
même si l’on croit au mécanisme néoclassique habituel de transmission de l’inflation par les
anticipations, on peut aussi conclure que la courbe de Phillips à long terme sera horizontale pour
des taux de chômage intermédiaires, encadrés par deux segments de courbe verticale. Ces
relations à long terme sont décrites aux graphiques P3 et P4. Certains chercheurs travaillant dans
les banques centrales reconnaissent l’existence de cette portion horizontale, en l’attribuant à la
grande crédibilité de la banque centrale, acquise grâce aux taux d’inflation relativement stables
des dix ou quinze dernières années. Mais alors, plus grande serait la crédibilité des banques
centrales, plus probable serait la portion horizontale de la courbe de Phillips.
Les conséquences de cette courbe de Phillips à long terme à segment intermédiaire
horizontal sont évidentes. L’existence de cette courbe de Phillips horizontale entraîne l’existence
d’équilibres multiples. Il existerait, à tout instant, une multitude de taux de chômage à inflation
stable. Les banques centrales qui ont réussi à abaisser les taux d’inflation dans les années 1990,
essentiellement en poussant pour un certain temps les taux de chômage au-delà du niveau Uh,
vont donc avoir tendance à garder les taux de chômage au niveau Uh, de crainte de relancer la
spirale inflationniste. Ce que disent les postkeynésiens, c’est que les politiques de la banque
centrale sont inutilement austères, car des taux de chômage bien plus faibles, allant jusqu’au
niveau Ub, pourraient être atteints sans relèvement des taux d’inflation, grâce à des politiques
monétaires (ou budgétaires) expansionnistes, comme les Américains l’ont fait, du moins dans
une certaine mesure et avec assez de succès, pendant la seconde moitié des années 1990.
Tout ceci semble trop beau pour être vrai diront certains. Il faut reconnaître que le
segment horizontal de la courbe de Phillips a davantage de chances de rester stable, fixé au taux
d’inflation historique, sous deux conditions. D’abord, un certains nombre d’économistes
considèrent que des systèmes de négociation collective davantage centralisés et coordonnés sont
mieux conçus pour éviter l’écueil de la spirale inflationniste. C’est déjà ce que pensait Kaldor
(1987), selon lequel l’inflation rampante était associée aux normes salariales de comparabilité et
aux hausses de productivité différenciées entre secteurs. Hein (2002) prétend que des
négociations salariales bénéficiant d’un fort degré de coordination, tant horizontale que verticale,
imposées par l’État ou gérées par les associations patronales, associées à des centrales syndicales
puissantes et représentatives, constituent la meilleure gouvernance possible, et peuvent mener à
des taux d’inflation constants malgré des taux de chômage bien inférieurs au taux de chômage à
inflation faibles calculés par les économistes néolibéraux. Ces négociations intégrées et
coordonnées n’existent évidemment pas dans tous les pays, mais on peut se consoler en se disant
que les États-Unis, malgré l’absence relative de cette condition
, sont néanmoins parvenus à
réduire leur taux de chômage à des niveaux extrêmement bas, sans aucune tension inflationniste,
tant lors de l’expansion précédant le krach de 2001 que lors de l’expansion y ayant succédé.
Évidemment, si le pouvoir des syndicats s’est trouvé anéanti par une succession d’années de fort
chômage, il est peu probable que la reprise mènera à une spirale inflationniste. Mais ce qui
préoccupe les décideurs, c’est une situation où le plein emploi aurait été atteint depuis un certain
temps.
Il y existe tout de même une certaine coordination implicite car les contrats salariaux
consentis par une entreprise, entreprise ‘directrice ou ‘pilote’, sont habituellement repris tels
quels par les autres entreprises de l’industrie.