Napoléon empereur des franc-maçons Comme tous les grands hommes, il se considérait au-dessus des partis. Et des obédiences, bien sûr. Ce qui n'empêche pas la franc-maçonnerie de l'honorer comme un des siens. A tort ou à raison ? Par Historia Beaucoup d'amateurs d'Histoire se demandent pourquoi Napoléon, près de deux siècles après son sacre, reste une telle star, y compris à l'étranger, comme l'a montré un récent Historia thématique (n° 78 de juillet-août 2002). « L'homme le plus célèbre après Jésus » - pour reprendre le sous-titre d'un excellent documentaire qui lui est consacré -, doit sans doute, aussi, sa phénoménale notoriété aux mystères qui l'entourent. A commencer par celui des circonstances exactes de sa mort, trame d'un film récent d'Antoine de Caunes et source de débats et de controverses récurrentes depuis maintenant près de quarante ans. Autre zone d'ombre tenace : son appartenance à la franc-maçonnerie. Dans leur prestigieuse collection « La Bibliothèque napoléonienne », les éditions Tallandier viennent de rééditer l'ouvrage de référence du regretté François Collaveri : Napoléon franc-maçon ? La préface de Jean Tulard pose, une fois de plus, remarquablement bien le problème : « Napoléon était-il franc-maçon ? La question semble avoir moins intéressé les contemporains de l'Empereur que la postérité. » Intéressé ? C'est le moins que l'on puisse dire, tant la littérature consacrée au sujet est abondante, pour ne pas dire imposante. Une excellente raison pour la rédaction d'interroger les meilleurs spécialistes, histoire, si l'on peut dire, d'essayer d'y voir plus clair. Première certitude : l'entourage napoléonien est entièrement acquis à la cause. La famille ? Le père, ses quatre frères, une de ses soeurs, son épouse Joséphine : tous maçons. Les grands dignitaires militaires ? Sur les 26 maréchaux, 18 sont maçons et 3 ont peut-être été initiés. Les officiers ? Les « frères » représentent le quart de l'encadrement de l'infanterie de ligne avec 97 % des colonels, les trois quarts des quartiers-maîtres ou la moitié des chefs de bataillon. Alain Pigeard nous raconte par le menu comment cette appartenance constituait sur les champs de bataille un saufconduit non négligeable lorsque l'on était blessé ou fait prisonnier. On ne s'étripe pas, semble-t-il, entre membres de la grande Fraternité et ce, quelle que soit la couleur de l'uniforme. Le faisceau de présomption se resserre encore avec la campagne d'Egypte, où bon nombre de savants illustres de l'époque, issus notamment de Polytechnique, sont francs-maçons. Pour certains auteurs, le futur Empereur aurait été initié au pied des pyramides. Voire. Car c'est là que commence l'énigme. Napoléon n'a jamais affirmé appartenir à la maçonnerie, pas plus qu'il ne l'a infirmé. François Collaveri conclut pour sa part, malgré l'absence de documents (fait courant), à une initiation en Egypte, ce que les francs-maçons écossais revendiquaient depuis 1798. JacquesOlivier Boudon, à son tour, déclare dans nos colonnes que l'appartenance ne fait guère de doute. On objectera que la question peut paraître mineure en regard de l'oeuvre impériale. Sans doute. Mais l'Histoire, comme le pouvoir, est aussi faite de réseaux, d'influences concomitantes, de synergie d'intérêts. Qu'un personnage, historique ou non, est aussi la résultante de son entourage familial ou professionnel. Et qu'à ce titre, le thème de ce dossier est beaucoup moins anecdotique ou sulfureux qu'il n'y paraît. Même à l'heure de notre bouclage (début mars) où l'imminence d'une guerre en Irak nous a conduits à éclairer un siècle d'affrontements pétroliers dans le Golfe persique. Le sens des trois points Le F suivi de trois points signifie l'appartenance à la franc-maçonnerie. Les points apparaissent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ce n'est que vers 1775 qu'ils sont disposés en triangle. Cette marque sert à coder les manuscrits ne devant pas être accessibles au profane. Nous avons repris cette symbolique graphique dans ce dossier. Une tradition "very british" Issue d'anciennes corporations de tailleurs de pierre, la franc-maçonnerie telle que nous la connaissons apparaît en Ecosse et en Angleterre au début du XVIIIe siècle, lorsque les loges s'ouvrent à des personnes étrangères à la profession. Par Jean-Michel Mathonière * D'où vient la franc-maçonnerie ? La question s'est posée dès les premières