Le Raincy … … Lc 24/13-35
25 01 13 Unité
Michée 6 / 6-8 – Galates 3 / 26-28 – Luc 24 / 13-35
Je suis parmi vous, ce soir, comme pasteur à la retraite (depuis
18 ans), ancien pasteur de cette Eglise du Raincy pendant 15 ans. Selon
l’usage de notre Eglise en France, après le départ d’un pasteur, une
année s’écoule avant une nouvelle nomination, afin de pourvoir d’autres
postes. Il n’y a donc pas de pasteur au Raincy, l’Eglise poursuivant son
chemin sous la responsabilité du Conseil presbytéral. Ceux qui ont
préparé cette prière ont pensé qu’ils pouvaient faire appel à moi. Et me
voici dans la situation de retrouver quelques visages connus, mais
surtout de découvrir beaucoup de visages nouveaux pour moi.
Et me voici, chargé d’années, découvrant que je suis maintenant
témoin d’une histoire que j’ai vécue, ne serait-ce que dans le domaine de
l’œcuménisme. Une première partie, consacrée à quelques souvenirs.
La préparation de cette semaine de prière a été confiée au Mouve -
ment des Etudiants chrétiens de l’Inde et, parmi les huit personnes qui
ont participé à l’élaboration du matériel, trois sont membres de l’Eglise
unie de l’Inde du Sud. Cette Eglise a été constituée en 1957 par des
Eglises presbytériennes (en français, on dirait Eglises réformées), des
Eglises congrégationalistes, méthodistes, et des diocèses de l’Eglise
anglicane, chacun conservant ses traditions, mais décidant de marcher
ensemble selon un pragmatisme tout britannique et acceptant, tous
ensemble, un ministère épiscopal.
Parmi les Indiens, les Dalits (ceux que l’on a longtemps appelé les
« intouchables »), nombreux à être devenus chrétiens, avaient trouvé
dans l’évangile un message de libération par rapport à leur situation de
méprisés, d’exclus, placés tout en bas du système des castes,
maintenant regardés non plus selon leur statut social, mais en tant
qu’être humains, aimés par Dieu, appelés par Jésus le Christ.
J’ai entendu parler de cette Eglise au tout début de mon ministère,
émerveillé que des Eglises fondées par les missions occidentales,
missions qui avaient transporté en Inde, comme partout, les divisions
confessionnelles héritées de l’histoire européenne, entreprennent cette
démarche de réconciliation et décident de vivre dans une Eglise unie
pour porter le témoignage de l’Evangile à leur peuple.
Je suis sensible aujourd’hui à cet aspect, à cette histoire, parce que,
en France, luthériens et réformés, ayant déjà une longue habitude de
collaboration (depuis 1877), nous sommes en train de constituer une
« Eglise protestante unie de France ». Ce n’est pas le sujet de ce soir
mais je voulais quand même mentionner cette actualité : cela se passe
en 2013.
L’Eglise unie de l’Inde du Sud a été la première Eglise unie ainsi
constituée, en 1957, bientôt suivie par l’Eglise unie de l’Inde du Nord.
Quelques années plus tard, en 1961, se tenait en Inde, à New Dehli,
la troisième Assemblée générale du Conseil œcuménique des Eglises.
Assemblée importante, peu de temps avant le Concile Vatican II. Cette
assemblée a vu l’admission dans le Conseil œcuménique de certaines
Eglises orthodoxes, dont la plus nombreuse, l’Eglise orthodoxe russe.
Elle a également décidé l’intégration dans le Conseil œcuménique du
Conseil international des Missions qui, en 1910, avait été à l’origine de la
recherche de l’unité des Eglises (seulement les Eglises protestantes, en
1910). Et, à New Dehli, on remarquait la présence de cinq observateurs
officiellement mandatés par l’Eglise catholique-romaine qui, jusque là
avait regardé avec suspicion le mouvement œcuménique, voire l’avait
condamné comme une démarche humaine, vouée à l’échec.
Les documents transmis pour cette semaine de prière insistent beau -
coup sur la situation des Dalits , également dénommés : intouchables…
Qui sont nos intouchables ? On peut penser au film qui, paraît-il, a con -
tribué à changer le regard des Français sur les personnes en situation
de handicap et sur d’autres aussi. Le monde entier, de plus en plus, est
à notre porte. La mondialisation pourrait nous aider à vivre plus pleine -
ment l’œcuménisme, à devenir plus catholiques, je veux dire moins
hexagonaux, moins « occidentaux ». Pour les protestants, être un peu
moins enfermés dans les frontières nationales, même si cela présente
aussi un avantage : les règles de notre vie commune n’ont pas vocation
à être appliquées à la terre entière, elles tiennent compte des situations,
des cultures, des histoires locales en étant définies au plus près des
réalités, tout en s’efforçant de traduire au mieux les exigences de
l’Evangile. Mais entre les grandes rencontres (Conseil œcuménique,
Fédération luthérienne mondiale, Alliance réformée mondiale, sans
oublier les rencontres européennes), il y a sans doute, dans le protes -
tantisme, un déficit de visibilité de la dimension catholique de l’Eglise, de
sa vocation universelle.
Pour les catholiques, devenir peut-être plus catholiques, et un peu
moins romains, en acceptant une certaine diversité. Je peux dire, même
si c’est un peu anecdotique, que j’ai regretté que l’une des consé -
quences de la réforme liturgique qui a suivi Vatican II, réforme bienvenue
assurément, ait été la disparition des rites locaux : lyonnais, dominicain
et d’autres… Ils différaient bien peu du rite romain, mais ils attestaient la
légitimité d’une certaine diversité. J’avais découvert le rite lyonnais
durant l’hiver 1956-1957, que nous avions passé à Lyon.
