Schéma 3-1 : Les coûts résultant du processus d`intégration monétaire

Chapitre 3
73
Chapitre 3
Le processus d’intégration monétaire
« intégrer » les fondements théoriques
Dans le chapitre précédent, nous avons analysé une forme spécifique de dynamique
dans le monde monétaire, à savoir l’émergence d’une monnaie internationale qui fait écho au
contexte actuel de globalisation dans l’économie mondiale. Dans ce troisième chapitre de la
présente thèse, nous examinerons une autre forme de dynamique de change sur la scène
internationale, cette fois-ci dans le contexte de régionalisation : il s’agit du processus
d’intégration monétaire, processus institutionnalisé ou mené de manière naturelle par les
forces du marchés. Le présent chapitre vise essentiellement à synthétiser les aspects
théoriques relatifs à ce thème, et servira de cadre d’analyse aux études empiriques que nous
effectuerons dans la troisième partie de cette thèse.
Contrairement au phénomène de monnaie internationale qui représente l’aspect
concurrentiel de la substitution monétaire à l’échelle mondiale, le processus d’intégration
monétaire représente une forme de « cohabitation monétaire » de nature relativement
coopérative, caractérisée par des substitutions multilatérales entre monnaies nationales. Cette
spécificité a une double signification. D’une part, comme ce processus a pour effet de
renforcer le lien entre ces monnaies, il crée, en fait, une nouvelle forme de cohésion
monétaire de celles-ci. A cet égard, le cadre général d’analyse que nous avons établi dans le
premier chapitre ne suffit plus, à lui seul, pour étudier ce phénomène résultant des
substitutions monétaires dans le contexte de régionalisation. Des fondements théoriques
supplémentaires seront nécessaires pour mieux l’examiner. D’autre part, la nature coopérative
de ce processus suggère une participation active des institutions, par opposition au cas général
de « substitution monétaire », ou même au cas de l’émergence de la devise clé. L’étude de
cette forme spécifique de dynamique de change nécessite en conséquence une plus importante
Chapitre 3
74
précision sur des éléments institutionnels qui ont leur propre rôle à jouer au cours d’un
processus d’intégration entre monnaies nationales.
C’est dans cet esprit que nous commencerons, dans la première section de ce chapitre,
par définir de manière précise le terme « intégration », une notion clé dans notre étude. Ce
terme sera dans un premier temps examiné dans le cadre général, puis, dans un deuxième
temps, transposé dans la sphère monétaire. Ces éléments de précision nous permettront
d’introduire ensuite la théorie de la « zone monétaire optimale » introduite par Mundell en
1961, que nous approfondirons dans les deuxième et troisième sections. Cependant, comme
nous l’aurons constaté, cette fait face à des limites, et exige donc d’être complétée par
d’autres fondements théoriques. C’est ainsi que, par le biais de la méthode de « lanalyse
coûts-bénéfices », nous introduirons dans la quatrième section un cadre d’analyse alternatif
pour étudier le phénomène d’intégration monétaire. Enfin, dans la dernière section, nous
montrerons comment « intégrer » ces deux approches analytiques, afin d’établir une synthèse
des théories, laquelle sera appliquée aux études empiriques que nous effectuerons dans la
troisième partie de cette thèse.
I. Des précisions sur le terme « intégration »
Comme nous l’avons souligné précédemment, le phénomène d’intégration monétaire se
distingue de celui de substitution monétaire générale, et exige donc une approche spécifique
pour mieux le comprendre. Mais avant de développer notre cadre d’analyse, nous soulevons
au préalable une question fondamentale : comment définir le terme « intégration » ? Afin de
répondre à cette question, la notion « intégration » est dans un premier temps examinée dans
le contexte de l’espace économique général (sous-section I-1), et dans un deuxième temps
transposée à la sphère monétaire (sous-section I-2).
I-1. Deux approches pour caractériser le concept d’intégration
Il existe dans la littérature économique deux approches, complémentaires plutôt
qu’opposées, utilisées pour définir le terme « intégration » : « l’approche typologique » d’un
côté, et « l’approche par critères » de l’autre. La première approche vise à caractériser le
concept d’intégration par le biais d’une décomposition au sein du terme lui-même, alors que
la seconde approche cherche à l’éclairer en le mettant en parallèle avec son antonyme, à
savoir le terme « désintégration ».
