Homélie au temple de l`Eglise Protestante Unie de France au

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Homélie au temple de l’Eglise Protestante Unie de France au Kremlin-Bicêtre
22 janvier 2017
Chers frères et sœurs en Christ, au cœur de cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens,
et en cette année où catholiques et protestants veulent commémorer ensemble le cinq centième
anniversaire de la Réforme de Luther, la question mérite d’être posée : catholiques et protestants,
qu’est-ce qui nous sépare encore, alors que tant de progrès sont enregistrés dans le dialogue
œcuménique, que tant de beaux gestes symboliques sont posés, que tant de liens se tissent au
quotidien entre les fidèles de nos Eglises ? Qu’est-ce donc qui nous sépare encore ?
Permettez-moi, ce matin, de vous proposer d’abord un état des lieux, puis un commentaire
personnel de la belle prière, dite « de l’abbé Couturier », que reprennent chaque année les
diverses Eglises au cours de cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens.
Commençons par un rapide état des lieux des relations entre l’Eglise catholique et les Eglises
protestantes… Cinq cents ans que nous nous opposons, à peine plus de cinquante ans que nous
nous rapprochons – les catholiques n’ayant vraiment rejoint le mouvement œcuménique qu’autour
du concile Vatican II : il n’est pas étonnant que nous ayons encore du chemin à faire pour
retrouver l’unité !
Dans ce qui nous a longtemps séparés, il y avait la question du Salut. Est-on sauvé par sa foi
ou par ses œuvres ? C’était la question majeure qui, au 16ème siècle, avait entraîné la Réforme et
ensuite la division de l’Eglise. Elle est désormais résolue avec un accord historique signé en 1999
entre la Fédération luthérienne mondiale et le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des
chrétiens.
Dans ce qui nous a longtemps séparés, il y avait un certain nombre de questions autour de
Marie qui, elles aussi, sont moins clivantes que jadis. Sur ces deux terrains-là, on s’est beaucoup
rapproché et on se comprend mieux.
Il reste, bien sûr, des divergences théologiques : surtout sur l'Eucharistie et les ministères, et
– probablement plus encore - sur la nature même de l’Eglise qui, pour les catholiques, est un
prolongement de l’incarnation et véritable « sacrement du salut », alors que les protestants y
voient un simple instrument. Et ceci a des conséquences très pratiques sur la manière dont nous
nous engageons dans l’œcuménisme et sur le but que nous lui attribuons !
Je cite le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des
chrétiens : « Il faut reconnaître que le but du mouvement œcuménique est devenu de moins en
moins clair au cours du temps et qu’il n’existe plus de consensus sur ce que l’on entend par
rétablissement de l’unité de l’Eglise. Jusqu’à présent, diverses conceptions de l’unité ecclésiale
continuent de s’opposer et n’ont pas encore pu être réconciliées : l’Eglise catholique, tout comme
l’orthodoxie, comprennent l’unité de l’Eglise comme unité visible dans la foi, dans la vie
sacramentelle et dans les ministères ecclésiaux. Par contre, nombre d’Eglises et de communautés
ecclésiales issues de la Réforme ont dans une large mesure abandonné cette conception
initialement commune de l’unité au profit du postulat de la reconnaissance mutuelle des différentes
réalités ecclésiales en tant qu’Eglises et donc en tant que parties de l’unique Eglise de JésusChrist. »
Dans ce qui nous sépare – et ça, c’est relativement nouveau - il y a aussi le plan éthique, où le
protestantisme est probablement plus ouvert que l’Eglise catholique romaine, notamment en
matière d'économie, de famille et de sexualité – mais là il faudrait nuancer, car les Églises
évangéliques sont souvent rigoristes en ces domaines.
Si j’en restais là, mon état des lieux serait incomplet et peut-être pas très encourageant. Alors,
face à ce qui nous sépare, il est bon de rappeler - même très brièvement – que nous avons en
commun des trésors de foi, de spiritualité et d'action, de la parole de Dieu (en une même
traduction, la TOB !) au service des pauvres et des exclus (voyez l'Acat, la Cimade, etc.), en
passant par des médias animés ensemble (même fréquence pour Radio-Notre Dame et
Fréquence Protestante) ou par les foyers mixtes, tous annonçant le même Christ dont nous
sommes disciples.
Tout cela permet de poser des gestes qui eurent été inconcevables il y a seulement
quelques dizaines d’années : une femme pasteur baptiste invitée à s’exprimer devant le pape et
les évêques réunis à Rome lors du dernier synode sur la famille ; le pape de Rome venant en
Suède le 31 octobre dernier – fête de la Réformation – commémorer avec les Luthériens le 5ème
centenaire de la Réforme ; plus localement nos échanges de chaire entre Lendo et moi ou encore
mon invitation demain soir par un pasteur évangélique au micro de « Fréquence protestante » !
