BRUN 2002(1)

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L’Europe dans tous ses états : réflexions sur l’histoire des
transitions politique en Europe avant 1945
MARIE-FRANCE BRUN
Il est intéressant, à l'heure de l'Union européenne, de la construction démocratique et
volontaire d'une Europe supra-étatique, de regarder en arrière, de remonter jusqu'à la chute de
l'Empire romain d'occident du Vème siècle, pour retracer le long chemin " plein de bruits et
de fureurs " qu'a parcouru l'Europe, et de s'interroger sur l'existence d'un destin commun audessus de la diversité des peuples, des langues, des religions.
Je retracerai les grandes étapes : l'Europe chrétienne (VIIème - XVème) puis l'Europe de la
raison d'Etat (XVème - XVIIIème), l'Europe française unifiée par la force et par le Code civil
(1792-1815), le retour de la vieille Europe (Europe du Congrès de Vienne 1814 - 1860) et
l'Europe des nationalités et des nationalismes.
Aujourd'hui on appelle " Europe " le territoire qui s'étend de l'Atlantique à l'Oural. Les limites
géographiques du continent européen suscitent peu de contestations (bien que les limites
Asie/Europe ne soient pas tranchées de manière incontestable). En revanche s'interroger sur
l'existence d'une " communauté supérieure " au-dessus de la diversité des peuples, des
langues, des religions apparaît moins évident.
Cette histoire politique commune débute au Vème siècle, plus exactement en 476, avec
l'effondrement de l'Empire romain d'occident provoqué par les invasions germaniques. Cet
Empire essentiellement méditerranéen va léguer à l'occident le concept d'Etat et de Droit
(laïcisé) qui sera retrouvé seulement au XVème siècle.
L'Europe chrétienne (VIIème - XVème)
Entre le Vème et le XVème siècle sur les ruines de l'Empire romain apparaît un nouveau type
d'organisation politique, une société anarchique, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire
sans pouvoir politique centralisé et unique. Ce lien abstrait d'autorité qui liait le citoyen à
l'Etat romain est remplacé par un lien contractuel, un serment de fidélité entre hommes libres.
A cela s'ajoute l'appropriation privée des prérogatives régaliennes qui entraîne la dispersion
du pouvoir politique entre des autorités nombreuses et concurrentes.
Cette anarchie politique favorise le développement de l'influence de l'Eglise de Rome, promue
médiatrice entre le monde romain et le monde germanique. L'Eglise " universelle " transcende
le morcellement politique. Mais la prise de conscience politique d'une solidarité européenne
sera provoquée par les conquêtes arabes, plus exactement leur reflux de la bataille de Poitiers
(732) à la reconquista espagnole achevée en 1492 (chute de Cordoue - capitulation du dernier
Etat musulman d'Espagne).
La lutte contre les arabes donne son identité à l'Europe. Partagés entre des centaines de rois et
de seigneurs tous les peuples de l'Europe occidentale formaient néanmoins un seul peuple : le
peuple chrétien. Au IXème siècle avec le St Empire romain de Charlemagne l'Europe
connaîtra pour la première fois une unité politique coïncidant avec la sphère d'influence de
l'Eglise.
Mais les fils et petits-fils de Charlemagne se partageront l'Empire. Le Traité de Verdun de 843
mettra fin à l'unité européenne (Francie occidentalis, Francie orientalis, Lotharingie).
Toutefois, la chrétienté, l'universalisme chrétien se maintiendra. Les peuples chrétiens se
groupaient pour la croisade et l'Eglise dominait tout (la science, l'art). Pendant tout le reste du
Moyen-Age persistera le rêve d'unifier l'Europe sous la direction soit de l'Empereur
d'Allemagne, soit du Pape.
Une période de transition du XIIIème au XVème marquée par le déclin de l'influence de
l'Eglise annonce les Etats modernes (XVème - XVIIème).
L'Europe de la raison d'Etat (XVème - XVIIIème)
Le tournant du XVème siècle avec l'apparition d'Etats modernes structurés écarte toute idée
d'unité politique. Le cadre de la chrétienté craque de toute part sous l'effet des grandes
découvertes (l'imprimerie, l'Amérique), de l'humanisme de la Renaissance (révolution
intellectuelle), de la prise de Constantinople par les Turcs (1453) et enfin la Réforme
protestante divise la chrétienté entre catholiques et protestants. La réforme détruit le dernier
principe d'union : l'unité de croyance.
La raison d'Etat guide la politique des puissances européennes. Les monarques légitimés par
le droit divin estiment que leurs intérêts supérieurs exigent une balance, un équilibre des
forces entre les différents royaumes : au XVIème lutte entre les maisons d'Autriche (Charles
Quint) et de France, XVIIème avant Louis XIV (1643), 5 grandes puissances : France,
Autriche, Espagne, Suède, Turquie sur la scène européenne. A la mort de Louis XIV (1715)
seules la France et l'Autriche comptent encore, mais on voit apparaître la Prusse, la Russie.
