Introduction: - Droit

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L’AFFAIRE PERRUCHE (débat sur les dérives vers un eugénisme libéral)
Année 2002-2003
MULLER Anne-Claire
Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg
4e année, section Service Public
1
Avant-Propos
L’idée du thème de ce mémoire m’est venu alors que j’assistai au cours de Droit de la
biomédecine de Mireille Heers, lors de ma deuxième année à l’IEP. J’ai par ailleurs toujours été
intéressée par les problèmes concernant la responsabilité médicale. En outre, il se trouve que
quelqu’un qui m’est proche souffre de handicaps particulièrement graves, et ce mémoire est en
quelque sorte un hommage que j’essaye de lui rendre, en espérant que ce travail sera à la hauteur
de l’estime et de l’affection que j’ai pour lui.
Je tiens à remercier Monsieur Willy Zimmer pour le temps qu’il m’a consacré et pour ses
précieux conseils lors de l’élaboration de ce mémoire.
Je remercie également toutes les personnes avec qui j’ai pu discuter de ce mémoire, et celles qui
ont bien voulu le relire.
A Paul
2
L’AFFAIRE PERRUCHE
Introduction:
Le Prix Nobel WATSON1 écrivait «les sciences biotechnologiques nous attribuent des
pouvoirs aujourd’hui que l’on considérait autrefois comme divins ». Ces propos qui peuvent
paraître exagérés semblent pourtant parfaitement fondés lorsque l’on se réfère à l’actualité toute
récente. En effet, il y a quelques mois, l’annonce par la secte raëlienne de la naissance du
premier bébé cloné faisait la une des journaux. La polémique autour de la question du clonage
humain reproductif a alors repris de plus belle, entraînant des débats passionnés qui ont réuni
autant les politiques, les scientifiques, les médecins que les philosophes, en soulevant le délicat
problème de la place de l’éthique dans la pratique médicale et la recherche scientifique.
La question des limites de la frontière éthique se pose de plus en plus ces dernières années avec
les progrès enregistrés par la science médicale, notamment dans le domaine des biotechnologies.
Pour pouvoir mesurer la gravité du franchissement de la barrière éthique dans l’activité
médicale, il convient tout d’abord d’expliquer ce que l’on entend par la notion d’ « éthique ».
L’éthique signifie dans la Grèce antique une sagesse de l’action, elle régule les actes et
donne des repères pour les choix à opérer parmi les moyens qui sont à la disposition du médecin.
Hippocrate (400 ans avant Jésus-Christ) définit la bioéthique comme le respect des patients,
énonçant le principe de la manière suivante : « primum non nocere ».
La notion d’éthique est inhérente à la pratique médicale : elle permet d’orienter les savoirs et
savoir-faire en direction d’un but, d’une finalité, d’un bien. Il y a en réalité différents principes
qui guident l’action médicale. Il y a d’une part les biens de l’individu, comme sa santé, son
bonheur,…et d’autre part les biens de la collectivité et des générations futures. Parmi les grands
principes qui régissent l’activité médicale (comme la bienfaisance, le respect des choix de la
personne, la justice, le respect de la vie humaine et de la dignité humaine,…), un certain nombre
d’entre eux entrent en conflit les uns avec les autres : le principe de bienfaisance avec celui du
1
Scientifique qui a découvert la structure en double hélice de l’ADN en 1951
3
respect de la vie lors de pratiques comme l’euthanasie ou l’interruption médicale de grossesse2,
ou encore le principe de justice confronté à celui du progrès de la science avec les
expérimentations sur les malades mentaux, sur l’embryon ou à l’occasion d’essais vaccinaux en
Afrique. Dans le modèle français traditionnel, la priorité du principe de bienfaisance est la règle.
La finalité de la médecine est la guérison face à la souffrance, à la vulnérabilité et à la
dépendance. Le médecin soutient et protège le malade et prend les décisions seul. Le
paternalisme est alors la règle, le médecin se passe du consentement du patient pour ne pas
l’accabler. Cependant, une évolution apparaît, et de plus en plus, le consentement du patient est
nécessaire. Le modèle anglo-américain se singularise pour sa part par l’importance accordée au
respect de l’autonomie du patient : le patient est informé et son consentement est exigé. Le
malade et le médecin sont des égaux dans une relation contractuelle de prestations de services (la
médecine est alors appréhendée comme un bien quelconque où le prix est fixé en fonction de
l’offre et de la demande). L’évolution de la médecine a entraîné, de fait, de nouvelles attentes des
patients à l’égard des médecins et la France se calque de plus en plus sur le modèle anglo-saxon,
même si certaines différences subsistent, comme le fait que le patient français ne soit pas
propriétaire de son corps ou encore que ce qui autorise l’intervention sur le corps du malade,
c’est d’abord la loi. On assiste tout de même à une augmentation de l’utilitarisme et du
consumérisme : les malades et les patients considèrent de plus en plus la médecine et la santé
comme un bien de consommation comme les autres, pour lequel ils payent le prix et attendent en
retour un résultat. Ce glissement progressif vers une exigence de résultats soulève des
questionnements et pose certains problèmes que nous évoquerons plus loin dans notre travail.
Le Professeur HASSELMANN3 rappelle que l’éthique n’est pas un ensemble de règles
institutionnelles (comme le droit) ni une science ou une technique, elle est bien plutôt un savoir,
un travail de la raison humaine pour penser les valeurs. Depuis toujours, la médecine est
essentiellement, dans son essence même, une démarche éthique : son action porte sur autrui, et sa
finalité est de redonner la santé et le bien-être. Le problème actuel avec les progrès immenses de
la science dans la bioéthique est que l’homme peut agir sur son humanité physique, psychique et
psychologique et peut transformer le monde de sa descendance. Ceci entraîne un conflit de
valeurs contradictoires.
2
3
Interruption médicale de grossesse : IMG
Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg
4
Vouloir définir l’évolution du sens du terme éthique à travers l’histoire serait fastidieux,
notamment en raison du trop grand nombre de théoriciens et philosophes qui se sont penchés sur
la question. Cependant, il peut être utile de se remémorer la réflexion actuelle en matière
d’éthique afin de mieux comprendre les enjeux du sujet qui nous intéresse ici. Ainsi, Hans Jonas
considère que l’homme doit agir de telle sorte que « l’humanité soit, que les effets de son action
soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la terre aussi
longtemps que possible ». Il y a une responsabilité au sens d’une mission à l’égard du plus
fragile et du plus menacé dans le futur. D’autres, comme Williams, accordent une place
fondamentale au contexte dans lequel l’homme évolue. L’individu (et donc le médecin) reçoit de
la société dans laquelle il vit les questions et les réponses éthiques. Cependant, seule une
référence à l’universel permet de mettre à jour des rapports de pouvoir sous-jacents à des
pratiques. On retrouve enfin la doctrine utilitariste. La doctrine utilitariste du 19e siècle, incarnée
notamment par John Bentham et John-Stuart Mill, considère qu’une action est moralement bonne
si elle conduit au plus grand bonheur le plus grand nombre de personnes. Est moral ce qui est
utile. Cette affirmation peut paraître choquante, c’est pourtant ce principe qui guide un certain
nombre de politiques de santé publique menées actuellement. Cette approche a des points
positifs évidents que sont principalement son pragmatisme et sa rationalité. Ses points négatifs
sont cependant au moins tout aussi évidents : cela suppose en effet d’évaluer la notion de qualité
de vie (et donc de supprimer éventuellement celles qui ne sont pas utiles), cela suppose
également que ce qui est utile à un individu l’est pour tout autre et pour la société, et surtout, cela
implique la réduction des actes humains à un calcul coût-avantages/inconvénients. Il est clair
qu’aujourd’hui l’utilitarisme est à prendre en compte et occupe une place importante dans la
réflexion qui préside aux politiques de santé : il y a une nécessaire maîtrise des dépenses de
santé publique. Cependant, il faudrait pouvoir éviter que les patients ou malades menacés dans
leur vie n’entrent dans un marché où la santé serait un produit comme les autres, qu’ils seraient
libres d’acheter ou non. En outre, l’évaluation des coûts expose à l’injustice : à partir de quand
décider qu’un traitement ne vaut pas la peine d’être poursuivi ? Ceci suppose en effet
l’attribution d’un prix à la vie humaine. Il y a donc une antinomie profonde entre l’utilitarisme et
l’idéal de justice, le premier semblant être véritablement incompatible avec les droits de
l’homme.
Il convient de réaliser que les liens entre l’éthique et le droit sont extrêmement étroits et
interactifs.
5
Ainsi, c’est après la Seconde Guerre Mondiale et la découverte des expériences réalisées par les
médecins nazis dans les camps d’extermination ou par des biologistes japonais dans les camps de
prisonniers qu’une conscience critique s’éveille : la science n’est alors plus nécessairement liée à
l’idée de progrès. L’idée de soumettre l’activité médicale et plus généralement scientifique à un
contrôle extérieur apparaît comme une nécessité. Le droit de la bioéthique naît ainsi avec le
jugement du Tribunal de Nuremberg des 19 et 20 août 1947. Il faut cependant attendre les années
1960 pour que des organismes de régulation soient mis en place (comme les premiers comités
éthiques aux Etats-Unis)4, et quarante ans pour que la première loi bioéthique soit adoptée en
France5. C’est en 1994 qu’est élaboré en France un corpus de règles juridiques avec les lois dites
« bioéthiques » du 1er et 29 juillet 19946. Cette irruption du droit dans le champ de la bioéthique
est une véritable rupture par rapport à la situation antérieure : ces règles mises en place par le
législateur s’imposent au monde médical dans son ensemble. En outre, la source du législateur
n’est pas l’éthique médicale mais bien plus la philosophie des droits de l’homme, dont les grands
principes ont été consacrés par le droit international et constitutionnel des pays démocratiques,
après la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, des principes comme la sauvegarde de la dignité de la
personne humaine, principe essentiel du droit bioéthique, figurent dans le Préambule de la
Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies en 1948 et dans le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé en 1966. Ce principe de dignité de
la personne humaine, qui figure également dans notre Code civil, est d’ailleurs l’un des enjeux
essentiels de l’arrêt « Perruche », rendu par la Cour de cassation en assemblée pleinière le 17
novembre 2000, qui nous préoccupe ici. Au delà de cet aspect, l’arrêt en cause est un exemple
tout à fait frappant de la combinaison ou confrontation de questions éthiques, de droit et de
pratiques médicales et des conflits d’intérêts auxquels peuvent avoir à faire face les médecins et
les juristes.
De manière plus pointue, c’est la question de l’eugénisme qui se pose ici, ou tout au
moins des dérives eugénistes que peut avoir la décision de la Cour de cassation d’indemniser un
C’est un américain, V.R. POTTER, qui est à l’origine du terme de « bioéthique » qui provient de bios (vie) et ethos
(éthique) pour désigner l’étude de la moralité des conduites humaines dans le domaine des sciences de la vie
5
Loi du 20 décembre 1988 sur l’expérimentation humaine
6
Loi 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et loi 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don
et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic
prénatal.
4
6
enfant du fait du préjudice d’un handicap qui n’était pas détachable de sa naissance. On parle
alors de l’indemnisation d’un préjudice de vie7.
Afin de mieux cerner le problème, il convient d’évoquer ce qu’on entend par le terme
« eugénisme ».
L’obsession de la dégénérescence de la race marque la pensée médicale de 1850 à 1940.
L’interaction entre la pensée médicale et les considérations économiques et politiques est
illustrée par la lutte contre les maladies héréditaires, et ce, notamment par l’amélioration des
porteurs de gênes. L’euthanasie économique débute en Allemagne dès 1939. Il est assez
caractéristique de relever que le discours qui suit d’HIMMLER, prononcé lors d’une visite à
Auschwitz, relève bien sûr de préoccupations eugéniques fortes mais également d’une logique
utilitariste prononcée : « Le fardeau économique constitué par les personnes souffrant de
maladies héréditaires constitue un danger pour l’Etat et pour la société. En tout il est nécessaire
de dépenser trois cent un millions de Reichsmarks pour les soins à leur donner, non compris les
dépenses de deux cent mille ivrognes et d’environ quatre cent mille psychopathes. Nous sommes
convaincus que bientôt chaque pays se rendra compte que sa force se trouve dans la pureté de
son esprit et de son sang. La seule garantie d’une vie tranquille se trouve dans la différenciation
entre sang et sang. Nous considérons dépourvu de sens que des aliénés dangereux pour leur
existence et pour celle des autres, des idiots qui ne peuvent se tenir propres ni manger euxmêmes soient élevés et maintenus en vie, au prix de grands efforts et de grandes dépenses ;dans
la libre nature, ces créatures ne pourraient exister et seraient exterminées selon la loi divine ».
L’eugénisme témoigne également de la confrontation du biologique et du politique. Cette notion
d’eugénisme a été inventée par Galton (neveu de Darwin qui a introduit une perversion dans la
pensée de Darwin. Ce dernier considère en effet que les espèces sont soumises à une sélection
naturelle). En 1883, l’eugénisme anglais a pour but de maintenir dans l’empire britannique un
équilibre de pouvoir entre la bourgeoisie qui se reproduit relativement peu et les masses
laborieuses (c’est à dire les ouvriers) qui se reproduisent quant à elles fortement. Le mot a une
racine grecque « eu » qui signifie bien pour et « genos » qui signifie naissance ou race. Il s’agit
de la science de l’amélioration de la lignée, du lignage humain. L’eugénisme s’occupe de toutes
les influences susceptibles de donner aux races les mieux douées, donc supérieures, un plus
grand nombre de chances de prévaloir sur les races les moins bonnes, c’est à dire inférieures.
Si, lorsqu’on évoque le terme d’eugénisme, on pense immédiatement à l’Allemagne nazie, il
serait réducteur de croire que l’eugénisme est une pratique et une pensée qui ne s’est développée
7
Ce préjudice est connu dans la jurisprudence anglaise sous le nom de wrongful life.
7
qu’en Allemagne. Le mouvement est en effet largement suivi en France avec l’école anthroposociologique, qui est très active au 19e siècle8. En France justement, c’est en 1912 qu’est créée la
Société française d’Eugénisme. Charles RICHET, prix Nobel de médecine en 1913, écrit cette
même année un ouvrage intitulé « La sélection humaine ». On ne citera pour illustrer qu’un court
passage, mais suffisamment effrayant, qui montre l’étendue de la pensée eugéniste en France à
l’époque: « Après l’élimination des races inférieures, le premier pas dans la voie de la sélection,
c’est l’élimination des anormaux. (…) je ne vois aucune nécessité sociale à conserver ces enfants
tarés ». Il continue ainsi : « A force d’être pitoyables nous devenons des barbares. C’est
barbarie que de forcer à vivre un sourd-muet, un idiot, un rachitique. Ce qui fait l’homme, c’est
l’intelligence. Une masse de chair humaine, sans intelligence humaine, ce n’est rien. Il y a de la
mauvaise matière vivante qui n’est digne d’aucun respect ni d’aucune compassion. Les
supprimer, résolument, ce serait leur rendre service, car ils ne pourront jamais que traîner une
misérable existence…Je désire qu’on réfléchisse et qu’on se persuade enfin que la vraie
humanité consiste à respecter dans l’homme ce qui est seul respectable, c’est à dire
l’intelligence9 ».
On peut distinguer deux types d’eugénisme : l’eugénisme positif et l’eugénisme
négatif. L’eugénisme positif correspond à toutes les règles qui permettent une amélioration de la
race. Il peut s’agir par exemple de toutes les politiques familiales et sociales telles que
l’encouragement à la natalité et à l’hygiène ou encore le contrôle médical prénuptial10.
L’eugénisme négatif comprend l’extermination douce qui est un prélude à la solution finale,
(comme l’euthanasie par exemple), la stérilisation ou encore l’immigration. L’euthanasie a été
acceptée très tôt : dès 1906 dans l’Ohio, pour lutter contre l’agonie. La Grande Bretagne la
légalise en 1930. Les Pays-Bas ont récemment légalisé l’euthanasie et la Suisse permet ce qu’elle
nomme le « suicide assisté ». En France, l’euthanasie fait aujourd’hui l’objet de débat et le droit
n’a pas encore légalisé cette pratique, revendication pourtant défendue par un nombre
relativement important de partisans qui se battent pour « une mort digne ».
En ce qui concerne la stérilisation, en 1950, 33 Etats disposent de lois sur la stérilisation pour les
faibles d’esprit, les épileptiques, les pervertis sexuels, les criminels de différents types, les
syphilitiques et certains porteurs de maladies héréditaires. Claude RICHET traduit la loi sur la
On peut citer à titre d’exemple des ouvrages tels: GOBINEAU, Essai sur l’inégalité des races, 1854 ou encore
RENAN, Histoire des langues sémitiques.
9
Charles RICHET, La sélection humaine, 1919
10
Celui-ci a d’ailleurs été institué en France sous le régime de Vichy par Pétain et existe toujours aujourd’hui.
8
8
stérilisation de l’Indiana qui date de 1907 en ces termes : « (…) Au cas où les experts et le
conseil jugeraient qu’il ne convient pas aux individus examinés de procréer, et s’il n’existe
aucune probabilité en faveur de l’amélioration mentale de ces individus, les chirurgiens seront
autorisés à pratiquer, pour rendre inféconds ces divers individus, telle opération qu’ils
estimeront la plus sûre et la plus effective ».
Des mesures concernant l’immigration sont également prises en France en 1933. Elle va ainsi
« éliminer » discrètement certains médecins d’origine étrangère du droit d’exercice de la
médecine. De la même manière, aux Etats-Unis, l’ « Immigration Restriction Act » de 1924
stipule : « La sélection des immigrants se fait de manière à n’admettre que ceux dont les
capacités mentales sont supérieures à la moyenne américaine mesurées par des tests
psychologiques largement diffusés ».
Les propos d’Alexis CARREL, développés notamment pendant la période de l’entre deux
guerres, ne vont choquer personne, ce qui témoigne d’un état d’esprit largement réceptif à des
théories eugéniques, qui sont pourtant pour des oreilles d’aujourd’hui extrêmement choquantes.
La civilisation doit selon lui être fondée sur la construction de l’élite (au moyen de nouvelles
institutions dont il propose le développement, telles des institutions biologiques de l’avenir, ou
encore des hauts conseils). La civilisation deviendra celle d’une « aristocratie héréditaire », avec
la mise en œuvre d’un « eugénisme volontaire ». Il propose la mise en place d’instituts
euthanasiques pour tous les criminels, dont on pourra alors disposer de façon « humaine et
économique ». Il faut laisser de côté les « préjugés sentimentaux » et ne « pas hésiter à ordonner
la société moderne par rapport à l’individu sain11 ». Le programme d’Alexis CARREL ne
restera pas lettre morte puisque c’est HITLER qui le réalisera dès 1939. En France, ce sont
40.000 handicapés mentaux qui mourront de faim pendant la guerre. Il y a donc ici rencontre de
la médecine et du politique qui va permettre la mise en œuvre de la philosophie eugéniste. Le
programme de gestion de la société par les politiques répond à l’attente des savants. Ce qui fait
en effet toute la potentialité nazie, c’est qu’il s’agit d’un « fascisme biologisant » (selon les
propos d’Yves TERNON, chirurgien et historien) ou encore une « biocratie » selon les termes du
Professeur de médecine Alex KAHN. L’exemple de l’Allemagne d’HITLER est ici tout à fait
approprié : les eugénistes allemands ont reporté les craintes de la dégénérescence de la race
essentiellement sur les juifs, et les médecins se sont associés aux politiques pour la mise en
œuvre de l’action eugéniste.
11
Alexis CARREL, L’homme cet inconnu, 1935
9
Après la guerre, la rédaction du Code de Nuremberg en 1949 constitue une étape importante en
matière de réglementation de la bioéthique puisqu’il constitue la première charte bioéthique
portant sur l’expérimentation humaine. En France, c’est en 1982 qu’un pas décisif est effectué
avec la création du Comité Consultatif National d’Ethique12, sous l’impulsion du nouveau
Président de la République Française, François MITTERAND. La France avait en effet besoin
d’un organe indépendant, regroupant des horizons culturels différents, qui puisse se prononcer
sur l’utilisation des nouvelles techniques et des nouvelles découvertes. Ce dispositif sera
complété en 1989 par la loi HURIET qui fait intervenir des non-médecins dans le processus
d’élaboration d’une recherche et met hors la loi les médecins qui ne se plieraient pas à cette
exigence.
La crise actuelle de l’éthique médicale traduit en fait une crise plus profonde de nos
sociétés. Il faut veiller à constamment être capable d’inféoder la médecine et la technique à
l’éthique afin de pouvoir promouvoir une image de l’homme qui échappe à la réification de
l’individu, dérive ayant été le principal moteur des barbaries dont le 20 e siècle aura été témoin,
en passant de l’eugénisme au génocide.
L’affaire Perruche qui nous préoccupe ici illustre bien ces préoccupations : elle a en effet soulevé
des polémiques passionnées et passionnantes quant au fait de savoir si l’indemnisation d’un
enfant handicapé qui n’aurait pu éviter le handicap qu’en étant avorté constituait une étape vers
des risques de dérives eugénistes.
L’action de « vie préjudiciable » est apparue pour la première fois aux Etats-Unis et ne se limitait
pas à la responsabilité médicale puisque l’enfant avait également engagé une action contre son
père naturel, à qui il reprochait d’avoir abandonné sa mère. Ce type d’action a connu un certain
succès aux Etats-Unis jusqu’au début des années 1980 ; par la suite entre 1985 et 1995, les cours
suprêmes et les législations d’un certain nombre d’Etats ont interdit ce type de recours. En
France, l’action en vie préjudiciable est principalement le résultat de trois facteurs : le besoin
indemnitaire lié à la carence des aides publiques, les progrès de la médecine prédictive et enfin la
loi IVG de 1975.
JERRY SAINTE-ROSE13 explique que les progrès de la médecine et
l’évolution de la
législation, qui permettent de plus en plus le recours à des méthodes de maîtrise de la
reproduction humaine, entraînent de nouvelles hypothèses de responsabilité médicale. Les
12
13
Comité consultatif national d’éthique : CCNE
avocat général dans l’affaire Perruche
10
contentieux en indemnité sont ainsi de plus en plus nombreux ;il sont liés à la naissance d’un
enfant non désiré ou plus désiré en raison de son état de santé. Les parents considèrent subir un
préjudice en raison de cette naissance dès lors qu’elle aurait pu ou dû être évitée.
Concrètement, plusieurs types de situations ont été jugées : l’échec d’une IVG ou d’une
stérilisation, l’inefficacité d’un examen prénatal dont l’objet est de détecter les maladies graves
affectant l’embryon ou le fœtus, ou encore l’erreur d’un diagnostic anteconceptionnel qui permet
le dépistage des maladies héréditaires.
Deux actions sont alors intentées : l’une au nom des parents (action en « wrongful birth »),
l’autre pour le compte du mineur (action en « wrongful life ») visant à réparer le préjudice
correspondant à la vie diminuée qu’il doit vivre.
On voit bien que les questions qui se posent lors de ces jugements ne sont pas de simples
questions techniques ou juridiques ou de réparation indemnitaire. On touche en effet ici à un
domaine éthique et à des questions d’ordre existentielles : le droit à la vie, à l’avortement, voire à
l’eugénisme…
Après avoir examiné dans une première partie l’arrêt qui a suscité ces débats ainsi
que ses motivations, nous envisagerons dans une seconde partie les arguments des détracteurs de
l’arrêt. Nous nous intéresserons ensuite au texte législatif adopté en vue de contrer l’arrêt
Perruche. Enfin, nous envisagerons les dérives actuelles, plus préoccupantes, vers un eugénisme
« libéral » (selon les termes employés par Jürgen Habermas) et une réification de l’embryon et
du fœtus.
11
1. L’arrêt Perruche14
1.1 Les circonstances de l’affaire
1.1.1 Les faits dans le cas d’espèce
En avril 1982, le médecin de la famille Perruche constate que la fille du couple, âgée de 4
ans, a contracté la rubéole. En mai 1982, il s’aperçoit que Mme Perruche présente les mêmes
symptômes, alors qu’elle pense être enceinte. Mme Perruche, qui connaît les risques qu’une
rubéole peut avoir sur un fœtus, avait affirmé qu’elle souhaitait interrompre sa grossesse en cas
de rubéole. De fait, alors que la rubéole est normalement une maladie bénigne, elle peut avoir
des conséquences d’une extrême gravité sur le fœtus lorsqu’elle atteint une femme enceinte non
immunisée. Cette affection est connue sous le nom de syndrome de Gregg et consiste en des
lésions auditives (surdité), oculaires (ces lésions peuvent aller jusqu’à la cécité), cardiaques et
mentales. Le médecin fait alors procéder à la recherche d'anticorps rubéoleux, recherche réalisée
par un laboratoire de biologie médicale d’Yerres.
Le laboratoire procède à une première série de tests attestant que Mme Perruche n’est pas
immunisée. Le médecin demande alors un second prélèvement et les tests s’avèrent cette fois
positifs (signe que Mme Perruche est bien immunisée). Conformément à la loi, une troisième
série de tests est effectuée et confirme les seconds résultats.
Cependant, quelques mois plus tard, Mme Perruche accouche d’un enfant qui va développer de
graves troubles neurologiques ainsi que des séquelles extrêmement importantes qui paraissent
avoir pour origine une rubéole congénitale contractée lors de la grossesse de la mère. Le rapport
d’expertise conclut à une erreur du laboratoire et relève que le médecin a fait preuve d’absence
de sens critique en ne demandant pas une nouvelle série de tests.
1.1.2 Une procédure qui se rallonge
Parallèlement à la demande d’indemnisation des parents (du père en fait, en qualité
d’administrateur des biens de son fils mineur Nicolas) en leur nom et au nom de leur fils, se
14
voir Annexe 1 pour prendre connaissance de l’arrêt
12
greffe également la demande de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de l’Yonne,
demanderesse au pourvoi incident.
Le Tribunal de Grande Instance (TGI) d’Evry, par un jugement du 13 janvier 1992, retient que le
médecin de famille ainsi que le laboratoire d’analyse médicale ont commis une faute : il a
déclaré ceux-ci « responsables de l’état de santé de Nicolas P… ». Le médecin a interjeté appel
du jugement en soutenant que seul le laboratoire était responsable. La Cour d’appel de Paris (1ère
chambre, section B) a jugé que le médecin avait commis une faute « dans l’exécution de ses
obligations contractuelles de moyens » et qu’il devait donc en réparer les conséquences pour
Mme Perruche, qui lui avait fait connaître son intention de procéder à une interruption volontaire
de grossesse15 en cas de rubéole. Par contre, la Cour considère qu’il n’y a pas de lien de causalité
entre le préjudice de l’enfant et les fautes commises. Les parents forment alors un premier
pourvoi en cassation en reprochant à la Cour d’appel de ne pas voir un lien de causalité entre le
préjudice de l’enfant et les fautes commises. (Ces moyens sont également repris par la Caisse
primaire d’assurance maladie de l’Yonne).
La première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 26 mars 199616, a cassé le
jugement rendu par la Cour d’appel en raison du refus de celle-ci d’admettre un lien de causalité
entre le préjudice de l’enfant et les fautes commises. La cour de renvoi, la Cour d’appel
d’Orléans, a pourtant dans un arrêt qualifié de rébellion du 5 février 1999, refusé d’admettre que
l’enfant Nicolas Perruche subissait un préjudice réparable du fait des fautes commises par le
médecin et le laboratoire.
1.2 La solution de la Cour de cassation et ses motivations
1.2.1 La solution retenue par la Cour de cassation
La Cour17 admet, selon une jurisprudence traditionnelle, d’indemniser les parents de l’enfant
Perruche, et ce, au titre de leur préjudice moral et de leur préjudice matériel, à savoir, en raison
des lourdes charges matérielles et financières devant être supportés par les parents en raison du
handicap de leur fils.
15
16
interruption volontaire de grossesse: IVG
civ I bull numéro 156 page 109
13
Par contre, ce qui est nouveau et a soulevé la polémique est le fait qu’en cassant l’arrêt de la
Cour d’appel de renvoi, la Cour de cassation accepte d’indemniser l’enfant lui-même du fait du
préjudice qu’il a subi, chose à laquelle s’est toujours refusé le Conseil d’Etat18 et qui rompt avec
la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation que nous étudierons ultérieurement.
Ainsi, la Cour dispose « que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire
dans l’exécution des contrats formés avec Mme X…avaient empêché celle-ci d’exercer son choix
d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce
dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les
fautes retenues ». Elle renvoie ensuite l’affaire devant la Cour d’appel de Paris pour être fait
droit. Il convient ici de faire un bref récapitulatif des principes de la responsabilité civile. Les
principes de la responsabilité civile sont énoncés dans l’article 1382 du Code civil qui dispose
que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute
duquel il est arrivé, à le réparer ». L’article 1383 poursuit : « Chacun est responsable du
dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son
imprudence ». La responsabilité civile est ainsi encourue par l’auteur d’un dommage qui doit
réparer le préjudice causé à autrui, le plus souvent par l’allocation de dommages et intérêts. Mais
elle est aussi encourue quand une personne n’empêche pas un dommage, alors qu’elle le pouvait
et le devait. Une autre norme constante du droit de la responsabilité indique que le tiers qui subit
un préjudice du fait de l’exécution défectueuse d’un contrat entre deux parties peut en demander
la réparation. En l’occurrence, dans l’affaire qui nous occupe, l’enfant est le tiers au contrat entre
les parties que sont la mère face au médecin et au laboratoire.
1.2.2 Les motivations de la Cour
Il convient à présent d’examiner les motivations de la Cour pour mieux cerner le
problème.
À ce propos, il nous a semblé que les conclusions du conseiller à la Cour de cassation Pierre
SARGOS rendues à l’occasion de l’arrêt Perruche sont très explicites. Par ailleurs, il est fort
probable que la Cour se soit inspirée, au moins en ce qui concerne les lignes directrices, de
l’argumentation de Pierre Sargos.
17
Cour de cassation, Assemblée pleinière, 17 novembre 2000, Perruche : JCP 2000, II, 10438, rapport Sargos,
conclusions contraires Sainte-Rose
14
a- La question de la responsabilité et du préjudice en matière d’IVG :
Pour évoquer le fait que l’enfant ait contracté son handicap in utero ou que le
handicap de l’enfant est d’origine génétique, Pierre Sargos parle d’un handicap « d’origine
endogène ».
Le conseiller Sargos procède en plusieurs étapes. Il rappelle tout d’abord quelques éléments
fondamentaux de la législation sur l’IVG, celle-ci étant bien au cœur du débat et de la réflexion
du juge. La loi relative à l’IVG date du 17 janvier 1975 et précise dans son article premier « la
loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté
atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ».
La loi prévoit deux cas dans lesquels l’IVG est légale:
-
Pratiquée avant la fin de la dixième semaine. La femme enceinte peut la
demander à son médecin si elle est en situation de détresse.
-
Pratiquée pour des motifs thérapeutiques, celle ci peut être autorisée à toute
époque de la grossesse, pourvu que deux médecins attestent que la
poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou
qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint
d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable
au moment du diagnostic.
Par ailleurs, le personnel médical peut parfaitement refuser de participer à une IVG, si cela va à
l’encontre de ses convictions personnelles. Il s’agit de la clause de conscience. C’est d’ailleurs
essentiellement l’existence de cette clause qui a fait dire au Conseil Constitutionnel19 que la
liberté des personnes « appelées à recourir ou à participer à une IVG était respectée et que la loi
n’acceptait une atteinte au principe de respect de tout être humain dès le commencement de sa
vie (principe d’ailleurs rappelé à son article 1) qu’en cas de nécessité et selon les conditions et
limitations qu’elle définit ».
Conseil d’Etat : CE
décision du 15 janvier 1975. Le CC a été saisi par des parlementaires qui considéraient que la loi était contraire
aux Traités internationaux et aux droits de l’homme. Il n’a traité que de la seconde question, s’estimant incompétent
quant à la conventionnalité de la loi.
18
19
15
D’après les statistiques effectuées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et
des statistiques du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, le deuxième type d’IVG ne
représentait qu’environ 1,1% et 1,4 % entre 1995 et 1998. Il n’est pas contesté que la possibilité
pour Mme Perruche de procéder à une IVG lui était ouverte. (2e type y compris compte tenu de
la gravité du risque encouru par le fœtus de naître avec de graves handicaps dans le cas où la
mère aurait contracté le virus pendant la grossesse alors qu’elle n’était pas immunisée. La
possibilité de pouvoir recourir à une IVG étant d’autant plus nette qu’il n’existe aucun moyen
curatif pour soigner cela).
La loi confère la possibilité de choisir de recourir à une IVG exclusivement à la mère, la volonté
du père étant écartée. Cette question s’est posée dans un arrêt du CE « Lahache » du 31 octobre
1981. Un mari dont la femme avait subi une IVG fait un recours contre l’hôpital pour faute car
