RSCA n°1: Une pneumopathie atypique
Fanny BOTHOREL, novembre 2010 - avril 2011
Tuteur: Dr J. Brami
DESCRIPTION DE LA SITUATION CLINIQUE
Interne de premier semestre aux urgences de l'hôpital Ambroise Paré à Boulogne, je débute
ma garde en ce 26 février 2011 et je me rends dans un box pour voir une patiente, Mme M.
Mme M. m'explique qu'elle est venue aux urgences car elle a de la fièvre, une toux et des
expectorations évoluant depuis 3 jours.
Mme M. âgée de 34 ans, caucasienne, mariée avec un enfant adopté, est auxiliaire de vie pour
personnes âgées et a comme antécédents plusieurs FIV ayant échoué et une grossesse extra utérine.
En l'interrogeant, je ne retrouve pas de notion de contage, ni de voyage à l'étranger.
La patiente est effectivement fébrile à 38,6°C, tachycarde à 108 bpm, avec une hémodynamique
conservée. Elle est eupnéique avec une saturation en oxygène à 99% en air ambiant. A l'examen
clinique, je trouve un foyer de râles crépitants en base droite, le reste de l'examen étant normal.
Devant cette suspicion de pneumopathie aigüe communautaire, je prescris pour cette patiente une
radiographie de thorax. Mon sénior me demande de rajouter un bilan sanguin, prescription quasi
systématique aux urgences. Au début de mon stage, je m'étais fait la remarque qu'on prescrivait
beaucoup de bilans sanguins ou de radiographies pour les traumatismes sans respecter les
recommandations des consensus. Un de mes séniors m'avait alors répondu qu'il était d'accord, mais
qu'il y avait une obligation de moyens aux urgences par rapport à la médecine de ville, avec des
patients souvent très demandeurs.
Après m'être occupée d'autres patients, je me ré-intéresse au cas de Mme M. Je regarde sa
radiographie thoracique et découvre, comme suspectée, une pneumopathie franche lobaire aigüe du
lobe inférieur droit. Je vais voir Mme M. en salle d'attente et lui explique qu'elle a une infection
pulmonaire, que l'infirmière va venir lui donner un comprimé d'antibiotique (amoxicilline), et que
les résultats de son bilan sanguin sont toujours en attente.
Plus tard, le bilan sanguin s'affiche enfin sur l'écran de l'ordinateur. Il existe un syndrome
inflammatoire avec une procalcitonine à 1.1 ng/ml sans hyperleucocytose (les neutrophiles étant
même plutôt bas à 2500/mm3), une thrombopénie à 129 000/mm3, une hyperprotidémie à 91g/L,
avec un ionogramme sanguin et une fonction rénale normale.
Je discute des résultats biologiques avec mon sénior et nous décidons de proposer à Mme M. une
sérologie VIH qu'elle accepte. Nous lui expliquons qu'elle sera reconvoquée pour lui donner les
résultats de la sérologie VIH et la surveillance de sa pneumopathie. La patiente rentre chez elle avec
une ordonnance de Clamoxyl 1gx3/jour pendant 10 jours et de paracétamol.
Quelques jours plus tard, mon sénior me montre le résultat de la sérologie VIH qui est revenue
positive. Comme prévu dans le protocole des urgences et de l'hôpital, la patiente a été reconvoquée
par le service de médecine interne qui possède une consultation dédiée au VIH, pour l'annonce du
diagnostic et la prise en charge future. Ni mon sénior, ni moi n'étions présents lors de cette
consultation.
LES QUESTIONS POSEES
1. La prescription d'un bilan sanguin aux urgences était-elle abusive devant cette pneumopathie
aiguë communautaire ?
2. Quand proposer une sérologie VIH ? Quelles sont les modalités du dépistage ?
3. Quelle est la prise en charge d'un patient infecté par le VIH à partir de l'annonce du
diagnostic ?
4. Comment intervient le médecin généraliste dans la prise en charge de l'infection par le VIH
?
RESOLUTION DES PROBLEMES
1. LA PRISE EN CHARGE D'UNE PNEUMOPATHIE AIGUE COMMUNAUTAIRE
(PAC)
Dans ce service des urgences, chaque patient doit impérativement être revu par un médecin
sénior. Si j'avais prendre en charge seule cette patiente, au vu de sa radiographie de thorax, de
son examen clinique ne montrant aucun signe de gravité et de mes souvenirs de prise en charge
d'une PAC, je n'aurais pas prescrit de bilan sanguin. La patiente serait alors rentrée chez elle avec
une antibiothérapie et des conseils de surveillance, et l'infection par le VIH n'aurait pas pu être
diagnostiquée à cette occasion (sous réserve que l'évolution eût été favorable).
J'ai donc relu avec attention les conférences de consensus de la prise en charge de la PAC.
D'après les recommandations de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF)
et l'AFSSAPS, la radiographie de thorax est le seul examen complémentaire recommandé devant
une pneumopathie aiguë communautaire sans comorbidité ni signes de gravités cliniques.
Encore faut-il pouvoir évaluer la gravité de la PAC. Pour faciliter cette évaluation, il existe plusieurs
scores associant les facteurs cliniques et les comorbidités du patient: le score de Fine (Pneumonia
Severity Index: PSI), le CRB 65, les règles de la British Thoracic Society (BTS) et de l'American
Thoracic Society (ATS).