décennies qui suivent sa naissance officielle en juin 1717 à Londres, et n'a cessé, depuis, de préoccuper tous ceux qui s'intéressent à l'ordre maçonnique. Pour tenter d'y répondre, l'historien dispose de deux types de sources documentaires qu'il n'est pas facile d'accorder entre elles : d'une part, la tradition maçonnique telle qu'elle est exposée dans les Constitutions de la première Grande Loge, publiées par James Anderson en 1723, et, d'autre part, divers documents concernant les loges d'avant 1717. Les Constitutions contiennent une importante partie historique, l'enjeu étant pour la nouvelle institution de démontrer ainsi sa légitimité. Les quatre loges londoniennes à l'origine du mouvement sont présentées comme établies « depuis un temps immémorial » et procédant sans rupture d'anciennes loges de tailleurs de pierre (« maçons » au sens propre du terme). Anderson dit avoir compilé les archives détenues par les loges « opératives » d'Angleterre et d'Ecosse, ainsi que celles de plusieurs royaumes du continent. D'après ces Old Charges (c'est-à-dire « anciennes obligations » ou « vieux devoirs »), la tradition maçonnique remonte jusqu'à une époque antédiluvienne. Sont ensuite évoqués les épisodes de la construction de la tour de Babel, du Temple de Salomon, etc. jusqu'à la transmission de la maçonnerie en Angleterre via la France, à l'époque de Charles Martel (VIIIe siècle). Cette partie de l'histoire emprunte largement aux sources bibliques et à la littérature merveilleuse chrétienne, et elle se poursuit par l'évocation des croisades et du temps des cathédrales, nouvel âge d'or des bâtisseurs. Au cours du XVIIe siècle, la déchéance du métier aurait amené les maçons opératifs à accepter dans leurs loges, pour qu'elles survivent, des personnes étrangères à la profession. D'après la théorie dite de la « transition », c'est le nombre grandissant de ces « acceptés », ainsi que la vision différente qu'ils avaient de la vocation de l'association, qui conduisirent tout naturellement à la naissance d'une structure purement spéculative, la maçonnerie « opérative » semblant alors s'être lentement éteinte. Il subsiste quelques-uns de ces manuscrits des Old Charges , documents qui se composent d'une histoire du métier et d'un règlement destiné aux tailleurs de pierre et qui font l'objet d'une lecture lors de la réception de nouveaux membres. La plupart de ces textes proviennent d'ailleurs des archives de vieilles loges spéculatives, ce qui tend à accréditer l'idée de la continuité naturelle avec les loges antérieures. Les plus anciens datent du Moyen Age (manuscrit Regius , 1390, et Cooke , 1400-1410). Leur analyse indique l'existence de versions plus anciennes qui sont perdues. Il faut attendre le XVIIe siècle et même le début du XVIIIe pour trouver une nouvelle strate significative de documents du même type, certains étant des copies manifestement réalisées à l'usage de loges déjà spéculatives. Il existe aussi une autre famille de documents, qui datent de l'extrême fin du XVIe siècle et concernent les maçons opératifs écossais ( Statuts Schaw , 1599). S'ajoutent à ces documents internes, quelques mentions éparses de l'existence des loges maçonniques dans divers récits du XVIIe siècle, indications qui montrent que se sont effectivement introduites dans les loges des personnes étrangères à la profession, et qui, pour certaines, appartiennent à des milieux érudits ( Royal Society ) s'intéressant de près aux doctrines hermétiques (alchimie, kabbale, rosicrucianisme). Aucun de ces documents ne permet de comprendre de manière explicite le processus de naissance du courant spéculatif. La théorie de la « transition » reste finalement très floue à l'égard des motivations qui auraient poussé, d'une part, les spéculatifs à fréquenter assidûment les loges opératives, et, d'autre part, les opératifs à les y accepter. Elle est battue en brèche depuis plusieurs décennies par d'autres théories, certaines allant jusqu'à considérer qu'il n'y a en réalité aucun lien organique entre opératifs et spéculatifs, ces derniers n'ayant fait qu'emprunter aux premiers des formes dont ils auraient détourné la fonction. Ces théories se distinguent entre elles quant à la motivation première de ce détournement : politique, religieux ou, plus généralement, social. L'Angleterre du XVIIe siècle est effectivement en proie à diverses crises et la sociabilité