Nouveau choc pétrolier : vrai ou faux

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Revue Commerce – Octobre 2004
NOUVEAU CHOC PÉTROLIER :
VRAI OU FAUX ?
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
20 août 2004
Version non éditée par la Revue Commerce
Toute reproduction interdite sans autorisation de l’auteur
Nouveau choc pétrolier : Vrai ou faux ?
En mai 2004, juillet et août 2004, le prix mensuel moyen du baril de
pétrole brut de type WTI (West Texas Intermediate) a dépassé les 40 dollars
américains. Au moment de la publication, il pourrait même avoir temporairement
dépassé les 50 dollars le baril. Peut-on en déduire qu’un nouveau choc pétrolier
est à nos portes ? Subissons-nous une augmentation du prix du baril de pétrole
suffisante pour faire dérailler l’économie américaine et l’économie mondiale dans
une nouvelle récession ? La réponse succincte est non, à moins que…
Pour mesurer l’importance d’une augmentation du prix du pétrole dans le
temps, il faut l’exprimer en dollars constants, c’est-à-dire corriger le prix courant
pour tenir compte de l’inflation. On parle alors de prix en dollars constants ou de
prix réel du baril de pétrole brut. Le graphique 1 présente l’évolution du prix du
baril de pétrole brut de type WTI en dollars américains courants et en dollars
constants de 2004. On remarque que, si en août 2004 le prix moyen du baril était
de 46 dollars américains, le prix équivalent en dollars constants de 2004 avait
atteint un sommet de 92 dollars le baril en avril 1980.
Rappelons que le prix du baril de pétrole de type WTI commande toujours
une prime de 6 à 7 dollars par rapport au prix moyen du pétrole brut en
provenance du Moyen-Orient grâce à sa faible teneur en métal et en sulfure. Pour
chaque baril de pétrole «léger» de type WTI, on obtient davantage de produits
dérivés à prix élevés (essence) qu’avec un baril de pétrole «lourd» du MoyenOrient; ce qui explique la prime.
Graphique 1
Prix du baril de pétrole brut de type WTI (West Texas) en dollars
américains courant et en dollars constants de 2004
92
82
72
62
52
42
32
22
12
2
janv-70 janv-74 janv-78 janv-82 janv-86 janv-90 janv-94 janv-98 janv-02
Prix du baril WTI en $US constants de 2004
Prix du baril en $US
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Pour parler de choc pétrolier, il faut donc une augmentation très
importante du prix du baril sur un an ou moins. Lors du 1er choc pétrolier de
janvier 1974, le prix réel du baril avait bondi de 132 % en un mois. Lors du
2e choc pétrolier du début des années 80, le prix réel avait fait un bond de 117 %
en avril 1980 par rapport à avril 1979. Lors de la 1ère guerre d’Irak, le prix réel du
pétrole avait bondi de 107 % entre juin 1990 et octobre 1990. Dans les trois cas,
l’économie américaine et l’économie mondiale sont tombées en récession.
D’août 2003 à août 2004, le prix réel du baril de pétrole de type WTI a
bondi de 39 %. Depuis deux ans, il a augmenté de 51 % en utilisant un prix
moyen de 45 dollars américains pour le mois d’août 2004. Il faudrait donc que le
prix du baril s’élève à 60 dollars ou plus le baril pour que l’économie américaine
et l’économie mondiale tombe en récession. Le prix actuel est toutefois déjà un
facteur important de ralentissement de l’économie américaine.
Pourquoi sommes-nous si vulnérable ?
Les risques d’une flambée additionnelle des prix sont particulièrement
grands parce que pour la première fois la demande est aussi grande que la capacité
de production disponible à court terme. La reprise économique mondiale a
entraîné une augmentation de la demande globale estimée à 3,2 % comparée à
plus ou moins 2 % au cours des dix dernières années. La demande globale de
2004 est estimée à 82,2 millions de barils par jour. Le rationnement de l’offre
n’est donc pas intentionnel de la part des producteurs comme ce fut le cas lors des
deux premiers chocs pétroliers. On peut dire que tous les pays produisent à pleine
capacité alors que pour effectivement stabiliser les prix il faudrait que l’OPEP ait
une capacité excédentaire de près de 4 %. À court terme, il y a peu de chose que
les producteurs peuvent faire puisque le développement des nouveaux puits ou
des centres de production pour les sables bitumineux d’Alberta, prend en
moyenne deux ans plutôt que quelques mois pour mettre en marche de nouvelles
unités de production. À court terme, nous sommes donc à la merci d’un acte
terroriste sur les installations pétrolières d’Arabie saoudite ou d’une détérioration
de la situation politique au Nigeria, au Venezuela, en Russie, sans parler de l’Irak,
entraînant un arrêt significatif de la production pendant quelques mois.
Pour tenter de stopper l’ascension du prix du pétrole, l’Administration
américaine pourrait au moins arrêter les achats destinés aux réserves stratégiques
dont les stocks s’élevaient à 978 millions de barils en août 2004. Ses achats ont
été de 49 millions de barils depuis le début de l’année. Mais là encore l’objectif
des réserves stratégiques est de répondre aux pénuries en cas d’interruption de
l’offre et non pas de stabiliser le prix du pétrole. Même si l’Administration
américaine le voulait, il ne faut pas oublier que cela ne représente que 49 jours de
consommation de l’économie américaine.
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Un prix élevé pour les prochaines années ?
