force des arguments qui avaient été mobilisés de part et d’autre, dès la fin des années quatre-
vingt-dix. Les pays de l’Europe du sud peuvent-ils faire partie de la zone euro ? Leur adhésion ne
risque-t-elle pas d’aggraver leurs problèmes domestiques en les privant de la facilité que
constituaient des dévaluations récurrentes ? Les pays de l’Europe du Nord doivent-ils manifester
leur solidarité, y compris budgétaire, vis-à-vis des économies les plus fragiles ? C’est une
invitation à analyser la trajectoire des institutions européennes et de la formation de la politique
économique des Etats membres de 1999 à 2010.
L’illusion d’une continuité entre le serpent monétaire et l’institution de l’euro
Dans ce passage, il faut souligner une double continuité, source d’un optimisme sans doute
excessif. D’un côté certains auteurs conçoivent que la monnaie unique n’est autre que le passage à
la limite du durcissement du SME en direction de changes fixes entre monnaies européennes.
D’un autre côté, les mesures de prudence budgétaire et de faiblesse de l’endettement public
permettant de qualifier les divers pays pour l’adhésion à l’Euro sont aussi des parties constitutives
du Traité européen codifiant les nouvelles institutions et responsabilités.
Pour autant, la décennie 2000 fait clairement percevoir le long travail de différenciation des
trajectoires nationales que renforce le passage à l’Euro. En premier lieu, les économies qui
restauraient leur compétitivité à travers des dévaluations périodiques enregistrent une restriction
de leur offre compétitive. Comme par ailleurs, le taux de change est maintenant identique pour
tous les pays, ceux qui jouaient principalement sur la compétitivité-prix (l’Italie, la France,…)
doivent faire face au même taux de change que les économies caractérisées par l’innovation et la
différenciation par la qualité, telle l’Allemagne. Si dans une première phase l’Euro se déprécie par
rapport au Dollar, tous les systèmes productifs nationaux peuvent s’ajuster sans trop de difficulté.
Par contre, à partir du moment où les doutes sur le dollar après l’effondrement de Lehman
Brothers font refluer les capitaux vers l’Euro, on observe une polarisation de larges surplus
commerciaux en Allemagne en contrepartie d’un accroissement des déficits de la plupart des
autres pays membres. Le fait que le taux de change Euro/dollar soit devenu une variable de
marché, principalement déterminée par l’anticipation des rendements financiers, implique une
accentuation de la polarisation des systèmes productifs en faveur des pays les plus compétitifs.
Pour sa part, la politique de la BCE ne contribue pas à contrecarrer ce mouvement. En effet,
comme la politique de taux d’intérêt est maintenant déterminée en fonction de la conjoncture
économique de l’Europe, perçue dans son ensemble, un même taux d’intérêt peut s’avérer trop
restrictif pour les économies les plus compétitives, mais par contre trop laxiste pour les
économies en rattrapage rapide. En quelque sorte la politique monétaire européenne ne convient
plus à la majorité des pays (Steclebout, 2004). En conséquence, bien que les nouveaux États
membres croissent plus rapidement grâce à un phénomène de rattrapage, la croissance de la zone
Euro continue à être déterminée pour l’essentiel par la capacité d’exportation de l’industrie
allemande.
Dès lors, compte tenu d’une croissance plus faible qu’aux États-Unis et surtout qu’anticipée par
l’approfondissement du marché unique, les pays dont la capacité productive est la moins
compétitive sont contraints de recourir aux déficits publics ou au laxisme du crédit privé. Ainsi
s’explique le fait que le pacte de stabilité et de croissance soit violé par nombre de pays dès les
années 2000 et qu’il est réformé pour permettre une plus grande flexibilité (Boyer, 2006). C’est
dans un tel contexte que certains gouvernements se livrent à une comptabilité créative visant à
dégonfler artificiellement le poids de la dette publique. De même, la brutale chute du taux
d’intérêt payé au titre de la dette publique des pays qui antérieurement étaient pénalisés par la
crainte d’une dévaluation de leur monnaie induit une relaxation du crédit qui se porte moins sur
la formation de capital productif que sur la consommation privée et l’immobilier. Jusqu’en 2007,