selon lui, sa femme n’était pas en situation de détresse et l’hôpital aurait du s’assurer de cela
avant de pratiquer l’IVG. Le CE répond à cette réalité que « la femme majeure est capable
d’apprécier elle-même si sa situation justifie l’interruption de grossesse ».
Malgré ces deux arrêts qui mettent clairement un accent sur la liberté et la responsabilité de la
femme de recourir à une IVG, des polémiques continuent aujourd’hui d’exister sur le point de
savoir s’il existe réellement un droit à l’avortement que ses détracteurs opposeraient à un droit à
la vie. De la même manière, le Conseil d’Etat a refusé de reconnaître un droit à la vie de l’enfant
dans le cadre d’actions intentées par des personnes qui protestaient contre les examens de
détection du risque de trisomie 21 pour le fœtus. De même, la Cour de cassation a rejeté la
requête d’une personne qui refusait de payer ses cotisations sociales car elle estimait que cellesci financaient en partie des IVG.
Ces différents arrêts accordent donc tous à la mère seule, le droit de choisir de recourir ou non à
une IVG. Dire alors que l’action en wrongful life pourrait aboutir au fait que l’enfant exerce une
action contre sa mère car celle-ci n’a pas avorté, relève donc selon Pierre Sargos d’une ineptie
juridique. En effet, le fait de choisir ou non de pratiquer une IVG relève d’une liberté inaliénable
de la femme, nul ne pouvant se substituer à son choix, même pas le père, comme nous l’avons vu
plus haut. Et en l’occurrence, qui dit liberté d’avorter, dit par-là même liberté de ne pas avorter.
En aucune façon la femme ne saurait être contrainte d’un tel acte ou voir engager sa
responsabilité à l’initiative de son enfant dans la mesure où elle aurait décidé de le garder alors
qu’elle connaissait un diagnostic de handicap le concernant.
16
b- La problématique du lien de causalité :
Il convient avant de rentrer dans le cœur du débat de rappeler les différentes catégories élaborées
par la doctrine sur le lien de causalité entre une faute et un préjudice :
- la théorie de l’équivalence des conditions qui postule que tout fait, même éloigné, sans lequel
le dommage ne se serait pas établi, est réputé causal.
- la théorie de la proximité des causes d’après laquelle seule la dernière cause est retenue.
- et enfin la théorie de la causalité adéquate qui postule que seule la cause prépondérante, c’est
à dire celle qui comporte la possibilité objective du dommage réalisé, est retenue.
La doctrine dans son ensemble se rapporte plutôt à cette dernière théorie qui est connue dans la
doctrine administrative sous le nom de théorie des conséquences normales.
Ce qui nous intéresse dans le cas présent comme le rappelle JOURDAIN (qui a notamment fait
les commentaires des deux arrêts rendus par la Cour de Cassation en 1996), « c’est de savoir si
sans les fautes commises, les dommages auraient pu être évités ». Il faut donc examiner le
contenu des obligations pesant sur le médecin et le laboratoire dans le cas Perruche.
La relation d’un médecin libéral avec son patient est envisagée comme une
relation contractuelle :le médecin a pour obligation de donner des soins consciencieux, attentifs
et conformes aux données acquises de la médecine (arrêt « Mercier » du 20 mai 1936). La Cour
de cassation a précisé les contours du contenu de ce contrat, les obligations qu’il impose au
médecin et la responsabilité qui lui incombe en cas d’inexécution du contrat ou d’exécution
défectueuse du contrat. L’arrêt « Le Bail », rendu le 15 juin 1937, précise que de cette relation
contractuelle découle en cas d’inexécution ou d’exécution défectueuse du contrat, une
responsabilité contractuelle du médecin à l’égard de son patient. La Cour de cassation précise
également cette forme de responsabilité pour les cliniques et laboratoires dans un arrêt du 6 mars
1945.
Dans le « traité pratique de droit civil français » de Planiol et Ripert, tome 4, édition de 1952, il
est exprimé l’idée suivante : « la responsabilité contractuelle, c’est le manquement à des
obligations résultant du contrat, manquement qui peut être sanctionné soit sur un terrain
purement objectif si l’obligation est de résultat (ou déterminée), sauf force majeure, soit sur le
terrain de la faute si l’obligation, comme en matière médicale, est de moyens ».
17
La question est donc la suivante : de quelle nature est l’obligation contractuelle qui lie le
médecin et le laboratoire à Mme Perruche ?
Selon le conseiller Pierre Sargos, qui s’appuie sur les dires des juges du fond, cette obligation
était la suivante : « le médecin et le laboratoire devaient donner à Mme P…grâce au
sérodiagnostic de la rubéole, une information lui permettant d’exercer le choix qu’elle avait fait
de recourir à une IVG si elle présentait une rubéole en cours ». Et l’exercice de ce choix,
expression de sa liberté personnelle et discrétionnaire, a été empêché par l’erreur commise. Le
handicap de l’enfant apparu peu après sa naissance est donc bien la conséquence directe de la
faute commise par le médecin puisque sans cette faute il n’y aurait pas eu de handicap.
Pierre Sargos reconnaît, et c’est d’ailleurs ce que soulèvent de façon systématique les détracteurs
de l’arrêt, qu’effectivement il n’y aurait pas eu handicap, mais il n’y aurait pas non plus eu de
vie, puisque le handicap était de toute façon incurable. Cependant, Monsieur le conseiller Sargos
soutient que cette affirmation ne change en rien le fait qu’il y ait une causalité directe entre la
faute du médecin et du laboratoire et le handicap de l’enfant.
Il y a eu des hésitations sur le fondement de l’action d’un tiers au contrat (l’enfant est en effet ici
bien un tiers au contrat, étant donné que le contrat lie la mère au médecin et au laboratoire) qui
subit un préjudice du fait de l’inexécution d’une obligation née de ce contrat ou de son exécution
défectueuse. Cependant, sans entrer dans les détails de la jurisprudence, on peut ici citer un arrêt
récent de la Cour de cassation du 18 juillet 2000 rendu par sa première chambre civile qui
précise que (confère article 1165 et 1382 du Code civil) « les tiers à un contrat sont fondés à
invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage, sans avoir à
rapporter d’autre preuve ».
Pierre Sargos conteste en cela les attaques des détracteurs en ce qu’ils se basent sur des motifs
« simplistes » (lien de causalité biologique) pour démontrer l’absence de lien de causalité. Par
lien de causalité biologique, il entend le fait que le handicap était d’origine endogène, à savoir
que le médecin n’aurait pas pu le soigner. La seule raison qui à ses yeux pourrait justifier
éventuellement le refus d’indemniser directement l’enfant est en relation avec le principe de
respect de la personne humaine.
18
c- Le principe du respect de la personne humaine :
Le principe du respect de la personne humaine est un élément central de notre réflexion. Il est en
effet à l’origine de l’arrêt de la Cour, mais également de la polémique qu’a soulevé l’arrêt après
sa parution. Il est d’ailleurs utilisé comme justification de l’indemnisation de l’enfant par les
défenseurs de l’arrêt, mais aussi par ses détracteurs, comme fondement de la non-indemnisation.
Ce principe est réaffirmé par l’article 16 du Code civil, dans la loi qui dépénalise l’IVG dans
certaines situations (en son article 1), mais également par la Cour de cassation, dans un arrêt
« Teyssier »20 du 28 janvier 1942 où elle affirme la valeur fondamentale du « respect de la
personne humaine ».
Ce qui pose problème dans l’arrêt attaqué, c’est que la suppression du risque des conséquences
de la rubéole implique nécessairement la suppression du fœtus 21. Et Pierre Sargos de poser la
question suivante « est-il dès lors légitime, au regard du principe fondamental du respect de la
personne humaine, que l’enfant puisse en quelque sorte faire abstraction de la vie à laquelle la
faute commise lui a permis d’accéder pour réclamer la réparation de son handicap ? »
En effet, pour Pierre Sargos, dès lors que l’on a écarté l’erreur qui consiste à refuser la causalité
de façon biologique, il s’agit là de la question la plus importante. Cette question a d’ailleurs été
soulevée par de nombreux détracteurs de l’arrêt dont on étudiera ultérieurement les arguments.
Pour Pierre Sargos, il est difficile éthiquement d’admettre qu’une personne puisse se prévaloir
contre une autre d’une faute qui lui a en réalité permis d’être en vie, cela allant semble-t-il de
façon frontale à l’encontre du respect de la personne humaine, « un préjudice lié de façon
indivisible à l’existence même ne saurait alors être admis ».
Mais pour Pierre Sargos, il n’y pas atteinte au respect de la personne humaine.
En effet, la non-reconnaissance d’une indemnisation s’apparente beaucoup plus au non-respect
de la personne humaine et de la vie que l’admission de l’indemnisation de l’enfant qui lui
permettra de vivre de manière décente et indépendamment des aides sociales. Il critique l’arrêt
du CE22 d’indemniser uniquement les parents car si le couple divorce ou abandonne l’enfant,
celui-ci ne touchera plus d’aide. En outre, si les parents meurent avant d’avoir pu agir, l’enfant
ne pourra pas du tout obtenir réparation de son préjudice. A moins d’imaginer qu’il se présente
en qualité d’héritier de ses parents pour toucher la réparation de leur préjudice, alors que lui
20
Cet arrêt fonde également l’obligation du devoir d’information du médecin.
Puisque, nous l’avons dis, le handicap est d’origine endogène et incurable.
22
CE, Section, 14 février 1997, « Centre hospitalier régional de Nice contre Epoux Quarez », conclusions Valérie
Pécresse et notes de Bernard Mathieu, RFDA 13 (2) mars-avril 1997, qu’on étudiera ultérieurement dans le 2.2
21
19
n’aurait directement rien touché…Il insiste aussi sur le fait que ce n’est pas la vie qui est
indemnisée, mais le préjudice qui résulte du handicap qui fera peser sur toute la vie de l’enfant
des souffrances en tout genre, mais également des coûts et des contraintes énormes.
d- La question des risques de dérives eugénistes :
Pierre Sargos s’attache à démontrer qu’accepter l’action en « wrongful life » ne correspond pas
à des pratiques eugénistes, ni à des risques de dérives eugénistes. Il estime tout d’abord qu’une
telle position serait de nature à blesser les femmes en situation de détresse qui aurait recours à
l’IVG. Il estime aussi que l’eugénisme implique de façon indéniable une dimension collective et
criminelle et qu’il s’agirait d’une « insulte et du mépris de la liberté de la femme » que de dire
qu’il s’agit de pratique eugéniste que de recourir à une IVG alors que les femmes sont informées
de la maladie et du handicap de leur enfant. Il s’agit simplement de reconnaître la liberté qui est
accordée aux femmes par la loi de 1975. En effet M. Sargos s’appuie sur le fait qu’un certain
nombre de détracteurs de l’arrêt sont à la limite même de refuser dans son principe le recours à
l’avortement. Il cite à cet effet Janick Roche Dahan (D 1997, jurisprudence page 35) qui expose
« …qu’il est pour le moins surprenant de voir des médecins engager leur responsabilité pour
n’avoir pas permis à une femme de réaliser un acte qui reste à la limite de la légalité ».
Par ailleurs selon Pierre Sargos, on pourrait parler d’eugénisme à partir du moment où dès lors
que l’on sait que son enfant naîtra avec un handicap, il y a obligation de recourir à une IVG (par
pression sociale ou obligation légale). Or la liberté entière est laissée à la femme, et les médecins
ont le pouvoir de refuser de pratiquer une IVG si cela va à l’encontre de leurs convictions
personnelles23.
En outre il n’y a pas de risques que la femme avorte dès que le fœtus risque de naître avec une
anomalie mineure. Pour qu’une femme puisse avorter pour raisons thérapeutiques, il y a tout
d’abord un contrôle effectué par deux médecins différents. Ensuite le faible taux d’avortement
pour des raisons thérapeutiques montre qu’il n’y a pas de recours systématique à l’avortement
dès lors que les parents savent que leur enfant naîtra avec une anomalie.
Pierre Sargos considère qu’il y a lieu de respecter les lois du pays, en l’occurrence celle de 1975
qui autorise la femme à avorter à tout moment lorsque son enfant risque de naître avec une
affection d’une particulière gravité et incurable, mais aussi le principe du droit de la
Comme nous avons pu le constater plus haut lors de l’examen rapide de la loi «Veil » de 1975 : c’est la clause de
conscience
23
20
responsabilité qui dit qu’il y a lieu de réparer un préjudice causé à autrui par une faute. Il fait
encore référence à l’article de Yannick Dagorne-Labbé au numéro 47 des « Petites Affiches » de
1996, idée reprise par Patrice Jourdain : « considérer le handicap supporté par l’enfant comme
inhérent à sa personne pour en déduire une non-réparation, n’est-ce pas nier l’atteinte au
potentiel humain qui résulte de son handicap et nier par-là son préjudice ? »
Le conseiller à la Cour met également le doigt sur ce qu’il considère être une incohérence : le
préjudice invoqué par les parents est fondé exactement sur la même faute que celui invoqué par
l’enfant : admettre d’indemniser les uns et pas les autres est donc incohérent. De fait, en
indemnisant les parents, on accepte l’idée de faire abstraction de la vie, qui sans la faute
commise, n’aurait pas existé.
Stéphane Alloiteau critique aussi la position du Conseil d’Etat dans le sens où en accordant une
rente mensuelle aux parents de 5000 FRF pendant toute la durée de vie de l’enfant, il s’agit dans
les faits d’un moyen détourné d’indemniser l’enfant. (« Petites Affiches numéro 64 de 1997)
De même Marie-Laure Fortuné-Cavalié (dans « Médecine et Droit » numéro 33 de 1998)
s’interroge comme suit : « comment expliquer que la naissance d’un enfant handicapé constitue
un préjudice pour les parents et pas pour l’enfant lui-même ? ». Dans « Responsabilité du
médecin » numéro 280, édition Litec, mars 2000, Sylvie Welsch dénonce le fait d’ « admettre un
préjudice par ricochet des parents s’il n’y a pas de dommage immédiat pour l’enfant ».
1.3Les justifications apportées a posteriori
1.3.1 Les justifications apportées par la Cour de cassation24
C’est dans son rapport annuel de l’année 2000 que la Cour de cassation s’explique dans
un chapitre intitulé « Préjudice de l’enfant né handicapé ». La haute juridiction rappelle à cette
occasion qu’elle a pris en compte les enjeux moraux et éthiques d’une telle action mais « qu’il
lui est apparu que le respect effectif, et pas seulement théorique, de la personne passait par la
reconnaissance de l’enfant handicapé en tant que sujet de droit autonome et que devait être
reconnu son droit propre à bénéficier d’une réparation du préjudice résultant de son handicap -
24
justifications tirées essentiellement d’un article de Cécile PRIEUR, Le Monde, « La Cour de cassation affirme
défendre le « respect effectif » de l’enfant handicapé », 30 novembre 2001
21
et exclusivement de celui-ci- de façon à lui permettre de vivre dans des conditions conformes à
la dignité humaine malgré son handicap ». La Cour considère en effet qu’il y a trop d’aléas à
accorder une indemnité uniquement aux parents25, l’indemnisation de l’enfant assurant à celui-ci
la défense de ses intérêts et une certaine dignité dans ses conditions de vie future.
A la suite de l’arrêt Perruche, la Cour a tout de même nuancé ou précisé ses positions à
l’occasion de quatre nouvelles affaires. Elle a ainsi refusé le 13 juillet 2001 le bénéfice d’une
indemnisation à trois enfants nés handicapés : l’un avec une malformation de la moelle épinière,
le deuxième sans bras droit et le troisième avec un bras atrophié. La haute juridiction a estimé
que n’étaient pas réunies les conditions qui permettent la mise en œuvre d’un avortement
thérapeutique, à condition que les parents des enfants aient eu à se poser la question de l’IVG.
Dans un arrêt du 28 novembre 2001, la Cour précise les contours de l’indemnisation accordée
aux enfants nés handicapés à la suite d’une erreur médicale. Elle rappelle le principe selon lequel
« la réparation du préjudice doit être intégrale », et que contrairement à ce qui lui a été reproché
elle n’a pas évoqué du tout l’idée d’un « préjudice esthétique », ce préjudice n’étant nullement
une catégorie de droit.
1.3.2 Les justifications de la doctrine
a-
L’arrêt Perruche : une conséquence de la loi de 1975
A l’instar de Pierre Sargos, Muriel Fabre-Magnan26 considère que l’arrêt Perruche n’est
en définitive qu’une conséquence directe du droit qui a accordé à la femme l’IVG thérapeutique
permis par la loi de 1975 dans certaines conditions. Par conséquent, ce n’est pas l’arrêt qui
innove et suggère qu’au-delà d’un certain handicap une femme peut avorter si elle le décide.
C’est la loi qui avait déjà posé la question délicate du seuil. Pour protéger ce droit, il faut pouvoir
condamner les personnes qui en raison de leur faute ont empêché à la mère d’exercer son choix
d’avorter.
Muriel Fabre-Magnan rappelle également que l’arrêt Perruche n’indemnise pas le fait d’être né
mais le handicap de l’enfant.
C’est la solution qui a été retenu par le CE dans l’arrêt « Quarez » de 1997
FABRE-MAGNAN Muriel, « L’affaire Perruche :une troisième voie », ( Débat autour de l’ arrêt Perruche),
Droits, Revue Française de théorie, de philosophie et de culture juridique, numéro 35, octobre 2002, page 119 à 133
25
26
22
L’arrêt Perruche ne consacre pas un droit de ne pas naître ou un droit de ne pas naître handicapé.
De fait, ne pas être conçu ne constitue pas un droit, car l’enfant à naître n’a pas d’existence, ni
d’existence juridique. De plus, la liberté d’avorter pour la mère est aussi une liberté de ne pas
avorter, et reconnaître à un enfant de ne pas naître viendrait contraindre cette liberté.
b- La question du lien de causalité :
La Cour de cassation a accepté d’indemniser un handicap congénital qui n’a pas été
provoqué par la faute directe du médecin. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de lien
de causalité. Le droit admet ainsi un lien entre une faute et un préjudice même si la faute n’a pas
provoqué directement le préjudice. Si la faute l’a rendu possible (condition sine qua non), on
peut également admettre le lien de causalité. C’est à dire que sans la faute du médecin,
l’événement ne se serait pas produit. (Par exemple, il y a engagement de la responsabilité du
médecin lorsqu’il y a défaut d’information sur les conséquences d’une opération alors même que
le médecin n’a pas provoqué le dommage). Il y a dans le cas de l’affaire Perruche défaut
d’information de la part du médecin, ou en tout cas information erronée. Par conséquent, il a
privé la mère d’exercer sa faculté de choix d’avorter ou non, et doit donc l’indemniser. Selon
Muriel Fabre-Magnan, le médecin est également créancier de cette obligation d’information
envers l’enfant, l’information sur l’état du fœtus concernant le fœtus en premier lieu. Elle
rappelle à cet effet que la loi confère à la mère seule le soin de dire où est l’intérêt de son enfant.
Si cette possibilité d’exprimer l’intérêt de l’enfant n’existait pas, cela réduirait de façon plus
terrible encore les intérêts de celui-ci, qui n’aurait plus qu’un statut de choses (l’embryon et le
fœtus ici).
Muriel Fabre-Magnan souligne également l’importance de bien différencier les deux types
d’obligation qui pèsent sur le médecin : l’obligation de soins et l’obligation d’information. Elle
cite à cet effet une jurisprudence27 de la Cour de cassation qui a reconnu que «(…) le créancier
d’une telle obligation a droit à une information correcte et ce même s’il est acquis que, dûment
et correctement, il aurait été contraint de prendre exactement la même décision ». Donc Mme
Perruche aurait droit ainsi que son fils à une indemnisation, même sans avoir à prouver que bien
informée, les conséquences dommageables ne se seraient pas produites. Cela signifie que la mère
et l’enfant aurait pu être indemnisés sans que la mère précise qu’elle aurait avorté si elle avait
27
arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 juillet 2001
23
connu l’état exact de son enfant. Muriel Fabre-Magnan souligne également qu’il est important de
dissocier l’enfant et son handicap.
Michel Gobert, professeur émérite de l’université Paris-II s’est également prononcé sur la
question de la causalité28.
Il rappelle le fait qu’en 1936, la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat se forme entre le
médecin et son patient, contrat dont le pivot est l’obligation d’information, qui, si elle n’est pas
respectée entraîne la responsabilité des fautes. Il explique que si certains juristes contestent
l’arrêt Perruche, c’est en raison de l’absence de lien de causalité entre la faute du médecin et le
handicap qui serait d’origine « naturelle ou biologique ».Il rappelle pourtant que la jurisprudence
décide qu’en cas de concomitance entre une cause naturelle et une faute, l’auteur de la faute reste
entièrement responsable. Il estime par conséquent tout à fait normal que la Cour indemnise
l’enfant et les parents. Selon lui, il s’agit d’indemniser ou les parents et l’enfant pour le même
préjudice mais vécu de façon différente, ou alors de n’indemniser personne, ce qui aboutirait à
une remise en cause plus ou moins directe de la loi de 1975 qui autorise sous certaines conditions
l’IVG.
c- Sur la question de l’obligation qui pèse sur les médecins :
Selon Muriel Fabre-Magnan, l’arrêt ne consacre pas une obligation de résultat pour les
médecins. Car dans ce cas, il y aurait engagement de la responsabilité du médecin même lorsque
celui ci n’a pas commis de faute. Or dans le cas Perruche, une faute a bien été exigée par la Cour
de cassation, de même que dans les autres affaires semblables que la Cour a été amenée à juger
en Assemblée pleinière le 28 novembre 2001 : dans un cas, le médecin avait oublié de remettre
les résultats à une patiente alors qu’ils étaient alarmants, dans l’autre cas, aucun test de dépistage
n’avait été proposé à une patiente qui se savait à risque.
L’arrêt ne permet pas non plus à un enfant de rendre responsables ses parents pour ne pas avoir
procédé à un avortement et de l’avoir ainsi fait naître handicapé. En effet, pour les rendre
responsables du handicap de l’enfant, il faudrait qu’ils aient commis une faute. Il convient ici de
rappeler les exigences en matière de responsabilité civile. Trois conditions cumulatives doivent
être remplies :il faut qu’il y ait une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le
24
dommage. La femme est libre d’avorter ou non : elle n’est donc pas contrainte d’avorter
lorsqu’elle apprend que l’enfant qu’elle attend est handicapé.
d- Sur les risques de dérives eugénistes :
L’arrêt n’encourage pas non plus selon Muriel Fabre-Magnan les pratiques eugéniques.
Pour elle, le fait que le médecin doive indemniser les parents, ou alors les parents et l’enfant,
revient au même pour le médecin qui va être tenté de conseiller l’avortement dans les deux cas.
Le fait d’indemniser l’enfant en plus des parents n’entraîne pas plus de risques que le médecin
fasse preuve d’excès de précaution et préconise l’avortement thérapeutique dès lors qu’il a le
moindre doute. Et ce, d’autant plus que l’accord de deux médecins est nécessaire pour autoriser
une ITG (interruption thérapeutique de grossesse)29.
e- Sur la dignité de la personne humaine :
La décision de la Cour de cassation ne porte pas non plus atteinte à la dignité des
handicapés. Au contraire, en leur accordant directement une indemnité, le juge civil leur a
accordé une certaine autonomie. D’autre part, le fait que l’arrêt du CE accorde une indemnité
aux parents qui leur survivent montre bien que c’est en réalité l’enfant qu’on voulait indemniser
du fait de son préjudice.
Dans un article intitulé « l’arrêt Perruche : une liberté pour la mort ?30 », Bernard EDELMAN
souligne que l’arrêt Perruche permet, selon certains observateurs, de confronter pour la première
fois de manière aussi frontale la dignité aux droits de l’homme. En effet, si l’on se place du côté
de la dignité, celle-ci s’oppose à ce que l’enfant Nicolas qui est né handicapé considère que sa
naissance constitue un préjudice, de la même manière à ce qu’elle s’oppose à toute action
intentée par les parents en son nom. Par contre, lorsqu’on raisonne à partir des droits de
l’homme, Nicolas « aurait le droit subjectif de se plaindre d’être né (…) mais encore il pourrait
Michelle GOBERT (professeur émérite de l’université Paris-II), propos recueilli par Cécile PRIEUR, Le Monde,
« Toute faute engage la responsabilité de celui qui l’a commise », 10 novembre 2002
29
(Jerry Sainte-Rose pose la question de savoir qui est soigné en ce cas ( en effet le terme thérapeutique signifie que
par l’acte pratiqué, on soigne une personne, or dans le cas d’un avortement, personne n’est soigné, il y a suppression
pure et simple de l’embryon) et le problème d’un certain laxisme dans l’utilisation de la loi : « l’avortement est –il
devenu une liberté de la femme comme on l’a soutenu » ?)
28
25
se faire représenter par ses parents . En d’autres mots, dans le rapport de soi à soi (…) la
dignité serait liberticide ».
Bernard Edelman précise que le concept de dignité est quelque peu pervers : de fait, l’enfant
Perruche en estimant que sa vie ne mérite pas d’être vécue ne respecte pas sa dignité ni celle des
autres personnes qui subiraient le même sort que lui. La dignité apparaîtrait comme une
« instance contraignante, exigeante, aliénante : on ne s’appartiendrait plus, au sens propre,
mais on appartiendrait à un grand Autre, qu’on appelle Humanité, Communauté ou Genre
humain ». Bernard Edelamn continue en dénoncant le fait que l’homme soit passé à « un
pouvoir de soi sur soi à un pouvoir social sur soi, en soi-même ». On ferait ainsi passer l’enfant
handicapé de la position de victime à la position de bourreau, car il serait indigne de sa part de
vouloir préférer être mort que de vivre handicapé.
f- Vers une reconnaissance juridique de l’embryon :
Selon Muriel Fabre-Magnan, l’arrêt Perruche va dans le sens d’une reconnaissance
juridique de l’embryon. Ce n’est pas la mise en cause de la responsabilité des médecins qui porte
atteinte à la dignité des handicapés mentaux ou à celle des embryons. C’est plutôt le
développement de pratiques telles que l’assistance médicale à la procréation ou le diagnostic
préimplantatoire qui conduisent à une réification de l’enfant et de l’embryon qu’il faudrait
encadrer et surveiller. Nous arborderons ce point de manière plus approfondie dans la troisième
partie de ce devoir.
g- Sur la question de la valeur de la vie handicapée :
Selon les défenseurs de l’arrêt, l’arrêt en cause ne dit pas qu’il y a des vies qui ne méritent
pas d’être vécues. Il indemnise simplement un handicap. L’arrêt aurait été mal interprété par une
opinion publique mal informée. Le seul reproche dans les dires de la Cour de cassation est
l’exigence (qui n’aurait pas été nécessaire) que la mère prouve qu’elle aurait avorté si elle avait
reçu une bonne information. (à savoir si elle avait su dans quel état était l’enfant qu’elle
attendait). Effectivement, Muriel Fabre-Magnan relève que la Cour de cassation a écrit une
EDELMAN Bernard, « L’arrêt Perruche :une liberté pour la mort ? », Droits, Revue Française de théorie, de
philosophie et de culture juridique, numéro 35, octobre 2002, page 151 à 161
30
26
phrase ambiguë et souvent mal comprise : la faute médicale31 a empêché la mère « d’exercer son
choix d’interrompre sa grossesse (la cour aurait pu s’arrêter là) afin d’éviter la naissance d’un
enfant atteint d’un handicap ». Il faut comprendre ici selon Muriel Fabre-Magnan que le
problème n’est pas qu’il aurait fallu éviter la naissance handicapée mais que la mère n’a pas pu
exercer son choix de subir ou non une IVG.
D’autres défenseurs considèrent à l’instar notamment d’Henri Caillavet32 que
l’enfant handicapé reçoit en quelque sorte une délégation de la part de sa mère du droit à ne pas
mettre au monde un enfant handicapé. Pour lui cette délégation ne peut être considérée comme
choquante puisque elle ne concerne qu’un être humain particulier alors que l’eugénisme est
d’une autre nature. L’eugénisme concerne un groupe d’humain et relève d’une dimension
collective. Henri Caillavet estime que c’est la loi de 1975 sur l’IVG qui reconnaît implicitement
un droit à ne pas naître handicapé et il ne trouve pas du tout cette interprétation choquante. Si on
interprétait différemment ce droit, il faudrait alors selon lui « revêtir d’une autre tenue juridique
des diagnostic prénatals, des DPI, des investigations, des recherches biologiques, qui
aboutissent parfois, selon le choix de la mère à un avortement ».
Henri Caillavet met également le droit à ne pas naître handicapé (qui pour lui est reconnu
pleinement en droit français) en parallèle avec le droit que possèdent les personne de se modifier
physiquement : par exemple le droit de recourir à de la chirurgie esthétique pour apporter des
modifications à son corps ou encore les interventions qui visent à changer de sexe,…toutes ces
attitudes qui s’expliquent par le refus de soi-même. Il approuve également qu’un enfant né avec
un handicap non accepté puisse ester en justice ses parents qui seraient débiteurs envers lui
notamment sur le plan matériel, car responsables de son handicap. Henri Caillavet se prononce
donc en faveur de cet avis puisque celui-ci ne reconnaît même pas selon lui, le droit de ne pas
naître handicapé. Il espère cependant que l’enfant puisse obtenir dans le futur « un droit
incontestable à ne pas naître handicapé », ce en quoi il se distingue de la plupart des
commentateurs de l’arrêt Perruche, qu’ils en soient les défenseurs ou les détracteurs.
31
la notion de faute médicale est comprise en ce sens : ‘‘une anomalie de conduite, c’est-à-dire la non-exécution
des devoirs et obligations contractuelles, notamment le non-respect de l’obligation de moyens, laquelle consiste à
apporter des soins consciencieux, attentifs et conformes aux acquis de la science médicale et aux bonnes pratiques’’ .
32
Celui a apportée une contribution à l’avis du CCNE de 2001 « Handicaps congénitaux et préjudice ».
27
1.4. Les problèmes juridiques et éthiques soulevés par l’arrêt de la Cour
de cassation
Les problèmes juridiques et éthiques soulevés par l’arrêt de la Cour de cassation sont à la fois
nombreux et divers. Ils ont été notamment mis en perspective par les détracteurs de l’arrêt et à
l’instar de Jerry Sainte-Rose, l’avocat général qui s’était prononcé pour une autre solution que
celle apportée par la Cour. Ces problèmes n’ont pour autant pas été occultés par les défenseurs
de l’arrêt comme nous avons pu le constater ci-dessus.
Il apparaît cependant utile pour la bonne compréhension de l’exposé de rappeler les principaux
points de discordes qui ont alimenté les débats.
-
La question du lien de causalité est à la base de toute la discussion :
y a-t-il un lien de causalité directe entre les fautes commises par le
laboratoire et le médecin et le préjudice subi par l’enfant Perruche ?
Le lien de causalité s’il existe, autorise-t-il à indemniser l’enfant ?
-
L’arrêt de la Cour consacre-t-il une obligation de résultat pour les
médecins ?
-
La voie est elle ouverte vers la légalisation de nouvelles formes de
pratiques eugénistes ? Ouvre-t-on la voie à un « eugénisme libéral »,
selon les termes de Jürgen Habermas33 ?
-
Cet arrêt représente-t-il une atteinte au respect de la personne
humaine et de la vie handicapée ? Est-ce une façon de dire qu’il y a
des vies qui ne méritent pas d’être vécues ?
-
Cette jurisprudence entérine-t-elle le droit pour l’enfant de se
retourner contre ses parents parce que ceux-ci ont fait le choix de ne
pas avorter, ou encore parce qu’ils ont pu avoir des comportements
nocifs pour sa santé alors qu’il était fœtus ou embryon ?
-
Comment faire face à une situation où les deux juridictions suprêmes
sont en désaccord ? Y a-t-il lieu de légiférer ? Si oui, comment ?
33
Jürgen HABERMAS, L’avenir de la nature humaine :vers un eugénisme libéral ?, Editions Gallimard, collection
nrf essais, 2003, 180 pages
28
2. Le caractère novateur de la décision de la Cour par rapport
aux jurisprudences traditionnelles
La jurisprudence de la Cour de cassation est venue se confronter à des jurisprudences
étrangères contraires. La position adoptée par la Cour est également apparue en porte à faux avec
la jurisprudence française traditionnelle, tant administrative que judiciaire.
2.1 Les solutions contraires
2.1.1 Les solutions contrastées dans les pays étrangers
Le Royaume Uni rejette l’action en wrongful life : c’est une loi de 1976 qui
l’interdit. Valérie PECRESSE, dans ses conclusions relatives à l’affaire Quarez précisent qu’ils
« refusent d’indemniser l’enfant handicapé en cas d’erreur dans un DPN qui n’aurait pu se
résoudre que dans la pratique d’un avortement thérapeutique ». Elle cite à cet effet :Court of
Appeal, Mc Kay vs Essex Aera Health Autority (1982) QB 1166, (1982) 2 All ER 77, cité in
Medical law :Text with Materials, de I. Kennedy et A. Grubb, Butterworth, Londres, 1984.
De même, certaines Cours et Tribunaux des Etats Unis ont une législation qui interdit l’action en
wrongful life.
Valérie Pécresse est également documentée en ce qui concerne les Etats-Unis
où la Cour suprême n’a pas encore eu à connaître d’une telle action de manière directe. Ce sont
les Cours inférieures qui se sont prononcées :elles n’ont pas accordé d’indemnisation du fait d’un
préjudice lié à la naissance d’un enfant. Les frais médicaux de l’enfant ont cependant été mis à la
charge du service hospitalier. Elle cite à cet effet les jurisprudences suivantes :Cour suprême de
Califonie, Turpin v Sortini (1982) 643 p 2d 954. Cet arrêt revient en partie sur une décision
Curlender v Bio-Science Laboratories (1980) 106 Cal App 3d 811, 165 Cal Rptr 477, Cour
suprême du New Jersey, Prokani v Cillo ; (1984) 478 A 2d 755 cités également dans Medical
law, précedemment évoqué.
Cependant, un certain nombre de Cours de différents Etats des Etats-Unis ont accepté
d’indemniser les enfants en leur propre nom, en raison des sommes considérables que requièrt
une vie handicapée.
29
La Cour Constitutionnelle allemande a également jugé de même en 1997, tout en
réaffirmant le fait que l’existence humaine ne peut être considérée comme un préjudice.
2.1.2 Les solutions en France
a- La jurisprudence judiciaire