Chapitre 3
75
L’approche typologique propose deux typologies pour tenter d’appréhender le concept
d’intégration. La première est développée par Tinbergen (1954), qui distingue l’intégration
négative de l’intégration positive. La différence entre ces deux éléments réside dans la
manière de parvenir à l’objectif d’intégration. Dans le premier cas, l’intégration se réalise par
la suppression des barrières qui empêchent d’atteindre l’objectif, alors que, dans le second
cas, elle se réalise par la construction de nouveaux éléments qui permettent de se rapprocher
plus rapidement de l’objectif. La définition de Tinbergen souligne, en fait, la profondeur du
processus d’intégration, laquelle reflète l’échelle des domaines affectés au cours de ce
processus. Cooper (1974), quant à lui, propose une seconde typologie qui met en lumière
deux principaux types de protagonistes participant au processus d’intégration : les agents
privés sur les marchés de l’économie d’un côté, et les autorités gouvernementales de l’autre.
Lorsqu’un processus d’intégration est conduit essentiellement par les forces du marché que
représentent les agents privés, il s’agit d’une intégration de nature « market-oriented », et ce
processus d’intégration est considéré comme un ajustement structurel naturel vers un nouvel
équilibre de l’économie. Si un processus d’intégration est, au contraire, impulsé et dirigé par
les institutions, c’est une intégration institutionnalisée, qui a pour ambition, dans certaines
situations, de prendre des mesures discriminatoires vis-à-vis des pays-tiers, afin de mieux
protéger les pays membres. Dans le contexte de régionalisation, un tel processus d’intégration
de nature discriminatoire est qualifié du « régionalisme
1
», qui contraste avec le phénomène
de « régionalisme ouvert », destiné davantage à renforcer la cohésion de la région concernée
qu’à discriminer les pays situés en dehors de cette région.
L’approche par critères appliqué à la définition du terme « intégration » consiste,
quant à elle, à chercher les critères qui distinguent l’intégration de la « désintégration ». Nous
retenons deux critères représentatifs dans la littérature économique. Le premier, proposé par
Holzman (1969), est la réalisation de la parité des prix entre les biens, les services, ou les
facteurs productifs comparables ou homogènes dans l’espace économique en question. Ce
critère, qui détermine le processus d’intégration, se fonde en fait sur la « condition de
l’absence d’opportunité d’arbitrage », nécessaire à une économie équilibrée et intégrée. En
effet, s’il existe un écart de prix au sein d’une telle économie, les agents économiques
profitent tout de suite de cette opportunité d’arbitrage, ce qui entraîne un mouvement de
1
Dans la littérature économique, certains auteurs confondent, en fait, le terme « régionalisme » avec le terme
« régionalisation ». Il faut noter que si le premier est ju négativement par les économistes dits « libre-
échangistes », le second exprime davantage de neutralité et de généralité.
Chapitre 3
76
marchandises de l’endroit le prix est bas vers l’endroit le prix est élevé. A terme, ce
processus dynamique d’ajustement atteint un nouvel équilibre dans lequel la parité des prix se
réalise à nouveau au sein de cette économie. En d’autres termes, si un écart de prix existe de
manière permanente dans une économie, des barrières subsistent tant et si bien que le
mouvement automatique d’ajustement vers la parité des prix ne peut se produire. Cette
présence de barrières qui entravent le mouvement vers l’équilibre reflète l’absence
d’intégration de l’économie en question, et justifie ainsi le rôle de la parité des prix dans la
détermination de l’état d’intégration d’une économie. Pourtant, ce critère de parité des prix
doit être nuancé, en particulier, au regard de la notion de « prix » employée. Si nous parlons
de la parité des prix au regard d’un seul bien, service ou facteur productif, le critère de
Holzman est en fait analogue à la « loi du prix unique ». S’il s’agit, en revanche, de la parité
des prix au regard d’un panier de biens représentatifs, c’est plutôt la « parité des pouvoirs
d’achat (PPA) » que les économistes utilisent dans la modélisation de la détermination des
taux de change. Quelle que soit la notion utilisée, l’application de ce critère à l’appréciation
du degré d’intégration au sein d’une économie demeure toujours délicate, car les biens, les
services ou les facteurs productifs sont, dans l’économie réelle, rarement parfaitement
identiques, ce qui implique que la définition du terme « comparabilité » ou « homogénéité »,
de ces éléments, puisse s’avérer divergente entre économistes.
