Conseils de méthode
pour la dissertation et le commentaire de texte
S’exercer à l’argumentation: homogénéité de la démarche philosophique
1) CONSTRUCTION D’UNE PROBLÉMATIQUE À PARTIR D’UNE NOTION, D’UNE QUESTION
OU D’UN TEXTE; EXPLICITATION DU PROBLÈME ET REPÉRAGE DES ENJEUX
Premièrement, la construction d’une problématique est la mise en place
d’un
problème.Pour le comprendre, il convient de distinguer le problème de la simple
question. Une question (Suis-je réellement doué pour la sculpture?) n’est pas
nécessairement un problème (Dois-je poursuivre mes études de mathématiques ou me
consacrer à la sculpture?). Un problème désigne toujours, par définition, une
contradiction ou alternative.L’une des principales opérations philosophiques
consiste donc à tirer un problème d’une notion (telle que la liberté, le désir, etc.),
d’une question (qui peut être celle d’un sujet de dissertation), ou d’un texte. Dans ce
dernier cas, la problématique dépendra de la confrontation de la thèse défendue par
l’auteur et de celle qu’il combat, explicitement ou non (cf. sur ce point la méthodologie
du commentaire de texte).Dans tous les cas, l’objectif est de montrer que
l’analyse d’une notion, d’une question ou de la thèse d’un auteur n’ont rien
d’évident, qu’ils sont problématiques, même s’il n’y paraît pas.
Prenons un exemple. À la question «Peut-on se mentir à soi même ?», on serait tenté
de répondre qu’il existe nécessairement un mensonge à soi, que le cas de la mauvaise foi
en est la preuve. Telle est la réponse la plus évidente à la question.Et cependant,
comme tout mensonge, le mensonge à soi implique l’intention de mentir, la volonté
active de dissimuler une vérité. Or, il est a priori contradictoire de supposer qu’un
individu puisse se cacher intentionnellement une vérité dont il a en même temps
conscience, qu’il connaît par conséquent. D’où le problème, qui justifie que la question
soit posée: d’un côté, il semblerait que l’on ait la possibilitéeffective de se mentir à soi-
même, comme l’atteste apparemment l’expérience de la mauvaise foi ou le pouvoir qu’a
chacun de s’illusionner sur ses propres capacités ou qualités; mais, d’un autre côté, il est
contradictoire de supposer que l’on puisse être victime d’une manipulation ou
dissimulation dont on serait soi-même l’auteur.
Deuxièmement, tout problème exige d’être explicité, c’est-à-dire développé et
justifié. Le développement d’un problème permet d’en repérer les enjeux,
les
implications.Deux exemples permettront de le comprendre. Dans le cas du
problème portant surle mensonge à soi, l’enjeu est de savoir si le « moi » a une unité
auquel cas le mensonge à soi est impossible ou si le moi est double (voire multiple),
mais, dans ce cas, il faut donner sens à telle hypothèse : comment concevoir une sorte
de dédoublement du « moi » (si l’on écarte le cas de la schizophrénie) ? Il s’agirait en
particulier de définir la nature de la conscience ou celle du psychisme:le psychisme
humain lui-même n’est-il pas double en effet: conscient d’un côté, inconscient de l’autre,
ce qui rend possible le fait de se cacher à soi-même unevérité indésirable ou
dérangeante et, dans tous les cas, «refoulée»? Mais cela supposerait qu’il n’existe pas à
proprement parler de «mensonge à soi», de volontéconsciente de se tromper, et par
conséquent de responsabili individuelle face à la vérité. L’enjeu du sujet consiste
donc à déterminer la nature de la conscience, celle du psychisme ou du moi et, ce
faisant, le pouvoir et les limites du pouvoir que l’homme a sur lui-même.
Second exemple. On peut tirer de la notion de désir le problème suivant:le désir
est-il un simple manque, signe de mon impuissance et incapacité à être
pleinement ce que je suis, ou bien est-il au contraire source de joie, d’action et
de créativité?La première perspective implique une dévaluation du désir et du corps
dont il dépend au profit du pouvoir positif de la volonté et de la raison: parce qu’il est
unêtre de désir, l’homme y est conçu comme essentiellement insatisfait et imparfait. La
seconde perspective, au contraire, permet une réhabilitation du désir, opposé ici au
simple besoin: l’homme y est considéré comme capable de subvertir par ses désirs les
règles naturelles, de dépasser la nature et de se dépasser. Deux conceptions opposées
de l’homme sont ainsi mises en présence: tel est l’un des enjeux du problème posé.