L’état de la jurisprudence avant les deux arrêts de la première chambre civile de la Cour
de Cassation du 26 mars 1996.
La recherche de cette forme de responsabilité s’est posée très tôt dans un arrêt
du CE « Delle R… » du 2 juillet 1982. Le CE rejette le préjudice invoqué par Melle R. Celle-ci
soutient qu’elle a subi un préjudice du fait de l’échec d’une IVG qui l’a obligée à poursuivre sa
grossesse à terme et à élever son enfant, normalement constitué, alors qu’elle avait voulu
interrompre cette grossesse. Le CE considère que la naissance d’un enfant ne peut être
considérée comme un préjudice de nature à ouvrir des droits, sauf dans certaines circonstances
particulières. Comme le CE ne précise pas les circonstances pouvant être invoquées par
l’intéressée, beaucoup ont alors pensé qu’il s’agissait de la naissance d’un enfant handicapé. La
Cour de cassation confirme ses positions dans une affaire semblable à « Delle R… » dans un
arrêt de la première chambre civile du 25 juin 1991. Il y avait donc convergence entre les deux
juridictions suprêmes. Cette approche correspondait également aux décisions des juridictions
d’autres pays en ce qu’il est impossible de réparer une naissance non désirée « en l’absence d’un
dommage particulier s’ajoutant aux obligations afférentes à l’entretien et à l’éducation de
l’enfant ». Il faut que s’ajoute à cette atteinte la naissance d’un enfant handicapé, c’est ce
qu’affirme l’arrêt de la Cour de Cassation du 16 juillet 1991 (il concerne d’ailleurs, comme dans
le cas qui nous préoccupe, une rubéole). L’arrêt admet que la perte de la possibilité pour la mère
de décider d’avoir recours à une IVG est de nature à engager la responsabilité du médecin dès
lors que l’enfant est né handicapé. Cette jurisprudence se retrouve dans d’autres pays comme les
Etats-Unis ou l’Allemagne.
30