Le second critère que nous avons retenu dans la littérature économique pour définir le
terme « intégration » par opposition à celui « désintégration », est l’élimination de la
frontière économique. Ce critère fut introduit, entre autres, par Mennis & Sauvant (1972),
puis développé par Pelkmans (1980). Selon eux, la frontière économique se manifeste
essentiellement par une immobilité des biens, des services, ainsi que des facteurs productifs au
sein d’un espace économique donné. Cette immobilité correspond, en fait, aux « barrières »
qui bloquent l’ajustement vers la « parités de prix » que nous avons évoquée précédemment,
et constitue ainsi l’élément clé empêchant tout processus d’intégration de l’économie. En
d’autres termes, si la mobilité des biens, des services ou des facteurs productifs au sein de
l’économie concernée est favorisée par l’élimination graduelle de la frontière économique
existante, nous pouvons dire que cette économie est en train de se diriger vers l’état
d’intégration.
Ces deux critères déterminant l’état d’intégration d’une économie sont
complémentaires. Le premier critère souligne l’état final d’une économie intégrée, tandis que
le second critère marque davantage le processus dynamique propre au phénomène de
l’intégration économique. Mais ils admettent tous les deux l’omniprésence de barrières ou de
Chapitre 3
77
frontières économiques, lesquelles qui dominent et désintègrent l’espace de notre économie.
Cet état de « désintégration » permanente est en fait dû, au sein de notre économie, à
l’existence continuelle de résistances aux échanges, qui ont pour effet d’entraver le
mouvement vers la parité des prix ou la mobilité parfaite des biens, des services ou des
facteurs productifs. Comme le propose Garnaut (1994), les résistances aux échanges dans
l’économie peuvent se diviser en deux catégories : les résistances objectives et les résistances
subjectives. Les premières comprennent les résistances officielles (les mesures officielles pour
raison protectionniste, par exemple) et les résistances non officielles (les coûts de transports et
de communications physiques, entre autres). Quant aux résistances subjectives aux échanges,
elles englobent les éléments sociaux, psychologiques et institutionnels, émanant
principalement de la perception du risque, de l’incertitude du droit de propriété (comme dans
le régime socialiste), et de l’évaluation inéluctable au cours de chaque étape d’une transaction.
En résumé, les résistances subjectives selon Garnaut sont issues à la fois de l’imperfection de
l’information et de la limitation de la rationalité humaine.
Cependant, comme le souligne Ardnt (1993), les résistances subjectives aux échanges
peuvent également avoir une nature objective, compte tenu des limites de la nature humaine.
Une meilleure dichotomie consiste donc en une distinction, entre d’une part, les résistances
exogènes aux échanges, et d’autre part, les résistances endogènes, au regard de l’action
humaine, face au processus d’intégration. Cette dichotomie nous permet de mieux expliquer
pourquoi l’intégration est très souvent une « anomalie » dans l’espace économique. En effet,
le processus d’intégration a certes pour effet de réduire l’ampleur des résistances endogènes
aux échanges dans un espace donné, et d’accélérer ainsi la réalisation de la parité des prix et
la mobilité des biens, des services, et des facteurs productifs. Mais l’élimination des
résistances exogènes aux échanges reste au-delà de la capacité humaine, si bien que les coûts
de transactions issus de ces résistances demeurent non réductibles.
I-2. Définir le concept d’intégration monétaire
En nous basant sur notre analyse précédente concernant la définition de la notion
d’intégration dans le contexte économique général, nous pouvons maintenant étudier les
caractéristiques propres au phénomène d’intégration monétaire sous trois angles : tout
d’abord, sous l’angle de la « profondeur » du processus d’intégration ; ensuite, sous celui des
« protagonistes principaux » de l’intégration monétaire ; enfin, sous celui des « deux critères »
1 / 31 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !