Stratégie thérapeutique de la douleur chronique

Stratégie thérapeutique de la douleur chronique
par Mati Nejmi
Institut National d'Oncologie, Rabat, Maroc.
Les douleurs chroniques se répartissent en deux grandes catégories distinctes : les
douleurs cancéreuses et les douleurs chroniques non malignes, parfois
improprement dénommées « bénignes ». Les modalités respectives de prise en
charge sont très différentes.
Il est nécessaire de souligner que, dans la plupart des cas, le traitement étiologique
va entraîner une diminution de la douleur. Cependant, lorsque celui-ci est
impossible, inefficace ou d'efficacité non immédiate, un traitement antalgique
symptomatique doit être envisagé. Le choix de l'antalgique doit dépendre du
mécanisme physiopathologique algogène impliqué, de l'intensité de la douleur
évaluée par le patient et des contre-indications à la prescription d'un type
d'antalgique (pathologies antérieure ou actuelle, allergies) éventuelle(s) et
interférences médicamenteuses).
Il est souhaitable que, dès le premier entretien, on explique au patient les objectifs du
traitement et la façon dont sera conduite l'analgésie (voie d'administration, posologie,
intervalles de prise, prévention des effets secondaires et évaluation régulière de
l'efficacité thérapeutique). Le contrôle de la douleur demande une adaptation au
malade et sa participation active.
I. Traitements médicamenteux
1. Les analgésiques
Ils sont indiqués dans le traitement des douleurs par excès de nociception. Depuis
1986, l'OMS recommande, pour contrôler ces douleurs, l'utilisation de médicaments
antalgiques qui doivent être prescrits par voie orale, à heure fixe et par paliers. Ce
protocole dont l'efficacité a été démontrée sur la majorité des douleurs des cancers
peut être extrapolé à d'autres douleurs d'origine nociceptive comme une échelle de
prescription selon l'intensité de la douleur.
a) Les antalgiques périphériques (niveau 1)
Ils s'adressent à des douleurs de faible intensité. Les produits les plus souvent
utilisés sont :
- L'acide acétyl-salicylique (AAS) est prescrit comme antalgique à la posologie de 2 à
3 g/24 h, comme anti-inflammatoire à la dose de 4 à 6 g/24 h. L'AAS garde une
indication particulière dans le traitement des douleurs en rapport avec des
métastases osseuses, à condition toutefois d'employer des doses élevées (4 à 6
g/24 h). L'AAS partage les mêmes précautions d'utilisation que les anti-
inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
- Le paracétamol
La posologie est de 500 mg à 1 g toutes les 4 à 6 heures. Ce produit ne présente
que peu d'effets indésirables. Sa bonne tolérance a permis de le préférer à l'AAS
lorsque ce dernier peut être évité. Cependant, face à la douleur cancéreuse, le
paracétamol est très vite dépassé. Son intérêt réside dans la possibilité
d'associations potentialisantes avec les médicaments des autres niveaux.
- Les anti-inflammatoires non stéroïdiens
b) Les analgésiques centraux faibles (niveau 2)
Ils sont employés pour des douleurs d'intensité modérée.
- Deux substances, le dextropropoxyphène et la codéine, se situent dans la zone
inférieure de ce niveau (IIA) :
- Le dextropropoxyphène
Il se trouve dans l'Antalvic® (65 mg/cp), le Diantalvic® (30 mg associés à 400 mg de
paracétamol/cp) et le Propofan (27 mg associés à 120 mg d'aspirine/cp). La
posologie est de 3 à 10 mg/kg/24 heures en 4 à 6 prises/jour. Il convient de prendre
garde au risque d'accumulation du fait de la demi-vie d'un métabolite qui est
supérieure à 24 heures et ceci particulièrement chez le sujet âgé.
- La codéine
Elle existe soit sous la forme de tartrate de dihydrocodéine (60 mg/cp) possédant
une durée d'action de 12 heures (Dicodin®), soit associée au paracétamol dans
l'Efferalgan® Codéine, le Dafalgan® Codéine, le Lindilane®, l'Oralgan®, l'Algisédal®,
le Supadol® ; au paracétamol et à l'aspirine dans la Véganine®; au paracétamol et à
la nor-amidopyrine dans la Viscéralgine® forte et le Salgydalé.
L'association qui donne le meilleur rapport antalgie/effets secondaires est celle qui
associe 500 mg de paracétamol et 30 mg de codéine (Efferalgan® Codéine,
Dafalgan® Codéine).