Les deux arrêts de la Cour de Cassation du 26 mars 1996.
Pour la première fois, l’action en wrongful life est posée devant les juridictions
françaises. Deux affaires sont en cause dont l’une est l’affaire Perruche elle-même. L’autre est
une affaire très semblable et la Cour accepte d’indemniser l’enfant lui-même. Le dilemme dans
cette drenière affaire était cependant non pas vie handicapée ou IVG mais vie handicapée ou
non-conception.
b
La jurisprudence administrative
L’arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 1997 « Quarez »34.
Cet arrêt introduit une divergence entre la position de la Cour de Cassation et du
Conseil d’Etat en ce qui concerne l’indemnisation de l’enfant.
Les faits sont les suivants : une femme âgée de 42 ans demande à faire une amniocentèse,
consciente qu’une grossesse tardive
risque d’entraîner la naissance d’un enfant atteint de
trisomie 21. Elle s’était prononcée en faveur d’un avortement si le résultat s’avérait positif.
L’amniocentèse ne révèle rien d’anormal mais l’enfant naît avec la trisomie 21 et les parents se
retournent contre le centre hospitalier. Le service hospitalier est reconnu fautif et la Cour
administrative d’appel de Lyon a retenu sa responsabilité quant au préjudice subi par les parents
mais aussi par l’enfant. C’est en cela que les jurisprudences administratives et judiciaires se
rejoignent. Cependant, le CE est saisi d’un pourvoi et il admet d’indemniser le préjudice subi par
les parents. Il ajoute au versement de la somme de 100 000 FRF pour chacun d’eux au titre de
leur préjudice moral, l’allocation d’une rente mensuelle de 5000 FRF pendant la durée de la vie
de leur enfant handicapé au titre des charges particulières qui pèsent sur eux en raison de
l’éducation de celui-ci. Par contre, le CE refuse d’indemniser directement l’enfant, estimant qu’il
n’y a pas de lien de causalité entre son handicap et la faute du centre hospitalier : le handicap
dont il est atteint était présent avant l’amiocentèse et était de nature génétique. Le handicap était
« endogène », si l’on reprend ici les termes du conseiller Pierre Sargos.
34
Voir Annexe 2 pour prendre connaissance de l’arrêt
31
2.2 Les motivations du Conseil d’Etat
Il semble ici intéressant d’analyser la solution du CE au regard des conclusions rendues par le
Commissaire du gouvernement dans cette affaire, à savoir Mme Valérie Pécresse. De fait, il
semble que le CE ait choisi de suivre ses conclusions.
2.2.1. Sur la question de l’existence d’une faute
Dans l’arrêt qui nous préoccupe, le centre hsopitalier régional (CHR) de Nice fait un
pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la CAA de Lyon qui a notamment estimé que
l’hôpital avait été à l’origine d’une faute lourde. De fait, selon les rapports d’expertise et Valérie
Pécresse se range à cet avis, « les conditions dans lesquelles a été réalisé l’amniocentèse, et
notamment le faible nombre de cellules observées, ne permettaient pas d’écarter le risque de
trisomie avec la très faible marge d’erreur habituelle à ce type d’examens ». De fait, le médecin
de l’hôpital a commis une faute car l’information qu’il a donné aux parents ne leur a pas permis
de pouvoir bénéficier de nouveaux tests et ainsi de pouvoir éventuellement recourir à une ITG. Il
est intéressant du point de vue de la jurisprudence de signaler que le CHR de Nice nie avoir
commis une faute lourde. Valérie Pécresse considère qu’effectivement, depuis l’arrêt « Epoux
V… » rendu par le CE, la faute lourde a été abandonné par celui-ci en matière médicale, et qu’il
conviendrait de qualifier la faute « de nature à engager la responsabilité de l’hôpital », la faute
lourde n’étant désormais plus nécessaire en matière médicale.
2.2.2. La naissance d’un enfant handicapé peut-elle être préjudiciable pour ses
parents ?
Valérie Pécresse rappelle que la jurisprudence habituelle du CE posait le prinicpe
qu’une naissance ne peut être considérée comme constitutive d’un préjudice. Cependant, tant les
jurisprudences administratives que judiciaires avaient émis l’hypotèse que des circonstances
particulières pouvaient être invoquées par la mère. La commissaire du gouvernement met en
parrallèle cette affirmation avec les conclusions du commissaire du gouvernement dans l’arrêt
« Delle R… » qui précisait que « dans le cas de la naissance d’un enfant handicapé, l’existence
d’un préjudice ne souffre pas la discussion ». Valérie Pécresse préconise donc au CE d’admettre
32
que la naissance d’un enfant handicapé ou gravement malade (maladie incurable) constitue bien
un préjudice pour ses parents. Elle précise à ce titre que ce qui est indemnisable, ce sont les
difficultés psychologiques et matérielles particulières rencontrées par les parents et non pas la
charge de l’enfant.
La question centrale qui est posée ici est à nouveau celle du lien de causalité entre la
faute commise par l’hôpital à l’occasion du DPN et le préjudice évoqué par les parents du petit
Mathieur Quarez. La CAA de Lyon a considéré que le lien de causalité était en l’espèce direct.
Selon la commissaire du gouvernement, la thèse suivie par la CAA est choquante. Cette dernière
admet ainsi que si les parents avaient été convenablement informés, ils auraient eu recours à de
nouvelles séries de tests et si les résultats avaient été négatifs, ils auraient assurément eu recours
à une ITG. A savoir que sans la faute du CHR de Nice, ils auraient évité le préjudice en évitant la
naissance qui en est à l’origine. Ce raisonnement est choquant selon V. Pécresse, car il suppose
le recours systématique à une ITG par les parents Quarez suite au résultat d’un DPN révélant des
anomalies génétiques. Elle reconnaît certes la liberté de la femme (qui découle de la loi de 1975
sur l’IVG) d’avoir recours à une ITG dans ces circonstances, mais elle trouve cela abusif de
considérer qu’elle « aurait nécessairement » utilisé cette faculté. Valérie Pécresse admet
cependant qu’au regard des pratiques habituelles (à savoir, que selon les médecins généticiens,
les parents ayant appris l’anomalie dont leur enfant est atteint recourent presque toujours à une
ITG), « l’enchaînement normal des faits et le comportement normal des hommes n’auraient pas
conduit à la naissance du jeune Mathieu ».
Bertrand MATHIEU35, quant à lui, considère que la position reconnue par le CE
conduit à reconnaître qu’il eût mieux valu que l’enfant ne vienne pas au monde. Le CE reconnaît
en indemnisant les parents que la naissance d’un enfant peut dans certaines circonstances être
considérée comme cause d’un préjudice. Bertrand Mathieu conteste et trouve choquante
l’affirmation selon laquelle l’analyse du CE part du postulat que la mère aurait forcément eu
recours à un avortement si elle avait eu connaissance de résultats exacts concernant
l’amniocentèse. Le lien fait ici pourrait
conduire selon Bertrand Mathieu à « des dérives
eugénistes dangereuses ». Selon lui, la possibilité même de pouvoir recourir à un avortement si
l’enfant est atteint d’une affection grave relève d’une certaine forme d’eugénisme. Mais cela est
autorisé par la loi de 1975 et constitue d’après lui une atteinte au respect de la vie comme toute
35
Professeur à la Faculté de droit et de science politique de Dijon, Bertrand Mathieu a élaboré la note relative à
l’arrêt «Quarez »
33
ITG. Il s’inquiète également à l’instar d’un de ses confrères qu’il cite dans sa note36 : « La
blessure infligée à un enfant qui découvrirait qu’il fût d’abord un préjudice indemnisé ne portet-elle pas atteinte à sa dignité ? ».
Bertrand Mathieu considère en outre que la naissance d’un enfant ne peut être considérée
par elle-même comme constitutive d’un préjudice, rappelant à la fois les jurisprudences
judiciaires et administratives. Comme cette affirmation comporte selon lui un caractère général,
elle peut donc s’appliquer au cas « Quarez », où il est question d’un diagnostic préconceptionnel
qui a eu pour conséquence la naissance d’un enfant handicapé en raison des erreurs commises
lors de ce diagnostic. Tout ces affirmations reposent de son point de vue sur la notion de dignité
d’après laquelle : « Tout être humain doit être traité comme un sujet et non comme un objet ». Ce
droit au respect s’applique selon Bertrand Mathieu à tout être humain et également à l’embryon
parce que celui-ci est protégé en tant que personne potentielle. Il bénéficie de ce fait d’un
« droit au respect de sa vie, alors même que ce droit n’est pas absolu ».
Il reconnaît dans son développement que l’impossibilité de recourir à une IVG dans le cadre des
conditions fixées par la loi peut être constitutive d’un préjudice. Cependant, à l’instar de Jerry
Sainte-Rose, il met en évidence le fait qu’en l’espèce, le terme d’ITG n’est pas approprié,
puisque ni le mère ni l’enfant ne vont être soignés ou guéris grâce à l’avortement. Bertrand
Mathieu considère dès lors qu’il serait plus juste de parler d’ « avortement eugénique », parce
que cet avortement serait réalisé « en considération de caractéristiques eugéniques ».
2.2.3. La naissance d’un enfant handicapé peut elle être considérée comme un
préjudice indemnisable pour l’enfant lui-même ?
Valérie Pécresse évoque la seule situation semblable que le CE ait eu à juger, à savoir
l’arrêt « Mme K… », 1990 dans lequel un enfant était né infirme suite à l’échec d’une IVG. Le
CE s’était alors demandé s’il était possible sur le plan éthique d’accorder le droit à l’enfant de se
plaindre d’être né infirme, alors que si l’hôpital n’avait pas commis de faute, il ne serait pas né.
Cependant, le cas diffère du cas d’espèce puisque c’est l’IVG (intervention chirugicale) qui est à
l’origine du handicap dont souffre l’enfant. A l’inverse, dans le cas de Mathieu Quarez, le
handicap n’a pas été causé par la faute de l’hôpital car il est d’origine génétique et incurable ( ce
36
M. Drapier, La loi relative à l’IVG, RD publ., 1985, 443
34
qui signifie que sa détection n’aurait de toute façon pas permis de le soigner). La seule
conséquence qu’a eu la faute commise lors du DPN est la naissance du jeune Mathieu. L’absence
de faute aurait eu pour conséquence la « non-naissance » de l’enfant, puisque celui-ci aurait été
avorté.
Valérie Pécresse, qui évoque la jurisprudence de la Cour de cassation rendue sur l’affaire
Perruche en 1996, reproche à l’arrêt rendu qu’il procède par affirmation et non par
démonstration :il ne chercherait pas à établir de façon précise la nature du préjudice ni la chaîne
causale entre la faute et le préjudice. Elle estime que l’on pourrait cependant justifier le
raisonnement de la Cour de cassation de deux manières. Il faudrait soit considérer que l’ITG est
un acte véritablement thérapeutique, soit n’envisager que l’acte médical et le handicap de
l’enfant, sans s’interroger sur l’éventuelle causalité entre les deux.
La commissaire du gouvernement réfute cependant ces deux manières de raisonner en estimant
qu’il n’y a pas de causalité directe entre le handicap de Mathieu (c’est le seul préjudice dont il
peut se prévaloir) et la faute de l’hôpital. Valérie Pécresse estime aisni: « nous ne pensons pas
q’un enfant puisse se plaindre d’être né tel qu’il a été conçu par ses parents, même s’il est atteint
d’une maladie incurable ou d’un défaut génétique, dès lors que la science médicale n’offrait
aucun traitement pour le guérir in utero. Affirmer l’inverse serait juger qu’il existe des vies qui
ne valent pas la peine d’être vécues et imposer à la mère une sorte d’obligation de recourir, en
cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse ».
Valérie Pécresse met également en garde contre le fait de construire une jurisprudence d’espèce,
car les examens prénataux vont se multiplier dans le futur, et c’est un domaine où les erreurs sont
courantes. Il serait donc dangereux de distendre dans cette affaire le lien de causalité, qui reste
selon elle, indirect. Elle estime d’ailleurs tout à fait possible de répondre aux demandes
indemnitaires des parents sans pour autant reconnaître une causalité directe entre les fautes
commises et le handicap du jeune enfant.
Le CE a de fait estimé que la naissance d’un enfant handicapé ne peut être
constitutive d’un préjudice indemnisable pour l’enfant lui-même. Bertrand Mathieu considère
néanmoins que cette affirmation n’est pas aussi évidente qu’il y paraît : le juge judiciaire a jugé
le contraire en 1996 (notamment dans l’affaire Perruche) et le raisonnement que tient le JA
contient un certain nombre de faiblesses. De fait, Bertrand Mathieu considère que d’un point de
vue éthique, il eût été difficile d’admettre un lien entre les fautes hospitalières et le préjudice subi
par l’enfant. Mais au plan du raisonnement juridique, les justifications du CE restent faibles par
rapport à celle de la Cour de cassation.
35
Bertrand Mathieu évoque et analyse la solution du juge judiciaire dans le cadre de l’arrêt
Perruche rendu en 1996. Il le reconstitue de la façon suivante : « la vie d’un enfant gravement
handicapé représente un préjudice pour cet enfant ;cette vie est évidemment le résultat de la
naissance ;la faute médicale est la cause directe de cette naissance préjudiciable ».
Bertrand Mathieu considère qu’avec l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans cette affaire, on
peut établir un parallèle entre le suicide et l’avortement. Selon lui, la responsabilité du médecin
pourrait être engagée lorsqu’il a mal informé le patient et ce faisant, lui aurait fait subir une perte
de chance de se suicider. De fait l’avortement et le suicide ne sont pas réellement constitutifs de
droits, ils sont cependant dépénalisés : ce sont des actes qui ne peuvent pas faire l’objet de
sanctions pénales.
2.3 La position des détracteurs de l’arrêt « Perruche »
Jerry Sainte-Rose rappelle la question épineuse qui se pose à la Cour à travers
cet arrêt : « un enfant atteint d’un handicap congénital ou d’ordre génétique peut-il se plaindre
d’être né infirme au lieu de ne pas être né ? »
Les détracteurs de l’arrêt Perruche sont autant l’avocat général Jerry Sainte-Rose qui avait rendu
des conclusions contraires, qu’une partie de la doctrine qui a donné son avis a posteriori sur cette
affaire. Enfin, certaines associations de parents handicapés et les médecins sont également
intervenus dans le débat. Les arguments présentés ci-après ne sont cependant pas ordonnés de
cette manière, mais selon le type de problème évoqué.
2.3.1. Le principe du respect de la personne humaine
Alain SERIAUX37 met l’accent sur le sort qui est fait à l’enfant : celui-ci est au début de
l’action et en cela auteur et acteur de l’action. Il apparaît également au terme de l’action puisque
c’est à lui que revient la réparation. Mais il est le grand absent de la procédure : personne, à
aucun moment de l’affaire, ne lui demande son avis. Ses parents le représentent pendant le
37
SERIAUX Alain, « Morales sur Perruche », Droits, Revue Française de théorie, de philosophie et de culture
juridique , numéro 35, octobre 2002, page 135 à 141
36
déroulement de l’affaire et à son issue, ce seront eux qui décideront de l’allocation des
réparations qu’ils auront perçues à son titre (en effet, du fait de la gravité de son handicap, les
parents de Nicolas sont ses tuteurs et le représentent).
Par ailleurs, le lien de causalité ne dépend que de la parole de sa mère, puisque c’est elle qui dit,
« si j’avais su, j’aurais eu recours à une IVG ». Le préjudice est admis d’avance, car à aucun
moment on ne demande à l’enfant ce qu’il en pense. Le juge se prononce « objectivement » sur
ce sujet.
En outre, dans le raisonnement de la Cour, l’enfant n’est atteint par les fautes médicales que par
sa mère et à travers elle. Tout ceci conduit à nier l’enfant en tant qu’entité propre. On ne laisse
transparaître que les droits de sa mère, à travers sa liberté immuable de recourir à une IVG. Alain
Sériaux considère que l’on peut s’accommoder de cette façon de penser d’un point de vue
juridique comme le fait Muriel Fabre-Magnan, mais pas d’un point de vue moral. En effet, la
façon de raisonner de Muriel Fabre-Magnan, que nous avons étudié notamment dans la première
partie, conduit selon lui à appréhender l’enfant comme un « perpétuel fœtus ». Cela revient à
avoir une bien piètre image du handicapé : « la dignité du handicapé se trouve-t-elle encore
assurée lorsque son humanité n’est rien moins que sciemment figée dans une perpétuelle vie
végétative, sans âme ni pensée ? »
Jerry Sainte-Rose, dans sa plaidoirie concernant trois affaires semblables qui ont été jugées par la
Cour de cassation en juillet 2001, estime que : « …nul n’est fondé à juger, en droit, de la
légitimité des vies humaines. Aucune norme n’est fondée à dire qu’une vie ne mérite pas d’être
vécue ni qu’un individu peut tenir sa vie pour inutile. Chacun peut le penser et en tirer les
conséquences pour lui-même en se suicidant. Personne ne peut le penser ni le dire à la place
d’autrui ».
2.3.2. La question du lien de causalité :
Jerry Sainte-Rose se base sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel de renvoi pour rappeler
qu’il n’y a pas de lien entre le fait que l’enfant et la mère aient contracté la rubéole et la faute
médicale. Ces fautes sont commises en effet après la conception : il ne s’agit pas d’un diagnostic
ante conceptionnel comme dans l’affaire de 1996. C’est ainsi que le CE a justifié dans son arrêt
« Epoux Quarez » le refus d’indemniser l’enfant : « la trisomie affectant l’enfant ne pouvait être
la conséquence de l’erreur entachant les résultats de l’amiocentèse mais était inhérente à son
37
patrimoine génétique », et d’ajouter dans un communiqué de presse que « le fait d’être en vie ne
saurait être regardé comme un préjudice subi par l’enfant ».
Pour Jerry Sainte-Rose, reconnaître le lien causal est non seulement un mauvais raisonnement
juridique mais revient aussi à dire que le dommage pouvait être évité sans la commission des
fautes et que par conséquent il eût mieux valu que l’enfant ne vienne pas au monde. Il défend la
thèse selon laquelle en adoptant un tel résultat, on mettrait sur le même plan « l’action de
l’enfant né avec un handicap lié à l’état pathologique de sa mère et celle du mineur qui, à la
suite d’une faute médicale commise lors de l’accouchement, peut invoquer la règle infans
conceptus pour obtenir réparation de son préjudice qui a été directement causé par cette faute,
de sorte que le lien de causalité ne se pose pas ».
Par ailleurs, Jerry Sainte-Rose soutient qu’il subsiste toujours des incertitudes quant au fait de
savoir si la mère aurait effectivement pratiqué un avortement si elle avait été dans des conditions
normales d’information (présomption de « comportement normal »). Il considère à l’inverse de
Pierre Sargos que les données statistiques prouvent que dans la grande majorité des cas, les
femmes qui découvrent que l’enfant naîtra malformé ou handicapé ont recours à une IVG. Plus
curieux lui semble encore le fait que l’enfant puisse se prévaloir de la certitude que ses parents
auraient eu recours à un avortement s’ils avaient été bien informés. En outre, on peut répondre à
l’argument de Pierre Sargos que ce n’est pas parce que le taux d’avortement thérapeutique est
faible par rapport à l’ensemble des avortements pratiqués qu’il n’y a pas presque toujours
recours à l’avortement dès lors que l’on connaît les risques que l’enfant a de naître avec un
handicap.
2.3.3. La dignité de la personne handicapée
Jerry Sainte-Rose souligne que l’intérêt à agir de l’enfant n’est pas légitime car
il va à l’encontre du principe énoncé à l’article 16 du Code civil qui énonce le principe de
«l’égale dignité des êtres humains ». En effet, une telle pratique entraîne une banalisation de
l’avortement thérapeutique38 qui aurait ainsi des tendances eugéniques. Ceci entraînerait une
différenciation entre les handicapés de naissance et les autres enfants, ce qui aboutit à un
38
Jerry Sainte-Rose pose la question de savoir qui est soigné dans ce cas ( en effet le terme thérapeutique signifie
que par l’acte pratiqué, on soigne une personne, or dans le cas d’un avortement, personne n’est soigné, il y a
suppression pure et simple de l’embryon) et le problème d’un certain laxisme dans l’utilisation de la
loi : « l’avortement est –il devenu une liberté de la femme comme on l’a soutenu » ?
38
renforcement des discriminations dont les personnes perçues comme anormales font déjà
actuellement l’objet.
M. P. Murat ajoute à cela que le handicap de l’enfant « ou sa douleur sont
consubstantiels à sa qualité d’être humain » et « qu’en gardant la vie il n’a rien perdu…Juger
du contraire revient à poser, officiellement, une pernicieuse hiérarchie entre des vies qui sont
toutes uniques et non susceptibles d’être réduites à tel ou tel handicap ».
Jerry Sainte-Rose note qu’à l’opposé, d’autres ont fait savoir « qu’il y a plus d’inconvénients à
vivre diminué physiquement et / ou intellectuellement que ne pas vivre ».(P. Jourdain) Mais à
partir de quel moment peut on dire que vivre avec un handicap est intolérable ? A partir de quel
degré de handicap ? C’est une réponse qui ne peut être donnée que par les handicapés euxmêmes, il y a en effet des personnes handicapées qui vivent très bien avec leur handicap alors
que des personnes en bonne santé ont le mal de vivre et sombrent dans la dépression. De fait, il
est imaginable39 et plausible qu’une personne arriérée mentale ait tout de même la capacité de
juger de la qualité de sa vie par rapport aux plaisirs et aux satisfactions qu’elles lui rapporte, aux
relations affectives qu’elle entretient. Qui peut avoir la prétention de préjuger qu’elle ne retire
pas des bonheurs et des moments de bien-être dans sa vie, que beaucoup jugeraient de l’extérieur
comme non digne et trop pleine de souffrances et de contraintes pour être vécue ? De fait, tous
ceux (et j’en ai fais moi-même l’expérience) qui s’occupent ou qui ont été en contact avec des
personnes handicapées qui ont un retard mental savent que comme toute autre personne, elles
peuvent manifester des signes de joie et de bonne humeur que ce soit par leurs sourires, leurs
gestes ou par un simple regard. A partir du moment où ces moments de bien-être et de bonheur
existent, comment peut-on vouloir se mettre « à la place des parents ou des proches » ou à la
place de la personne handicapée pour soi-disant lui empêcher des souffrances ?
Jerry Sainte-Rose rejette de même l’argument selon lequel le préjudice des parents postule celui
de l’enfant.
Le handicap est présent en dehors de toute faute, il est inhérent à la personne (il est congénital ou
génétique et n’a pas d’auteur) et il existe et n’est subi par l’enfant que parce que celui-ci est né
au lieu d’être mort. Il évoque « une perversion du concept de dommage », le dommage étant en
l’occurrence la vie et l’absence de dommage, la mort. L’action exercée au nom de l’enfant tend à
l’indemniser du fait de ne pas avoir été avorté. Il prouve ses allégations en évoquant ce que les
parents invoquent, à savoir « la perte de chance que représente pour leur fils le fait d’être né
39
avis CCNE numéro 68 « Handicap congénital et préjudice » du 29 mai 2001
39
handicapé ». Or comme Nicolas ne pouvait naître que handicapé, il s’agit en réalité de la perte
de chance de n’avoir pas été avorté.
Jerry Sainte-Rose pose alors la question des nombreuses implications de la reconnaissance d’une
telle action : et notamment l’existence d’un droit des personnes à ne pas naître.
Le Tribunal de Grande Instance de Montpellier avait d’ailleurs jugé qu’: « admettre la
recevabilité de l’action de l’enfant reviendrait à lui reconnaître une appréciation sur la décision
initiale de ses parents de le concevoir et de mener à terme une grossesse ayant donné la vie ».
De même que la Cour d’appel de Bordeaux : « si un être humain dès sa conception est titulaire
de droits, il ne possède pas celui de naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre et sa
naissance ou la suppression de sa vie ne peut être considérée comme une chance ou une
malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques ».
Jerry Sainte-Rose fait remarquer que pour qu’il y ait réparation du préjudice de vie
dommageable, il faut qu’il existe un droit d’euthanasie prénatale ou un droit de naître normal. Or
ce droit serait opposable à tous : au personnel médical, aux parents qui n’auraient pas fait le
choix d’avorter, ou encore à la mère qui pourrait se voir reprocher des comportements mauvais
pour le fœtus. Cela conduirait à transformer le droit à l’avortement en obligation pour la mère
qui perdrait ainsi sa faculté de libre choix. La doctrine a d’ailleurs toujours rejeté toute action
d’un enfant handicapé contre ses parents et ce pour des raisons d’intérêt public et d’ordre moral,
le fait de donner la vie ne pouvant être assimilé à une faute.
Il s’agit également d’une question de dignité pour les parents : ce type d’action entraînerait une
discrimination entre les parents « de bonne qualité biologique » et les autres qui devraient
s’abstenir de procréer. Le seul cas où il a été admis qu’un enfant se retourne contre ses géniteurs
est celui d’un enfant issu d’un viol.
Le collectif contre l’handiphobie (CCH) a assigné l’Etat en Justice pour faute lourde 40 en
raison de l’arrêt Perruche qui selon lui aboutirait à conférer une valeur plus importante au fait de
mourir qu’à celui de naître avec un handicap. L’arrêt leur porterait préjudice ainsi qu’aux
handicapés qui se sentent déjà « niés et méprisés » (dixit Me Beauquier, avocat de l’association).
Selon les familles, les démarches individuelles telles que celle de la famille Perruche seraient
« contraires à la notion de solidarité nationale vis à vis des handicapés ». Le substitut du
procureur a néanmoins laissé peu d’espoir aux familles en expliquant que la demande était
juridiquement peu fondée et irrecevable, remettant notamment en cause le principe de
40
« l’autorité de la chose jugée ». De fait, le TGI de Paris a décidé de ne pas condamner l’Etat en
estimant que seules les parties à la procédure peuvent se plaindre d’un dysfonctionnement :le
code de l’organisation judiciaire réserve en effet aux seuls usagers de la justice et non aux tiers la
possibilité de mettre en cause la responsabilité de l’Etat pour faute lourde dans l’exercice de la
justice.
Les associations de parents d’enfants handicapés sont quant à elles mesurées.
L’Association des paralysés de France, par exemple, (qui ne fait pas partie du CCH) ne s’associe
pas au discours sur l’eugénisme, ni à l’ « interprétation selon laquelle la Cour indemniserait le
fait d’être né ». Certaines ont pourtant réagi et interprété cet arrêt comme un désaveu du choix
courageux que font certains parents de s’occuper de leur enfant handicapé. Ils craignent
l’avènement d’une pression sociale tellement forte qu’elle pousserait à recourir à une IVG dès
l’existence de malformations ou de risques de malformations du fœtus. Comme le souligne le
CCNE dans un avis 68 de 2001 relatif au « Handicap congénital et préjudice », « Cette tendance
à une définition sociale des critères, médico-scientifiques ou autres, de la bonne naissance peut
être étymologiquement qualifiée d’eugénique ».
La présidente du mouvement dénonce l’hypocrisie de la situation, considérant que les questions
relatives à l’eugénisme aurait dû être posées il y a bien plus longtemps, il y a 26 ans, à savoir
lorsque le Parlement a voté la loi sur l’ITG. Pour elle, c’est la faute médicale qui est sanctionnée
et l’indemnisation porte sur le handicap, pas sur la vie. « Le vrai débat porte sur les moyens
qu’une société donne aux personnes handicapées pour qu’elles vivent correctement ».
Par ailleurs, il serait illogique d’accorder un droit à l’enfant handicapé de demander la
réparation du dommage qui résulte du fait qu’il n’a pas été avorté par ses parents, chose qui si
elle avait été réalisée, l’aurait empêché d’être sujet de droit et donc de demander réparation.
Jerry Sainte-Rose fait également remarquer que dans le cadre du droit de la responsabilité civile,
un enfant né handicapé en raison de faute d’un tiers peut obtenir réparation, une valeur positive
étant alors donnée à la « vie normale » et une valeur négative à « la vie handicapée, ou
diminuée ». Or dans le cas de l’action en wrongful life et dans le cadre plus précisément de
l’arrêt Perruche, comme le handicap était incurable, le seul moyen d’y remédier aurait été
d’avorter, une valeur positive est donc conférée ici à l’absence de vie.
Sandrine BLANCHARD, Le Monde, « L’indemnisation d’un enfant trisomique relance le débat sur l’arrêt
Perruche », 30 novembre 2001
40
41
2.3.4
La transformation de l’obligation de moyens en une obligation de résultats
pour les médecins
La distorsion du lien de causalité aboutirait à remplacer l’obligation de moyen (à savoir,
tout mettre en œuvre pour sauver la vie du malade) qui pèse sur les praticiens par une obligation
de résultats (arriver effectivement au but fixé). Certains estiment que le préjudice n’est pas
indemnisé en fonction de l’intensité de la faute mais bien plus en fonction de l’intensité des
conséquences pour l’enfant qui naît handicapé et pour ses parents.
On passerait « d’un système de responsabilité à un système de garantie automatique». Or la
naissance d’un enfant comporte évidemment beaucoup d’aléas.
Les médecins craignent d’ailleurs que l’arrêt Perruche ne fasse peser une menace de court terme
sur une discipline qui leur apparaît irremplaçable : l’échographie fœtale. Dans un article du
Monde du 30 novembre 200141, le docteur Roger BESSIS42 indique ainsi que depuis la
jurisprudence Perruche et les arrêts qui l’ont suivis, des médecins et surtout des radiologues ont
décidé de ne plus pratiquer les échographies de suivi de grossesse et de se réorienter vers de
examens considérés comme moins exposés. Ce spécialiste de l’échographie obstétrique fait ainsi
part de sa crainte de voir le mouvement s’accentuer.
Le Conseil national de l’ordre des médecins s’inquiète lui aussi de ce phénomène. Il a ainsi
déclaré que « l’attribution de responsabilités abusives exercerait sur les médecins des pressions
insupportables ». Les médecins ont également peur de voir se transformer leur obligation de
moyens en obligation de résultat, et ce non seulement pour les échographies fœtales, mais
également pour toutes les activités médicales considérées comme sensibles. Une pression
matérielle et financière conséquente s’ajouterait encore à cette pression morale : les primes
d’assurance des médecins libéraux auraient augmenté de façon spectaculaire en raison de la
multiplication des procédures judiciaires. (les médecins des établissements publics bénéficient en
effet de l’assurance des établissement publics pour lesquels ils travaillent). Apparemment, les
rares assureurs qui accepteront de prendre en charge la couverture de ces médecins vont
tellement augmenter leurs cotisations que de plus en plus de praticiens devront abandonner cette
activité. Dans différents cabinets d’échographie, une pétition a d’ailleurs circulé contre l’arrêt
41
Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Les médecins dénoncent une pression morale et financière « insupportable » »,
30 novembre 2001
42
président du collège français d’échographie fœtale
42
Perruche, annonçant le risque d’ « une cessation prochaine des échographies de grossesse ».43
Les échographistes arguent du fait que leur « rôle est de prévenir et non d’éradiquer le
handicap. Nous sommes là pour sauver et non pour sélectionner » précisent-ils. Les médecins
échographistes ont d’ailleurs fait part d’une autre crainte qui est qu’au nom d’un principe de
précaution poussé à l’extrême, les médecins seraient poussés à orienter les femmes à faire une
IVG injustifiée dès le moindre doute. Aucune technique ne permet en effet de reconnaître à coup
sûr une anomalie génétique.
M. Bessis craint ainsi l’avènement d’une médecine à deux vitesses : beaucoup de femmes
enceintes ne trouveront plus de praticiens pour effectuer les trois échographies de rigueur durant
leur grossesse, seules les femmes pouvant payer étant en mesure de trouver des médecins
acceptant de le faire. Pour éviter d’en arriver là, le Conseil de l’ordre a demandé aux pouvoirs
publics de revaloriser l’acte échographique.
En outre,il convient de signaler que l’échograhie fœtale qui a pour but de déceler
différentes anomalies n’est pas un examen qui présente des résultats sûrs, bien que les taux de
succès que connaissent ces examens soit un des plus élevé en France. Ainsi, des médecins
interrogés dans le cadre d’un article du Monde44estiment que toutes malformations confondues,
l’échograhie détecte 50 % à 55 % des anomalies, chiffre qui passe à un taux de dépisatge de 80
% pour les maladies les plus graves. Il faut aussi rappeler que ces examens visent à détecter les
anomalies ou maladies les plus graves, et non pas par exemple, un doigt surnuméraireou un bras
atrophié. Roger Bessis précise dans ce même article : « L’échographiste (…) peut aider le couple
à accepter l’enfant tel qu’il est, un individu comme tant d’autres, avec ses qualités et ses défauts.
Il n’est pas là pour faire le tri avant le camp de la vie ».
Didier SICARD45, chef de médecine interne à l’hôpital Cohin à Paris et Président du
CCNE, dénonce notre société qui serait devenue une société de réparation, la réparation du corps
ou du préjudice étant devenu un objectif prioritaire. Il condamne cette société où lorsque la
médecine n’a pas été « assez vigilante pour empêcher la venue au monde d’un être non conforme
à une normalité décrétée, cette situation considérée comme un préjudice est indemnisable pour
celui ou celle qui est née ». Il est vrai que notre société, qui est obsédée par le normal, ne sait
43
Sandrine BLANCHARD, Le Monde, « Le risque au quotidien dans un cabinet d’échographie à Paris », 13
décembre 2001
44
Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Le malaise croissant des spécialistes de l’échographie fœtale », 8 juillet 2001
45
Didier SICARD (chef de médecine interne à l’hôpital Cohin, présidant du Comité Consultatif National
d’Ethique), Le Monde, « Une société de réparation », 6 décembre 2001
43
plus s’enrichir des différences des uns et des autres. Notre société a en effet tendance à oublier
que l’homme n’existe que dans l’altérité et ne peut exister seul. D’ailleurs, si l’homme ne
s’aimait qu’à son image, ce serait faire preuve d’un sens du narcissisme particulièrement
développé. Nous avons tendance à nous comporter face à la médecine comme face à toutes les
autres choses que nous consommons dans la vie courante :des consommateurs exigeants qui
désirent en « avoir pour leur argent ». Or la question est la suivante :peut-on consummériser à ce
point notre santé, voire notre vie ? Pierre Sicard prévient pour conclure : « La médecine est
sommée de maintenir l’ordre. Gare aux distraits, ils payeront. Ils paieront ce que notre société
est incapable de faire, payer solidairement pour les plus faibles, qui devraient avoir des droits
sur nous ».
2.3.5. Le risque de dérives eugénistes
Comme nous venons de le voir, l’autre conséquence de l’acceptation d’une telle action
serait la mise en œuvre d’une sorte de principe de précaution à l’extrême : à savoir que face à
une responsabilité aussi importante pesant sur les médecins, ceux-ci préconiseraient dès le
moindre doute l’avortement, qui lui, ne suscite aucune action. Cela aboutirait, en restant hors des
débats passionnels que ce sujet peut susciter, à la suppression d’embryons humains ou de fœtus,
et une telle pratique serait dangereuse si elle était banalisée à ce point.
Or on assiste aujourd’hui à une multiplication des tests de dépistage (on découvre sans arrêt de
nouveaux gênes), ce qui accroît évidemment les risques d’erreurs et donc le risque d’eugénisme
de précaution.
Il y a également risque de voir apparaître un eugénisme familial. En effet, en raison du
développement de la médecine fœtale, les parents seraient déjà de plus en plus exigeants quand à
la « qualité » de leur enfant. ( ce phénomène étant encore amplifié par les médias).
La reconnaissance d’une telle action risquerait également d’aboutir à une normalisation de