fraternelle des loges aurait permis de surmonter certains clivages. La dernière théorie en date est celle de l'historien écossais David Stevenson (1993) qui met en évidence le rôle considérable qu'auraient joué dans ce processus les loges opératives écossaises de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe, dans lesquelles on relève déjà la présence de personnalités plus ou moins étrangères au métier. Cependant, quelles que soient les qualités documentaires de ses recherches, Stevenson reste lui aussi assez peu convaincant quant aux motivations, nécessairement mutuelles, poussant opératifs et spéculatifs à se côtoyer, alors même que certains des gentlemen maçons écossais possèdent un lien étroit avec le métier. Au demeurant, il ne fait qu'effleurer un point essentiel qui fournit sans doute la clé de l'énigme : l'immense intérêt porté à l'oeuvre de Vitruve, redécouverte dans la seconde moitié du XVe siècle. L'architecte y est défini non seulement comme devant être savant dans les techniques de construction, mais aussi comme devant s'intéresser à toutes les sciences. C'est là un programme que les architectes de la Renaissance s'efforceront de suivre. Il n'est que de lire certains passages de l' Architecture de Philibert Delorme (1514-1570), fils d'un maître maçon lyonnais, pour se convaincre que la dichotomie opératif-spéculatif n'a guère de sens : pour expliquer certains emblèmes et symboles maçonniques, il cite la Bible, mais aussi des sources appartenant à la tradition hermétique, tel le néoplatonicien Marsile Ficin ou encore Francesco Colonna, l'auteur du Songe de Poliphile . Comme en témoignent à leur manière les marques typographiques, cet intérêt pour la dimension spéculative et ésotérique de l'architecture est alors européen et il est partagé tout aussi bien par les érudits, notamment à cause des connaissances géométriques des tailleurs de pierre, que par les bâtisseurs, successeurs du « Grand Architecte » qui, au commencement, traça un cercle à la surface du chaos ( Proverbes , VIII). L'étude des anciens compagnonnages français de tailleurs de pierre (Devoirs) met également en évidence le fait qu'il ne s'agissait pas tous d'ouvriers plus ou moins incultes, et l'on constate la même chose dans les territoires germaniques. Leur clientèle, avec laquelle ils entretiennent souvent des liens amicaux, est précisément le milieu dans lequel recruteront les loges au XVIIIe siècle. * Spécialiste de l'histoire des compagnonnages, Jean-Michel Mathonière a notamment publié Le Serpent compatissant. Iconographie et emblématique du blason des compagnons tailleurs de pierre (La Nef de Salomon, 2001). Comprendre Spéculative La franc-maçonnerie moderne est, dès le XVIIIe siècle, qualifiée de "spéculative" car elle emploie des symboles du métier de maçon pour nourrir la réflexion intellectuelle de ses membres, mais n'exige aucunement d'eux l'exercice réel de ce métier. Opérative Par opposition, "opérative" est un terme plus récent forgé par les historiens pour désigner la franc-maçonnerie d'avant l'époque moderne et constituée de véritables tailleurs de pierre et de maçons. Le réveil Révolution des "frères" après la Mises en sommeil durant les heures sombres de la Révolution, les loges se réactivent sous le Consulat et l'Empire, quand l'initiation devient une preuve d'honorabilité et de réussite. Par Jacqueline Lalouette * Implantée en France en 1725, la franc-maçonnerie y est florissante à la veille de la Révolution. Si la Grande Loge, dite Grande Loge de Clermont, compte moins de 200 loges, le Grand Orient, fondé en 1773, en rassemble environ 700, dont 84 à Paris et 479 en province, sans omettre des loges coloniales ou étrangères et des loges régimentaires. Il doit sa vitalité à son administrateur général, le duc de MontmorencyLuxembourg, plus qu'à son Grand Maître, Louis Philippe Joseph, duc de Chartres, puis duc d'Orléans. La noblesse, d'épée ou de robe, est largement présente dans les ateliers ; les aristocrates maçons représentent parfois jusqu'à 30 % des effectifs d'une loge. Dans les villes de Parlement, la présence des magistrats n'y est pas exceptionnelle. A Rouen, Louis François Elie Camus de Pontcarré, Premier Président du Parlement en 1782, est membre honoraire de la Céleste Amitié de 1782 à 1787 ; à Grenoble, en 1785, le vénérable de la loge Bienfaisance et Egalité est le Président de Barral de Montferrat, le