Les formes contenant de l'aspirine ou de la nor-amidopyrine doivent être utilisées
avec prudence en raison des risques hématologiques. Dans tous les cas, il convient
de prévenir la constipation qui est l'effet secondaire le plus gênant.
- Le niveau IIB est constitué par la famille des morphines mixtes :
- Buprénorphine (Temgésic)
La posologie pour les glossettes sublinguales de 0,2 mg (= 5 mg de morphine) est au
maximum 3 glossettes/8 heures chez l'adulte. Pour la forme injectable, ampoule de
0,3 mg, réservée à l'hôpital : 1 ampoule toutes les 8 heures chez l'adulte.
Morphinique agoniste partielle, elle se lie fortement au récepteur mu dont elle est
difficilement déplaçable par la naloxone. Elle présente, de plus, un effet plafond
rendant inutile l'augmentation importante des doses.
Les effets secondaires sont fréquents : nausées, sensations vertigineuses,
lipothymies. Toutefois, elle peut être administrée chez l'insuffisant rénal, son
élimination étant biliaire à 70 %.
Le risque de dépression respiratoire si la molécule est associée aux benzodiazépines
et/ou à d'autres sédatifs existe. Sa faible inversabilité par la naloxone rend donc la
buprénorphine difficile à gérer en chronique chez des sujets fragiles.
c) Les analgésiques centraux forts (niveau 3)
Ils ne sont indiqués que dans les douleurs sévères rebelles irréductibles (cancer,
sida).
La morphine est l'antalgique central principal. Par voie orale, il existe deux formes
d'administration : la solution de chlorhydrate de morphine administrée à partir de 0,5
ou 1 mg/ kg/jour en 6 prises, et le sulfate de morphine à libération prolongée
(Moscontin®, Skénan®) administrable en 2 prises, les doses journalières étant les
mêmes. La morphine à libération prolongée (MLP) constitue un progrès notable par
rapport à la solution de morphine à libération immédiate (MU) du fait de son
administration toutes les douze heures. Les comprimés de Moscontin® doivent être
avalés et non pas mis sous la langue, croqués ou mixés. Par contre les gélules de
Skénan® peuvent être avalées telles quelles ou ouvertes afin de l'utiliser par la
sonde naso-gastrique ou dans les stomies.
On n'oubliera pas de prévenir les effets indésirables des morphinomémitiques : les
nausées et les vomissements par le Primperan® et la constipation par des
accélérateurs du transit (Duphalac®, Péristatine®), voire du Mestinon® dans les cas
rebelles. La somnolence disparaît en général en deux à cinq jours. Chez le patient
douloureux, la dépression respiratoire
des morphiniques n'est pas un problème et ne doit pas constituer un frein à la
prescription des morphiniques par voie orale ou à l'augmentation des doses. Il
semble que la douleur agisse comme un antagoniste physiologique de l'effet
dépresseur central de la morphine.
Le recours à la voie parentérale se fait lorsque la voie orale n'est plus possible, mal
tolérée ou insuffisante.
Quelle que soit la voie d'administration, il n'y a pas de limite supérieure pour les
doses de morphine administrées. C'est la douleur qui est l'indicateur. Ce sont les
effets secondaires inacceptables qui définissent la véritable limite.
2. Les coanalgésiques
a) Les antidépresseurs
Trois molécules ont fait la preuve de leur efficacité dans le traitement des douleurs
neurogènes en particulier les douleurs des neuropathies périphériques, quelles
soient d'origine traumatique (lésion nerveuse, membre fantôme), métabolique
(neuropathie diabétique), infectieuse (douleur post-zostérienne du zona), toxique
(neuropathie alcoolique, post-chimiothérapie anticancéreuse) ou invasive (douleur
cancéreuse).
L'amitriptyline (Laroxyl® ou Elavil®) et la clomipramine (Anafranil®) sont les plus
utilisées. L'administration se fait selon une augmentation progressivement
croissante. La posologie est de 10 à 25 mg le premier jour, puis les doses sont
augmentées de 25 mg tous les 2 à 3 jours jusqu'à 75 ou 150 mg/jour. L'effet
analgésique se manifeste de façon retardée (après une ou plusieurs semaines). Par
ailleurs ils sont contre-indiqués chez les patients atteints de certaines formes de
glaucome, de tumeur prostatique et de certaines pathologies cardiaques.