2) EXPOSITION IMPARTIALE D’UNE THÈSE ; RESTITUTION D’UNE ARGUMENTATION
DANS UNE ÉTUDE DE TEXTE
Une fois le problème posé et ses enjeux repérés, il convient, afin de procéder avec
rigueur et d’éviter toute confusion, d’adopter dans un premier temps une thèse
etune seule.Dans le cas de la dissertation ou de l’étude d’une notion, on choisira
donc d’abordde développer l’un ou l’autre des deux membres de l’alternative ou de la
contradiction relative au problème posé. On le fera « impartialement », c’est-à-dire de la
manière la plus objective possible donc sans parti pris ni préjugé. En particulier, on
évitera les longues descriptions sans fruit, celle, par exemple, des effets présumés «
pervers » du désir si l’on compte montrer que celui-ci est essentiellement source de
manque et d’insatisfaction, ou encore celle des conséquences supposées « tragiques » de
la mauvaise foi si l’on veut prouver qu’il existe une possibilité de se mentir à soi-même.
Tout développement requiert que l’on défende une thèse au moyen d’arguments, et tout
argument désigne un raisonnement dont le but est de prouver ou d’infirmer une thèse.
On évitera donc à la fois la succession de petites remarques sans lien les unes avec les
autres, le ton moralisateur et les formules toutes faites, qui renvoient toujours à des
idées reçues.De la même manière, il conviendra, à l’occasion d’une étude de texte,
de restituerl’argumentation de son auteur dans le but exclusif de la
comprendre, abstraction faite du sentiment d’étrangeté voire de fausseté
qu’elle peut d’abord susciter. Ainsi, dans un texte donné aux séries ES en juin 1999,
Nietzsche affirme que ce que nous appelons liberté désigne en réalité un état nous
n’apercevons pas les «chaînes» dont nous dépendons, en un mot l’état de servitude
nous nous trouvons sans le savoir. Cette thèse, pour être bien comprise, devra être
longuement défendue et analysée, au moins dans un premier temps, abstraction faite du
sentiment que nous avons pourtant d’être libres, car c’est précisément ce sentiment de
liberté que Nietzsche désigne comme illusoire: il arrive en effet que nous ayons
l’impression de choisir librement un métier ou un mode de vie, alors que ce choix résulte
en réalide l’influence inaperçue qu’exercent sur nous notre entourage immédiat ou la
société, indépendamment de nos capacités ou de nos motivations profondes.
3) ÉLABORATION D’UN CONCEPT OU D’UNE DISTINCTION CONCEPTUELLE
On ne saurait développer une thèse ou une autre ni plus généralement aucune
réflexion à propos d’une question, d’un texte ou d’une notion, sans un travail d’analyse
conceptuelle.Ce travail consiste à déterminer, développer, compléter progressivement
la définition des termes d’un énoncé ou celle des notions importantes d’un texte.Par
exemple, dans un sujet portant sur l’illusion, on parviendra à élaborer ce concept à
partir de l’analyse d’exemples précis, telle que celle de l’existence du père Noël pour
l’enfant ou celle d’un Dieu anthropomorphique, capable de colère ou de sévérité; à cette
occasion on distinguera rigoureusement l’illusion à la fois de la simple erreur et
de la faute. Contrairement à l’erreur en effet, purement incidente, l’illusion est le
produit d’un désir ou d’un intérêt. À la différence de la faute, cependant, elle n’est pas
pour autant et à proprement parler volontaire, sans quoi l’on ne serait pas «victime» de
ses illusions.
4) CONFRONTATION DE THÈSES VISANT À L’ÉLABORATION D’UNE RÉPONSE RÉFLÉCHIE
À LA QUESTION POSÉE
Une réponse réfléchie est le contraire d’une réponse hâtive, donnée par avance
etartificiellement défendue. Pour y parvenir, il convient, dans la dissertation, de
développer successivement, pour les comparer et évaluer, deux thèses
distinctes, et, dans l’analyse de texte, de rapporter la thèse de l’auteur à celle
qu’il combat. Sur ce point, on se reportera à la méthodologie de la dissertation ainsi
qu’à celle du commentaire.Expliquons cependant rapidement la raison d’être de cette
recommandation: dans le cas, en particulier, de la dissertation ou dans celui de l’analyse
d’une notion, l’argumentation développée consiste en une confrontation et un examen
soigneux des réponses différentes, voire contradictoires, qui peuvent être apportées à
une même question. Il s’agit de tester ainsi la légitimité de chacune d’entre elles et
d’adopter, pour finir, celle qui semble la plus satisfaisante.Cette attitude, qui consiste à
considérer et à approfondir des positions distinctes de celle que l’on serait tenté
d’adopter spontanément sur une question, est la clef de tout véritable dialogue, avec soi-
même et avec autrui. Ce n’est pas une règle arbitraire ou un jeu de l’esprit.Ainsi
apprend-on à ne pas répondre hâtivement à une question, c’est-à-dire avant de l’avoir
comprise et d’en avoir saisi tous les aspects. Tel est tout particulièrement le but de la
dissertation de philosophie: s’exercer à se déprendre de ses préjugés ou idées
«hâtives» sur une question, et ne considérer que l’on a une pensée propre, une
pensée véritablement personnelle, qu’au terme d’une réflexion et d’une
confrontation d’idées opposées, non à la première lecture du sujet.Voi
pourquoi, en posant un problème à partir d’une notion, d’un sujet ou d’untexte, en le
résolvant grâce à l’analyse rigoureuse des termes nécessaires à leur compréhension et à
la confrontation des réponses possibles, il s’agit toujours de découvrir ce que l’on va
penser et non de développer longuement et artificiellement une idée ou une intuition que
l’on aurait dès le départ sur le sujet, la notion ou la thèse de l’auteur.
