici le beau ;
Mais il n’est pas nouveau,
C’est un tombeau.
Je descends aux enfers,
De là je monte aux cieux, &, parcourant les airs,
Je dors ; & mon sommeil est un enchantement.
Je fais le tout en badinant ;
Mais la saillie,
Est l’effort d’un grand génie.
C’est mon petit menuet, & ma loure,
Et mon rigaudon,
Diguedon.
Dans mes chansonnettes,
De tendres sornettes
Charment les grands cœurs.
On y voit des chaînes si belles,
Des nouvelles ardeurs,
Et des ardeurs nouvelles.
J’ai mis par-tout des coulez, murmurez,
Des régnez,
Coure, volez,
Des triomphes, victoire, & gloires immortelles.
Que vous dirai-je, enfin ? Tous les traits les plus beaux
Des Opéra nouveaux.
Le Marquis : Et moi, je vais demander au musicien des chansons.
Le Chevalier : Des chansons ! Est-ce qu’il y a des chansons
dans la pièce ?
Le Marquis : Oui.
Le Chevalier : Je la verrai donc : je ne pars plus. Que ne me
disois-tu cela d’abord ?
Le Marquis : J’ai commencé par l’essentiel.
Le Chevalier : Qu’entends-tu donc par l’essentiel ? Quoi ! Un
verbiage qui ne fait que passer par les oreilles ? Des chansons demeurent
dans la tête, on emporte cela. En sais-tu quelqu’une ? Chante-la-moi.
Le Marquis : Tu es fou ; moi, chanter sur un théâtre !
« On chante dans cette piece une espece de Pot-pourri, en forme
de parodie des Opéra, qui fait beaucoup de plaisir, & dont la musique,
ainsi que celle du Divertissement est aussi de Dufrény », extrait du
Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres, Léris, 1763.
Le Double veuvage est une comédie de la marge, irrégulière dans
ses mœurs comme dans son esthétique, d’une virtuosité cruelle sans
égale, qui porte un regard désabusé sur le monde. Celui de la fin d’un
règne solaire qui n’en finit pas de finir, où la morale de l’intérêt et de
l’argent mène les hommes plus sûrement que les sentiments, où l’on
dissimule et anticipe en chansons les questions cruciales qui ne vont pas
tarder à agiter le siècle naissant.
Dans cet espace-temps de la folie en représentation, nous avons
voulu créer un monde à la fois dépaysant et étrangement familier, où tout
est possible, même le retour des morts pour chanter sur le théâtre l’apologie
du veuvage, le triomphe de la dissimulation et de la boisson en attendant
l’avènement d’un autre règne… ou le Triomphe de l’amour.
Admiré par Sade, Beaumarchais, ou encore Pérec, le théâtre de
Dufresny réfléchit un monde en passe de basculer dans la modernité.
L’excès de sa tendresse
Vous blesse :
L’Hymen va vous guérir ; l’Hymen, en moins d’un jour
Sçait corriger l’excès d’enjouement & d’amour.
GUSMAND.
La la la la : je vais chanter, la la la la,
Mon Opéra : La, la, la, la.
Donnez-moi le ton. Je n’y suis pas.
Trop haut, trop bas.
Ha ! ha !
M’y voilà.
D’abord une ouverture ;
La, la, la, d’une beauté,
D’une gravité
Chant naturel, d’après nature.
La reprise est d’un goût
Fantasque & bizarre, ta-ri, ta-ri, ta-tou.
Voici la piece ; écoutez jusqu’au bout.
Une ritournelle tendre,
Vous prépare au recit que vous allez entendre.
La lire,
La, la ri ta ri ta tire ;
La li ta ra,
Et coetera.
J’admire
La science
De mes chœurs
Et la magnificence
De mes clameurs.
Quelles horreurs !
Des fureurs !
Ce qui m’étonne,
C’est ma chaconne :
Où puis-je prendre un feu si beau !
Livret des chansons
La Vigne à Claudine, musique de Campra sur des paroles
bachiques et grivoises de Charles Rivière Dufresny.
Et mon cœur simple & bénin,
N’aura jamais le courage
De tromper un bon voisin ;
Et s’il faisoit la dépense
D’apporter du vin chez nous,
Je croirois en conscience
Devoir le payer pour vous.
Dans la vigne à Claudine, les vendangeurs y sont.
On choisit à la mine ceux qui vendangeront.
Aux vendangeurs qui brillent On y donne le pas
Les autres y grappillent mais ne vendangent pas.