l’avortement. Gérard Mémenteau fait remarquer à ce sujet « les tendances éliminatrices de notre
jurisprudence » qu’il qualifie de « lacédommienne ». Jerry Sainte-Rose fait remarquer que le
préjudice de non-avortement est loin d’être neutre, « il relève d’une logique d’élimination des
anormaux qui heurte la conscience juridique ».
44
Stéphane Alloiteau (Les petites Affiches 1997 numéro 64) dénonce le risque de dérives vers ce
qu’il nomme le « tout préjudice » de la jurisprudence de la Cour et craint l’arrivée d’une
« politique de sélection » ayant pour conséquence l’eugénisme.
Marie Thérèse Calais-Aulois (D. 2000, numéro 15) déclare que recourir à un avortement n’est
pas un devoir dès lors que l’on pouvait savoir que son enfant subirait un handicap, « car s’il en
était autrement, ce serait que notre société aurait vraiment franchi un pas décisif vers
l’eugénisme officiel ».
De même, Jean Hauser (R.T.D. civ 1996 page 871) craint un « eugénisme de précaution par
excès de précaution » et Carol Jonas ( Médecine et Droit, numéro 26 de 1997 page 15)
s’interroge sur « une dérive eugénique » de notre société.
Gérard Mémenteau (Traité de la responsabilité médicale, mise à jour décembre 1997, numéro
126) fait part de sa peur des « implications éliminatrices » de la jurisprudence de la Cour de
Cassation. Pierre Murat (JCP 1996, doctrine, 3946) refuse quant à lui une jurisprudence qui
entraînerait une forme de hiérarchie entre les vies handicapées et les autres et affirme que « sous
couvert de l’intérêt collectif, on en arrive insensiblement à promouvoir insidieusement une
politique eugénique ».
Sur le plan international des considérations de même ordre ont été faites sur les inquiétudes de
l’action en « wrongful life ». (on peut citer à cet effet les études de Mme Palmer, l’ouvrage de
Mme Monique Ouellette « Droit et Science » publié par la faculté de droit de l’université de
Montréal).
La solution qui permet l’indemnisation des parents (pour le préjudice moral et matériel) est
d’ailleurs selon certains commentateurs en elle-même contestable car elle peut introduire une
discrimination entre les parents qui accueillent un enfant handicapé sans réserves alors qu’ils
connaissaient sa malformation à l’avance et les parents qui recourent à une ITG. Idée d’un
préjudice de non-avortement, ce qui a révolté une partie des personnes handicapés et de leur
famille.
2.3.6
L’incidence de l’arrêt Perruche sur l’image de la Justice
On peut également craindre, comme le fait Geneviève Viney46 l’incidence de l’arrêt
Perruche sur l’image de la justice dans l’opinion. De fait, on ne peut qu’observer les discussions
et le trouble qu’a causé l’arrêt rendu par la Cour, mobilisant tant les journalistes, les médecins,
45
les juristes que l’opinion publique. Certains ont d’ailleurs qualifié l’affaire d’ « Affaire Dreyfuss
de XXe siècle ».
La réflexion de Geneviève Viney se distingue de celle des autres commentateurs de l’affaire
dans le sens où ce n’est pas seulement le recours de l’enfant qui lui paraît choquant, mais
également celui des parents.
Cette réflexion est très intéressante et il est étonnant que lors des débats devant le juge, une telle
argumentation n’ait pas été développée. En effet, les parents ne sont touchés finalement que par
contrecoup par le préjudice subi par l’enfant, à savoir son handicap très lourd. Dès lors qu’un tel
fait est admis, comment admettre dans ce cas le recours engagé par les parents et pas celui
engagé par l’enfant ? La dignité de la personne handicapée est-elle plus sauvegardée lorsque
seule l’action des parents est permise ? Il semble au contraire que le bon sens veuille qu’il faille
qu’on accepte soit les deux recours engagés, soit aucun des deux.
Geneviève Viney considère même qu’il faudrait que le juge revienne sur son acceptation
d’indemniser les parents, notamment pour rétablir la confiance portée par le peuple français dans
la justice. Cependant, il faut bien convenir que l’indemnisation des personnes handicapées est
une réelle nécessité car leur condition matérielle ne saurait souffrir du fait de leur handicap. Il ne
s’agit cependant pas d’indemniser uniquement les handicapés à la suite d’une faute médicale
mais l’ensemble des personnes handicapées sans faire de différences.
Geneviève Viney, consciente de cette exigence, évoque les lacunes du droit français. De fait,
beaucoup d’autres systèmes juridiques connaissent la possibilité d’infliger des dommages et
intérêts punitifs. Ce type de condamnation aurait pu permettre de sanctionner les fautes
commises et apporter satisfaction aux victimes, sans pour autant établir un lien de causalité entre
les fautes commises et le handicap.
46
Professeur à l’université Paris-I
46
3. L’affaire Perruche :un débat qui touche tous les aspects de la
sphère publique
3.1 L’intervention du législateur
Comme on a pu le remarquer, l’affaire Perruche ne s’est pas limitée à un débat entre juristes, elle
a également ému une grande partie de la société civile et le législateur est intervenu à sont tour.
3.1.1 La nécessité de légiférer
La nécessité de légiférer est évidente à plusieurs niveaux.
-Il y avait nécessité de ‘‘préciser les conditions d’encadrement de la responsabilité médicale, en
liant responsabilité médicale pour faute et principe d’un droit à réparation des conséquences
d’un handicap’’ selon l’ancienne Ministre Elisabeth Guigou. D’autant que les progrès techniques
poussent à un recours de plus en plus courant à l’amniocentèse, les risques d’erreur de diagnostic
seront de fait de plus en plus nombreux.
-Il s’agissait aussi de ne pas laisser dominer l’interprétation concernant le fait préjudiciel lié à la
naissance handicapée, interprétation moralement et éthiquement difficilement soutenable de
l’avis des parlementaires.
-Un des grands défis était également d’assurer une protection efficace des médecins qui refusent
de voir leur responsabilité engagée à tout propos. Dans le cas de l’affaire Perruche, les sommes
dues sont énormes, la charge devant couvrir la totalité de l’assistance matérielle et psychologique
tout au long de la vie. De telles contraintes risquaient, d’après les médecins, de transformer
l’obligation de moyens (à savoir la bonne information des patients) en une obligation de résultat :
dans une science aussi délicate que la médecine, les erreurs ne seraient plus autorisées du fait des
progrès techniques… Les indemnités allouées ne doivent pas avoir à relever d’une sorte de
charité imposée aux médecins impliqués puisque dans le présent cas, les indemnités vont au-delà
47
de la réparation du préjudice moral résultant de la naissance d’un enfant handicapé. M. Bessis47
avait d’ailleurs fait part de son indignation du fait que la France ne légifère pas sur ce sujet alors
que le Parlement Européen et le Bundestag allemand étaient en passe de le faire. Il attendait ainsi
des engagements politiques dans les deux sens suivants : l’affirmation du principe selon lequel
les caractères congénitaux ne constituent pas un préjudice indemnisable et l’inscription de
l’échographie parmi les méthodes de dépistage prénatal.
- Il s’agissait également d’assurer la protection des parents qui ne souhaitent pas que leurs
enfants handicapés puissent un jour se retourner contre eux.
-Il apparaissait important de clarifier la perception du handicap dans notre société. L’enfant
handicapé était élevé par l’arrêt Perruche au même niveau que tout autre individu puisque le
droit à percevoir réparation lui était reconnu. Désormais, la rente provenant de la réparation du
préjudice survit aux parents et permet à l’enfant, après la disparition de ses parents, de subvenir à
ces besoins en tenant compte de son handicap. Tout enfant handicapé doit disposer d’une
allocation décente. Toutefois, l’arrêt Perruche conduit les médecins à être plus responsables des
informations qu’ils fournissent et par conséquent limiterait les pratiques eugéniques…Il convient
cependant de déterminer de façon claire quelles sont les obligations d’information du médecin.
-Il fallait enfin nécessairement opérer un alignement des deux jurisprudences, judiciaires et
administratives. Toutefois, ce point est à nuancer puisque la juridiction administrative indemnise
les parents de leur entier préjudice, y compris les charges particulières découlant du handicap de
l’enfant tout au long de sa vie, indemnités qui sont exclues par les dispositions de la loi. Alors
que le CE ne reconnaît pratiquement que le préjudice moral des parents, il devra très
certainement revoir sa jurisprudence.
3.1.2. La loi du 4 mars 200248 sur le droit des malades et l’efficacité du
système de santé
En ce qui concerne la loi du 4 mars 2002, c’est essentiellement le titre Premier qui nous
intéresse, il porte sur « la solidarité envers les personnes handicapées. Elle a été présentée par les
parlementaires comme mettant fin aux polémiques suscitées par l’arrêt Perruche, comportant un
« dispositif anti-Perruche ».
Les termes de la loi sont les suivants :
47
Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Les médecins dénoncent une pression morale et financière « insupportable » »,
30 novembre 2001. M. Bessis est président du collège français d’échographie fœtale.
48
« I. - Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son
préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas
permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis
des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une
faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice.
Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de
l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l'exception de celles où il
a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation.
II. - Toute personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience, à la solidarité
de l'ensemble de la collectivité nationale.
III. - Le Conseil national consultatif des personnes handicapées est chargé, dans des conditions
fixées par décret, d'évaluer la situation matérielle, financière et morale des personnes
handicapées en France et des personnes handicapées de nationalité française établies hors de
France prises en charge au titre de la solidarité nationale, et de présenter toutes les propositions
jugées nécessaires au Parlement et au Gouvernement, visant à assurer, par une programmation
pluriannuelle continue, la prise en charge de ces personnes.
IV. - Le présent article est applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, dans les
îles Wallis et Futuna ainsi qu'à Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon ».
48
Bulletin Officiel (BO) du 5 mars 2002
49
3.2 Les failles de la loi du 4 mars 2002
L’approche apportée par Muriel Fabre-Magnan se distingue de la plupart des
commentateurs de l’arrêt, comme on a déjà pu l’appréhender auparavant. Elle a notamment fait
une critique de la loi, qui selon elle, comporte bien des failles, mais surtout ne consiste en aucun
cas en un « dispositif anti-Perruche ».
3.2.1. Un dispositif « anti-Perruche » incomplet
Selon Muriel Fabre-Magnan, la loi ne revient en aucun cas sur la jurisprudence Perruche :
elle ne fait qu’appliquer les principes de la responsabilité en droit civil et notamment l’article
1382 du Code civil.
Dans la loi, le verbe « provoquer » renvoie à une causalité plus effective, plus restreinte,
que la causalité retenue par le sens juridique. Pour réellement contrer l’arrêt Perruche (et c’était
bien là l’intention affichée des parlementaires et d’un certain nombre de politiques), ils auraient
dû écrire la chose suivante : « Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un
établissement de santé est engagée vis à vis des parents d’un enfant né avec un handicap non
décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander
une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de
ce dernier relève de la solidarité nationale ». Muriel Fabre-Magnan fait remarquer que le texte
adopté n’oblige pas la Cour à revenir complètement sur sa jurisprudence. En effet, ce que la loi
veut empêcher est qu’un enfant puisse demander réparation lui-même et le texte dit : « Les
parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice ». Cela signifie donc
bien qu’ils ne pourront pas agir au nom de leur enfant, mais n’empêche pas du tout l’enfant
d’agir en son nom propre lorsqu’il atteint la majorité. La loi s’avère donc incomplète sur ce
point, alors que c’est la principale chose qu’elle voulait empêcher !
Certes, cela suppose que l’enfant handicapé devenu majeur ne soit pas sous un régime de tutelle
ou de curatelle (c’est à dire de protection légale), ou tout au moins, que ce ne soit pas ces parents
qui soient les tuteurs légaux.
50
3.2.2. Les risques de déresponsabilisation des médecins
Un autre argument avait été opposé à l’encontre de l’arrêt Perruche, à savoir qu’il
dépendait du seul hasard que les parents touchent une indemnisation pour l’éducation de leur
enfant handicapé. En effet, tout dépend de savoir si le médecin avait fait une faute ou non dans
son obligation d’information claire et précise aux parents, afin que ceux ci puissent prendre en
toute liberté un choix éclairé. Ceci est juste dans ce sens où maintenant avec le fait que c’est la
solidarité nationale qui indemnise tous les parents d’enfants handicapés pour le préjudice
matériel qu’ils subissent en raison de la naissance de leur enfant handicapé. Par ailleurs, à partir
de maintenant, les enfants handicapés eux-mêmes recevront une idemnité grâce à la loi, qui leur
permettra de vivre plus décemment. Cependant, il serait injuste d’enlever toute responsabilité à
un praticien qui aurait commis une faute, notamment caractérisée et de priver ainsi les parents
lésés et l’enfant d’une indemnité supplémentaire. Il aurait fallu pour cela par exemple paralyser
certains recours récursoires opérés par les compagnies d’assurances contre les médecins. On a
d’ailleurs pu observer ce phénomène avec le recours de la CPAM de l’Yonne dans l’affaire
Perruche. Selon Muriel Fabre-Magnan, il appartient maintenant à la solidarité nationale de
réparer les fautes qu’auront commises les médecins, ce qui pourrait avoir pour effet pervers de
les déresponsabiliser. Il est d’ailleurs vrai que le rôle de la solidarité nationale serait alors
dévoyé :il ne lui appartient pas, ni à la collectivité, de payer alors qu’il y a une faute à l’origine
du préjudice. Il est en effet certain qu’un enfant qui a contracté un handicap en raison d’une faute
n’est pas dans la même situation qu’un enfant qui a un handicap, mais dont aucune faute n’est à
l’origine.
Michel Gobert est également contre l’idée de faire endosser par la solidarité nationale
l’indemnisation des enfants nés handicapés suite à une faute médicale, car cela reviendrait à
supprimer tout système de responsabilité. En ce qui concerne les craintes des échographistes,
elles lui paraissent non fondées : en effet, il n’y aurait pas remise en cause de l’obligation de
moyens au profit d’une obligation de résultat et l’on exigerait en aucun cas d’eux qu’ils soient
infaillibles.
51
3.2.3. Une loi ne répondant pas au problème de l’insécurité juridique
En outre, cette loi ne permet pas non plus un alignement de la jurisprudence judiciaire sur
la jurisprudence administrative, alors que c’était là également un des grands reproches faits à
l’arrêt Perruche que d’induire une forme d’insécurité juridique, puisque selon que les patients
avaient à faire à un hôpital public ou privé, ils ne pouvaient prétendre à la même indemnisation.
En effet, alors que le juge administratif prévoyait une large indemnisation (indemnisation du
préjudice moral et matériel), après la loi, les parents n’auront réparation que du préjudice moral.
Faudra-t-il alors un nouvel alignement de jurisprudence, mais cette fois-ci de la part du Conseil
d’Etat ?
Il semble donc que le reproche qui a pu être fait à l’encontre de l’arrêt Perruche puisse être
retourné contre la loi : elle paraît en effet poser plus de problèmes et de questions qu’elle n’en
résout.
3.2.4. La question de la légitimité de l’intervention du législateur
Beaucoup de détracteurs de l’arrêt se sont entendus pour dire que le juge était intervenu dans
un domaine où il n’aurait normalement pas eu sa place. Muriel Fabre-Magnan considère à
l’inverse que c’est ici le législateur qui s’est octroyé une place qui ne lui revenait pas. Cette
ingérence peut être mauvaise, étant donné que le législateur semble s’être pour le moins précipité
pour légiférer, alors que les décisions de justice sont prises avec réflexion et souvent à l’issue
d’une maturation significative, notamment pour des sujets aussi sensibles…
3.2.5 Une loi inconventionnelle ?
En outre, il n’est pas certain que les juges se plient à ce nouveau régime organisé par la loi.
En effet, il est prévu que celle-ci soit applicable également pour les instances en cours, à
l’exception des instances pour lesquelles il a déjà été définitivement statué sur la question de
l’indemnisation. Or, ceci est contraire à la convention européenne des droits de l’homme ( ou
bien plutôt à la jurisprudence de la CEDH) qui postule la non-rétroactivité de toutes dispositions
législatives, essentiellement pour une question de sécurité juridique. Ainsi dans un arrêt
« Zielinski » du 28 octobre 1999, la CEDH a jugé que « si en principe, le pouvoir législatif n’est
pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive,
52
des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de
procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt
général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but
d’influencer sur le dénouement judiciaire du litige ». La Cour de cassation a d’ailleurs déjà
appliqué ce principe, en reprenant presque mot pour mot la jurisprudence de la CEDH, à une loi
qui remettait en cause une jurisprudence plus favorable au salarié.
Muriel Fabre-Magnan considère également que le texte de la loi (déjà votée et
promulguée) est contraire à la lettre même de la Constitution. En effet, il semble
inconstitutionnel que le législateur exclut toute indemnisation lorsqu’une faute a entraîné un
dommage, au moins lorsque la faute est grave. Le CC a ainsi jugé dans une décision du 22
octobre 1982 à propos d’une des lois Auroux que « Que nul n’ayant le droit de nuire à autrui, en
principe tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la
faute duquel il est arrivé, à le réparer, (…), Considérant cependant que le droit français ne
comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant
de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit
la gravité de ces fautes ». Le texte de loi limite en effet l’indemnisation due aux parents si celleci est jugée comme étant dérisoire. Est-ce inconstitutionnel ? Le CC a en effet à plusieurs
reprises utilisé des formules très générales, tendant à conférer à l’article 1382 du Code civil un
caractère constitutionnel. (décision du 9 novembre 1999, relative au PACS). Cependant si le fait
de limiter une réparation était inconstitutionnel, alors toutes les lois qui prévoient un plafond
d’indemnisation seraient également inconstitutionnelles. Par contre serait inconstitutionnel de
façon certaine, le fait d’exclure toute réparation. La loi exclut ici toute réparation du préjudice
matériel, permettant uniquement l’indemnisation du préjudice moral des parents. Bien entendu,
les juges peuvent continuer à indemniser tout de même le préjudice matériel mais sans le dire,
notamment en intervenant sur le niveau des sommes allouées. Cependant, ce ne peut être
considéré comme une bonne solution, notamment parce que les sommes allouées ne sauraient
remplacer tous les frais nécessaires à la prise en charge d’un handicapé (tout le matériel d’aide
médical, les médicaments, l’éventuelle réorganisation de la maison,…). En effet le CC aurait pu
dire que la seule réparation du préjudice moral est tellement faible comparée à l’entier préjudice
subi réellement par les parents (frais supplémentaires à leur charge du fait du handicap de
l’enfant) qu’il y a en réalité une quasi-exclusion de la responsabilité du médecin ou de l’hôpital à
l’égard des parents, et donc inconstitutionnalité. Parallèlement, il semble qu’empêcher l’enfant
de demander réparation apparaît de manière encore plus nette comme anticonstitutionnel. Muriel
53
Fabre-Magnan écrit à ce sujet : « en effet, au premier abord, si ce qui est inconstitutionnel est
uniquement le fait qu’une faute caractérisée ne conduise à aucune réparation, les juges de la
haute juridiction auraient pu dire que toute condamnation de l’auteur d’une faute grave n’est
pas exclue en l’espèce dès lors que les parents peuvent agir en réparation ». Cependant, Muriel
Fabre-Magnan précise à ce sujet que la CEDH va beaucoup plus loin sur ce sujet. La CEDH ne
prend pas comme point de départ l’auteur du dommage mais les sujets de droit, et exige que
chaque personne, chaque victime puisse individuellement faire entendre son droit à réparation.
L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme précise en effet : « toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue ».( il s’agit en fait du droit d’avoir accès
effectivement à un tribunal pour chaque individu, principe posé dans l’arrêt « Golder » du 21
février 1975) Or la loi refuse tout droit d’agir au nom de l’enfant handicapé lui-même. La France
risque donc d’être sanctionnée à ce titre par la CEDH. En outre, sans que le CC soit obligé de se
référer à la jurisprudence européenne, le droit d’accès à un tribunal est un droit qu’il a déjà
reconnu. Confère décision de 1982 précédente, il déclare indispensable « qu’aucune personne,
physique ou morale, publique ou privée, française ou étrangère, victime d’un dommage matériel
ou moral imputable à la faute civile d’une personne de droit privé ne se heurte à une prohibition
générale d’agir en justice pour obtenir réparation de ce dommage » et que le législateur ne peut
« même pour réaliser les objectifs qui sont les siens, dénier dans son principe même le droit des
victimes d’actes fautifs (…) à l’égalité devant la loi et devant les charges publiques ».
Le législateur s’immisce également de façon trop importante, car il ne lui appartient pas de
déterminer si l’enfant est une victime ou pas ; le fait de déterminer la nature du lien de causalité
ne concerne en effet que le juge (qui le fait in concreto, en fonction de chaque cas particulier,
selon le principe de séparation des pouvoirs). Cependant, le Conseil Constitutionnel n’a pas été
saisi…
Une chose plus grave encore peut ici être évoquée : nier le droit de l’enfant handicapé de faire
une action en réparation contre le médecin qui a fait une faute, même grave, c’est en réalité nier
la qualité de sujet de droit de l’enfant.
En outre, comme l’arrêt Perruche n’est en définitive qu’une conséquence de la loi de
1975 accordant aux femmes la liberté de pouvoir recourir à une IVG thérapeutique, on pourrait
interpréter la loi du 4 mars 2002 comme le fait que le législateur donne raison aux détracteurs de
l’avortement même.
Elisabeth Gigou elle-même n’a pas semblé tout à fait convaincue par la loi adoptée. Elle a
ainsi déclaré que l’intervention du législateur est une façon de reconnaître que ‘‘la Cour de
54
cassation n'a jamais entendu consacrer, par ses différentes décisions, qu'une existence en tant
que telle pouvait constituer un préjudice juridiquement réparable."
Bien au contraire, " elle a pris le soin de dissocier handicap et naissance en indemnisant le
préjudice consécutif à tous les troubles dans les conditions d'existence qu'entraîne le handicap et
seulement lui". Faut-il ici comprendre cette déclaration comme un regret de l’intervention
législative dans le domaine juridictionnel puisque l’adaptation jurisprudentielle aurait été certes
plus lente mais peut-être plus flexible ?
Le CE est lui aussi intervenu au sujet de la loi « anti-Perruche » et l’a qualifiée de
« laconique » et « peu claire »49
Le CE a été saisi au titre de cette loi par le TA de Paris chargé d’examiner la demande des
parents Drahon. Il s’est réuni en formation du contentieux à cet effet le 22 avril 2002.
Les faits sont les suivants : Romain Drahon est né avec de graves malformations qui n’avaient
pas été détectées lors de la grossesse de sa mère. L’hôpital reconnaît d’ailleurs son erreur de
diagnostic. Les parents reçoivent alors une première somme de 153 000 euros en référé et se
tourne vers le TA pour que soit fixé le montant exact des dommages. Cependant, la loi du 4 mars
est publiée entre temps et ne permet plus qu’une indemnisation au titre du préjudice moral, le
préjudice matériel (surcroît de charges en raison des soins et du mobilier particulier nécessaire)
devant être pris en charge désormais par la solidarité nationale. La famille devrait alors
rembourser les sommes déjà perçues.
Comme nous l’avons déjà fait remarquer auparavant, cette application rétroactive de la loi est
contraire à la jurisprudence de la CEDH et un recours de la famille devant l’instance européenne
pourrait bien entraîner la condamnation de la France.
49
Sandrine BLANCHARD, Le Monde, « Le Conseil d’Etat juge la loi anti-Perruche « laconique et peu claire » »,
24 novembre 2002
55
4. Les possibilités de dérives plus préoccupantes vers l’eugénisme et
la réification de l’embryon.
La pratique médicale actuelle et la législation française paraissent inquiétantes à
différents niveaux quant à des risques de dérives vers des pratiques eugénistes ; c’est d’ailleurs
ce qu’a relevé le philosophe allemand Jürgen HABERMAS dans un ouvrage traduit cette année
en français50. Ne pouvant être exhaustifs sur ce thème qui demanderait un travail bien plus
approfondi sur chacun des problèmes évoqués, nous nous contenterons d’évoquer modestement
les pratiques suivantes :le diagnostic prénatal, l’assistance médicale à la procréation et le
diagnostic préimplantatoire ainsi que la stérilisation des handicapés mentaux.
4.1 Quelques rappels sur le diagnostic prénatal
Concernant le diagnostic prénatal, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur le sujet,
puisque nous venons d’expliquer tout au long de ce travail les risques de dérives eugénistes qui
peuvent découler d’une telle pratique. On s’aperçoit d’ailleurs que c’est bien plus l’existence
d’un tel diagnostic qui peut être la source de dérives eugénistes, et non pas l’acceptation de
l’engagement de la responsabilité des médecins qui ont bel et bien commis une faute et n’ont pas
répondu à leurs obligations contractuelles ; que l’on comprenne ce contrat dans le sens où il lie le
médecin et la mère ou dans le sens où il lie le médecin et l’enfant.
Il convient cependant de bien comprendre la différence entre le diagnostic prénatal et le
diagnostic préimplantoire.
Le diagnostic prénatal correspond au cas qui nous a préoccupé dans l’affaire Perruche : il s’agit
pour le gynécologue de faire subir à la mère une série de tests alors qu’elle est déjà enceinte pour
voir si le fœtus n’est pas atteint d’une maladie incurable ou si elle-même n’est pas atteinte d’une
maladie qui pourrait avoir des répercussions sur le fœtus. Ces examens peuvent consister par
50
Jürgen HABERMAS, L’avenir de la nature humaine :vers un eugénisme libéral ?, Editions Gallimard, collection
nrf essais, 2003, 180 pages
56
exemple en une échographie fœtale. L’article 12 de la loi du 29 juillet 199451 définit celui-ci en
ces termes : « Le diagnostic prénatal s’entend des pratiques médicales ayant pour but de
détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. Il doit être
précédé d’une consultation médicale de conseil génétique ».
Le CCNE52 expose lui aussi les différentes interrogations que provoque le DPN. De fait, lorsque
le DPN conclue à l’absence d’anomalie, il élimine les angoisses des parents en attente d’un
enfant. Par contre, il peut aussi révéler l’existence d’anomalies qui sont hors d’atteinte des
ressources thérapeutiques habituelles. Dans ce cas, les parents doivent alors faire face à une
décision de subir ou non une ITG. Cette décision à prendre, comme le rappelle si bien le CCNE
fait référence à la conception que chaque individu se fait de la vie, de la mort et de la personne
humaine. La lettre de la loi de 1975 qui détermine les cas dans lesquels l’ITG est possible
suppose de combiner quatre éléments. Il faut en effet l’existence « d’une forte probabilité que
l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme
incurable au moment du diagnostic ». Il convient donc et le CCNE le recommande, de bien
évaluer le degré de certitude du diagnostic, la gravité de l’affection encourue ainsi que l’âge de
l’apparition des troubles et l’efficacité des éventuels traitements. Par ailleurs, le CCNE rappelle
l’importance du processus qui doit être suivi dans le cas où les parents se décident pour une ITG.
Comme le prévoit la loi du 17 janvier 1975, l’accord doit être signé par deux médecins dont un
expert près les tribunaux et il est également recommandé que l’un des deux médecins soit
compétent dans ces domaines et appartiennent à un centre agréé. La décision appartient en
dernier ressort aux parents et il faut bien prendre garde que celle-ci puisse être prise sans
qu’aucune pression n’ait été exercée sur eux.
Il faut savoir que les maladies héréditaires qui font actuellement l’objet de DPN entraînent
généralement la mort des sujets qui sont atteint de l’affection, et ce, avant l’âge de la
reproduction.
Ceux qui critiquent le DPN estiment qu’il pourrait d’une part avoir des conséquences
dysgéniques qui empêcheraient le jeu normal de la sélection naturelle et accroîtraient le fardeau
génétique, et d’autre part il y pourrait avoir des tendances eugénistes.
Le CCNE recommande donc aux praticiens d’utiliser les nouvelles opportunités qui leur sont
ouvertes par le biais du DPN à bon escient et avec réserve. Il rappelle également que les
nouvelles avancées de la médecine illustrent le changement de finalité que s’assigne la
51
inséré dans le code de la santé publique par un article L. 162-16
57
médecine : autrefois et pendant des siècles, la médecine s’est préoccupée de soigner. Depuis ces
formidables progrès médicaux, la finalité de la médecine est de prévenir la maladie plutôt que
d’avoir à la guérir. On parle aujourd’hui de médecine de prédisposition, qui est le premier pas
vers une médecine préventive. Le CCNE rappelle aussi qu’il ne faut étendre le DPN qu’à des
hypothèses où les moyens techniques à la disposition des praticiens permettent de parvenir à une
certitude ou au moins à une quasi-certitude par rapport au diagnostic. Il est en effet impossible
de mettre des parents devant une incertitude : la décision qu’impose un choix face à un résultat
quasi-certain est déjà difficile, on ne saurait imposer dès lors une souffrance supplémentaire à
des parents déjà accablés. Une nouvelle méthode de DPN a été présentée par les chercheurs
français et chinois lors du 10e congrès international de génétique humaine53. A partir d’un simple
échantillon de sang maternel, cette technique pourrait permettre de mieux prévenir les anomalies
chez l’embryon. Certains médecins français ont cependant reconnu que cette nouvelle méthode
pourrait aussi être utilisée pour sélectionner le sexe de l’enfant à naître.
4.2 Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP)
Ainsi que l’évoque le CCNE dans son avis sur l’évolution des pratiques d’AMP du 30
mars 1994, « les progrès scientifiques et les applications médicales dans le domaine de la
reproduction humaine posent d’importants problèmes éthiques ».
L’AMP, autrefois dénommée procréation médicalement assistée, est définie de la manière
suivante dans l’article L 152-1 du Code de la santé publique :l’AMP « s’entend des pratiques
cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et
l’insémination artificielle, ainsi que de toute technique d’effet équivalent permettant la
procréation en dehors du processus naturel ». Cette définition est très large et elle a notamment
permis d’inclure dans le champ des pratiques qu’elle désigne la fécondation in vitro par microinjection, aussi dénommée ICSI. L’AMP peut être pratiquée lorsque le couple est atteint
d’infécondité, que celle-ci touche la femme ou l’homme. Elle n’est cependant que l’un des
solutions possibles pour pallier au problème humain et social de l’infécondité. Certains couples
52
CCNE, avis numéro 5 du 13 mai 1985, « Avis sur les problèmes posés par le diagnostic prénatal et périnatal.
Rapport ».
53
Marielle Morjean, « Bioéthique, le débat continue », in Valeurs mutualistes numéro 212, avril 2000
58
confrontés au même problème préfèrent en effet recourir à des techniques plus «traditionnelles »
telles que l’adoption. L’AMP peut être préférée à l’adoption car elle offre l’opportunité à un
couple infécond la possibilité de procréer. Cette pratique représente alors un ensemble d’enjeux
scientifiques, économiques mais également éthiques en raison de la dissociation du rapport
sexuel et de la fécondation. Le prélèvement d’ovocytes et la FIV permettent la rupture de
l’enchaînement entre la conception et la gestation : il y a alors dissociation biologique de la
maternité. L’AMP désigne en fait une approche palliative de l’infécondité : elle met en œuvre
des actes techniques qui se substituent à l’acte sexuel fécondateur. Il y a eu lors de l’introduction
d’une telle technique beaucoup de questions qui se sont posées, notamment car il s’agit d’une
activité procréatrice qui se passe de rapports sexuels, et qu’il ne s’agit pas par ailleurs d’une
intervention thérapeutique : on ne cherche pas à soigner l’infécondité mais à la contourner. Le
médecin est dans une démarche reproductive qui a pour finalité la conception d’un être
humain :il n’est plus dans la position du médecin qui soigne ou soulage la douleur physique. On
peut pratiquer l’AMP essentiellement de deux manières : soit par insémination artificielle soit
par FIV. Pour la première d’entre elles, on recueille tout d’abord le sperme du conjoint, du
partenaire, ou d’un donneur. Le sperme est ensuite déposé soit dans l’utérus, soit à l’orifice du
col de l’utérus, la fécondation se déroulant par la suite in vivo, c’est à dire dans le corps de la
femme. Dans le cas de la FIV, celle ci se déroule in vitro et la femme doit subir une intervention
médicale lourde. Elle subit une hyperstimulation hormonale qui va permettre d’extraire de
l’utérus plusieurs ovocytes par ponction transvaginale échoguidée avec anesthésie. La
fécondation s’opère en laboratoire, le ou les embryons qui résultent de l’opération sont ensuite
placés dans l’utérus. La FIV et l’ICSI peuvent bénéficier de la conservation par le froid
d’embryons, de sperme, d’ovaires ou testicules et d’ovocytes. Il est possible d’associer à ces
techniques de fécondation extracorporelles le DPI. Le DPI permet aux couples qui risquent de
transmettre une maladie génétique grave de faire sélectionner par transfert les embryons sains.
L’AMP peut s’effectuer de différentes manières : par une fécondation in vitro « classique », par
micro-injections (ICSI), ou encore par transfert d’embryons congelés. Il existe d’autres
techniques mais celles-ci sont celles qui connaissent le plus de « succès » auprès des parents
français. Lorsque l’on examine les données statistiques fournies par la FIVNAT (association ),
on s’aperçoit qu’entre 1992 et 1997, le nombre de ponctions a augmenté, que le nombre de FIV
classique est en constante baisse alors que les ICSI et le transfert d’embryon congelés
connaissent une croissance exponentielle.
59
L’AMP est une pratique qui a provoqué de nombreux débats dans le domaine éthique et le
CCNE a d’ailleurs rendu un avis sur le sujet.
De nombreuses questions se posent, en voici les principales :
4.2.1
a-
Les risques inhérents à toutes les formes d’AMP
Des taux de succès relativement faibles
A la lecture d’un rapport parlementaire portant sur la loi sur la bioéthique de 1994, on
s’aperçoit qu’en 1996 par exemple, sur 100 ponctions ovariennes ou transferts d’embryons,
seulement 80,3 ont connu un transfert réussi. Le taux de grossesse s’élève à 20,4 % lorsque l’on
a procédé à une ponction ovarienne et à 25,6% lorsque l’on a procédé à un transfert d’embryons.
La naissance d’au moins un enfant normal n’est que de 15,3 %. Les chiffres recensés en