Plus catholiques, ou peut-être catholiques autrement. Et plus protes -
tants, plus résolument engagés dans le témoignage, puisque protester
ne veut pas dire s’élever contre , mais plutôt se dresser pour , pour
attester l’Evangile, la bonne nouvelle pour tous.
Ne serait-ce pas ce que le Groupe des Dombes a appelé « la conver -
sion des Eglises » ?
J’en viens enfin aux textes que nous avons entendus. Michée lie
l’observation des rites religieux et l’attention aux autres, l’amour du
prochain, dont une traduction est la justice sociale, que je préférerais
peut-être appeler la justice humaine. Je pense alors à cette institution du
Jubilé (Lévitique 25), parfois citée lors de la semaine de prière pour
l’unité : C’est sans doute elle que Jésus dont Jésus parle dans la
synagogue de Nazareth, quand il dit : Il m’a envoyé pour apporter aux
opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le
Seigneur. C’est une parole que nous entendrons dans l’Evangile de
dimanche prochain (3ème dimanche du temps ordinaire, année C,
après-demain).
Tous les cinquante ans, les esclaves étaient libérés, les biens reve -
naient à leur ancien propriétaire qui avait dû s’en séparer… Même s’il
semble bien que cette règle soit restée un vœu pieux, qu’elle n’ait jamais
été appliquée, sa présence dans les Ecritures rappelle une exigence de
fraternité, de redistribution des richesses, de la possibilité d’un nouveau
départ offerte à tous.
Il n’y a plus ni Juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il
n’y a plus ni homme ni femme , affirme l’apôtre Paul dans la lettre aux
Galates . Je ne suis pas sûr que, tant de siècles après, nous ayons bien
tiré les conséquences de cette affirmation. Une chose est certaine, en
tout cas, les femmes sont, beaucoup plus que les hommes, victimes de
violences ; de violences faites par les hommes. Nous avons en mémoire
la fin tragique cette jeune indienne, dont le nom n’a pas été communiqué
et qui reste « la fille de Inde » et le mouvement de protestation des
femmes indiennes, et pas seulement des femmes, car des hommes se
sont joints à ces manifestations.
Emmaüs . Des disciples découragés, déboussolés. Ils avaient espéré
que Jésus libérerait le peuple d’Israël, le rendrait à nouveau maître de
son destin. Depuis l’occupation romaine, ils savaient bien que les
décisions importantes étaient prises à Rome, sans eux. C’était une
forme de mondialisation, puisque l’empire romain se confondait avec le
monde connu, le monde civilisé.
Nous aussi, même si c’est autrement, nous avons le sentiment que
nous perdons la maîtrise de notre avenir. Tant de décisions, qui nous
concernent, sont prises ailleurs, sans nous. A Bruxelles, à New-York ou
Washington… Mondialisation, à mettre en relation avec l’œcuménisme
Sur le chemin, les deux disciples ressassaient leur peine : Jésus était
mort, et l’espérance qu’ils avaient placée en lui était morte aussi.
A Emmaüs, leurs yeux s’ouvrent à la fraction du pain, et ils le recon -
naissent. Je peux bien vous faire part de mon étonnement devant le
choix de ce texte. Bien sûr que je connais et je m’efforce de comprendre
les raisons qui ne nous permettent pas de partager ensemble le pain
eucharistique. Mais alors, pourquoi choisir ce texte ? Pouvons-nous
reconnaître le Christ présent parmi nous, nos yeux peuvent-ils s’ouvrir à
sa présence si le partage du pain ne nous est pas permis ? Et si nos
yeux ne peuvent pas s’ouvrir, allons-nous en conclure que, finalement, il
n’est pas présent parmi nous ? Et que nos réunions sont des rencontres
sympathiques qui ne peuvent pas aller plus loin ?
Toute cette célébration nous dit bien qu’il est présent, parmi nous, en
chacun d’entre nous et dans l’assemblée fraternelle que nous formons.
Pourrons-nous aller plus loin ? Ce devrait être notre prière. C’est certai -
nement la prière du Christ pour nous. Que nos prières se rejoignent pour
que vienne l’exaucement, l’accomplissement de la longue marche déjà
accomplie. Car nous avons déjà parcouru tellement de chemin.
Nous avons parcouru le chemin de Jérusalem à Emmaüs. Mais
même si nous n’y voyons plus très clair, même si c’est la nuit, il faut se
remettre en route, revenir à Jérusalem, non pour la ville elle-même,
symbole d’unité mais aussi lieu de conflit et de division. Revenir à
Jérusalem pour retrouver les autres disciples, eux qui ont vécu une autre
expérience… et partager la nouvelle bouleversante : Il est vivant ! Alors,
il nous est permis de vivre ensemble comme des vivants, des ressusci -
tés ! Et nous pouvons nous remettre en route, les uns vers les autres et,
surtout, ensemble, vers les hommes, non pour montrer une unité mono -
lithique, qui étoufferait tout questionnement, mais plutôt pour manifester
une unité, une diversité réconciliée, qui assume les différences et les
divergences, et les vit dans un même mouvement qui nous conduit vers
le Christ, le Chef de l’Eglise, la tête du Corps, qui nous appelle et nous
rassemble.
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