b) Les anticonvulsivants
Ils s'imposent dans le traitement de la névralgie du trijumeau et dans la composante
fulgurante des douleurs neuropathiques. Deux produits sont particulièrement
efficaces : la carbamazépine (Tégrétol®) et le clonazépam (RivotriI®). Ils doivent
être prescrits à doses croissantes compte tenu des risques de somnolence et des
troubles de la vigilance qu'ils peuvent induire. Pour le Tégréto100 mg/jour per os
jusqu'à 800 à 1 000 mg/jour en une semaine ou 10 jours en contrôlant régulièrement
la numération formule sanguine. Pour le Rivotril®, 5 à 10 gouttes 3 fois/24 heures
(10 gouttes = 1 mg), jusqu'à 6 mg/24 heures.
c) Les anxiolytiques et les sédatifs
Les anxiolytiques sont utilisés pour leur rôle sur la thymie, l'anxiété et les
contractures.
Leur prescription doit se faire sur de courtes périodes car ils provoquent des effets
secondaires (sédation, troubles cognitifs) qui vont à l'encontre du programme de
reprise d'activité. Parmi les neuroleptiques, le plus utilisé est la lévomépromazine
(Nozinan®) à la dose de 5 à 10 mg/24 heures. Il peut être utile pour lutter contre les
nausées et vomissements, pour modifier le retentissement anxio-dépressif de la
douleur et lutter contre l'insomnie.
Il. Neurostimulation transcutanée (NSTC)
La NSTC a pour objet de renforcer ou de suppléer un mécanisme inhibiteur
défaillant. Elle a été proposée dans les douleurs neurologiques par désaférentation
après lésion de nerfs périphériques, lombosciatiques séquellaires dues à une fibro-
arachnoïdite. Bien que la NSTC soit une technique simple, son efficacité clinique
réclame le respect d'un certain nombre de règles qui découlent d'une compréhension
correcte des facteurs impliqués dans son succès : douleur de topographie localisée,
recouvrement de la zone douloureuse par les paresthésies produites par la NSTC,
bonne adhésion du malade en cas d'auto-administration. C'est une méthode non
invasive, d'une grande simplicité, et du fait de la miniaturisation des appareils, elle
donne au patient la possibilité d'ajuster les paramètres de stimulation.
III. Les moyens physiques et psychologiques
Divers moyens physiques et psychologiques peuvent induire un effet analgésique.
- Les moyens de contre-stimulation comme les stimulations par le froid et par le
chaud peuvent être considérés comme des « petits moyens » qui trouvent
pleinement leur place dans l'arsenal thérapeutique de la douleur chronique.
- La kinésithérapie
D'une façon générale, la kinésithérapie peut faciliter la reprise progressive des
activités physiques du patient. Elle est essentielle dans de nombreuses douleurs
chroniques touchant l'appareil locomoteur ; en particulier les lombalgies et
lombosciatiques chroniques, les syndromes algodystrophiques. Elle apporte une
aide utile dans le cas de douleurs « secondaires » souvent liées à des positions et
attitudes vicieuses, des contractures musculaires, des limitations articulaires.
Il est utile que le kinésithérapeute soit formé à la relaxation pour apprendre au
malade à alterner phases d'activités physiques et relaxation. Parfois la
kinésithérapie gagne à être complétée par une ergothérapie.
- L'approche cognitivo-comportementale
Les techniques comportementales ont une place primordiale dans l'approche
psychologique du patient douloureux. L'ensemble des conseils vise à stimuler la
reprise des activités (physiques, professionnelles ou de loisirs ) qui s'effectue de
façon graduée, progressive, de façon à interrompre le cercle vicieux activité-douleur.
Les techniques de relaxation ont une place importante. Elles aident le patient à
mieux contrôler sa douleur et à utiliser la relaxation préventivement face aux
situations stressantes susceptibles de majorer la douleur. L'objectif est d'aider le
patient à accroître sa tolérance à la douleur, à mieux l'accepter et à mener des
activités aussi normales que possibles.
À côté des techniques comportementales qui s'adressent directement à la douleur et
à son handicap, toutes les autres formes de psychothérapies peuvent être proposées
à un patient atteint de douleur chronique.
IV. Traitements invasifs
Il apparaît que le traitement médicamenteux est de loin le plus simple et le plus
efficace pour contrôler la majorité des douleurs chroniques cancéreuses ou non.
Néanmoins, il a ses limites. Dans ce cas le recours à des techniques anesthésiques
et/ou neurochirurgicales est alors possible. Nous ne ferons qu'en citer quelques-
unes.
Parmi les traitements d'interruption irréversible :
- la radicellectomie sélective postérieure s'adresse aux douleurs radiculaires
localisées ;
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