Allemagne sont un peu plus positifs, et on constate que sur la période 1992-1997, les chiffres
restent constants pour la France.
Ces chiffres sont impressionnants lorsque l’on appréhende le nombre d’embryons qui ont été
« sacrifiés » pour parvenir à une naissance « saine » ou « normale » (sans handicap majeur).
Pour multiplier les chances de réussite d’une implantation, qui ne s’élèvent qu’à 10 % pour un
seul embryon implanté, les médecins pratiquent le plus souvent un transfert de plusieurs
embryons. Ainsi, les chances passent à 15 % pour deux embryons transférés et à 25 % pour 4
embryons et plus. Cependant ces transferts multiples ne sont pas sans risques puisqu’on a pu
constater une augmentation importante du nombre de naissances multiples qui peuvent entraîner
des naissances prématurées et connaissent une plus grande mortalité infantile.
b- Grossesses multiples et réductions embryonnaires
A ce titre, il est intéressant de se demander si c’est bien l’intérêt de l’enfant (ou de l’enfant à
naître) qui est pris en compte et si ce n’est pas plutôt le seul désir de maternité de la mère ou des
parents qui est pris en considération. De fait, la naissance des prématurés (bébés qui pèsent
moins de 1500 grammes à la naissance) est beaucoup plus fréquente54 chez les jumeaux (6 %
d’entre eux) et chez les triplés (26 % d’entre eux). Sur les 6500 enfants nés de ces 5000
grossesses dues à des FIV ou ICSI, ¼ d’entre eux séjournent dans des services de soins intensifs
60
ou de néonatalogie après leur venue au monde. Comme précisé plus haut, la mortalité périnatale
et les séquelles définitives sont en nette augmentation lorsque les parents ont recours à ce genre
de techniques. Dans son avis numéro 42, le CCNE s’interroge ainsi en ces termes : « Il y a dans
ce domaine une réelle discussion et un choix éthique entre d’une part le taux de succès de la FIV
et ses tentatives de record et, d’autre part, les graves conséquences de grossesses multiples dont
la fréquence constitue un record qu’il vaudrait mieux éviter ».
Pour pallier à ces risques, les praticiens peuvent être amenés à pratiquer des réductions
embryonnaires. La légalité de ces pratiques fait débat :le CCNE dans son avis numéro 44 estime
en effet que certaines de ces réductions embryonnaires se situent « hors du champ de la loi » si
on les appréhende comme des interruptions de grossesse. Par contre, le CCNE estime que si on
considère que la grossesse continue puisque celle-ci n’est pas interrompue pour les embryons
préservés, « la réponse n’est actuellement contenue ni dans la loi, ni dans la jurisprudence ».
Le CCNE, dans son avis numéro 24 consacré à l’étude des réductions embryonnaires, rappelle
que celles-ci ne sont pas forcément des bonnes solutions car elles peuvent entraîner l’arrêt de la
grossesse. Selon la FIVNAT, le pourcentage d’arrêt de grossesse dans le cas d’une réduction
embryonnaire peut aller jusqu’à 15 %.
Cependant, il convient de noter qu’avec le temps, le nombre moyens d’embryons transférés s’est
réduit et on a constaté parallèlement une réduction significative du nombre de grossesses
multiples, ce qui constitue des signes encourageants puisque corrélativement, le nombre de
réductions embryonnaires a également diminué.
c- Les différentes évolutions de l’AMP et la remise en cause des schémas familiaux
traditionnels
Au-delà des risques de dérives eugénistes et des problèmes dans l’établissement des
liens de filiation que peut provoquer l’AMP, cette dernière pose des problèmes éthiques d’un
autre ordre mais qu’il convient également d’aborder. Ces techniques illustrent comment l’enfant
devient de plus en plus l’objet d’un désir de certaines personnes, l’intérêt de l’enfant semblant
avoir été progressivement occulté. Certains soulignent ainsi les évolutions de l’AMP : au départ,
l’AMP a permis de remplacer l’acte sexuel nécessaire à la reproduction par des actes techniques,
mais c’étaient uniquement les gamètes du couple qui étaient utilisées pour la fécondation.
Ensuite, la deuxième étape a été de faire intervenir des personnes extérieures au couple pour la
54
chiffres recueillis dans CCNE, avis numéro 60 « Réexamen des lois de bioéthique », 25 juin 1998
61
contribution génétique. Ainsi, il devient possible de concevoir un enfant d’une personne distante
et inconnue (puisqu’on le rappelle, tous les dons de tissus ou parties du corps humain sont
anonymes), l’ensemble de ces nouvelles conditions de procréer transforme complètement les
conditions anthropologique de l’engendrement. Si certaines pratiques comme celle des mères
porteuses restent encore interdites en France55, il est tout à fait légal de subir une insémination
artificielle avec du sperme de donneur par exemple. Enfin, on pourrait imaginer une troisième
étape, qui pour l’instant reste encore taboue en France qui serait de recourir à l’AMP en dehors
de toute justification médicale : on y aurait recourt simplement en raison du désir d’avoir des
enfants et parce que la situation dans laquelle on vit rend ce désir irréalisable ; c’est l’hypothèse
du désir d’enfant de femmes célibataires ou homosexuelles, de couples homosexuels, de
l’insémination post mortem56, voire à plus long terme de la grossesse masculine ou de la
parthénogénèse,…
En France, l’insémination d’une femme dont le conjoint a déjà subi un changement de sexe fait
aujourd’hui l’objet de vives discussions.
Dans toutes ces hypothèses, le modèle des schémas familiaux connus jusque là serait remis en
cause et les gamètes ou les ovocytes fécondés seraient des substances disponibles pour les
personnes désirant procréer, quelque soit leur situation familiale. On comprend mal comment
autoriser de telles pratiques, alors que l’adoption pour des couples homosexuels est pour l’instant
interdite, et que des femmes ou hommes célibataires rencontrent d’énormes difficultés de
procédures pour pouvoir adopter un enfant, adoption, qui dans bien des cas relève de
l’impossible, les autorités responsables considérant que l’équilibre familial requis n’est pas
réalisé. Dans son avis relatif au réexamen des lois de bioéthique, le CCNE rappelle à ce propos
que les conditions d’accès à l’AMP sont fondées « sur un choix de société à savoir l’intérêt de
l’enfant à naître et à se développer dans une famille constituée d’un couple hétérosexuel ».
cela n’empêche cependant pas des couples français de se rendre dans des pays où cette pratique est autorisée,
comme les Etats-Unis et de recourir aux « services » d’une mère porteuse
56
voir le cas « Blood » qui a fait débat outre-Manche. Une femme anglaise avait fait prélever des gamètes sur son
mari alors dans un coma profond et voulait se faire inséminer celles ci en Belgique. Elle a invoqué pour cela devant
les instances britanniques la liberté de circulation des marchandises et la libre prestations de services, principes qui
prévalent en droit communautaire.
55
62
4.2.2
Les risques spécifiques entraînés par l’ICSI
Le terme ICSI signifie en termes médicaux : fécondation par micro-injections
intracytoplasmique d’un spermatozoïde dans l’ovocyte. Cette technique permet notamment de
supprimer le hasard dans le processus de fécondation et se donne pour objectif d’éviter
l’infertilité masculine. La progression de l’ICSI a été spectaculaire et elle représente en 1997
37,7 % des FIV. Les femmes qui ont recours à de telles techniques sont plus jeunes que celles
qui recours à la FIV classique (dénommée FIVETE = fécondation in vitro et transfert de
l’embryon) et les indications, comme on l’a dit, sont dominées par la stérilité masculine (à 82,4%
contre 35,4 % pour la FIV conventionnelle).
Ceux-ci connaissent des résultats meilleurs que la FIV classique alors même qu’ils sont réalisés
avec des spermatozoïdes de moins bonne qualité. C’est d’ailleurs ici que se situe le problème :
l’infertilité masculine risque d’être transmise de générations en générations et le recours à des
techniques d’AMP risque parallèlement d’augmenter pour cette raison. En outre, comme le
signale le CCNE57 les premiers essais sur l’espèce humaine ont été réalisés alors que les
expérimentations sur les animaux mammifères étaient encore en nombre très limités. Par ailleurs
cette technique de l’ICSI ouvre des possibilités quant à la sélection du spermatozoïde qui
pourrait aboutir à faire ce choix selon des critères biologiques comme le choix du sexe, la
recherche de gènes de susceptibilité à des maladies ou encore d’autres caractères génétiques.
4.2.3
Les atteintes à l’embryon dans le cadre de la technique de la
cryoconservation des embryons
D’aucuns avaient cru lire dans la nouvelle version du code de la santé publique la
naissance d’un quasi-statut de l’embryon. De fait, les éléments de l’embryon ne sauraient se voir
assigner d’autres finalités que celles définies à l’article L 152-1 du nouveau code de la santé
publique, en excluant toutes fins de recherche ou d’expérimentation. Cependant, il s’avère que la
loi comporte un certain nombre d’ambiguïtés, voire de contradictions qui laissent douter de la
réelle protection accordée à l’embryon.
De fait, le rapport parlementaire portant sur l’application de la loi sur la bioéthique de 1994
relève l’interdiction d’études à finalité médicales (sans le consentement du couple) ne portant pas
atteinte à l’embryon. A contrario, la loi autorise que les embryons abandonnés et conçus avant
63
l’entrée en vigueur de la loi pourront être détruits dans un délais de cinq ans. Comment
comprendre l’interdiction de toute recherche sur les embryons surnuméraires alors que leur
destruction est autorisée ?
4.2.4
L’instrumentalisation des embryons
La loi de 1994 autorise la conservation des embryons. En réalité la loi n’a fait
qu’entériner une situation de fait : à savoir l’existence d’un grand nombre d’embryons congelés
quelques fois déjà abandonnés lors de l’élaboration du texte de loi. On a évalué à l’époque le
nombre d’embryons dans ce cas à environ 2000. En outre, il semblerait selon le rapport
parlementaire déjà évoqué ci-dessus, que les progrès attendus de la science justifiaient également
une telle décision, puisque la perspective proche d’une possible congélation des ovocytes était
satisfaisante. Cependant, les attentes restent pour le moment déçues dans ce domaine. Et la
solution de la loi qui se voulait provisoire n’a pas obtenu de réponse satisfaisante de la part de la
science.
Deux situations distinctes existent concernant les embryons surnuméraires, et permettent
d’appréhender l’ampleur de l’instrumentalisation des embryons qui est faite.
- Certains embryons congelés font encore l’objet d’un projet parental. Pour ceux-ci, les questions
qui se posent sont de savoir quelles sont les conséquences de la cryconservation sur les chances
de réussite de l’implantation d’une part et d’autre part quelles sont les conséquences en terme de
santé sur les enfants à naître. Il semble avéré que 30 % des embryons ne survivent pas à la
congélation. Par ailleurs les chances de réussite de l’implantation diminuent environ de moitié
par rapport à l’implantation d’un embryon frais (c’est à dire non congelé). Concernant le
développement de l’enfant, les études ne permettent pas de fournir des réponses précises après
l’âge de 18 mois. Jusqu'à cet âge, le développement est cependant normal.
- Les autres embryons quant à eux, sont orphelins, puisqu’ils ne connaissent pas la chance de
faire l’objet d’un projet parental. C’est à cette occasion que l’on peut se rendre compte de
l’instrumentalisation dont font l’objet ces embryons. De fait, comme la phrase ci-dessus
l’exprime, ces embryons surnuméraires ne font pas ou plus l’objet d’un projet parental.
L’embryon (qui avait été un potentiel futur enfant) ne sera pas utilisé car ses parents n’ont plus
le projet de le concevoir. Il est ici ramené au rang de simple chose, complètement réifié. Muriel
57
avis du 30 mars 1994 sur l’évolution des pratiques d’AMP
64
Fabre-Magnan58 met d’ailleurs en garde contre ce qu’elle appelle « la marche à pas réguliers
vers la fabrication et la production des enfants ». Avec la banalisation de telles pratiques comme
le DPN, le DPI, l’AMP, etc. nos sociétés se dirigent de plus en plus vers une réification de
l’enfant, qui n’existe plus, dont la vie n’existe plus « en soi », mais uniquement par et pour un
projet des parents. Comme le signifie clairement Muriel Fabre-Magnan, « …c’est à ces pratiques
qu’il faudrait mettre des limites si l’on voulait réellement mettre un frein à la réification des
enfants, à l’évolution qui consiste de plus en plus à les voir comme des choses auxquelles on a
droit, et qu’il faut donc le cas échéant produire ». D’ailleurs le glissement du vocabulaire
employé illustre parfaitement l’évolution des choses : on ne parle plus aujourd’hui d’intérêts de
l’enfant mais de droit à l’enfant pour les parents, la première notion ayant pourtant été pendant
de longues années une notion centrale en cette matière et qui faisait de l’embryon un sujet et non
un objet.
Pour ces embryons devenus orphelins, plusieurs interrogations restent en suspens, comme
le souligne le rapport parlementaire. Tout d’abord, l’évaluation du nombre d’embryons
surnuméraires reste totalement imprécise : on ne sait pas exactement lesquels sont définitivement
abandonnés et ceux qui sont susceptibles d’être éventuellement accueillis. Par ailleurs, il reste
une ombre sur les pratiques qui ont été faites avant l’entrée en vigueur de la loi. Ces embryons
ont-ils été supprimés, sont-ils encore congelés ? S’ils ont fait l’objet d’une suppression, qui s’est
érigé en autorité compétente pour prendre une telle décision ?
Enfin, il convient de remarquer que si l’abandon d’enfant est interdit par la loi française,
l’abandon d’embryons congelés est bel et bien autorisé, alors que ceux-ci ont été congelés pour
faire droit à un projet parental. Des questions se posent également quant au droit de l’enfant qui
naît dans le cadre d’une AMP de connaître ses origines. L’enfant adopté a en effet le droit de
connaître ses origines. Qu’en est-il d’un enfant dont les parents biologiques, parcequ’il était un
embryon surnuméraire, ont fait un don (nécessairement anonyme) de son embryon à un autre
couple stérile ? Il convient à cet effet de rappeler qu’un embryon qui ne fait plus l’objet d’un
projet parental a trois devenirs possibles : il peut être accueilli par un couple stérile, être détruit
par arrêt de la conservation (qui peut durer jusqu’à 5 ans) ou enfin faire l’objet d’études ou de
recherches. Le CCNE dans un avis relatif au réexamen des lois de bioéthique estime que le
58
in FABRE-MAGNAN Muriel, « L’affaire Perruche :une troisième voie », ( Débat autour de l’ arrêt Perruche),
Droits, Revue Française de théorie, de philosophie et de culture juridique, numéro 35, octobre 2002, page 127
65
transfert d’embryons après la mort du conjoint devrait être rendu possible : il conviendrait
d’aménager selon lui un délai de réflexion allant de trois mois à un an pour la femme veuve.
Jürgen Habermas, qui note que le débat concernant le DPI et le recherche sur l’embryon est
mis en parrallèle avec le débat sur l’avortement, met en garde contre cette comparaison qui selon
lui est fausse. De fait, il précise
59
« Dans le refus d’une grossesse non désirée, le droit de la
femme à l’autodétermination entre en conflit avec la nécessité de protéger l’embryon. Dans
l’autre cas, la protection de la vie de l’enfant à naître entre en conflit avec l’attitude des parents
qui le mettent en balance comme un bien ; ils désirent avoir un enfant, mais ils sont prêts à
renoncer à l’implantation si l’embryon ne correspond pas à certains critères de santé ».
4.2.5
Les embryons, la recherche médicale et les intérêts économiques
a- Les limitations de la recherche sur l’embryon
Pour le moment, seule la recherche effectuée sur les fœtus avortés et sur les embryons
surnuméraires qui ne font plus l’objet d’un projet parental est autorisée, avec l’accord des parents
bien entendu. On peut déjà ici se questionner quant au respect de la vie humaine et de la dignité
humaine face à de telles pratiques. En effet, pour pouvoir « utiliser » les organes ou le corps d’un
défunt à des fins de transplantation ou de recherches médicales, l’accord de la personne de son
vivant est exigé. Dans le cas contraire, le médecin essaye de recueillir par le biais de la famille
des indications sur ce qu’aurait souhaité le défunt. Sur l’embryon ou les fœtus avortés par contre,
on présume simplement de l’accord de ces potentiels êtres humains. Une atteinte au principe du
consentement pour toute intervention sur les patients est ici faite, ce qui illustre une fois de plus
la tendance à l’instrumentalisation des fœtus et embryons.
Le CCNE, dans son avis concernant le réexamen des lois de bioéthique, précise qu’il s’oppose à
la création de nouveaux embryons humains à d’autres fins que le projet parental.
Olivier de Dinechin, qui a apporté une note à l’avis du CCNE concernant l’examen de l’avant
projet des lois de bioéthique, rappelle à l’instar du CCNE dans son avis la réalité des embryons
humains, et ce, quelque soit le mode par lequel ils sont obtenus. Cependant, une distinction est
59
Jean-Yves NAU, Le Monde, « Bioétique :le philosohe et les sénateurs », 22 janvier 2003 à propos du livre de
Jürgen HABERMAS, L’avenir de la nature humaine :vers un eugénisme libéral ?, Editions Gallimard, collection nrf
essais, 2003, 180 pages
66
introduite selon celui-ci puisque leur sort est souvent décidé par des décisions d’autres
personnes, que ce soit des médecins ou ses géniteurs. Il met en garde contre le fait de faire
prévaloir les perspectives thérapeutiques que l’utilisation de ces embryons permet d’envisager et
leur valeur intrinsèque. Il ne faut selon lui pas légitimer par une fin, même si en l’occurrence elle
est bonne, puisqu’il s’agit d’améliorer les techniques de guérison concernant des maladies graves
ou génétiques, un moyen qui reste moralement inacceptable : à savoir la réification d’êtres
humains. Il faut également porter attention au fait que les débats qui se multiplient autour des
différentes possibilités thérapeutiques interpellent sur des barrières devenues fragiles et
mouvantes en raison de la pression qui s’exerce sur les chercheurs mus par le désir de soigner et
de connaître mais également pressés par l’urgence économique et les besoins de la compétitivité.
Claude Huriet a lui aussi apporté sa contribution à cet avis du CCNE. Il estime que l’avis du
CCNE qui insiste à plusieurs reprises quant aux risques concernant la réification de l’embryon
n’est pas logique. De fait, il est autorisé (et le CCNE l’approuve) de faire de la recherche sur les
embryons surnuméraires. En outre, comme nous l’avons précisé plus haut, l’idée d’une solidarité
qui justifierait de telles pratiques est biaisée puisqu’elle repose sur un consentement que
l’embryon est bien évidemment incapable de donner. Sans vouloir prétendre être exhaustif sur la
question extrêmement polémique de la recherche sur l’embryon qui nécessiterait à elle seule au
moins un mémoire, il convient de l’aborder au moins a minima car elle représente un enjeu
concernant l’AMP et le DPI. Le CCNE souligne d’ailleurs que l’AMP ne doit pas être mise à
profit pour « constituer volontairement des embryons surnuméraires en vue de les utiliser
ultérieurement pour la recherche ». En effet, le CCNE estime que le nombre d’embryons
surnuméraires est amené à décroître inévitablement dans le futur, puisque les techniques d’AMP
sont de plus en plus maîtrisées. L’avant projet de loi de révision des lois de 1994 prévoit à ce
titre que les embryons ayant déjà fait l’objet de recherche ne pourront pas être transférés
ultérieurement. Claude Huriet souligne par ailleurs la situation de la France par rapport à ses
partenaires européens en ce qui concerne la compétition dans le domaine de la recherche. De fait,
le Royaume Uni permet depuis peu le clonage thérapeutique ; cette compétition dans un domaine
où seule l’éthique devrait être de nature à justifier les avancées de la recherche laisse craindre
que des dérives ne se produisent.
Une atteinte (le CCNE approuve ce qu’il nomme « une exception motivée » au principe général)
au principe selon lequel des embryons ne pourront être créés que pour les besoins de la recherche
pourrait apparaître avec le vote de la nouvelle loi si elle reste en l’état. De fait, les nouvelles
67
techniques d’AMP devront être évaluées avant d’être pratiquées pour des couples et des
embryons (détruits par la suite) seront créés à cet effet.
b- La recherche sur les cellules souches embryonnaires
L’avis du CCNE évoque aussi la question des recherches portant sur les cellules
souches embryonnaires. La législation actuelle60ne permet de fabriquer des cellules souches
embryonnaires qu’à partir d’embryons ou de fœtus avortés. L’avant projet de loi permet
d’utiliser les embryons surnuméraires en tant que sources de cellules souches. On a l’impression
à nouveau qu’une étape de plus est ici franchie concernant la réification des « embryons
humains ». C’est d’ailleurs ce terme que le législateur utilise dans son avant projet de loi pour
désigner les embryons (appellation antérieure). La nouvelle loi tente de distinguer des phases
dans le développement suivant la première division de l’ovule fécondé en introduisant une
référence à un stade de développement qui est celui de la différenciation cellulaire 61. Le CCNE
considère quant à lui qu’il serait plus judicieux de faire référence dans la nouvelle loi à la fin du
stade préimplantatoire, au moment où l’embryon acquière la capacité de s’implanter dans
l’utérus. On peut ici craindre que cela pourrait constituer un argument en faveur de la réification
de l’embryon dans les premiers stades de son développement. Le CCNE avertit cependant qu’il
serait excessif de considérer l’embryon dans ses premiers stades de développement comme un
« simple amas de cellules d’origine embryonnaire ». Le CCNE rappelle que le processus de
développement de l’embryon reste au moins dans ses débuts une énigme et que c’est peut-être
une des raisons pour lesquelles l’embryon devrait dès sa formation bénéficier du respect « lié à
sa qualité ».
c- L’opportunité d’autoriser le clonage thérapeutique
Le CCNE se prononce également sur l’opportunité d’autoriser le clonage
thérapeutique62. A cet effet, on peut rappeler que celui-ci est autorisé aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni depuis peu. Le CCNE rappelle à cette occasion les arguments des deux parties.
L’argument principal des détracteurs d’une telle pratique est que l’autorisation du clonage
thérapeutique constituerait une véritable réification de l’embryon puisqu’il s’agirait en réalité de
60
61
puisque la loi portant révision des lois bioéthiques ne sera votée en toute vraisemblance que courant de l’été 2003
pour plus de détails sur les différents stades de développement de l’embryon, voir en annexe 3
68
créer des embryons en vue de la recherche ou de la production de matériel thérapeutique. En
outre, la mise en œuvre du clonage thérapeutique nécessiterait de disposer d’un grand nombre
d’ovocytes qui pourrait faire peser à terme une pression psychologique et sociale sur les femmes
et créer une forme de marché aux ovocytes, réglé uniquement par les mécanismes de l’offre et de
la demande. L’avant projet de loi propose une ouverture « maîtrisée » vers le clonage
thérapeutique. Le CCNE se déclare très favorable à une telle ouverture en raison de plusieurs
facteurs, qui laisse craindre que les considérations économiques et de rentabilité ne prenne le pas
sur des considérations éthiques. Le CCNE indique tout d’abord
qu’autoriser le clonage
thérapeutique relève d’un devoir de solidarité de notre société envers ses membres malades, et ce
d’autant plus face à la raréfaction prévisible des embryons surnuméraires. On peut cependant
s’interroger sur la validité d’un tel argument à moins d’accepter la dimension sacrificielle d’un
tel acte. De plus, s’il est légitime de respecter les malades et de tout mettre en œuvre, dans les
limites de l’éthique, pour trouver de nouvelles thérapies pour les soigner, il est tout aussi légitime
de ne pas consentir à sacrifier des embryons qui restent de potentiels êtres humains. Par ailleurs,
si l’on veut respecter la vie et notamment celle des personnes malades, il convient d’être
cohérent et de respecter celle-ci dès le commencement. Le CCNE évoque également l’argument
de « la sévérité de la compétitivité internationale dans le domaine de la recherche et des intérêts
économiques qui sont en jeu ». Renoncer à cette opportunité du clonage thérapeutique mettrait la
France en retard et dépendante des progrès des autres pays. En cas de succès dans les autres
pays, le CCNE considère que les chercheurs français recourraient alors aussi à ces techniques
thérapeutiques, sans que les pouvoirs publics n’aient alors de contrôle sur ces activités, ou alors
des contrôles limités en raison de l’absence de règles éthiques encadrant ou limitant cette
activité. Cet argument peut également être mis en doute. Ce n’est en effet pas parce que des pays
autorisent de telles pratiques que la France doive forcément y recourir aussi. Si le législateur
interdisait le clonage thérapeutique, il est bien entendu que les chercheurs français ne sauraient
adapter leurs pratiques parallèlement à celles de leurs confrères étrangers sous prétexte de
résultats positifs. Les motivations éthiques qui interdiraient ces pratiques resteraient de fait les
mêmes, à moins qu’on arrive enfin à établir à partir de quel moment exactement commence la
vie. Concernant le clonage thérapeutique, une majorité des membres du CCNE seraient plutôt en
faveur de son autorisation, mais les avis restent tout de même partagés.
62
Les lois de 1994 ont spécifié sans ambiguïté aucune l’interdiction de clonage reproductif et thérapeutique.
69
4.3. Le diagnostic préimplantatoire (DPI)63
Le DPI, aussi dénommé diagnostic biologique, est ainsi défini par la même loi en son
article 1464 : « Le diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in
vitro n’est autorisé qu’à titre exceptionnel dans les conditions suivantes :
-
Un médecin (…) doit attester que le couple, du fait de sa situation
familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant
atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue
comme incurable au moment du diagnostic.
-
Le diagnostic ne peut être effectué que lorsque a été préalablement
et précisément identifiée, chez l’un des parents, l’anomalie ou les
anomalies responsables d’une telle maladie.
-
(…)
-
Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher
cette
affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la guérir ».
On peut tout d’abord remarquer que la loi comporte une contradiction intrinsèque puisqu’elle
évoque une maladie génétique incurable, qu’elle prétend ensuite prévenir ou guérir. A moins de
considérer qu’un avortement guérit, ce qui serait plus qu’audacieux (c’est d’ailleurs pourquoi le
terme ITG a été remplacé par celui d’IMG65), il y a dans ce texte une erreur dans la réflexion qui
a présidé à son écriture.
La loi autorise donc le recours au DPI mais à titre exceptionnel, pour éviter de donner naissance
à un enfant atteint d’une grave maladie ou handicapé. Cette autorisation, qui est précisément
limitée par le législateur, reflète bien les craintes et les débats qui entourent le DPI et la
recherche sur l’embryon : le législateur a souhaité ne pas permettre de banaliser le DPI en raison
des risques de dérives eugénistes.
Le CCNE explique que le DPI consiste à faire un diagnostic dit génétique sur une ou deux
cellules d’un embryon qui en comporte de six à dix, avant le transfert de l’embryon dans
l’utérus. Il est réalisé après une FIV. Le DPI est effectué sur plusieurs embryons afin d’en
63
Voir annexe 4 pour des informations concernant la réglementation du DPI en Europe
inséré dans le code de la santé publique par un article L 162-17
65
IMG : interruption médicale de grossesse
64
70
sélectionner un qui soit sûrement indemne par rapport à l’affection redoutée et que l’on
recherche. Le DPI peut être utilisé dans trois cas principaux pour le moment. Il permet de
détecter les affections liées au sexe quand il n’est pas possible d’effectuer directement le
diagnostic de la maladie, les affections génétiques pour les anomalies moléculaires et enfin pour
détecter les anomalies chromosomiques66.
Le grand débat qui préoccupe actuellement les médecins et les juristes est de savoir si l’on peut
accepter l’extension du DPI notamment pour permettre de soigner des enfants déjà nés dans un
couple et qui sont atteints d’une maladie grave. Ainsi, deux cas essentiels occupent les débats :
l’extension du DPI pour recherche de compatibilité HLA dans un cas familial de maladie de
Franconi et dans le cadre de la Chorée de Huntington. Les problèmes éthiques alors posés
rejoignent nos préoccupations, mais il serait ici trop long et trop complexe de les expliciter dans
les détails, c’est pourquoi on se contentera d’évoquer ce problème qui a d’ailleurs donné lieu à
un avis du CCNE (avis numéro 72, « Réflexions sur l’extension du DPI, 4 juillet 2002). Le point
de réflexion porte notamment sur le fait qu’un enfant qui vient au monde ne devrait jamais
n’ « être qu’un moyen aux fin d’autrui, fût-ce pour le sauver »,selon les termes du CCNE dans
cet avis. L’enfant devrait en effet venir au monde et être conçu d’abord pour lui-même. Il est
possible que face à la maladie mortelle dont est atteint l’un des enfants du couple, l’enfant
attendu le
soit plus pour une éventuelle possibilité thérapeutique que pour lui-même. De
nombreux autres problèmes se posent comme notamment :face à l’aggravation de l’état de
l’enfant malade, la tentation de provoquer un accouchement prématuré…Les questions que nous
avons déjà évoquées lors de l’étude de l’AMP sont ici on ne peut plus d’actualité : notamment en
ce qui concerne l’instrumentalisation de l’enfant et les critères de choix de l’embryon. Pierre
Ricoeur dans cet avis, résume bien le problème en ces termes : « il y a ici affrontement de la
situation d’un enfant qui va mourir à celle d’un enfant qui risque d’être assujetti à vie ». En
effet, dans le développement futur de l’enfant, cela risque de poser des problèmes puisque la
question de nouveaux dons (surtout des dons de moelle ultérieure qui risquent de se répéter) se
posera sans doute souvent au cours de sa vie. Il convient d’ailleurs de rappeler à ce titre le
caractère fictif du don d’un jeune enfant. C’est à cette occasion que le CCNE rappelle dans cet
avis quelques principes à respecter face aux progrès technologiques actuels qui permettent une
plus grande maîtrise de la vie. Il rappelle ainsi que « la vraie maîtrise consiste à savoir où
s’arrêter, à réfléchir aux limites dans les moyens susceptibles d’être mis en œuvre pour le
Le DPN permet de détecter le même type d’anomalies, mais dans ce cas, la grossesse a déjà commencée :
l’embryon est in utero
66
71
traitement d’un enfant malade ». De même, il souligne l’importance de « la non
instrumentalisation des individus nés ou à naître, le respect de l’intégrité de la personne » et
préconise « le choix du moindre mal lorsque des objections peuvent être opposées à toutes les
solutions proposées ». Le CCNE explique en conclusion que « l’intérêt du tiers ne doit jamais
empêcher de penser l’intérêt de l’enfant lui-même ». Ainsi, tout processus médical qui affecte
l’embryon doit avoir pour finalité son bien propre et représenter un bénéfice direct pour l’enfant
à naître. « Le désir légitime d’enfant n’est pas le droit à l’enfant-objet » rappelle le CCNE. Il est
ainsi possible d’envisager qu’un enfant désiré représente en plus une possibilité ou un espoir de
guérison pour son aîné mais pas d’envisager la naissance d’un nouvel enfant uniquement dans le
but d’en guérir un autre. Il en va de même en ce qui concerne les embryons sains mais qui ne
serait pas compatibles HLA avec leur aîné. Les médecins doivent ainsi s’efforcer de convaincre
les parents que la naissance d’un autre enfant ne peut être limitée à la finalité de sauver l’enfant
malade. Le dépistage de la compatibilité HLA doit toujours rester second par rapport au désir
d’enfant. La reconnaissance du DPI est loin de faire l’unanimité au sein des pays européens,
l’avis du CCNE précédemment évoqué propose un panorama des différentes législations, qu’on
peut retrouver en annexe 2 de ce mémoire.
L’acceptation du DPI, sans même parler de la question délicate de son extension, entraîne donc
plusieurs questions d’ordre éthique que sont notamment : le risque de tentative de sélection des
embryons ou encore la place qui sera réservée aux handicapés dans la société.
4.3.1
Le risque de sélection des embryons et de dérives eugénistes
Les débats autour du DPI ne sont pas seulement d’actualité en France ; en Allemagne
les discussions font également rages. Ainsi, une député SPD a rappelé que « La Constitution
précise que nul ne doit être discriminé pour son handicap. Cela vaut aussi pour dans
l’éprouvette. Le DPI est pour moi incompatible avec la dignité humaine ».
Il est vrai que si le DPI interpelle tellement aujourd’hui, c’est en raison des craintes qu’il procure
par rapport à la brèche qu’il pourrait ouvrir à la sélection. Cependant, il serait plus juste de dire
que l’acceptation de DPN a déjà ouvert cette brèche : de fait, quelle différence y a-t-il entre une
IVG qui est pratiquée pour raisons ou médicales ou thérapeutiques et le refus de se voir
implanter un embryon car il est atteint de malformations ?
72
La question est également toujours celle de savoir à partir de quel degré de handicap on peut
autoriser une ITG ou refuser de se laisser inséminer artificiellement un embryon qui ne serait pas
parfait.
Le bilan qui a pu être fait à propos du DPI laisse perplexe. Que ce soit en Allemagne ou en
France, il est certain que par rapport au nombre de couples qui se sont soumis à un DPI et le
nombre d’accouchements, l’écart est énorme. De fait, une fois le DPI effectué, s’il s’avère que
l’enfant présente des malformations, deux solutions sont envisagées. Les parents peuvent dans
un cas choisir de ne pas recourir à l’implantation de l’embryon et celui-ci va se retrouver sans
projet parental et sera finalement détruit ou fera l’objet de recherches. Les parents peuvent au
contraire tout de même décider de pratiquer l’implantation de l’embryon. Cependant cette
solution n’exclut pas que ceux-ci puissent recourir plus tard à une IVG pour motifs médicaux ou
thérapeutiques. On constate bien que dans les deux cas, les tentatives et les opportunités de
sélection des embryons sont immenses et que le pas qui sépare ces pratiques de l’eugénisme est
facile à franchir. La frontière est d’autant plus étroite que la pression sociale fait qu’il est de
moins en moins compréhensible pour l’opinion que des parents qui avaient le choix de ne pas
élever un enfant handicapé optent malgré tout pour cette solution. L’eugénisme dont on se
rapproche ici n’est bien sûr pas comparable avec ce qui a été pratiqué durant la période nazie.
Les parents qui décident de ne pas garder un enfant atteint de malformations, ou de ne pas
implanter chez la mère un embryon malformé, ne le font pas par un souçi de race pure mais bien
plutôt parcequ’ils pensent ainsi éviter des souffrances à cet enfant ainsi que des charges
financières et matérielles considérables qui bouleversent complètement une vie de famille.
Cependant, les solutions auxquelles on aboutit en banalisant de telles pratiques sont pourtant très
proches de l’eugénisme et risquent peut être d’être dangereuses à terme.
Le Monde 67 cite à propos du DPI le célèbre biologiste Jacques Testard qui, dés les années 1990,
voyait dans le développement du DPI l’avènement d’un « eugénisme démocratique, à la fois
doux, mou, et insidieux. Mon propos concerne avant toute chose le diagnostic génétique
préimplantatoire, cette technique qui consiste à vérifier certaines caractéristiques génétiques de
l’embryon humain ».
67
Jean-Yves NAU, Le Monde, « Bioétique :le philosohe et les sénateurs », 22 janvier 2003
73
4.3.2. La place des handicapés dans la société