J’avais annoncé un état des lieux et une prière. J’ai achevé le premier, qui était ma manière
d’accueillir l’invitation de Paul entendue tout à l’heure dans la 2ème lecture : « Frères, je vous
exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ : qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en
parfaite harmonie de pensées et d’opinions. ».
Il me reste… Il nous reste la prière… car cette unité à laquelle l’apôtre nous exhorte, cette unité
que Jésus lui-même a demandée pour nous dans sa prière, elle est si exigeante, si belle et pour
tout dire si divine que seul Dieu peut nous l’accorder. Demandons-la lui en reprenant cette prière
pour l’unité qui est au cœur de notre semaine…
« Seigneur Jésus,
qui, à la veille de mourir pour nous, as prié pour que tous tes disciples
soient parfaitement un, comme toi en ton Père et ton Père en toi,
fais-nous ressentir douloureusement
l’infidélité de notre désunion.
Donne-nous la loyauté de reconnaître
et le courage de rejeter ce qui se cache en nous
d’indifférence, de méfiance et même d’hostilité mutuelle.
Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi
afin que, de nos âmes et de nos lèvres,
monte incessamment ta prière pour l’unité des chrétiens,
telle que tu la veux, par les moyens que tu veux.
En toi qui es la charité parfaite
fais-nous trouver la voie qui conduit à l’unité
dans l’obéissance à ton amour et à ta vérité ! »
« Seigneur Jésus, »
C’est ainsi que nous aimons te nommer, nous qui nous reconnaissons pour tes disciples. Et
cette seule manière que nous avons de t’appeler range nos relations, non pas sous l’appellation
« dialogue interreligieux », mais bel et bien « œcuménisme ». Nous n’appartenons pas à des
religions différentes. Nous sommes frères !
« Seigneur Jésus, qui, à la veille de mourir pour nous, as prié pour que tous tes disciples
soient parfaitement un, comme toi en ton Père et ton Père en toi »
Ta prière pour nous est le plus puissant moteur de notre quête d’unité, ce qui nous empêche de
nous décourager quand l’unité visible de ton Eglise ne se réalise pas aussi vite que nous
l’espérions. Et la prière que nous t’adressons est le signe de notre incapacité radicale à réaliser
cette unité que tu veux pour nous, tant elle est exigeante… sur le modèle même de la Trinité.
Viens nous apprendre à vivre la communion qui respecte les différences !
« fais-nous ressentir douloureusement
l’infidélité de notre désunion. »
Ne permets pas que par lassitude ou, pire, par capitulation devant l’esprit postmoderne ambiant
valorisant davantage la pluralité que l’unité, nous nous accommodions de toutes nos divergences
les plus obvies au point de n’en plus souffrir et de ne plus même rechercher l’unité visible de ton
Eglise ! Comme l’écrit encore le Cardinal Kurt Koch, « là où la division de l’unique corps du Christ
n’est plus ressentie comme un scandale et ne suscite plus de douleur, l’œcuménisme se rend luimême superflu. »
« Donne-nous la loyauté de reconnaître
et le courage de rejeter ce qui se cache en nous
d’indifférence, de méfiance et même d’hostilité mutuelle. »
Pendant des siècles nous nous sommes méconnus, opposés, caricaturés, insultés, massacrés
même. A l’aune de tout ce temps, nos récentes retrouvailles fraternelles semblent encore bien
jeunes et fragiles. Accorde-nous patience et ténacité pour construire là où l’on s’était plu à détruire.
Apprends-nous à identifier les facteurs culturels et politiques bien souvent à l’origine de nos
séparations pour ne pas les laisser polluer notre foi commune en Christ et nos relations
fraternelles !
« Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi
afin que, de nos âmes et de nos lèvres,
monte incessamment ta prière pour l’unité des chrétiens,
telle que tu la veux, par les moyens que tu veux. »
Chacune de nos Eglises a son modèle en tête pour l’unité des chrétiens. Seigneur Jésus,
apprends-nous à n’être prisonniers d’aucun schéma ecclésiologique, et à nous laisser conduire en
toute humilité par l’Esprit pour réaliser l’unité que tu veux pour tes disciples, même si cette unité
est un peu différente de celle qu’on avait d’abord imaginée ou à laquelle on s’était habitué, et si
cela doit passer par des chemins inattendus.
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