Sandrine Alexandre. Année universitaire 2010-2011. Histoire de la philosophie ancienne S.5. Théâtre et philosophie dans la pensée stoïcienne hellénistique et romaine Exercice sur table comptant pour le contrôle continu Vous proposerez une analyse ordonnée et argumentée de ce texte. Vous pouvez - et devez - vous appuyer sur vos connaissances relatives au système stoïcien, mais l'essentiel est de dégager le problème posé par ce texte-ci Cela seul est bien à quoi est sensible une âme non seulement parfaitement raisonnable, mais généreuse et bien née. Tous les autres avantages sont choses inconsistantes, changeantes. Et c'est pourquoi leur possession s'accompagne d'inquiétude. Que la Fortune bienveillante aille jusqu'à les assimiler sur une même tête : ils pèsent lourdement à leur maître, les accablent toujours et quelquefois même, ils les écrasent. De tous ces hommes que tu vois habillés de pourpre, pas un n'est heureux. Tels ces princes de théâtre à qui le sceptre et la chlamyde 1 sont assignés comme des attributs de leur rôle. Ils se pavanent devant le public faisant la roue, dressés sur leurs cothurnes, puis, à peine rentrés dans la coulisse, ils se déchaussent et reprennent leur taille naturelle. De tous ces personnages que l'argent et les honneurs placent en un faîte élevé, pas un n'est grand. Mais pourquoi paraissent-ils grands? Tu mesures homme et piédestal ensemble. Un nain est toujours petit même juché sur une montagne ; un colosse restera grand même placé dans un puits. A quoi tient notre erreur qui fait notre mal, l'illusion qui nous abuse? A ce que nous ne prisons jamais un homme pour ce qu'il est ; nous ajoutons à la personne, par surcroît, son équipage. Eh bien, quand tu voudras procéder à une estimation exacte, savoir ce que vaut un homme, examine-le à nu. Qu'il dépose son patrimoine, qu'il dépose ses honneurs, toutes les faveurs mensongères de la fortune; qu'il soit même dépouillé de son corps. Regarde son âme, ce qu'elle est, et quelle taille elle mesure ; a-t-il emprunté ou tire-t-il de lui-même sa grandeur? Si l'éclat des épées ne lui fait pas cligner les yeux ; s'il sait qu'il est pour lui sans intérêt que la vie s'exhale de ses lèvres ou par sa gorge ouverte, dis : il est heureux. Heureux, si, à la menace de ces tortures auxquelles nous expose soit un coup du sort, soit l'injustice d'un homme puissant, si, quand on lui parle de fers, d'exil, et de ces vains moyens de terreur dont s'alarme l'imagination, il demeure impassible. […] Les menaces que tu formules aujourd'hui : homme, je me tiens prêt aux accidents de l'humaine condition. D'un mal qu'on s'est représenté d'avance, le choc arrive amorti. Mais aux sots qui ont foi en la Fortune, toujours les aspects de ce monde présentent un aspect nouveau et surprenant. Or, pour les incultes, c'est dans la nouveauté que gît une bonne part du mal. La preuve en est que, ce qu'ils croyaient d'abord pénible, l'habitude le leur fait supporter plus bravement. C'est pourquoi le sage se rend familier les maux à venir. Ce que d'autres ne trouvent léger qu'au prix d'une longue endurance, il se le rend léger en y pensant longuement. On entend parfois dire aux incultes "j'étais sur que cela m'arriverait". Le sage sait toujours que le coup devait lui arriver ; quoi qu'il advienne, il peut dire "je le savais". Sénèque, Lettres à Lucilius, 76. Traduction H. Noblot, revue par P. Veyne. 1 Manteau grec d'une seule pièce, agrafé sur l'épaule. Porté principalement par les cavaliers, les jeunes gens, les voyageurs. A partir d'Alexandre le Grand, la chlamyde pourpre sert de manteau royal.