Interview de Manuel VALLS, Premier ministre, pour « Diaro Economico » Parution vendredi 10 avril, jour du déplacement. Quel est le but de votre visite au Portugal ? Quel message allez-vous transmettre au Premier ministre portugais Pedro Passos Coelho ? Cette visite me tenait particulièrement à cœur. Des liens exceptionnels unissent nos deux pays. Ils sont nourris par notre histoire commune. Je pense notamment aux combats de la Première guerre mondiale. Ils sont nourris aussi par les flux migratoires et les intenses échanges diplomatiques, économiques, culturels, touristiques qui existent entre nos deux nations. La France est un partenaire privilégié du Portugal. Elle l’est toujours restée, y compris durant les années difficiles que votre pays a traversées. Je suis ici pour délivrer deux messages. D’abord, pour expliquer, comme je le fais dans tous les pays d’Europe, que la France se réforme, et qu’elle est donc de plus en plus attractive pour les entreprises. 200 entreprises portugaises sont d’ailleurs implantées chez nous. Cette dynamique peut encore s’accroître. Ensuite, pour dire que l’amitié franco-portugaise est une richesse pour nos deux pays, mais aussi pour l’Europe. Nos deux pays doivent porter ensemble une même vision, notamment pour une application rapide d’un plan européen d’investissement et de croissance. Il y a urgence à donner au projet européen, auquel les Portugais sont je le sais attachés, tout son éclat. Lisbonne, aux côtés de Madrid, a fait pression sur Paris pour augmenter les interconnexions énergétiques dans les Pyrénées. Croyez-vous que l’objectif de 10% pourra être atteint en 2020 ? Oui, grâce aux interconnexions existantes – interconnexion électrique entre la France et l’Espagne inaugurée en février – ou à l’étude – interconnexion sous-marine dans le Golfe de Gascogne. Grâce aussi à de nouveaux projets que nous allons identifier avec la Commission européenne. Le projet de gazoduc MIDCAT entre le sud-est de la France et la Catalogne est également étudié. La France est donc pleinement engagée, en étroite collaboration avec le Portugal et l’Espagne. C’est un enjeu de sécurité énergétique, mais aussi de réduction de nos émissions de CO2. La France, qui accueille cette année la conférence Paris Climat 2015, a à cet égard une responsabilité toute particulière. Comment ces projets seront-t-ils financés ? Avez-vous des garanties pour leur financement ? Le développement des infrastructures énergétiques doit bénéficier d’un large soutien au niveau européen, notamment grâce au mécanisme pour l'interconnexion en Europe, aux fonds structurels et au fonds européen pour les investissements stratégiques récemment présentés par la Commission européenne et la Banque européenne d'investissements. A ce titre, la présence du président de la BEI, Werner Hoyer, au sommet sur les interconnexions de Madrid a été vivement saluée par la France, l’Espagne et le Portugal. La Banque publique d’investissement a été évoquée comme possible partenaire de la nouvelle banque d’investissement portugaise. Y a-t-il de nouveaux développements sur ce front ? La banque publique d’investissement était un engagement de campagne de François HOLLANDE. Depuis sa mise en œuvre, elle a montré toute sa pertinence. Je comprends donc que la nouvelle banque d’investissement portugaise s’intéresse de près à ce modèle. Nous sommes évidemment disponibles pour mettre en place une coopération et aider le gouvernement à définir un modèle de banque publique adapté à l’économie portugaise. La victoire socialiste en France a créé beaucoup d’attentes au sein de la famille socialiste européenne. Comment commentez-vous aujourd’hui une certaine désillusion de la gauche européenne qui, au demeurant, qualifie de ‘trahison’ les récentes réformes françaises ? En arrivant au pouvoir en 2012, la gauche a hérité d'une situation très dégradée, notamment en matière de dettes et déficits publics. Il fallait donc agir. La gauche est forte quand elle s’occupe du réel. Mon souci, c’est l’efficacité dans la justice : faire que tous nos choix soient guidés par le principe de justice sociale. Je comprends l’attente de résultats concrets. C’est celle de tous les Français et de tous les peuples européens, et la gauche ne doit être jugée que sur ces résultats. Nous y travaillons. La France a besoin de mener les réformes nécessaires pour que son économie reste compétitive. Sans cela, pas de création de richesses, pas de créations d’emplois, et pas de