premier surveillant, l'avocat général Savoye de Rollin et le deuxième surveillant, le conseiller La Salcette ; sur les tableaux de la loge dijonnaise la Concorde établis entre 1777 et 1783 figurent cinq Présidents ou anciens Présidents et cinq conseillers. Dans certaines loges, la présence des financiers est forte, comme dans les loges parisiennes les Amis réunis ou la Société olympique, à laquelle appartient Necker. Ailleurs, le monde du grand négoce l'emporte ; en 1789, les deux tiers des 48 frères du Nouveau Peuple éclairé de Marseille appartiennent à l'oligarchie des affaires. De nombreux ecclésiastiques, réguliers ou séculiers, sont aussi devenus enfants d'Hiram. De 1775 à 1785, la loge la Parfaite Union de Rennes a initié douze ecclésiastiques, parmi lesquels figuraient plusieurs prieurs (ceux des minimes, des bénédictins, des augustins) et le procureur des jacobins ; en 1786, la loge les Vrais Amis de Bourg-en-Bresse accueille le prieur des dominicains et celui des augustins, ainsi qu'un chanoine d'Ainay (Lyon). En Normandie, la présence des bénédictins de Saint-Maur est remarquable. Enfin, il convient de ne pas oublier les dames des loges d'adoption, comme la princesse de Lamballe. La vie maçonnique est consacrée aux relations mondaines et à la philanthropie : aide aux vieillards, aux orphelins et aux indigents, réalisation de projets coûteux comme la construction d'hôpitaux. La culture, la lecture et les arts sont à l'honneur. Dans certains orients, les frères sont aussi membres d'une académie ; dans d'autres, au contraire, ils ont demandé à recevoir la lumière après avoir été rejetés par des académies au fonctionnement particulièrement élitiste. A Paris, la loge la Société olympique, fondée en 1783, initie des musiciens et organise des concerts ; Haydn compose à son intention six symphonies, dites « symphonies parisiennes ». Malgré ce dynamisme, à la fin du XVIIIe siècle, le Grand Orient traverse une crise de valeurs. L'obédience est travaillée par une démocratisation de ses structures et l'on assiste à « une descente sociale du fait maçonnique » selon l'expression d'Eric Saunier, qui gagne la petite bourgeoisie. Toutes les loges n'acceptent pas cette évolution et certaines tiennent à leur élitisme social ; à Rouen, les petits bourgeois rejetés par les loges nobiliaires se rassemblent dans une nouvelle loge, l'Ardente Amitié : le mot « égalité » n'a pas le même sens dans le monde maçonnique et dans le monde profane. Par ailleurs, une frange de la maçonnerie manifeste son intérêt pour des questions idéologiques ; elle rompt ainsi avec le traditionnel apolitisme des loges, seule attitude permettant aux francs-maçons de prouver qu'ils sont de loyaux sujets, de rendre inutile la surveillance de la police et de réduire à néant les critiques de leurs adversaires. Cette neutralité n'est d'ailleurs pas feinte, et pour de nombreux maçons, le respect des pouvoirs établis est une exigence ; elle leur permet de s'adapter à différents régimes. Les débuts de la Révolution voient les francs-maçons se diviser. Dès ses prémices, certains manifestent leur attachement à l'Ancien Régime. Le duc de MontmorencyLuxembourg accepte de renoncer aux privilèges financiers de la noblesse, mais refuse absolument le principe du vote par tête aux états généraux ; il émigre le 15 juillet 1789. Les maçons rouennais Camus de Pontcarré et Lambert de Frondeville sont hostiles à toute innovation ; lors des journées d'octobre 1789, le second conseille même à Louis XVI de répondre au peuple soulevé par des coups de canon. A Marseille, le marquis de La Fare, membre de la loge le Nouveau Peuple éclairé, s'oppose à toute réforme, émigre et entretient des relations avec un réseau contrerévolutionnaire. Au total, 29 % des maçons nobles émigrent avant la fuite du roi. Mais nombre de frères font au contraire preuve de libéralisme, aspirent à des réformes et sont favorables à une monarchie constitutionnelle. Actifs lors de la rédaction des cahiers de doléances et de la préparation des élections pour les états généraux, des députés maçons, notamment du tiers état, mais aussi du clergé, se rangent derrière Mirabeau (qui avait été affilié à la loge parisienne les Neuf Soeurs au mois de décembre 1783) et se montrent favorables à la formation d'une Assemblée nationale constituante. Parmi les 1 200 députés de la Constituante se trouvent un peu plus de 