Les mutations agricoles furent elles indispensables à l’industrialisation ? En 1960, l’économiste W. W. Rostow, conseiller du président Kennedy présente dans Les étapes de la croissance économique une vision linéaire de l’évolution des sociétés humaines, en cinq étapes. Les sociétés traditionnelles, pour passer dans une phase de croissance économique (soit la deuxième phase), doivent remplir des conditions préalables au décollage (take off), dont la révolution agricole. Pour dégager cette règle générale, Rostow s’est appuyé sur les bouleversement structurels ayant révolutionné le cours des XVIII° et XIX° siècles : les avancées dans le secteur agricole ont durant cette période accompagné l’émergence de l’industrie. Ce constat nous amène à nous interroger quant aux interactions liant la transformation des techniques agricoles à cette extraordinaire croissance économique. Si les mutations agricoles ont été l’une des causes majeures de la révolution industrielle en Europe, elles ne sont néanmoins pas l’unique source du changement et ont été largement encouragées par l’industrialisation. I. Les révolutions agricoles survenues en Europe occidentale au XVIII° ont provoqué la première révolution industrielle. A. Les origines des mutations agricoles 1. Les mutation des pratiques dans le secteur agricole est le fruit de la recherche scientifique effectuée par les aristocrates (landlords britanniques) ou agronomes dès le début du XVIII° siècle. Ils préconisent alors la sélection des races d’élevage et la rationalisation de l’agriculture. 2. En Grande-Bretagne, pionnier des bouleversements structurels qui modifient le cours du siècle, l’enclosure act voté en 1727 par le parlement met fin à la propriété collective qui limitait jusqu’alors les initiatives individuelles, d’où un remembrement des parcelles cultivées. 3. Les techniques de culture et d’élevage sont repensées de manière à permettre un rendement optimal des espaces : l’alternance entre la culture céréalière et le fourrage destiné aux bovins permet un accroissement du cheptel qui occasionne plus grande productivité des terres, enrichies par le fumier. B. Les conséquences économiques et sociales de ces mutations 1. L’exode rural progressif, du fait du remembrement des parcelles agricoles, cause la montée du salariat et de la classe ouvrière, main d’œuvre nécessaire au développement des industries naissantes. 2. L’augmentation de la taille moyenne des surfaces exploitées doublée de rendements croissants liés à une production plus efficace a entraîné la formation de capital porté par la suite vers l’industrie. 3. Alors que les mutations rurales contribuent à la rationalisation de la production, la transition démographique fournit des débouchés aux produits agricole, plus particulièrement dans les villes. II. Cependant, les deux processus restent difficilement dissociables et entretiennent des relations complexes. A. Les progrès techniques issu de la révolution industrielle sont à la source de l’accroissement de la production agricole. 1. La révolution industrielle s’accompagne du développement de la mécanique, qui soutient les avancées réalisées dans le domaine agricole (la première moissonneuse-batteuse est mise au point en 1834 par Mac Cormick aux Etats-Unis). 2. L’essor des sciences et plus particulièrement de la chimie conduit à la mise au point d’engrais. Ainsi, les succès de la révolution industrielle soutiennent la révolution agricole, dans une logique cyclique. 3. Les produits issus de la révolution industrielle trouvent donc de nouveaux débouchés ce qui permet le « déversement » de la main d’œuvre agricole vers les industries des villes, en plein essor. B. Une multitude de facteurs entrent en compte dans les débuts de la révolution industrielle. 1. La croissance massive de la population urbaine (et donc des classes salariées) n’est pas toujours une conséquence directe des mutations agricoles : en Grande-Bretagne, les poor laws de 1795 visent à empêcher les afflux de populations misérables en ville. La phase de transition démographique compte ici pour beaucoup. 2. Outre les campagnes, le capital réinvesti dans l’industrie provient notamment de la montée de la bourgeoisie, issue du négoce et prête à entreprendre. 3. L’industrialisation trouve également ses racines dans le domaine politique et économique (les corn laws sont abolies dès 1846). La révolution industrielle serait plutôt le produit de la convergence de multiples variables, sans que l’on puisse distinguer une source unique à ces bouleversements. Bien que les progrès réalisés au cours des XVII° et XVII° siècles dans le secteur agricole aient été en grande partie à l’origine de la révolution industrielle, ces mutations, bien que cruciales ne suffirent sans doute pas et le succès de l’industrialisation reste lié au contexte général (démographique, économique, politique, social). L’étude de cette période ne nous permet donc pas de dégager de règle générale, de corrélation systématique entre ces deux phénomènes. En outre, cette question n’est pas encore véritablement tranchée et bien que W. W. Rostow ait montré qu’une révolution agricole est une préalable nécessaire à l’industrialisation, le débat n’est pas clos parmi les partisans du développement durable. Au sein de l’OMC, le groupe de Cairns exercent toujours une pression sur les Etats-Unis et l’Union Européenne, assurant un soutien massif à leur propres agriculteurs, afin de voir se développer leur agriculture puis leur industrie.