La question sous-jacente à la multiplication des recours au DPI, ou encore à l’ITG ou
IMG suite à un diagnostic de malformations du fœtus, est celle de savoir quelle est la place des
handicapés dans la société. La banalisation de telles pratiques représente-t-elle un risque
d’exclusion de la personne handicapée qui a toujours souffert de problèmes d’intégration ?
En effet, aujourd’hui, plus personne n’est obligé de mettre un enfant handicapé au monde
puisque l’ITG ou IMG est permise et que le DPI permet d’éviter des grossesses à risques de
naissance handicapée. Le président de la République Fédérale Allemande Johannes Rau
s’inquiète en ces termes68 : « Ne posera-t-on pas à l’avenir de plus en plus souvent la question
de la nécessité de mettre un enfant handicapé au monde, alors que plus personne n’y est obligé ?
Pourra-t-on reprocher le handicap ? Sera-t-il considéré comme préjudiciable à la société ? »
De fait, règle-t-on réellement un problème en le supprimant ? Ne serait-ce pas faire preuve de
plus de bon sens que d’accepter le problème et tenter de l’adoucir au lieu de tenter de l’ignorer
en le supprimant ?
Le CCNE dans son avis « Handicap congénital et préjudice » craint que l’handiphobie ne pousse
les parents à se soumettre à une norme sociale qui serait d’interrompre une grossesse ou de ne
pas mettre au monde un enfant différent des autres. Il craint en outre que des parents qui au
contraire choisissent l’option courageuse de mettre au monde un enfant handicapé et de l’élever
ne souffrent d’incompréhension, ce qui risquerait d’altérer l’aide et l’accompagnement qu’ils
peuvent attendre normalement de la société. Il considère même qu’un couple qui choisirait de
garder ou d’élever un enfant différent pourrait être considéré comme irresponsable et être l’objet
de discriminations en raison de cela.
4.3 La stérilisation des handicapés mentaux
Avant d’évoquer avec plus de précisions le cas particulier de la stérilisation des
handicapés mentaux, il convient de rappeler quel est l’état du droit en France en ce qui concerne
la pratique de la stérilisation de personnes ne souffrant d’aucun handicap, c’est à dire les majeurs
capables.
74
4.3.1
Brèves remarques sur la stérilisation
En droit français, est illégal toute atteinte aux fonctions reproductrices d’une
personne, sauf pour des raisons thérapeutiques et si le patient ou la patiente a donné son
consentement. (sauf dans le cas d’une extrême urgence, puisque dans cette situation, le
recueillement du consentement du ou de la patiente n’est pas nécessaire). La stérilisation consiste
en « une intervention chirurgicale créant un état d’impossibilité anatomique de procréer 69». Le
CCNE dans l’avis « Handicap congénital et préjudice » estime que « la spécificité de la question
éthique soulevée par la stérilisation consiste dans le fait qu’elle supprime une fonction qui ne
peut être comprise comme étant simplement physiologique ». La capacité de procréer n’assure
pas la survie de l’être humain mais celle de l’espèce humaine. Le CCNE poursuit ainsi : « La
capacité de procréer met en jeu pour chaque personne d’autres aspects, proprement humains de
son existence : le sentiment d’être dans le monde par son corps et d’y avoir sa place ; la
possibilité de s’exprimer comme être sexué et de nouer des relations procréatrices avec autrui,
de pouvoir s’inscrire dans une alliance et prolonger sa lignée ; la possibilité d’assumer dans un
réseau de relations et sur un plan existentiel, interpersonnel et social, toutes les conséquences de
sa vie sexuelle ». On comprend bien que la faculté de procréation ne peut se réduire à un seul
processus biologique.
La question fondamentale est de savoir si cet acte de stérilisation aboutit à un état temporaire ou
définitif de stérilité surtout parce que la personne doit donner son consentement libre et éclairé à
une telle intervention. Il est en effet absolument contraire aux principes et aux textes de pratiquer
une stérilisation, même pour motifs thérapeutiques sur une personne à son insu, sauf urgente
nécessité. Il existe des techniques qui permettent de recourir à une intervention réparatrice
aboutissant à la reconstitution de l’anatomie normale antérieure. Cependant, comme le précise le
CCNE dans le même avis, la réversibilité de la stérilisation ne saurait être considérée comme
effective que lorsque la reconstitution de l’anatomie du ou de la patiente est suivie d’une
grossesse et d’une naissance. De fait, certains considèrent, notamment aux Etats-Unis, la
stérilisation comme un simple moyen de contraception. D’après les données des Nations-Unies70
68
Ar. Le., Le Monde, « Diagnostic préimplantatoire, où fixer les limites ? », 20 juin 2001
selon la définition donnée par le CCNE dans un avis du 3 avril 1996 sur la stérilisation envisagée comme mode
de contraception définitive
70
« United Nations, Department for Economic and Social Information and Policy Analysis, Population Division,
World Contraceptive Use 1994” in avis CCNE du 3 avril 1996 sur la stérilisation envisagée comme mode de
contraception définitive
69
75
sur les pratiques contraceptives, la stérilisation féminine est actuellement le mode de contrôle de
la fécondité le plus répandu dans le monde puisque 17 % des femmes en couples et en âge de
procréer ont été stérilisées pour des raisons médicales ou à des fins contraceptives. (la
stérilisation masculine est beaucoup moins répandue). Ce sont l’efficacité et la permanence de la
stérilisation qui expliquent qu’il s’agit du moyen par excellence pour arrêter définitivement la
fécondité.
La stérilisation à visée contraceptive peut être masculine, il s’agit alors d’une vasectomie. La
réversibilité de cette intervention est possible mais suppose une technique microchirurgicale
délicate et dont les succès restent pour le moment aléatoire. La stérilisation contraceptive peut
aussi être pratiquée sur les femmes par section, ligature ou obstruction des trompes. Il existe
également des actes irrémédiables donc irréversibles comme l’amputation d’organes
indispensables pour la reproduction humaine : l’amputation de l’utérus ou des ovaires par
exemple. L’intervention est plus lourde et la récupération des capacités procréatrices impose une
intervention de microchirurgie. Ces interventions qui visent à rétablir l’anatomie normale chez le
patient sont appelées « reperméabilisation ». Par honnêteté intellectuelle, il convient toutefois
d’admettre que la réversibilité de la stérilisation est très aléatoire et ne saurait être garantie
individuellement pour chaque personne. On peut également envisager de pouvoir à nouveau
procréer par le biais de l’AMP, avec toutes les conséquences qu’une telle pratique peut avoir. Il
convient ainsi de faire la différence entre les techniques de stérilisation à visée contraceptive et
les actes chirurgicaux aux conséquences stérilisantes comme l’hystérectomie, la castration ou
l’endémoétrectomie qui sont pratiqués pour des motifs thérapeutiques, par exemple pour soigner
un cancer de l’utérus, des ovaires ou des testicules.
La notion de stérilisation n’existe ni en droit pénal, ni en droit civil. Cependant, il est largement
admis que la stérilisation soit une atteinte au corps par le biais d’une intervention chirurgicale.
C’est l’article 16-3 du Code civil, modifié par la loi numéro 94-653 du 29 juillet 1994 qui précise
aujourd’hui que « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de
nécessité thérapeutique pour la personne (terme thérapeutique aujourd’hui remplacé par celui de
médical) . Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son
état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de
consentir ». La stérilisation n’est donc licite que si elle est médicalement71 nécessaire, c’est ce
La loi CMU du 27 juillet 1999 a modifié l’article 16-3 du Code civil : le terme médical a été substitué au terme
thérapeutique, une plus grande liberté est ainsi accordée au médecin pour apprécier les raison de santé.
71
76
qu’avait rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 1er juillet 193572. Elle écrivait en effet à ce
sujet : « les prévenus ne pouvaient invoquer le consentement des opérés comme exclusif de toute
responsabilité pénale, ceux-ci n’ayant pu donner le droit de violer sur leurs personnes les règles
régissant l’ordre public ». Le code de déontologie médicale73 rappelle d’ailleurs en son article 41
la règles suivante : « Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical
très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son
consentement ». Enfin, le Nouveau Code Pénal, dans son article 222-9 sanctionne le délit de
« violences entraînant une mutilation ou une infirmité permanente » ;cet article peut s’appliquer
à tout acte chirurgical réalisé sans nécessité thérapeutique.
Il convient de noter que la loi numéro 2001-588 du 4 juillet 200174 relative à l’IVG et à la
contraception a bouleversé la philosophie de la stérilisation contraceptive : à présent, la ligature
des trompes et des canaux déférents peut être pratiquée sur une personne majeure exprimant un
consentement libre et éclairé.
4.3.2
La stérilisation pratiquée chez les personnes handicapées mentales
a- Le problème du consentement libre et éclairé de la personne handicapée
Tout d’abord, il convient de rappeler que le droit à la sexualité est reconnu de facto
aux mineurs (qui sont définis comme incapables juridiques) car ils ont un droit d’accès à la
contraception anonyme et gratuite sans limitation d’âge. Dans ce cadre, aucune mention
particulière n’est évoquée concernant les personnes handicapées mentales.
Les techniques disponibles sont les mêmes que celles qui sont proposées au reste de la
population et la stérilisation apparaît souvent comme une option contraceptive bien adaptée à la
particularité de la situation des personnes handicapées mentales. Cependant, la stérilisation est
un acte qui reste grave et lorsqu’elle est pratiquée sur des personnes handicapées, elle comporte
un enjeu éthique particulier. De fait, alors que le consentement est normalement recueilli par la
personne même, pour les personnes handicapées, le demande de stérilisation contraceptive
émane dans la majorité des cas de la part des tiers. Ceci pose la question de la validité du
consentement libre et éclairé de la personne directement concernée.
72
in avis CCNE du numéro 50 du 3 avril 1996 sur la stérilisation envisagée comme mode contraception définitive.
Décret du 6 décembre 1995 portant code de déontologie médicale
74
J.O . du 7 juillet 2001, page 10823
73
77
Les motivations des demandeurs de telles interventions ne sont pas nécessairement dominées par
des considérations d’origine eugéniques ou punitives, mais il y a tout de même lieu de se poser la
question de la conformité à l’éthique médicale de la banalisation et de la légalisation de telles
pratiques.
Alors que la demande est effectuée par un tiers, il n’est pas certain que celle-ci corresponde
au souhait d’une vie sexuelle effective qui est exprimée par la personne handicapée mentale.
C’est pour cette raison que le consentement libre et éclairé de la personne handicapée mentale
doit tenté d’être recueilli. Il faut que la personne handicapée mentale puisse comprendre ce
qu’elle fait (c’est le cas par exemple où elle prend la pilule) ou ce qu’on lui fait (par exemple,
lorsqu’on lui pose un stérilet ou qu’on lui fait subir une opération de stérilisation). Il convient
aussi de prendre en compte les grandes différences de situations auxquelles on peut avoir à faire
face. Il existe tout d’abord différents types de déficiences mentales 75, qui ne sauraient être
abordées de la même manière les unes et les autres. Il existe ensuite à l’intérieur d’un groupe de
personnes atteintes de la même déficience ou de la même pathologie des différences sensibles
selon le degré de handicap, le milieu social dans lequel elles vivent, les relations familiales ou
amicales que ces personnes entretiennent. Ainsi, face à des femmes qui sont suffisamment
autonomes, qui bénéficient d’un entourage quotidien suffisant et d’un encadrement adéquat, la
solution de la stérilisation apparaît beaucoup trop radicale alors que la simple prise de pilule, qui
n’a pas un caractère irréversible, est suffisante et consiste en une intervention beaucoup moins
lourde sur le plan médical. La seule et meilleure solution ne saurait donc être en aucun cas la
stérilisation, comme l’affirme le CCNE dans son avis 49. Il faut de plus, veiller à ce que le fait
de surveiller la contraception d’une personne handicapée mentale, ne revienne pas à exercer un
contrôle abusif sur la personne handicapée ou sur ses activités. Le CCNE 76 souligne à ce titre les
grandes inégalités sociales qui caractérisent aussi une partie du problème face aux possibilités
d’accès à un suivi gynécologique et médical de qualité pour les personnes handicapées.
L’avis numéro 49 du CCNE portant sur la contraception chez les personnes handicapés mentales
propose un certain nombre de conditions à remplir lorsque la stérilisation est demandée par une
personne tierce. Les médecins doivent tout d’abord s’assurer de l’état d’incapacité de
l’intéressé(e) et être certains qu’aucune évolution du comportement ou de l’état de la personne
n’est envisageable. Dans tous les cas, l’avis de l’intéressé(e) doit être recherché. La déficience
dont est atteinte la personne handicapée doit être sévère, le risque génétique devant être évalué
75
76
Pour un panorama complet sur les différents types de déficiences et d’anomalies, consulter l’annexe 5
CCNE, « Rapport sur la stérilisation envisagée comme mode de contraception définitive », avis numéro 50 du 3 avril 1996
78
au cas par cas. La personne doit aussi être fertile, avoir une activité sexuelle et être âgé d’au
moins 20 ans. Les praticiens doivent ensuite s’assurer qu’aucune autre méthode contraceptive
n’est praticable chez l’intéressé(e). Si c’est bien le cas, la technique de stérilisation qui doit être
pratiquée est celle qui offre les plus grandes chances de réversibilité.
En outre, afin que les conditions d’évaluation soient les meilleures possibles, le CCNE préconise
dans cet avis un processus à suivre pour les démarches et les modalités de prise de décisions. Les
demandeurs de l’intervention doivent justifier leur requête et cette demande doit être examinée
par le médecin consultant et par des confrères.
Il convient d’assurer la défense des droits et des intérêts des personnes incapables par différents
procédés : tenter de parvenir à une décision collective plutôt que de privilégier la délégation
d’autorité. De fait, la décision de stérilisation est un acte d’une extrême gravité et ne saurait
reposer sur une seule personne. Par ailleurs, il semble au CCNE indispensable que l’ensemble du
processus se fasse sous le contrôle et dans le cadre d’une commission composée de
professionnels qui travaillent avec des personnes handicapées mentales regroupant à la fois des
assistantes sociales, des médecins et des juristes. Il convient bien entendu de garantir
l’indépendance de cette commission par rapport à la famille ou aux tuteurs des handicapées
mentales dont l’avis ne saurait être neutre et objectif. De fait, ces personnes trop impliquées
émotionnellement et affectivement dans la vie de l’handicapé ne sauraient être à la fois juge et
partie.
Le recours à la justice doit être rendu possible. Enfin, il s’agit d’assurer un suivi de la personne
incapable, même après la stérilisation.
Malgré cet ensemble de précautions préconisées par le CCNE, l’INSERM a révélé par le
biais d’une enquête réalisée en 1997 qu’il se pratiquait chaque année en France une trentaine de
stérilisations contraceptives sur des personnes handicapées. L’Association de défense des
Handicapés de l’Yonne a d’ailleurs déposé une plainte suite à cette révélation. La loi du 4 juillet
2001 est intervenu dans ce contexte, insérant un article 2132-2 dans le Code de la santé publique.
Depuis cette loi, la stérilisation contraceptive sur des personnes handicapées mentales ne peut
plus être pratiquée que sous certaines conditions : il faut notamment qu’il existe une contreindication absolue aux méthodes de contraception habituelles ou une inefficacité de ces mêmes
méthodes dans leur mise en œuvre. C’est le juge des tutelles qui donne son autorisation pour la
pratique d’une telle intervention, après avoir solliscité l’avis d’un comité d’experts.
79
b- Le sort des enfants à naître
Les demandes de stérilisation concernent dans la majorité des cas les jeunes filles ou
femmes qui pourraient donner naissance à un enfant qu’elles ne se sentent pas capables d’élever
ou alors qu’elles ne peuvent pas élever car elle ne sont pas en mesure de le faire. Les demandes
viennent surtout des familles qui sont désorientées au moment où leur enfant entre dans la
puberté et donc est en âge de procréer, tout en étant pas forcément apte à prendre des décisions
en connaissance de cause dans ces domaines. Les familles, comme le signale le CCNE,
s’interroge aussi sur le sort de l’enfant à naître. Deux cas sont alors à mettre en évidence. Malgré
une pensée largement admise, ce n’est que dans une minorité de cas que les enfants naîtront avec
la même déficience que leurs parents. L’autre préoccupation semble par contre plus justifiée. De
fait, le plus souvent, les enfants naissent normaux, mais sont alors exposés à des risques de
« carences éducatives, affectives et intellectuelles lorsqu’ils seront élevés par leurs parents, et
ceci malgré une assistance de la famille ou des services adaptés… ». De toute façon, dans le cas
où les parents envisagent d’élever eux-mêmes leur enfant, c’est au prix d’une assistance
familiale ou institutionnelle quasi-permanente. En outre, il est possible que les parents n’étant
pas en mesure d’élever leurs enfants, ceux-ci soient adoptés et donc soumis aux aléas de toute
procédure d’adoption. Enfin, il est permis de penser que la blessure émotionnelle que suppose la
séparation d’une mère de son enfant soit plus profonde que le fait de ne pas connaître comme les
autres femmes une maternité. En effet, cela ne ferait que démontrer l’incapacité de la femme ou
du couple handicapé d’accomplir son rôle de parents. La science médicale ne connaît à l’heure
actuelle pas encore avec précision la capacité des personnes handicapées mentales à élever des
enfants et à assumer leur rôle de parents.
Il faut aussi savoir que quelque soit la solution adoptée, le mot clef est l’accompagnement de la
personne ou du couple. Il faut déterminer à quel moment l’entourage familial pourra prendre le
relais et bien entendu, il y a ici inégalité de situation face à la façon dont l’entourage familial va
accepter ou non le projet d’enfant. Il convient également de prendre en compte les différentes
situations de handicaps qui existent et qui influent également sur le degré d’autonomie des
personnes handicapées.
80
c- Les précédents historiques de la stérilisation chez les handicapés mentaux
La stérilisation pratiquée sur des personnes handicapées mentales sans leur consentement a
connu ses beaux jours dans le monde entier, notamment avant la Seconde Guerre Mondiale. A
l’époque, ainsi que le souligne le CCNE, le concept de déficience mentale était très flou et
englobait des individus considérés comme « socialement inaptes ». Il s’agissait à la fois de
pauvres, de criminels, d’alcooliques, de personnes handicapées moteurs et sensoriels. La
stérilisation ne représentait dans les faits qu’une mesure parmi une panoplie de moyens visant
plus ou moins à purger la société. Ces mesures, que nous avons déjà évoquées dans
l’introduction de ce mémoire constituaient en des ségrégations sexuelles en institution,
l’interdiction de certains mariage, ou encore un contrôle strict de l’immigration. Un ensemble de
mesures s’appliquaient donc sur ces personnes jugées « socialememt inaptes » ; elles se
justifiaient à la fois par des arguments économiques (confère la doctrine de l’éthique utilitariste),
sociaux et eugéniques, visant à diminuer la population de personnes inaptes dans la population
totale. S’ajoutait à ces différentes mesures des politiques d’incitation à la procréation des classes
dites « supérieures ». La première loi aux Etats-Unis date de 1907 et s’appliquait à l’Indiana.
Dans les années 1930, l’association américaine de neurologie77 recense selon le CCNE des lois
eugéniques dans 27 Etats américains. Le Canada a également connu une telle législation pour la
province de l’Alberta en 192878. La loi a été abrogée en 1972 sous la pression conjuguée des
généticiens et des juristes qui estimaient les stérilisations non volontaires comme une violation
manifeste des Droits de l’Homme. De telles législations ont également été adopté en Suisse, en
Suède et dans un certain nombre de pays nordiques. Peu à peu, des commissions et autres
groupes de réflexion ont vu le jour. Ils ont condamnés de telles législations et érigé des barrières
juridiques à de telles pratiques. Dans une recommandation du 23 mars 1994 relative à la
psychiatrie et aux Droits de l’Homme, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a
demandé qu’ « aucune atteinte irréversible ne soit portée aux capacités reproductives de
l’individu ».
Cependant, de telles lois et pratiques n’ont pas totalement disparu comme en témoignent
l’ « Abortion and Sterilization Act » adopté en 1975 en Afrique du Sud qui légalise la
stérilisation des personnes handicapées mentales ou encore une loi adoptée par la Chine en 1994
“The Comittee of the American Neurological Association for the Investigation of Eugenical Sterilization.
Eugenical Sterilization. New York: The Macmillan Company, 1936. Reprinted by New York:Arno Press, 1980” in
CCNE avis numéro 49. Pour plus de précisions voir l’arrêt de la Cour suprême de 1927 « Bucks vs Bell »
78
Alberta Sterilization Act.
77
81
destinée à « améliorer la qualité de la population des nouveau-nés ». La loi chinoise préconise le
report du mariage si l’un des époux souffre de troubles mentaux ou d’une maladie sexuellement
transmissible et la contraception, voire la stérilisation si l’un des époux est atteint d’une maladie
génétique grave. Les médecins sont également obligés de recommander l’IVG si le fœtus souffre
de défauts ou de maladies génétiquement graves.
Le recul et l’abandon de telles lois eugéniques s’expliquent par la possibilité d’utiliser d’autres
moyens de contraception pour les femmes handicapées mentales. Il reflète aussi un rejet des
idéologies qui ont été à la base de telles législations. Enfin, on connaît aujourd’hui mieux les
modes de transmission des déficiences mentales, les transmissions génétiques ne représentant
qu’une infime quantité de cas.
Or, comme le rappelle le CCNE, toutes les familles philosophiques et spirituelles s’accordent
pour affirmer l’existence d’un droit à procréer. Ce droit permet à chacun de rendre possible le
droit pour chacun de fonder une famille, reconnue par la DDHC en son article 16-1.
Comme l’a souligné le CCNE dans son avis numéro 49, la question épineuse de la stérilisation
des personnes handicapées révèle une fois de plus les limites d’un système face à un égal accès à
des soins de qualité pour les personnes handicapées. En outre, si la stérilisation permet
d’empêcher les grossesses, elle ne règle pas le problème des violences perpétrées à l’encontre
des jeunes filles handicapées mentales qui font trop souvent l’objet d’agressions sexuelles. Ces
jeunes filles-femmes peuvent rencontrer ce type de violences à l’occasion de fugues mais
également, et c’est bien plus grave, dans leur milieu institutionnel ou familial d’accueil. En
outre, la stérilisation pourrait rendre encore plus vulnérable la jeune fille face aux agressions
sexuelles. Par ailleurs, l’interdiction d’une vie sexuelle peut aussi être ressentie comme une
violence et une telle alternative est aussi à écarter. La réponse qui doit être apportée à ce
problème de fond dépasse le simple cadre de la contraception et doit faire l’objet d’une réflexion
globale qui englobe l’environnement et l’entourage des personnes handicapées mentales.
82
Conclusion : Repenser le système d’indemnisation du handicap en France79
La Cour de cassation justifie son arrêt du 17 novembre 2000 dit arrêt « Perruche » en le
fondant sur la question du devenir des enfants handicapés après la disparition de leurs parents.
Les handicapés vivent en effet de plus en plus longtemps. (car leur espérance de vie a
augmenté avec l’espérance de vie moyenne, et grâce aux progrès de la médecine dans ce
domaine) mais les structures spécialisées restent en nombre insuffisants. Un article du Monde80
nous a permis de faire un état des lieux de la situation des personnes handicapées en France
aujourd’hui. En effet que deviennent les handicapés quand leurs parents ne peuvent plus les
prendre en charge ou décèdent ?
D’après les témoignages d’un certain nombre de parents, il arrive que les enfants handicapés
soient renvoyés d’établissement en établissement, les structures étant spécialisées pour tel ou tel
handicap. D’après mon expérience personnelle, j’ai également pu rencontrer des enfants
handicapés pris en charge en établissement, mais ces établissements n’étant pas spécialisés pour
leur cas particulier, ils ont éprouvé de grands problèmes d’intégration.
Les personnes handicapées mentales vieillissantes rencontrent, elles aussi, de véritables
difficultés. Le Monde cite à ce titre une étude réalisée dans le livre de la Fondation de France,
« Les accompagner jusqu’au bout du chemin » (éditions de l’école nationale de la santé
publique) par les chercheurs du Centre régional pour l’Enfance et l’Adolescence Inadaptées - Ile
de France. Ils estiment qu’environ 50 000 personnes se trouveront dans les dix années à venir
dans une situation problématique en terme d’accueil et de prise en charge. Cette population a
d’ailleurs tendance à augmenter parallèlement à l’augmentation de l’espérance de vie. Il n’est
plus rare aujourd’hui que les handicapés mentaux dépassent les 60 ans. Les structures avaient en
effet été bien pensées lorsqu’elles avaient été mises en place, (loi d’orientation sur le handicap de
1975) mais la réalité n’est aujourd’hui plus la même : auparavant, les handicapés disparaissaient
avant d’être âgés. Patrick Gohet (directeur général de l’Unapei) explique que dès lors qu’un
adulte handicapé qui bénéficiait de l’allocation pour adulte handicapé est admis en maison de
retraite, celui-ci perd le bénéfice de cette allocation et perçoit uniquement le minimum vieillesse,
système beaucoup moins avantageux. Le Conseil Economique et Social a d’ailleurs publié un
79
Pour plus de précision, voir annexe 6 sur les chiffres clefs du handicap en France
Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Les parents de handicapés vieillissants face aux carences de la prise en
charge », 9 janvier 2002
80
83
rapport en 1998 qui montre qu’en cas d’hébergement, les rigidités juridiques et financières font
que c’est le statut des structures qui prévaut sur celui des personnes. De l’avis du rapport, c’est le
cap des 60 ans qui reste le plus difficile car les parents ne sont souvent plus là pour s’occuper
d’eux, et les frères et sœurs ne peuvent pas toujours assurer la même prise en charge. En outre,
pour les handicapés qui ont été actifs, c’est l’âge auquel ils ne peuvent plus travailler dans les
Centres d’Aide par le Travail et la rupture est alors rude et les dépressions ne sont pas rares, les
rituels et les habitudes étant chez ces personnes très importants.
Trois types de solutions sont envisageables :
-
le placement dans une famille d’accueil, qui a pour avantage d’être une solution
relativement souple. Cependant, ses détracteurs considèrent que les handicapés ont
droit à prétendre à une véritable vie sociale et culturelle. Il arrive en effet
malheureusement dans certains cas que la personne handicapée soit placée toute la
journée devant la télévision dans son fauteuil, afin que la famille d’accueil n’ait pas à
s’occuper d’elle.
-
L’accueil en maison de retraite soulève quant à lui un véritable problème
d’adaptation, à la fois de l’établissement et de son personnel à deux catégories de
personnes : des handicapés souvent quinquagénaires et des autres pensionnaires
septuagénaires voire octogénaires. La cohabitation entre ces deux groupes peut
d’ailleurs s’avérer compliquée.
-
Les maisons d’accueil spécialisées enfin apparaissent comme la meilleure des
solutions. Cependant, c’est peut être en raison de cette qualité qu’elles offrent un
nombre de places limité.
Il convient aussi de rappeler que beaucoup attendent que les personnes handicapées
s’adaptent à la vie normale. Il faudrait cependant prendre conscience que notre capacité
d’adaptation à ces personnes est également mise à l’épreuve et qu’il appartient à chacun de nous
de donner du nôtre pour rendre notre société plus vivable et plus accessible pour les personnes
différentes de nous.
La décision du gouvernement Raffarin d’intégrer un handicapé dans l’équipe du ministère qui
s’occupe des personnes handicapées semble prometteuse, il faudra voir dans quelle mesure elle
portera ses fruits.
84
Le CCNE81, dans le cadre d’un avis rendu à propos de l’affaire Perruche sur la demande de Mme
Elizabeth Gigou, alors Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, souligne les graves carences dans
la reconnaissance des droits des handicapés. Il estime que ces carences concernent « tous les
aspects de la vie de l’enfant et de l’adulte handicapé : la prise en charge éducative des enfants,
l’accès à la formation et au travail pour les adultes, l’adaptation de l’habitat aux problèmes de
la déficience, l’accessibilité aux transports et, plus largement, à la ville-voire à l’hôpital -, la
reconnaissance et le soutien des aidants… ». Pour s’en rendre compte, il n’est d’ailleurs pas la
peine de chercher bien loin : dans les bâtiments de l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg
par exemple, l’accès à la bibliothèque de la préparation ENA est impossible pour une personne
en fauteuil roulant, à moins qu’elle ne soit portée…
L’emploi est également un exemple frappant : la réglementation prévoit en effet que l’embauche
de personnes handicapées doit représenter 6 % des besoins en personnel totaux. Cette moyenne
est cependant bien loin d’être atteinte, et ce, même dans le secteur public ! La responsabilité de
la société envers ses membres handicapés est encore très faible et explique la difficile
intégration, pour ne pas dire l’exclusion, des personnes différentes. L’intégration est d’ailleurs
d’autant plus difficile selon le type de handicap ainsi que l’explique l’Association des Paralysés
de France dans ce même avis du CCNE : « Le handicap mental plus que le handicap physique, la
déficience visible plus que l’intime sont rejetés, et le seuil de rejet est en constante
diminution… »
C’est d’ailleurs, comme beaucoup de commentateurs l’ont relevé, ces carences de prise
en charge des personnes handicapées auxquelles a tenté de pallier l’arrêt Perruche, qui a essayé
de leur conférer de réels moyens de vivre et non plus de survivre. Il convient de prendre
l’ensemble de ces problèmes à bras le corps pour pallier à ces différentes et trop nombreuses
carences, et tout particulièrement en ce qui concerne les déficits des places d’accueil dans les
établissements spécialisés. Le CCNE souligne à ce titre le fait que l’Etat et les départements se
doivent de prendre eux-mêmes les initiatives et de tout mettre en œuvre pour améliorer les
conditions de vie des handicapés et non pas seulement se contenter de soutenir de trop loin des
projets dont les associations ont pris l’initiative, associations qui manquent bien souvent
cruellement de moyens et dépendent de la bonté des citoyens. L’aide apportée aux familles doit
aussi être revue, pour celles qui choisissent de garder leur enfant à domicile, qu’il s’agisse de
l’accompagnement psychologique et moral ou du soutien financier qui est absolument
indispensable. Toute cette prise en charge doit être à la fois une priorité qui relève de la solidarité
81
CCNE, « Handicaps congénitaux et préjudice », avis numéro 68 du 29 mai 2001
85
nationale et de la responsabilité politique, et ce, quelque soit la tendance idéologique du
gouvernement. La solidarité nationale doit de fait se manifester à l’égard des personnes
handicapées, que le handicap ait été prévisible et que les parents aient pris volontairement en
charge ces enfants, ou alors que le handicap résulte de fautes ou erreurs médicales. En effet, le
sort de la personne handicapée ne doit pas dépendre des éventuelles indemnités que l’on pourrait
recevoir par le biais de recours judiciaires, même si en cas de faute, les recours ont toute leur
légitimité. Ainsi que le CCNE l’exprime dans son avis numéro 68, il est important de rappeler
l’existence du « devoir impérieux de solidarité de la société en particulier en faveur des plus
malheureux de ses membres ». Cette solidarité doit ainsi s’appliquer à l’égard de la personne
handicapée quelque soit l’origine du handicap, afin de ne pas introduire encore plus d’inégalités.
Le CCNE rappelle d’ailleurs à cette occasion qu’il est important que la décision de la mère de
recourir ou non à une ITG ne se fasse pas en fonction des difficultés matérielles qu’elle aurait
peur de recontrer en raison des carences de la solidarité nationale, mais bien en fonction de ses
convictions morales personnelles et de son appréciation personnelle de la situation à venir.
On peut d’ailleurs en profiter pour critiquer des actions telles que celle de la CPAM de l’Yonne
dans l’arrêt Perruche, qui s’est portée demanderesse pour récupérer les sommes qu’elle avait
engagées et qu’elle considérait comme indues. On comprend en effet mal les motifs de la Caisse
d’Assurance Maladie qui est normalement l’intermédiaire de la solidarité nationale envers les
handicapés.
86
Annexe 6 :
Les chiffres clés du handicap82 :
Il faut savoir que la loi de 1975 ne définit pas le handicap, elle l’évoque en ces termes : « sera
considérée comme handicapée toute personne reconnue par les commissions départementales ».
Les commissions départementales sont les COTOREP. Ce sont des commissions techniques
composées de médecins qui mesurent le niveau d’incapacité de la personne. L’attribution de
l’AAH (allocation pour adultes handicapés) est attribuée à partir de cette évaluation. L’AAH
concerne les personnes âgées d’au moins 20 ans et qui souffrent d’un taux d’incapacité évalué
entre 50 % et 80 %. Au delà de 80 %, les personnes handicapées touchent le minimum invalidité
qui est une allocation qui conerne les invalides civils et les invalides de guerre83.
Il n’y a pas de données complètes sur la population handicapée mentale. D’après l’enquête
décennale de santé de 1991, le nombre de personnes déclarant une gêne ou un handicap s’élevait
à 5 480 000 et l’allocation d’éducation spéciale était versée à 101 000 bénéficiaires tandis que
l’allocation aux adultes handicapés (AAH) bénéficiait à 631 093 personnes.
Le CCNE84 estime qu’il y a actuellement en France environ 2 millions de personnes dont la
déficience, acquise ou congénitale, et l’incapacité engendrent un handicap sévère.
Entre 60 000 et 80 000 personnes handicapés mentales de plus de 40 ans vivent en institution,
tandis que 60 000 handicapés adultes vivent dans leur famille, ne percevant pas l’AAH et dont
les cas ne sont pas gérés par le COTOREP. Des études menées par la Fondation de France dans
neuf départements montrent qu’un peu plus de la moitié des maisons de retraite accueille des
personnes handicapées mentales, ce qui représente un peu moins de 10 % des effectifs.
82
Extraits de : Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Les parents de handicapés vieillissants face aux carences de la
prise en charge », 9 janvier 2002
83
Informations recueillies dans le cours de Pierre Muller enseignant à l’IEP, notamment dans le cadre du cours
intitulé « Questions sociales »
84
« P. Risselin, Handicap et Citoyenneté au seuil de l’an 2000. ODAS Edition, 1998 », in CCNE, « Handicaps
congénitaux et préjudice », avis numéro 68 du 29 mai 2001
87
Sources Bibliographiques:
Jurisprudence :