200 maçons. Divers auteurs insistent sur les positions modérées des francs-maçons durant la période révolutionnaire. Ces derniers se sentent progressivement dépassés par les événements ; la prise des Tuileries (La Fayette quitte la France après le 10 août 1792), l'exécution de Louis XVI et celle des Girondins les poussent à prendre leurs distances avec une Révolution qui leur semble aller trop loin. Aussi nombre de francs-maçons sont-ils emprisonnés ou guillotinés. Plus d'un fils d'Hiram monte en effet sur l'échafaud, et tout d'abord l'ancien Grand Maître du Grand Orient, le duc d'Orléans, dont la tête tombe le 6 novembre 1793. A Toulouse, durant le premier trimestre 1794, 70 maçons figurent sur la liste des personnes guillotinées. Toutefois, bien d'autres francs-maçons adoptent des positions moins mesurées : Marat n'est-il pas franc-maçon ? Le 17 janvier 1793, la moitié des conventionnels maçons votent contre la mort du roi, l'autre moitié est composée de régicides, comme Charles-François Duval de La Bréhonnière et Joseph-Marie Séveste de La Mettrie, membres de la loge l'Egalité de Rennes, ou Prieur de La Marne, membre de la Triple Union de Reims et probablement de la Bienfaisance chalonnaise. A l'opposé, dans l'Ouest, des maçons s'engagent dans la chouannerie. Une conclusion s'impose : pendant la Révolution, les francs-maçons n'ont pas suivi une ligne politique unique ; que ce soit sous la Constituante, la Législative ou la Convention, on trouve des frères d'opinions divergentes ou contraires. Un épisode rend parfaitement compte de cette diversité. Le 10 août 1792, le maçon Pierre-Dominique Garnier, futur général d'Empire, est à la tête du 21e bataillon qui s'empare des Tuileries, alors que 11 des 50 officiers des gardes suisses assurant la défense du palais sont eux aussi maçons. Les francs-maçons qui ont exercé une action politique l'ont d'ailleurs fait en leur nom propre et non en celui de leur obédience ou de leur loge. Tandis que les francs-maçons adoptent ainsi des positions différentes, les loges cessent progressivement de fonctionner. Pour la plupart, la mise en sommeil survient en 1790, 1791 ou durant le premier semestre 1792 ; mais quelques-unes ont arrêté leurs activités dès 1789, comme la Parfaite Union d'Orléans, l'Union de la Sincérité de Troyes ou la Société olympique, dont le siège, situé sous les arcades du PalaisRoyal, a été envahi par les gardes françaises dès le mois de juillet 1789. Cette suspension de l'activité maçonnique s'explique par la difficulté des temps, la dispersion des frères et la multiplicité des fonctions auxquelles ils sont appelés. La loge des Vrais Amis de Bourg-en-Bresse ne transmet au Grand Orient son tableau de 1789 qu'en février 1790, avec ces explications : « Les révolutions qui ont agité cette ville comme le reste du Royaume ont apporté du relâchement dans nos travaux, plusieurs de nos frères étant spécialement chargés des affaires publiques. » En effet, les francs-maçons, qui sont souvent des notables, se trouvent logiquement chargés de tâches administratives, dans les départements, les districts, les municipalités. Les mutations de la sociabilité entraînent un transfert d'activité des loges vers les clubs et les sociétés populaires. Malgré tout, quelques loges du Grand Orient fonctionnent encore en 1793 et 1794 grâce à une forme de « mimétisme révolutionnaire ». Quatre loges de Toulouse (Les Coeurs réunis, la Française SaintJoseph des Arts, la Sagesse et les Vrais Amis réunis) se transforment en « loges républicaines », brûlent leurs anciennes constitutions, exigent un certificat de civisme des candidats à l'initiation, font revêtir un bonnet rouge à leurs dignitaires. Paradoxalement, d'anciennes règles maçonniques sont conservées dans ces loges républicaines ; elles refusent d'initier les domestiques et les travailleurs manuels salariés et maintiennent une ségrégation sociale entre loges de petits artisans (les Vrais Amis réunis) ou de gros négociants (la Sagesse). Le représentant en mission les fait d'ailleurs fermer au mois d'octobre : le pouvoir révolutionnaire voit souvent d'un mauvais oeil ces sociétés secrètes où peuvent conspirer les ennemis de la République. En ces années difficiles, il y a malgré tout quelques fondations. En décembre 1790, le Dr Gerbier installe la loge parisienne des Amis de la Liberté, qui se proposent d'assurer la diffusion du message