5) ÉVALUATION D’UN ARGUMENT PAR SON INSERTION DANS UN DIALOGUE
CRITIQUEOU PAR SA CONFRONTATION À DES EXEMPLES
Il convient d’éprouver la valeur d’un argument, lequel sans cela peut s’avérer
insuffisant, voire faux.On peut alors procéder: 1. soit en insérant l’argument dans un
dialogue critique, c’est-à-dire en testant sa légitimité au moyen d’objections ; 2. soit en
le confrontant à des exemples, c’est-à-dire en cherchant s’il n’existe pas des contre-
exemples susceptibles d’invalider l’idée qu’il a pour fonction d’étayer, de prouver.Il va
de soi que ces deux opérations sont complémentaires. Sur le statut de l’exemple, on se
reportera à la remarque figurant dans la méthodologie de la dissertation (sur le travail
préalable d’analyse au brouillon).
6) PROGRESSION ARGUMENTÉE DANS LES ÉTAPES DE L’ANALYSE
Dans un sujet de dissertation comme dans un commentaire de texte, la
progressionde l’analyse s’effectue par étapes: or, le passage d’une idée simple à une
idée pluscomplexe, voire d’une thèse à laquelle on serait tenté d’adhérer spontanément
à une thèse moins évidente, doit nécessairement être argumenté, c’est-à-dire justifié.
7) APPRÉCIATION DES RÉSULTATS D’UN PARCOURS ARGUMENTATIF
Il s’agit de dresser un bilan. À la fin d’un développement oral ou de chaque
partied’un devoir écrit et a fortiori à la fin du devoir lui-même , il est
nécessaire eneffet de rappeler et de résumer les différents arguments
avancés, mais aussi et surtout le lien qui les unit et qui a permis de passer de
l’un à l’autre. Ainsi peut-on apprécier, évaluer, les résultats obtenus. Ce travail de
récapitulation doit être renouvelé aussi souvent que possible: il permet de s’assurer que
l’on répond bien à la question du texte ou à celle du sujet et de contrôler la rigueur de
l’argumentation.
8) L’USAGE DES CONNAISSANCES EN PHILOSOPHIE
L’usage des connaissances n’est ni un but en soi, ni le moyen de satisfaire à
uneexigence arbitraire.En utilisant des références et des connaissances, il ne s’agit
pas de penser sous l’autorité de tel ou tel auteur et, ce faisant, de renoncer à formuler
une pensée personnelle.Grâce au soutien de certaines connaissances soigneusement
sélectionnées, il s’agitau contraire d’aller plus loin et plus vite dans l’analyse d’un sujet
ou la compréhension des enjeux d’un texte. Un auteur a pu passer une partie de sa vie à
résoudre certaines des questions que vous allez traiter en quatre heures.En
connaissant la distinction qu’Aristote fait entre le bonheur et le plaisir, par
exemple, on ne confondra pas le premier avec le bien-être, le confort personnel
ou encore la alisation de ses désirs, tout au long d’une analyse portant sur la
question.Ce qui compte, ce n’est pas la référence par elle-même (personne ne vous
sera reconnaissant de parler de Kant ou de Spinoza), mais l’usage que l’on en fait par
rapport au sujet, dans l’économie de son propre développement.Toute référence doit
donc être soigneusement commentée et justifiée, donc maîtrisée.Toute remarque
allusive à la pensée d’un auteur sera non seulement inutile mais nuisible au déroulement
du raisonnement. Mieux vaut ne pas évoquer une référence que l’évoquer
mal.Pour finir, il convient de noter qu’une seule référence peut très bien, selon le
sujet,suffire dans une dissertation l’essentiel étant de disposer de définitions
précisesdes notions en jeu dans la question.
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