Traité de Westphalie : 1648. Traité des Pyrénées : 1659. Théorie des frontières naturelles. Fin
de la guerre de 30 ans.
A partir du milieu du XVIIIème l'Europe des Lumières matrice de la Révolution française de
1789 annonce une nouvelle période : l'Europe française unifiée par la force (1792 - 1815).
L'Europe française unifiée par la force (1792 - 1815) et par le Code
civil (1804)
Les révolutionnaires de la Convention, puis du Directoire contrairement aux principes qu'ils
proclamaient mènent une politique d'annexion. La guerre apparut d'abord comme une croisade
pour la libération des peuples, mais très rapidement on passe à la conquête. A peine le
territoire français libéré, après Valmy, par la retraite des prussiens les Français prirent
l'offensive sur toutes les frontières.
Au moment du coup d'Etat de Bonaparte le 18 Brumaire an XVIII (1799) la France est
beaucoup plus étendue qu'elle ne l'était en 1789. Bonaparte continua la guerre. En 1803 il
impose une Constitution fédérale à la Suisse dont il devient le médiateur. Entre 1805 et 1807
se forme progressivement le Grand Empire (victoire sur l'Autriche à Austerlitz 1805, sur la
Prusse à Iena 1806, la Russie après Friedland 1807). Le Grand Empire regroupe autour de la
France l'Italie, la Hollande, l'Allemagne du Sud. Bonaparte chasse les Bourbons de Naples.
Il place à la tête du royaume de Hollande son frère Louis ; en juillet 1806 il crée la
Confédération du Rhin et s'en déclare le protecteur. Alors prit fin le St Empire romain
germanique d'Othon le Grand (962). François de Habsbourg renonça à son titre d'Empereur.
Napoléon utilise l'arme économique (blocus). Le blocus entraîne de nouvelles conquêtes :
l'Espagne. Mariage autrichien en 1810 - Roi de Rome 1811. Grand Empire 1807 - 1811.
En 1811 si l'on excepte la Suède, le Danemark, la Prusse et les trois Empires : autrichien,
russe, turc, toute l'Europe obéissait officiellement à Napoléon (sauf Sardaigne, Sicile).
Système européen fondé sur des liens familiaux et vassaliques. Toutefois en 1807 s'esquissait
une communauté politique européenne où le Code civil serait devenu le fondement de la
nouvelle Société continentale et la départementalisation le modèle.
L'Empereur aurait déclaré en 1811 : " Je veux achever ce qui est ébauché ; il faut que je fasse
de tous les peuples d'Europe un même peuple. Il nous faut un Code européen, une Cour de
cassation européenne, une même monnaie… ".
On peut dire que le Grand Empire a ébranlé l'Ancien Régime, a favorisé la modernisation de
l'Europe. Napoléon a introduit en Europe les principes de 1789 en essayant de faire adopter le
Code civil par tous les Etats du Grand Empire. Il voulait étendre à toute l'Europe
l'organisation administrative et sociale qu'il avait donné à la France (disparition du servage,
des privilèges, égalité civile, religieuse, successorale ; influence de l'Armée napoléonienne ;
français langue officielle, transfert des archives de l'Europe à Paris). Pour Metternich
Napoléon était un " Robespierre à cheval ".
La pesanteur de la domination Napoléonienne va susciter en réaction le nationalisme des
peuples soumis. Dans toute l'Europe : Espagne (1806), Italie, Allemagne (Fichte), Russie,
l'idée nationale et patriotique se dresse contre Napoléon. Les princes de la vieille Europe vont
récupérer ces mouvements nationaux qui provoqueront la chute du Grand Empire (1811 1814). La guerre des peuples allait permettre la coalition des monarques.
Le retour de la vieille Europe ou l'Europe du Congrès de Vienne
(novembre 1814 - juin 1815) et de Metternich (1814 - 1860)
L'effondrement de l'Empire napoléonien ouvre la période ; abdication de Napoléon en 1814.
Un Congrès allait s'ouvrir à Vienne pour régler le nouveau statut de l'Europe. Il s'agissait pour
les alliés (G.B. ; Russie ; Prusse ; Autriche) de répartir les dépouilles du Grand Empire et
créer un système continental qui puisse éviter le retour des guerres. Mais les vainqueurs
n'avaient pas de vues générales, seulement des intérêts.
Tous les Etats d'Europe sont convoqués à l'exception de la Turquie ; 140 souverains présents
ou représentés. Mais il n'y a eu aucune réunion plénière, tout se discute entre les quatre alliés.
Pour eux le Congrès est un moyen d'imposer leurs décisions à l'Europe.
