Éthique et politique A-08 Cours 8
Christiane Gaudreault et Hélène Lemieux, Éthique et politique, notes de cours 8, Cégep de Jonquière H-05 1
Éthique sociale et philosophie politique
Dans cette partie du cours, nous présenterons certains concepts de base en
éthique sociale et nous verrons les principales orientations de la philosophie
politique moderne.
Si la morale concernait en priorité l’agir individuel, la bonne vie, la philosophie
politique (du mot grec polis, qui signifie cité) veut appliquer dans le domaine
social les valeurs qui devraient orienter nos projets de société. La philosophie
politique traite donc de la façon dont nous devrions vivre ensemble, organiser
l’état, développer la communauté, répartir la richesse entre nous, et tous les
autres domaines pratiques liés aux grandes orientations sociales. Il ne s’agit pas
ici de politique partisane, rattachée à des partis politiques, mais plutôt d’un débat
rationnel sur les valeurs qui devraient être priorisées dans la vie commune des
êtres humains. Bien r, certaines valeurs sont directement mises en cause par la
pensée politique. Les valeurs comme la liberté, la justice, l’équité, l’égalité, la
prospérité vont concerner prioritairement la vie sociale.
Toute discussion en philosophie politique exige qu’on distingue la légalité de la
légitimité, le légal étant ce qui est inscrit dans la loi et le légitime, ce qui est
moralement justifié. On peut facilement identifier certaines lois qui ont existé
dans certains pays et qu’on juge illégitimes ou immorales. Par exemple, la loi qui
obligeait dans l’Allemagne nazie à dénoncer les Juifs pour les envoyer dans les
camps de concentration, ou la loi dans certains états américains qui interdisait
aux Noirs de s’asseoir à l’avant des autobus. Si on considère que certaines lois
sont illégitimes, il peut devenir moralement nécessaire d’y désobéir. La notion de
droit est aussi éclairée par cette distinction. En effet, le droit peut concerner
l’ensemble des lois d’un pays, c’est le légal, ce qu’on étudie dans une faculté de
droit, qu’on appelle aussi le droit positif; mais la notion de droit peut aussi
concerner la légitimité, par exemple quand on parle de droits de la personne, il
s’agit alors de droit naturel ou moral. Toute philosophie politique va tenter de
fonder rationnellement des droits moraux et ainsi de s’assurer de la légitimité du
pouvoir et des lois d’un pays.
Depuis ses tout débuts, la philosophie s’est intéressée à la politique. Ce n’est pas
pour rien que Socrate a été condamné à mort! Aujourd’hui, le débat en
philosophie politique porte principalement sur les caractéristiques de la société
juste, chaque théorie mettant de l’avant sa propre vision de la justice sociale.
Pour le libertarien Robert NOZICK, une société juste est une société qui accorde à
ses membres le maximum de liberté. Pour John RAWLS, une société juste est une
société qui traite ses citoyens de façon équitable; pour Kai NIELSEN, une société
juste est une société qui vise l’égalité maximale de ses citoyens. Le débat entre ces
diverses pensées politiques concerne non seulement les philosophes, mais tous
les membres de la société qui sont directement interpellés en tant que citoyens.
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LE LIBERTARISME
La justice comme liberté
Robert Nozick est un philosophe américain en 1938. Dans son livre étonnant,
L’anarchie, l’état et l’utopie, publié en 1974, il défend la position libertarienne.
Grand polémiste, brillant, ironique, Nozick a enseigné à l’université Harvard. Le
libertarisme qu’il met de l’avant puise son inspiration dans la pensée libérale
classique, datant de l’époque des Lumières, mais renouvelé au cours des années
1970. Son œuvre a grandement alimenté la réflexion actuelle sur la société juste.
Afin de mieux comprendre les idées du libertarisme, nous examinerons d’abord
son fondement historique dans le libéralisme classique, puis sa renaissance à la
fin du 20ème siècle dans le néo-libéralisme.
1. Le fondement historique du libertarisme
A. Le libéralisme classique
Le libéralisme est une doctrine politique qui fait de la liberté individuelle, définie
comme un droit naturel, la valeur suprême que toute collectivité humaine doit
garantir et promouvoir.
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Il ne s’agit donc pas ici de libéral au sens du parti
libéral, celui de Jean Charest ou de Stéphane Dion, mais plutôt d’une philosophie
politique.