Sur la fin de l’automne vint un joli vieillard
Si la vendange est bonne j’en veux avoir ma part
Mais la prudente fille lui répondit tout bas
Vieux vendangeur grappille mais ne vendange pas.
Aux vignes de Cythère parmi les raisins doux,
Est mainte greffe amère, n’en coupez pas pour vous.
Ce choix pour une fille est d’un grand embarras,
La plus sage grappille, mais ne vendange pas.
LA SUISSESSE.
Rien n’est si gai que la tristesse,
Ou d’une fille, ou d’une nièce,
Qui, pour suivre un mari, va quitter ses parens.
Son cœur sensible à la tendresse,
La fait pleurer & rire en même temps.
LA SUIVANTE chante le rôle de la Veuve.
Pleurons, pleurons les malheurs du Veuvage ;
Sur un lugubre habit un crêpe à triple étage,
Effarouchera les Amans :
L’horreur d’un linge uni qui me bat le visage !
Ni pretintailles ni rubans,
Pendant deux ans !
Pleurons, pleurons, les malheurs du Veuvage.
GUSMAND chante.
Chantons, chantons les douceurs du Veuvage,
Une fille craint le courroux
D’une mere un peu trop sage ;
Une femme craint son époux ;
Mais la Veuve hors d’esclavage,
LA SUISSESSE
Quand un Galant bien fait, de bonne mine
Me conte fleurette, croit-on
Que j’en sois chagrine ?
Non, non, non ; ma foi, non :
Je voudrois même en quelque sorte
Récompenser son joli jargon ;
Mais ma vertu n’entend non plus raison
Qu’un Suisse qui garde sa porte.
LA SUIVANTE.
C’est grand dommage
D’envoyer aux Normands une fille si sage ;
Car fille sage, apparemment,
Sera fidelle en mariage ;
Et femme si fidelle avec mari Normand,
C’est grand dommage.
LA SUIVANTE.
L’excès de votre enjouement
Chagrine votre amant.
Ne craint ni mere ni jaloux :
Chantons, chantons les douceurs du Veuvage.
LA SUIVANTE.
Je perds un chez Epoux qui m’aima constamment.
GUSMAND.
Jusques au jour charmant
De votre mariage.
LA SUIVANTE.
Il me tenait sans cesse un si tendre langage ;
Sa complaisance, sa douceur,
GUSMAND.
Cachoit toujours quelque infidelle ardeur
A votre jalouse fureur.
LA SUIVANTE.
Ah ! qu’il étoit d’une agréable humeur,
GUSMAND
Quand il soupoit chez sa voisine !
LA SUIVANTE.
Quelle union fut pareille à la nôtre !
Nous n’avions entre nous que le oui et le non.
GUSMAND
Mais quand vous disiez l’un, il disait toujours l’autre.
LA SUIVANTE.
Il étoit bienfaisant,
GUSMAND.
En ville libéral.
LA SUIVANTE.
Et de tous les maris, enfin,
GUSMAND.
Le plus brutal.
LA SUIVANTE.
Que de vertus il avoit en partage !
GUSMAND.
Que de défauts il avoit en partage !
Chagrin, chagrin contre ta noir fisage,
Moi sçavoir prendre un joyeux trinquement ;
Poire un pti coup, pour un pti chagrinage,
Pour un pu grand, poire pu grandement :
Mais quand ché nous mon fame fait tapage,
En enrageant avalir tout. (Il boit.)
Moi, craindre point sti rage.
LE SUISSE.
Mon mari, je suis trop sage,
Si pour mourir mon femme étoit partie,
Moi consolir par un pti trinquement ;
Pour consolir de ce qu’al est en vie,
Me faut trinquer beaucoup pu grandement.
Quand son galant veut que moi ne voir goutte,
Par tremblement avalir tout,
Sans l’y perdre un pti goutte. (II, 8)
LES SUISSES.
Ma voisine est très-jolie ;
Amis ce qui me déplaît fort,
Elle est toujours endormie :
Son mari jamais ne dort.
Quand leur humeur me chagrine,
Je porte chez eux d’un vin,
Qui réveille la voisine,
Et fait dormir le voisin.
Mon voisin me dit sans cesse,
Qu’il me veut fournir de vin ;
Je connois bien sa finesse,
Mais moi l’être encore pu fin.
Fais semblant d’être facile,
Moi, ferai semblant de rien,
Pendant qu’il fera le gile,
Je lui boirai tout son bien.
Téléchargement