Si nous sommes chanceux, il est fort possible que le prix le plus élevé aura
été au mois d’août 2004. Le graphique 2 met en valeur le profil saisonnier du prix
réel moyen des 14 dernières années (1990 à 2003) du baril pétrole brut de type
WTI comparativement à celui de 2004. Depuis 1990, c’est au mois d’août que le
prix mensuel moyen a été le plus élevé et a diminué en moyenne de 4,5 % au
cours des derniers mois de l’année, soit une baisse de deux dollars le baril par
rapport au prix observé en août 2004. Au cours des quatre dernières années, la
baisse moyenne a été plus significative à 8 % ou de 4 dollars par baril au prix de
2004.
Graphique 2
Profil saisonnier du prix réel moyen du baril de pétrole de type WTI
(prix réel moyen des 14 dernières années et prix réel mensuel en 2004)
30.0
46
29.5
42
28.5
40
28.0
27.5
38
27.0
36
26.5
34
Janvier
Mars
Mai
Juillet
Prix réel moyen 14 ans du baril WTI
Prix mensuel en 2004
Prix moyen 14 ans
44
29.0
Septembre Novembre
Prix réel du baril WTI en 2004
Le prix du baril est présentement au-dessus de son prix d’équilibre à long
terme, mais il ne faut toutefois pas compter revoir le prix du baril de type WTI
bien inférieur à 40 dollars américain le baril si l’économie mondiale n’entre pas
en récession. Rappelons que le prix du pétrole de type WTI est toujours à prime
de 6 à 7 dollars américains par rapport au prix moyen du pétrole en provenance du
Moyen-Orient grâce à sa faible teneur en métal et en sulfure. À long terme, l’IEA
(Energy Information Administration) du département de l’énergie des États-Unis
prévoit une augmentation de 50 % de la demande mondiale à 121 millions de
barils par jour en 2025 comparativement à 82,2 millions en 2004. Un prix élevé
va bien sûr enclencher de nouveaux investissements, mais il n’en demeure pas
moins qu’aux États-Unis la production intérieure de pétrole est déjà sur son déclin
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depuis 1986 alors que les importations de pétrole représentent une part de plus en
plus grande de la consommation (graphique 3). La part des importations est
passée de 34,4 % en 1986 à 61 % en 2004.
La Chine est probablement la goutte géante qui a fait déborder le vase et
qui sera encore un déterminant dominant de la croissance de la demande de
pétrole au cours des deux prochaines décennies. En 2003, la Chine est devenue le
deuxième plus grand pays consommateur de pétrole après les États-Unis avec une
consommation de 6 millions de barils par jour et une augmentation de 11,5 % en
2003 selon les données du rapport annuel sur l’énergie de la compagnie pétrolière
BP. Par ailleurs, l’IEA prévoit une augmentation annuelle moyenne de la
demande chinoise de pétrole de près 4 % d’ici à 2025 pour atteindre 12,8 millions
de barils par jour en 2025. C’est probablement une estimation trop conservatrice
lorsqu’on sait que le taux de croissance annuel moyen du PIB réel de la Chine a
été de 8,9 % au cours des dix dernières années (1993 à 2003) et qu’au cours de la
même période celui de la consommation de pétrole a été de 7,5 %. Un taux de 6 à
7 % serait plus réaliste lorsqu’on réalise que le marché de l’automobile est au
début de son explosion et que la Chine prévoit développer son réseau d’autoroutes
au rythme de 3000 kilomètres par année d’ici à 2020 pour faire face à
l’augmentation de véhicules automobiles qui utilisent presque uniquement des
produits dérivés du pétrole.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres ?
Au niveau global, l’augmentation du prix du pétrole est une immense
redistribution de la richesse en faveur des producteurs de pétrole au détriment des
consommateurs. À la limite l’impact macroéconomique serait très faible si les
dollars déplacés n’entraînaient pas d’énormes changements au niveau des flux de
dépenses. C’est-à-dire que si les pays du Moyen-Orient utilisaient leurs dollars sur
les mêmes biens et services et les mêmes entreprises que les consommateurs nordaméricains. Ce n’est toutefois pas le cas et en plus, lors des deux premiers chocs
pétroliers, le changement brusque du prix relatif de l’énergie a également causé
une chute importante des ventes de véhicules neufs aux États-Unis et par
conséquent contribué à plonger l’économie américaine en récession.
L’augmentation du prix du pétrole est bien sûr positive pour les
producteurs, notamment le Canada qui est un pays exportateur net de pétrole. Le
graphique 4 montre bien que l’arrivée de la production des sables bitumineux de
l’Alberta a déjà contribué et contribuera encore davantage à faire du Canada un
pays exportateur net. À une moins grande échelle, ce qui se passe dans le monde
se joue également à l’intérieur du Canada. Les consommateurs et les entreprises
de l’Est du Canada sont appauvris au détriment des provinces de l’Ouest. Il ne
reste donc plus qu’à espérer qu’aucune interruption importante des flux pétroliers
ne survienne au cours des prochains trimestres parce que dans ce cas nous
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pourrions bien faire face à un quatrième choc pétrolier qui plongerait l’économie
américaine et l’économie mondiale en récession en 2005.
Graphique 4
Le Canada est un pays exportateur net de pétrole brut
(millions de barils par jour)
2.2
(millions de baril par jour)
2.0
1.8
1.6
1.4
1.2
1.0
0.8
0.6
0.4
1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992
Exportations nettes de pétrole brut du Canada
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