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Epoux Quarez », conclusions Valérie Pécresse et notes de Bernard Mathieu,
RFDA 13 (2) mars-avril 1997

Cour de cassation, Assemblée pleinière, 17 novembre 2000, Perruche : JCP
2000, II, 10438, rapport Sargos, conclusions contraires Sainte-Rose

Décision 94-343/344 DC du 27 juillet 1994-Loi relative au respect du corps
humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps
humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal,
Revue française de droit constitutionnel 1994
Articles de juristes :

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
FABRE-MAGNAN Muriel, « L’affaire Perruche :une troisième voie », ( Débat
autour de l’ arrêt Perruche), Droits, Revue Française de théorie, de philosophie
et de culture juridique, numéro 35, octobre 2002, page 119 à 133

SERIAUX Alain, « Morales sur Perruche », Droits, Revue Française de
théorie, de philosophie et de culture juridique , numéro 35, octobre 2002, page
135 à 141

VINEY Geneviève, « Brêves remarques à propos d’un arrêt qui affecte l’image
de la justice dans l’opinon », JCP, La semaine juridique édition générale,
numéro 2, 1o janvier 2001, page 65

GAUTIER Pierre-Yves, « Les distances du juge » à propos d’un d’un débat
éthique sur la responsabilité civile, JCP, La semaine juridique édition générale,
numéro 2, 1o janvier 2001, page 66
88

EDELMAN Bernard, « L’arrêt Perruche :une liberté pour la mort ? », Droits,
Revue Française de théorie, de philosophie et de culture juridique, numéro 35,
octobre 2002, page 151 à 161
Ouvrages :

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libéral ?, Editions Gallimard, collection nrf essais, 2003, 180 pages

Professeur TUCHMANN-DUPLESSIS (chaire d’embryologie de la faculté de
médecine de Paris), Embryologie, Travaux pratiques - enseignement dirigé,
Masson et Cie Editeurs, Paris, 114 pages

HUXLEY, Le meilleur des mondes, édition Pocket , 2002, 153 pages
Articles de journaux:

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l’échographie fœtale », 8 juillet 2001

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
Jean-Yves NAU, Le Monde, « L’arrêt Perruche a suscité une controverse
juridique et philosophique sur le « préjudice de vie », 8 juillet 2001

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juin 2001

Sandrine BLANCHARD, Le Monde, « Le Conseil d’Etat juge la loi antiPerruche « laconique et peu claire » », 24 novembre 2002

Michelle GOBERT (professeur émérite de l’université Paris-II), propos
receuilli par Cécile PRIEUR, Le Monde, « Toute faute engage la responsabilité
de celui qui l’a commise », 10 novembre 2002

Ségolène ROYALE (alors ministre déléguée à la famille, à l’enfance et aux
handicapés), propos receuillis par Paul BENKIMOUN, Le Monde, « La
89
proposition Mattéi remet en cause le droit de la responsabilité », 13 décembre
2001

Didier SICARD (chef de médecine interne à l’hôpital Cohin, présidant du
Comité Consultatif National d’Ethique), Le Monde, « Une société de
réparation », 6 décembre 2001

P.Be, Le Monde, « Le gouvernement veut apaiser l’émotion suscitée par l’arrêt
Perruche », 10 janvier 2002

Cécile PRIEUR, Le Monde, « L’arrêt Perruche a accordé pour la première fois
une indémnisation aux enfants », 9 janvier 2002

Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Les parents de handicapés vieillissants face
aux carences de la prise en charge », 9 janiver 2002

Claude SUREAU (ancien président de l’Académie nationale de Médecine), Le
Monde, « Arrêt Perruche contre arrêt Quarez ? », 13 décembre 2001

Le Monde, « Les socialistes et les communistes sont en désaccord sur l’arrêt
Perruche », 12 décembre 2001

P.Be, Le Monde, « Le débat sur l’arrêt Perruche est suspendu avant le vote »,
13 décembre 2001

Sandrine BLANCHARD, Le Monde, « Le risque au quotidien dans un cabinet
d’échographie à Paris », 13 décembre 2001

Le Monde, « Les gynécologues demandent une prise en charge « digne » pour
les handicapés », 7 décembre 2002

Le Monde, « Face à l’arrêt Perruche, Bernard Kouchner reste « perplexe » », 5
décembre 2001

Bertrand POIROT-DELPECH ( de l’Académie française), Le Monde, « C’est
naître qu’il aurait pas fallu » (pastiche), 5 décembre 2001

Cécile PRIEUR, Le Monde, « La Cour de cassation affirme défendre le
« respect effectif » de l’enfant handicapé », 30 novembe 2001

Paul BENKIMOUN, Le Monde, « Les médecins dénoncent une pression moral
et financière « insupportable » », 30 novembre 2001

Sandrine BLANCHARD, Le Monde, « L’indémnisation d’un enfant trisomique
relance le débat sur l’arrêt Perruche », 30 novembre 2001

Jean-Yves NAU, Le Monde, « 2003, année bioéthique », 10 janvier 2003
90

Jean-Yves NAU, Le Monde, « Bioétique : le philosophe et les sénateurs », 22
janvier 2003
Autres Sources :

Jérôme BOILLAT, « La vie dommageable », mémoire de fin d’études à l’IEP,
2001, 93 pages

Mireille HEERS, alors vice-présidente du Tribunal Administratif de
Strasbourg, Cours de Droit de la Biomédecine, année 2001

Professeur (de la faculté de médecine de Strasbourg) Israel NISAND, cours de
première année de médecine, « L’IVG en France »

Professeur Israel NISAND, cours de première année de médecine, « De
l’eugénisme au génocide, histoire de la bioéthique »

Docteur WEBER J.C., cours de médecine de première année, « Initiation à
l’éthique médicale, cours de présentation »

Docteur WEBER J.C., cours de médecine de première année, «Histoire et
actualité de la pensée éthique, Kant et sa postérité contemporaine »

HEILMANN Eric, cours de médecine de prenière année, « Les fondements
juridiques de la bioéthique »

CCNE, avis numéro 5 du 13 mai 1985, « Avis sur les problèmes posés par le
diagnostic prénatal et périnatal. Rapport ».

CCNE, « Avis numéro 42 sur l’évolution des pratiques d’assistance médicale à
la procréation. Rapport. »

CCNE, « Rapport sur la stérilisation envisagée comme mode de contraception
définitive », avis numéro 50 du 3 avril 1996

CCNE, « avis sur la contraception chez les personnes handicapées mentales »
Rapport numéro 49 du 3 avril 1996

CCNE, avis numéro 60 « Réexamen des lois de bioéthique », 25 juin 1998
91

CCNE, avis numéro 67 « Avis sur l’avant-projet de révision des lois de
bioéthique », 18 janvier 2001

CCNE, « Handicaps congénitaux et préjudice », avis numéro 68 du 29 mai
2001

CCNE, « Reflexion sur l’extension du diagnostic préimplantatoire », avis
numéro 72 du 4 juillet 2002
Législations :

Loi 75-534 du 30 juin 1975, « Loi d’orientation en faveur des personnes
handicapés »

Décrêt Numéro 95-1000 du 6 septembre 1995 portant Code de Déontologie
Médicale

Loi 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain

Loi 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et
produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au
diagnostic prénatal.

Assemblée nationale, Commission des affaires culturelles, familiales et
sociales, jeudi 29 mars 2001, table ronde organisée et présidée par Claude
Evin : « arrêt Perruche :Faut-il légiférer ? »

Loi 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse
et à la contraception

Dictionnaire permanent bioéthique et biotechnologies, bulletin 96, 4 janvier
2001. Analyse du projet de loi en cours de discussion au Parlemet (sur l’IVG et
la contraception)

Dictionnaire permanent bioéthique et biotechnologie, in avril 2001 « Examen
par le Sénat du projet de loi relatif à l’interruption volontaire de grossesse et à
la contraception ».

Rapport parlementaire numéro 1407 sur l’application de la loi sur la bioéthique
Sources internet :
92

www.assemblée-nationale.fr

www.cour-cassation.fr

www.conseil-d-etat.fr
Rapport numéro 1047 sur l’application de la loi sur la bioéthique sur le site :

http://www.assemblée-nationale.fr/2/oecst/bioéthique/rl407-01.htm, consulté le
22 avril 2000
93
TABLE DES MATIERES
Avant-Propos
1
Introduction
2
1. L’arrêt Perruche
11
1.1. Les circonstances de l’affaire
11
1.1.1. Les faits dans le cas d’espèce
11
1.1.2. Une procédure qui se ralonge
12
1.2. La solution de la Cour de cassation et ses motivations
13
1.2.1. La solution retenue par la Cour de cassation
13
1.2.2. Les motivations de la Cour
14
a- La question de la responsabilité et du préjudice en matière d’IVG
14
b- La problématique du lien de causalité
16
c- Le principe de respect de la personne humaine
18
d- La question des risques de dérives eugénistes
19
1.3. Les justifications apportées a posterirori
21
1.3.1 Les justifications apportées par la Cour de cassation
21
1.3.2. Les justifications de la doctrine
22
a- L’arrêt Perruche : une conséquence de la loi de 1975
22
b- La question du lien de causalité
22
c- Sur la question de l’obligation qui pèse sur les médecins
24
d- Sur les risques de dérives eugénistes
24
e- Sur la dignité de la personne humaine
25
f- Vers une reconnaissance juridique de l’embryon
25
94
g- Sur la question de la valeur de la vie handicapée
26
1.4. Les problèmes juridiques et éthiques soulevés par l’arrêt de la Cour de
cassation
2. Le caractère novateur de la décision de la Cour par rapport aux jurisprudences
traditionnelles
29
2.1 Les solutions contraires
29
2.1.1 Les solutions contrastées dans les pays étrangers
29
2.1.2 Les solutions en France
30
a- La jurisprudence judiciaire

L’état de la jurisprudence avant les deux arrêts de la première chambre
civile de la Cour de Cassation du 26 mars 1996


30
30
Les deux arrêts de la Cour de Cassation du 26 mars 1996
31
b-La jurisprudence administrative
31
L’arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 1997 « Quarez ». 31
2.2 Les motivations du Conseil d’Etat
2.2.1. Sur la question de l’existence d’une faute
32
32
2.2.2. La naissance d’un enfant handicapé peut-elle être préjudiciable pour ses
parents ?
32
2.2.3. La naissance d’un enfant handicapé peut elle être considérée comme un
préjudice indemnisable pour l’enfant lui-même ?
2.3 La position des détracteurs de l’arrêt « Perruche »
95
34
36
2.3.1. Le principe du respect de la personne humaine
36
2.3.3. La question du lien de causalité
37
2.3.3. La dignité de la personne handicapée
38
2.3.5
La transformation de l’obligation de moyens en une obligation de résultats
pour les médecins
42
2.3.6. Le risque de dérives eugénistes
2.3.7
L’incidence de l’arrêt Perruche sur l’image de la Justice
44
46
L’affaire Perruche :un débat qui touche tous les aspects de la sphère publique 47
3.
3.1 L’intervention du législateur
47
3.1.1 La nécessité de légiférer
47
3.1.2. La loi du 4 mars 200285 sur le droit des malades et l’efficacité du système
de santé
48
3.2 Les failles de la loi du 4 mars 2002
50
3.2.1. Un dispositif « anti-Perruche » incomplet
50
3.2.2
51
Les risques de déresponsabilisation des médecins
3.2.3. Une loi ne répondant pas au problème de l’insécurité juridique
52
3.2.4. La question de la légitimité de l’intervention du législateur
52
3.2.5 Une loi inconventionnelle ?
52
4. Les possibilités de dérives plus préoccupantes vers l’eugénisme et la réification de
l’embryon.
56
4.1 Quelques rappels sur le diagnostic prénatal
56
4.2 Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP)
58
4.3.3
85
Les risques inhérents à toutes les formes d’AMP
60
a- Des taux de succès relativement faibles
60
Bulletin Officiel (BO) du 5 mars 2002
96
bembryonnaires
Grossesses multiples et réductions
60
c- Les différentes évolutions de l’AMP et la remise en cause des
schémas familiaux traditionnels
61
4.3.4
Les risques spécifiques entraînés par l’ICSI
4.3.5
Les atteintes à l’embryon dans le cadre de la technique de la
63
cryoconservation des embryons
63
4.3.6
L’instrumentalisation des embryons
64
4.3.7
Les embryons, la recherche médicale et les intérêts économiques 66
a- Les limitations de la recherche sur l’embryon
66
b- La recherche sur les cellules souches embryonnaires
68
c- L’opportunité d’autoriser le clonage thérapeutique
69
4.3. Le diagnostic préimplantatoire (DPI)
4.3.2
Le risque de sélection des embryons et de dérives eugénistes
4.3.2. La place des handicapés dans la société
4.4 La stérilisation des handicapés mentaux
71
73
75
75
4.4.1
Brèves remarques sur la stérilisation
76
4.4.2
La stérilisation pratiquée chez les personnes handicapées mentales 78
a- Le problème du consentement libre et éclairé de la personne handicapée 78
b- Le sort des enfants à naître
81
c- Les précédents historiques de la stérilisation chez les handicapés mentaux 82
Conclusion : Repenser le système d’indemnisation du handicap en France
84
Annexe 1
88
Annexe 2
93
Annexe 3
98-A
Annexe 4
98
Annexe 5
103
97
Annexe 6
110
Sources bibliographiques
111
Table des matières
116
98
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