Le libéralisme classique apparaît avec le philosophe John Locke, à la fin du 17ème
siècle. Selon lui, la liberté fait partie des droits naturels de l’être humain, droit
qu’aucun état ne peut légitimement abolir ni même limiter. Les penseurs
utilitaristes, Bentham et Mill se situent aussi dans le courant libéral, puisque
pour eux il appartient à chaque individu de définir pour lui-même ce qui
constitue le bonheur. En ce sens, le libéralisme classique est caractéristique de la
pensée des Lumières, centrée sur l’autonomie individuelle comme on l’a vu aussi
chez Kant. Le libéralisme classique va donner naissance à la première
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée dans la mouvance de la
révolution française en 1789 et qui constitue un jalon important de la pensée
politique moderne. Le libéralisme classique met donc de l’avant les valeurs de
liberté, d’égalité des chances et d’autonomie, valeurs qui doivent absolument se
retrouver dans l’organisation politique d’une société juste. Ce qui voudra dire
généralement qu’on devra s’assurer que l’état ne pourra pas empiéter sur la
liberté, l’autonomie des citoyens.
Le libéralisme classique défend aussi l’idée du contrat social. Cette idée consiste à
envisager la vie sociale comme le résultat d’une entente, un genre de contrat,
entente acceptée librement par tous et précisant les termes dans lesquels se
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Encyclopédie Microsoft Encarta, 2003, à l’article Libéralisme.
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déroulera la vie en société. Bien sûr, personne d’entre nous n’a vraiment signé ce
contrat, mais pour le libéralisme, une société juste est fondée sur la possibilité de
cet accord préalable, une sorte de « constitution » fondamentale. Pour John
Locke par exemple, le contrat social qui est à la base de tout état légitime doit
avant tout protéger la liberté et la propriété de chacun, s’assurant ainsi que la
liberté de l’un n’empiète pas sur la liberté de l’autre et permettant à tous
d’améliorer leur situation par l’échange et la collaboration tout en évitant
l’anarchie.
La pensée libérale classique est donc à l’origine de la notion d’État de droit qui
signifie un État garantissant le respect des droits individuels et des libertés
fondamentales. Dans un État de droit, le gouvernement et les autorités eux-
mêmes sont soumis au respect du droit de la personne. L’État de droit s’oppose
aux États policiers ou totalitaires rien ne protège les citoyens contre
l’arbitraire du pouvoir. L’État de droit est un aspect fondamental des démocraties
modernes.
Le libertarisme est une forme contemporaine du libéralisme. S’il respecte les
idées fondamentales du libéralisme classique, il est aussi inscrit dans la forme
actuelle du libéralisme, qu’on appelle le néolibéralisme.
B. Le néolibéralisme
Le 20ème siècle est marqué par un regain d’intérêt pour le libéralisme, surtout au
niveau économique. C’est ce qu’on appelle le néo-libéralisme, qui défend une
sorte de « conception extrémiste » du capitalisme. Cette théorie surtout élaborée
aux Etats-Unis par l’école de Chicago s’applique à défendre la liberté individuelle
de l’homo economicus sur le marché. Si la perspective est avant tout économique,
elle a aussi des implications politiques. La pensée néolibérale préconise la
privatisation, la déréglementation, la mondialisation de l’économie; elle critique
le rôle de l’État dans la vie actuelle des citoyens.
Le néolibéralisme propose 3 thèmes centraux. Comme toute pensée libérale, il
fait de la liberté individuelle un droit absolu. C’est au nom de cette liberté
individuelle que l’état ne peut légitimement intervenir dans les contrats
librement consentis entre des individus. Les capitaux doivent donc être privés, la
concurrence, totale. C’est le 2ème thème : la suprématie du marché. Pour le
néolibéralisme, seul le libre jeu de l’offre et de la demande est susceptible de
garantir les libertés individuelles. On ne peut pas légitimement fixer par exemple
un salaire minimum, puisque c’est aller contre la liberté individuelle. Après tout,
si quelqu’un accepte volontairement de travailler par exemple pour $2 de l’heure,
ce serait porter atteinte à sa liberté que de l’interdire. Le jeu du libre marché va
fixer spontanément le prix le plus juste pour les marchandises échangées. Enfin,
les penseurs néolibéraux ont souligné le danger de toute intervention de
l’état visant à améliorer la justice sociale. Pour eux, une société juste n’a
pas à fabriquer des citoyens égaux quant au revenu ou à la fortune personnelle.
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Après tout, les individus ont des talents inégaux et il est normal que cela se
traduise par des inégalités concrètes. Il n’y a rien d’injuste selon les
néolibéraux. Si l’égalité des chances est une valeur importante, elle ne mène pas
nécessairement à une égalité des résultats. Les états sociaux-démocrates par
exemple qui ont voulu redistribuer vers les citoyens les plus pauvres la richesse
des plus riches ont empiété sur le droit à la propriété privée et à la liberté.