Le Congrès établit un équilibre européen fondé sur la balance des forces. Le nouveau partage
territorial ignore totalement la volonté des peuples. L'Europe serait partagée sans être
consultée. Pour remanier la carte de l'Europe les quatre grands se réfèrent à la situation
territoriale existant en 1792, et mettent en œuvre deux principes : c'est le retour des
monarques de l'Ancien Régime corrigé par le principe de l'équilibre des forces. L'Italie se
retrouve aussi morcelée qu'avant 1792. L'Italie n'existe pas au sens politique du terme. Selon
la formule de Metternich, " l'Italie n'est qu'une simple expression géographique ".
La Prusse rhénane apparaît aux frontières de la France. L'axe de l'Autriche s'est déporté vers
l'Italie. Au sein de la Confédération germanique l'Autriche et la Prusse ne voient que la
satisfaction de leurs intérêts particuliers.
Pour assurer la pérennité du nouvel ordre européen contre un éventuel retour de
l'impérialisme français les alliés signent le Traité de la Ste Alliance proposé par le Tsar
Alexandre Ier, mais remanié par le Chancellier Metternich (1815). Il semble qu'Alexandre Ier
ait voulu s'appuyer sur le caractère universaliste du christianisme pour mettre sur pied une
organisation internationale qui grouperait toutes les puissances continentales et maritimes.
Metternich va utiliser la Ste Alliance pour faire " la police internationale " contre la
Révolution. Il estime que les souverains réunis en Congrès sont légitimement habilités à
intervenir en Europe pour rétablir l'ordre menacé par les mouvements nationaux et libéraux ;
en Allemagne, en Italie, en Espagne… Mais cette solidarité entre grandes puissances
conservatrices va être mise en échec par les actions nationales et libérales (insurrection
grecque).
L'Europe de 1815 construite contre l'hégémonie française n'a pas résisté longtemps aux
mouvements des nationalistes.
La nouvelle Europe ; l'Europe des nationalités et des nationalismes
(1859 - 1914)
Le renversement de Charles X en France (1830) est le signal d'une agitation libérale et
nationale qui gagne toute l'Europe. Les Révolutions de 1830 annoncent une nouvelle Europe
tantôt fragmentée, tantôt unifiée par la poussée du principe des nationalités.
Le principe des nationalités peut se révéler destructeur lorsqu'il pousse toute une série de
peuples à revendiquer leur indépendance au sein de l'Etat auquel ils sont rattachés. C'est le cas
des tchèques, lombards, vénitiens rattachés à l'Autriche ; des grecs, des roumains, des serbes
rattachés à la Turquie ; des belges rattachés au royaume de Hollande ; des irlandais rattachés à
la G.B. et enfin des polonais rattachés à la Russie, la Prusse et l'Autriche.
En revanche le même principe des nationalités peut être facteur d'unité dans les pays où les
habitants d'une même nationalité sont partagés entre plusieurs Etats distincts : c'est le cas de
l'Allemagne, de l'Italie. Principe d'unité ou de destruction, le principe des nationalités peut
également pousser à la conquête. Le principe des nationalités est révolutionnaire ; il ne
pouvait se réaliser que par le bouleversement de l'Europe de Vienne. Les révolutions de 1830,
puis de 1848 seront étouffées par les puissances conservatrices (en 1849). L'arrivée au
pouvoir en France de Napoléon III, défenseur du principe des nationalités va favoriser l'unité
italienne, et involontairement et indirectement l'unité allemande.
Napoléon et Bismark à partir de 1862 vont ensemble bouleverser l'Europe qui se donne un
nouveau statut territorial fondé sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. A partir du
Traité de Francfort de 1871, l'antagonisme franco-allemand empêcha cette paix réelle en
Europe de 1871 à 1914. L'Europe se divise en deux blocs de 1871 à 1890. Bismark réussit à
établir la prépondérance allemande en Europe en isolant la France par un système d'alliances
complexe. Après la chute de Bismark la France sort de son isolement. Elle s'allia à la Russie
(1893), conclut avec la G.B. une entente et l'alliance franco-russe, rapprocha l'Angleterre de la
Russie avec lesquelles elle forma la triple entente (1907). De 1905 à 1913 : succession de
crises. Le vieux continent est à feu et à sang ; l'Europe était à refaire.
En conclusion, après la seconde guerre mondiale, pour de nombreux intellectuels et les
politiques, le salut passe par une Union européenne (A. Briand en 1929 parle d'Etats-Unis
d'Europe, mais l'avènement d'Hitler anéantit tous ces efforts). En 1945 après la victoire des
alliés sur l'Allemagne nazie l'Europe était ruinée, dévastée (aide américaine : plan Marshall) et
divisée en deux blocs par le rideau de fer. L'idée vient naturellement d'unir les Etats d'Europe.
C'est une démarche consensuelle, volontaire.
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