Le score simplifié CRB 65 paraît le plus adapté à la médecine de ville, étant donné qu'il ne contient
que 4 critères de gravité.
Aux urgences d'Ambroise Paré, nous utilisons aussi beaucoup le score de Fine:
Si la radiographie de thorax montre seulement un foyer de pneumopathie sans signes de
complications, la prise en charge se fait alors en ambulatoire.
Le traitement consiste en une antibiothérapie probabiliste qui doit être active sur les germes les plus
fréquemment retrouvés: Streptococcus pneumoniae, associés à Staphylococcus aureus,
Haemophilus influenzae et streptocoques du groupe A si la PAC survient au décours d'une grippe.
Chez un sujet sain, sans comorbidités ni signes de gravité, l'antibiotique à privilégier est
l'amoxicilline par voie orale (1g, 3 fois par jour) pendant environ 10 jours, actif sur le
pneumocoque. L'efficacité de antibiothérapie doit être évaluée à 48-72h de traitement.
Selon ces mêmes recommandations, un bilan sanguin et microbiologique (ECBC, antigénuries
légionnelle et pneumocoque) est nécessaire seulement s'il existe initialement des signes de gravité,
des comorbidités, ou une non amélioration à 48h d'antibiothérapie probabiliste.
Dans le cas de ma patiente, après la réalisation de la radiographie thoracique, toutes les
conditions étaient réunies pour une prise en charge ambulatoire, sans nécessité de compléter le bilan
complémentaire. Et pourtant si mon sénior ne m'avait pas demandé de prescrire un bilan sanguin,
nous serions passés à côté du diagnostic précoce d'une infection par le VIH.
Comment est ce que je réagirai devant le prochain patient qui aura une pneumopathie aiguë
communautaire ne nécessitant pas de bilan autre que la radiographie de thorax selon les
recommandations ? Je n'en sais rien, le cas ne s'est pour l'instant pas présenté. Mais je pense que
l'histoire ce cette patiente me fera plus hésiter quant à la prescription ou non d'un bilan biologique.
2. INDICATIONS ET MODALITES DU DEPISTAGE DE L'INFECTION PAR LE VIH
La pneumopathie aiguë communautaire de Mme M. n'était pas en elle me une indication
à la prescription d'une sérologie VIH. C'est devant les anomalies du bilan biologique
(hyperprotidémie, anomalie de la NFS) que la sérologie s'est imposée.
Si le diagnostic d'infection par le VIH n'avait pas été réalisé aux urgences, Mme M. aurait fait partie
des 50 000 personnes en moyenne infectées par le VIH mais ignorant leur séropositivité (année
2008). Cette prévalence de l'infection par le VIH non diagnostiquée est lié à un retard de dépistage
dont certains facteurs ont été mis en évidence (âge 30 ans, mode de transmission autre que par
rapports homosexuels, femmes migrantes, sexe masculin, le fait d’être en couple et le fait d’avoir
des enfants).
Mais est ce que les anomalies observées sur le bilan biologique de Mme M. étaient une bonne
indication à réaliser une sérologie VIH ?
Selon les récentes conférences de consensus, le dépistage du VIH doit être systématiquement
proposé dans les cas suivants et réalisé après accord du patient :
un test de dépistage à toutes les personnes de 15 à 70 ans hors notion d'exposition à un
risque, avec pour principaux acteurs du dépistage les médecins généralistes (en cours
d'évaluation)
personnes ayant des facteurs de risques connus: homosexuels masculins, usagers de drogues
par voie intraveineuse, travailleurs du sexe, personnes originaires d'une zone à forte endémie
(Afrique sub-saharienne, Guyane), avec dépistage annuel
lors d'une suspicion d'infection sexuellement transmissible/HBV/HCV, d'un risque
d'exposition au VIH (relations sexuelles non protégées, viol), lors d'une première
prescription de contraception, en cours d'incarcération
au décours d'une grossesse (ou projet de grossesse), à tous les futurs pères
régulièrement pour les partenaires des personnes infectées par le VIH
en cas de tableau cliniquement ou biologiquement évocateur de VIH
Il s'agit donc de rappeler aussi les signes cliniques évocateurs d'une infection VIH:
en phase de primo-infection pouvant réalisant un tableau de syndrome viral aigu persistant:
fièvre, amaigrissement, éruption cutanée maculo-papuleuse, ulcérations buccales et/ou génitales,
adénopathies disséminées, myalgies/arthralgies, pharyngite, troubles digestifs, céphalées, autres
signes neurologiques (paralysie faciale périphérique, méningo-encéphalite, mononévrite)
zona, candidose buccale ou génitale, leucoplasie chevelue de la langue, diarrhée chronique,
sueurs nocturnes, cachexie
infections opportunistes: candidose œsophagienne, tuberculose, pneumocystose, toxoplasmose
cérébrale, infection à CMV, infections à cryptocoque
cancers: lymphomes, sarcome de Kaposi, cancers invasifs du col utérin, LEMP
Par ailleurs, des anomalies biologiques doivent faire penser à l'infection par le VIH: leucopénie,
thrombopénie, anémie, syndrome mononucléosique (hyperlymphocytose avec grands lymphocytes
basophiles), cytolyse hépatique, hyperprotidémie, hypergammaglobulinémie polyclonale
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