redistribution possible. Et nous travaillons en parallèle à casser les inégalités à la racine, par l’éducation, la formation tout au long de la vie, la modernisation de nos services publics, l’accès à la santé, au logement, une lutte acharnée contre toutes les discriminations. C'est tout cela l'enjeu idéologique de la nouvelle social-démocratie en Europe. J’en discute régulièrement avec mon ami Antonio Costa. Bruxelles a donné deux années de plus à Paris pour redresser ses comptes publics. En même temps, les dirigeants européens ont opté pour une négociation très dure avec la Grèce. Y a-t-il deux poids et deux mesures dans le processus européen, selon la dimension du pays ? Absolument pas. La France n’a bénéficié d’aucune dérogation, exemption ou traitement de faveur. La mauvaise conjoncture économique en 2014 et la très faible inflation ont conduit à une détérioration de notre trajectoire budgétaire, rendant nécessaire ce délai de deux ans. Mais la commission a estimé que la France avait bien réalisé en 2014 l’effort budgétaire qui lui avait été demandé. D’ailleurs, le déficit de la France pour l’année 2014 est finalement de 4%, au lieu de 4,3 %. Quelle est la position de Paris sur la question de l’allègement de l’austérité en Grèce ? Le bras-de-fer d’Athènes avec les institutions européennes peut-il dégénérer en une sortie de la Grèce de la zone euro ? La position de la France n’a jamais varié : il faut tenir compte du vote du peuple grec, mais il y a aussi un cadre institutionnel et des engagements pris. Ils doivent être respectés. Comme vous le savez, le temps presse. L’Etat grec doit faire face prochainement à des échéances de remboursement importantes. Et les choses sont simples : pour que l’assistance financière européenne puisse jouer normalement, le gouvernement grec doit définir rapidement une liste de réformes plus profondes. Il y a des progrès, mais ils sont encore insuffisants. Nous devons donc inviter les autorités grecques à persévérer dans leurs efforts. Depuis le début, la France cherche à créer les conditions d’une solution acceptable pour tous. Pour nous, une sortie de la Grèce de la zone euro n’est pas une option envisageable. Syriza en Grèce, Podemos en Espagne mais aussi le Front National en France montrent combien les Européens se sentent attirés par les mouvements plus radicaux. Pourquoi est-ce que les partis ‘mainstream’, dont les partis français, perdent de plus en plus d’électeurs ? Sur quels points font-ils défaut ? Les raisons sont bien connues : la faiblesse de la croissance économique, la persistance d’un chômage de masse, la perte de confiance dans les institutions et les représentants politiques, l'intensification de la globalisation économique, l'accélération des mouvements migratoires. A ces questions complexes, les populistes apportent des réponses simplistes – xénophobes, dans le cas de l’extrême droite. C'est fondamentalement ce qui les rend attractives. Face à cela, il faut bien sûr dénoncer les remèdes dangereux – je pense à la sortie de l’Euro, ou de l’Europe – qui nous mèneraient non seulement dans une impasse mais à un désastre. Il faut surtout agir sans relâche et montrer que ce que nous faisons a un impact concret sur la vie quotidienne des gens : emploi, pouvoir d’achat, perspectives d’avenir pour notre jeunesse. C’est la condition pour restaurer la confiance. Le ‘flirt’ entre Athènes et Moscou peut-il mettre en danger le consensus européen s’agissant des sanctions envers la Russie? Jugez-vous que ces sanctions économiques produisent l’effet escompté ? L’Union européenne a adopté depuis le début de la crise ukrainienne une position équilibrée : fermeté – parce que les violations de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ne sont pas acceptables – et dialogue, car la voie politique doit permettre la stabilisation de la situation pour avancer vers une solution durable. C’est à ce titre qu’elle a décidé d’adopter des sanctions vis-à-vis de la Russie, à trois reprises au cours de l’année écoulée. Les sanctions ne se suffisent pas à elles-mêmes, mais elles constituent un élément important de la réponse de l’Union européenne. L’EU doit-elle maintenir cette politique inchangée si les trêves de la crise ukrainienne se maintiennent ? Les sanctions seront allégées, au fur et à mesure de la mise en œuvre de l’accord. Le Conseil européen de mars dernier l’a rappelé. C’est évidemment notre souhait et François Hollande ne ménage aucun effort pour y parvenir.