Le 5 juillet 1889, il est né Place Sully, à Maisons-Laffitte, la même année que Charlie Chaplin et que
la tour Eiffel, dans une famille de la haute bourgeoisie fortunée : sa mère, Eugénie, appartenait à une
famille parisienne d'agents de change, et son père, Georges, fut avocat puis rentier. Comme il était
nerveux, extrêmement sensible, qu’il tombait souvent malade, sa mère le couva et fit de lui un enfant-
roi. Pour des raisons mal élucidées, son père se suicida d’une balle dans la tête, alors qu’il n'avait que
neuf ans. Avec sa sœur aînée, Marthe, et son petit frère, Paul, il passa sa prime enfance soit à
Maisons-Laffitte, soit à Paris, dans un hôtel particulier ; aussi disait-il : «Je suis né parisien, je parle
parisien, je prononce parisien» (“Portraits-Souvenir”). Son grand-père, amateur éclairé, l'éveilla à la
musique ; son père, qui dessinait et peignait volontiers, lui avait transmis ses dons picturaux ; sa mère
l'emmena très tôt au théâtre, où il contracta ce que, dans “La difficulté d'être“, il appela «le mal rouge
et or», par allusion au rideau traditionnel en velours rouge et à frange d’or qu’il avait vu se lever
lorsqu’il assista à une première représentation au Châtelet du ‘’Tour du monde en quatre-vingts
jours’’. Dans sa chambre, il improvisait des spectacles où il réinventait le monde. Doté de dons
multiples et complémentaires, il pratiqua l’écriture et le dessin qui, pour lui, sont indissociables :
«Écrire, pour moi, c’est dessiner, nouer des lignes de telle sorte qu’elles se fassent écriture, ou les
dénouer de telle sorte que l’écriture devienne dessin» - «Somme toute, je cerne les fantômes, je
trouve les contours du vide, je dessine»).
Il fut pourtant, au lycée Condorcet, un «mauvais élève» qui avait du mal à se discipliner, qui échoua
quatre fois au baccalauréat et qu’on renvoya pour indiscipline en 1904, et qui n’en garda qu'un
souvenir marquant, celui de la révélation de la beauté masculine, en la personne d'un condisciple,
Dargelos :
«Ces coups de poing durs des boules de neige,
Que donne la beauté vite au cœur en passant.»
(“Le camarade”).
S'il eut une brève liaison avec la comédiennne Madeleine Carlier, dont on trouve trace dans “Le grand
écart”, ce fut l'époque où il découvrit son homosexualité.
Lasse de voir son fils perdre son temps en futilités scolaires, sa mère accepta de la soutenir quand, à
sa majorité, il lui annonça son désir de devenir écrivain. Étonnant par la maîtrise et la fulgurance de
ses vers où, grand admirateur de Rimbaud et de Mallarmé, il maniait le verbe symboliste avec
délicatesse et circonspection, il eut des débuts littéraires, qualifiés plus tard de «graves erreurs de
jeunesse», qui le firent connaître rapidement, lui attirèrent un succès mondain. Présenté dès 1908
comme un jeune prodige par le comédien Édouard de Max et par Laurent Tailhade, lors d'une
audition de ses poèmes au Théâtre Femina, multipliant apparitions et prestations poétiques, devenu
la coqueluche de salons (en particulier celui de la comtesse Adhéaume de Chevigné) où il était réputé
pour avoir la conversation la plus spirituelle de Paris, il jouit d'abord en «prince frivole» de ses
triomphes auprès des comédiens, des femmes du monde, des artistes et des écrivains en vue : Sarah
Bernhardt, Mistinguett, Anna de Noailles, le portraitiste Lucien Daudet, Rostand, Martin du Gard,
Proust (dont il fut le confident, qu’il força, par sa compassion, à terminer son oeuvre, même s’il ne se
rendit pas compte alors de sa valeur). À l’âge de vingt ans, le jeune dandy, qui avait affiché sur le mur
de sa chambre : « Trop est juste assez pour moi », fit paraître des dessins dans une revue, entra
dans la poésie «comme on entre dans les ordres», commença à publier des poèmes où il explorait les
territoires immenses de l'envers des choses, du mystère de l'au-delà, de l'imaginaire de la mort, de
«l'étrange proximité du visible et de l'invisible» (“La poésie ou l'invisibilité”) :
_________________________________________________________________________________
“La lampe d’Aladin”
(1909)
Recueil de poèmes
_________________________________________________________________________________
“Le prince frivole”
(1910)