D’ailleurs, selon les penseurs néolibéraux, toutes les tentatives des états pour
améliorer l’égalité entre les citoyens ont été infructueuses et ont causé des
gaspillages, des pertes de temps, des bureaucraties inutiles.
Le libertarisme va transposer au niveau politique les idées économiques
néolibérales. On pourrait dire du libertarisme qu’il s’agit du volet philosophique
du néolibéralisme. La philosophie libertarienne est donc une justification du
capitalisme qui représente pour cette pensée politique, le seul système
économique légitime puisqu’il est basé sur le libre marché et la propriété privée, y
compris des moyens de production.
La théorie libertarienne
Cette théorie politique diffère essentiellement de la théorie utilitariste puisqu’elle
ne tient aucunement compte des conséquences pour juger d’une situation. On
parle plutôt ici d’une théorie basée sur une conception historique ou naturelle de
la justice.
Selon l’approche libertarienne, une société juste, assure à chacun de ses membres
ce à quoi il a droit. Il ne s'agit pas ici de droits sociaux et économiques visant une
certaine répartition de la richesse mais plutôt d’un droit naturel provenant de
l'exercice de ses propres talents qui confère à l’individu un droit absolu sur ses
biens. Le fondement même du libertarisme résidera donc dans la liberté
individuelle à exercer ce droit. Une société juste selon Nozick est une société
libre. Toutefois, l'acquisition des biens doit se faire de façon légitime. Les
principes de justice défendus par Nozick visent donc à justifier la légitimité des
possessions de chacun et à valoriser la propriété privée.
A) Les principes libertariens de la justice
1. Le principe de propriété de soi :
Pour comprendre l’approche libertarienne, nous devons d’abord expliquer en
quoi consiste le droit de propriété, son importance et les bases sur lesquelles il
repose puisqu’il en constitue un des concepts clé.
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Tous s’entendent pour réclamer la liberté mais par ailleurs tous sont conscients
que cette liberté les autres la réclament aussi. On ne peut donc tout faire ce que
l’on désire sans se soucier des autres. Ma liberté commence celle de l’autre
finit comme le dit l’adage. Alors que veut dire une société libre pour les
libertariens? Le point de départ du système de propriété est le fait que chaque
individu libre a plein droit de propriété sur lui-même.
Tout individu est propriétaire de sa personne, ce qui signifie qu’une personne ne
peut jamais être la propriété d’une autre, comme c’est le cas dans l’esclavage.
Chaque individu est propriétaire de ses aptitudes. Ce principe s’appuie selon
Nozick sur le principe kantien selon lequel les individus doivent être traités
comme des fins en soi. De ce point de vue on doit accepter que les individus ont
des droits et que personne, individu ou collectivité, ne peut les considérer comme
une ressource pour les autres. Mais on ne peut réaliser pleinement cette liberté
qu’en extériorisant son propre potentiel. Ainsi, par extension, tout ce qui
constitue le résultat de notre travail nous appartient en propre et rien ne devrait
nous empêcher d’en tirer profit.
L’homme… porte en lui-même la justification principale de la
propriété parce qu’il est son propre maître et le propriétaire de
sa personne, de ce qu’elle fait et du travail qu’elle accomplit.
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Cependant les libertariens émettent certaines restrictions à la propriété de soi. Si
on peut disposer de sa vie comme on l’entend il est toutefois inacceptable de se
réduire, même volontairement, à l’esclavage et encore moins quelqu’un d’autre
car cette idée est en contradiction avec les exigences d’une société libre. Aussi,
même si les libertariens ont en horreur le paternalisme de certains adultes envers
d’autres adultes, ils le trouvent acceptable envers les enfants dans la mesure
leur rôle est de leur servir de guide vers l’autonomie. Enfin, il est souhaitable de
contrevenir au principe de liberté envers ceux qui nuisent à la liberté des autres
comme les criminels puisqu’une société ne peut se permettre de laisser en libre
circulation des violeurs ou des tueurs par exemple.
2. Le principe de juste circulation :
Si le premier principe permet de déterminer ce que l’on peut faire de son propre
corps, il convient maintenant pour les libertariens d’expliquer comment on doit
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Locke, John, Second traité du gouvernement civil, #44, cité par Philippe Marchand, collège de
l’Outaouais, 17 octobre 2005, Adresse URL : http://www.coll-outao.qc.ca/philo/texte/locke.html
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