Dufresny fait partie de ces auteurs injustement oubliés, qui ont
écrit à l’ombre de Molière, et avant l’avènement de Marivaux, à la fin
d’un règne solaire en passe de décliner. Représentant d’une langue parlée
dans toutes les Cours d’Europe, il se forge une réputation à la Comédie
Italienne, puis à partir de 1697, date de l’exclusion des Italiens, il écrit
pour la Comédie Française, tout en cultivant la verve acquise au contact
des comédiens ultramontains. Son théâtre, traduit, s’exporte à travers
toute l’Europe. On joue et on chante Dufresny en Italie, en Allemagne,
en Angleterre, en Hollande, en Pologne. Dessinateur des jardins du roi, il
en ruine la belle symétrie et invente le jardin à l’anglaise. De façon
analogue, il renouvelle le genre de la Comédie en mettant l’Opéra en
abyme, en variant les registres et en mélangeant les genres.
On a l’habitude de classer les comédies créées à cette époque
sous la dénomination peu flatteuse de « comédies fin de règne ». Aux
côtés de Dufresny, des auteurs comme Regnard ou Dancourt essayaient
de lutter contre la crispation croissante de la Cour et contre l’hégémonie
de l’Académie Royale de Musique qui interdisait aux scènes des théâtres
parisiens d’utiliser dans leurs spectacles plus de deux chanteurs et six
musiciens depuis le privilège de l’Opéra octroyé à Lully.
Dans la comédie, Gusmand se fait l’écho de ces restrictions
drastiques imposées par le monopole de Lully : « Un si joli mariage
mériterait un divertissement complet ; mais nous n’avons dans ce château
ni Musiciens, ni Danseurs, & il nous est interdit d’en prendre en ville (…)
Puisque nous manquons de musiciens, je vais chanter, moi seul, une
espèce d’Opéra en raccourci ».
Pourtant, le public avide de divertissements chantés, était à
l’affût de ces ornements du théâtre qui, depuis les comédies-ballets de
Molière, flattaient tous les sens. La comédie réagit à la vogue de l’Opéra
en inventant une esthétique hybride fondée sur l’alternance des passages
parlé et chanté. Ce sont les chansons intégrées à l’action dramatique qui
ont le plus contribué au succès du Double veuvage si l’on en croit le
Prologue, le commentaire consacré à l’œuvre par Léris dans son
Dictionnaire portatif et le fait que Dufresny ajoutait des chansons au gré des
différentes reprises de la pièce :
Ma passacaille est encore un morceau ;
Hon, je m’égare
En bécare,
Rentrons vite en bémol, pour chanter mon rondeau.
Duo, trio, sourdine, écho,
Écho, écho, écho.
Pour ma gigue, elle n’est pas si belle,
Mais elle est nouvelle.
Voici le beau ;
Mais il n’est pas nouveau,
C’est un tombeau.
Je descends aux enfers,
De là je monte aux cieux, &, parcourant les airs,
Je dors ; & mon sommeil est un enchantement.
Je fais le tout en badinant ;
Mais la saillie,
Est l’effort d’un grand génie.
C’est mon petit menuet, & ma loure,
Et mon rigaudon,
Diguedon.
Dans mes chansonnettes,
De tendres sornettes
Charment les grands cœurs.
On y voit des chaînes si belles,
Des nouvelles ardeurs,
Et des ardeurs nouvelles.
J’ai mis par-tout des coulez, murmurez,
Des régnez,
Coure, volez,
Des triomphes, victoire, & gloires immortelles.
Que vous dirai-je, enfin ? Tous les traits les plus beaux
Des Opéra nouveaux.