républicain dans le monde maçonnique ; en 1793, est créée la loge parisienne le Centre des Amis, fondée pour sauvegarder les valeurs et les rites de la maçonnerie traditionnelle. Ces deux loges entretiennent des relations. En octobre 1790, apparaît le Cercle social, qui tient de la loge, du salon littéraire et du club politique, mais qui n'est pas une loge à proprement parler, bien que 20 % de ses membres - parmi lesquels figurent Barère, Condorcet et Camille Desmoulins - soient maçons. Les obédiences se heurtent aux mêmes difficultés que les loges. La Grande Loge de France tient sa dernière réunion le 3 octobre 1791. En 1792, le Grand Orient arrive à former une sorte de comité officieux pour la sauvegarde des personnes et des biens ; il poursuit son activité jusqu'en février 1793. A cette date, il n'a plus de Grand Maître puisque le duc d'Orléans a donné sa démission le 5 janvier 1793, par une lettre célèbre publiée dans le Journal de Paris . Dans ces conditions, que vaut la fameuse thèse du complot, lancée par l'abbé Lefranc, reprise par l'abbé Barruel et indéfiniment ressassée par la suite, par Augustin Cochin, par Bernard FaØ et d'autres ? Que vaut l'opinion d'amis de la Révolution, de la République et de la franc-maçonnerie, comme Louis Blanc, pour qui les loges ont donné une impulsion décisive au processus révolutionnaire ? Tous les travaux des historiens rigoureux et impartiaux en ont fait justice, tout en reconnaissant, qu'à l'instar d'autres sociétés, les loges ont joué un rôle dans la diffusion des Lumières et la propagation de la notion de liberté. Les obédiences reprennent leurs activités après quelques années d'interruption. La Grande Loge se réveille le 24 juin 1795. Le 24 février 1797, le Grand Orient, qui a repris une certaine vigueur depuis 1795, peut à son tour annoncer officiellement sa renaissance. Bonaparte comprend vite l'intérêt politique et social de la francmaçonnerie ; il s'appuie sur elle comme sur une sorte de « parti officiel », afin de contrôler tout ce qui compte dans l'opinion publique. L'abeille napoléonienne s'allie à l'acacia, l'un des symboles de la franc-maçonnerie. Dans les différents orients, les loges, progressivement réveillées après le 9 Thermidor, mais surtout à partir du Directoire, reprennent vie sous le Consulat ou l'Empire. Des loges nouvelles « allument leurs feux » : ainsi, à Paris, la Clémente Amitié en 1805, ou la Rose du Parfait Silence en 1813. La composition des loges change : plus sensible aux condamnations pontificales qu'avant 1789, le clergé ne demande plus l'initiation ; la noblesse d'Ancien Régime rentrée d'émigration hésite à côtoyer la noblesse d'Empire ; les fonctionnaires francs-maçons sont au contraire nombreux. Localement les notables appartiennent souvent à la loge, car, sous l'Empire, l'initiation est considérée comme une preuve d'honorabilité et de réussite. Dans la loge du chef-lieu de préfecture, le maillet de vénérable est souvent tenu par le préfet ; de 1800 à 1814, les francs-maçons représentent 47 % du corps préfectoral. L'exemple de la loge Saint-Jean des Arts d'Auch est exemplaire. En 1806, M. Balguerie, préfet du Gers, tient le premier maillet ; à ses côtés maçonnent le directeur des Droits réunis, le conservateur des Hypothèques, le vice-président du tribunal et d'autres notables civils, et le général de division Dessoles. Les maires trouvent aussi leur place dans les loges, comme Louis Lézurier, maire de Rouen et membre de l'Ardente Amitié ; de 1800 à 1815, les maires successifs de Vannes appartiennent tous à la loge la Philanthropie. Trois des 93 loges que Paris compte en 1810 sont particulièrement prestigieuses, la loge Sainte-Caroline, l'Impériale des Francs Chevaliers et surtout la loge Saint-Napoléon, et cette dernière reçoit « sur ses colonnes » 3 maréchaux, 9 généraux et un vice-amiral ; son vénérable est le naturaliste Lacépède, qui est aussi grand chancelier de la Légion d'honneur. De nouveau, l'activité des loges consiste surtout en mondanités et en pratiques de bienfaisance ; en 1805, la loge Saint-Louis des Amis réunis de Calais met au concours un sujet portant sur « la franc-maçonnerie en tant que société charitable ». Le caractère ésotérique du travail maçonnique est alors pratiquement abandonné, tandis que s'impose la dimension religieuse, avec l'invocation au Grand Architecte de l'Univers. L'inféodation à la dynastie Bonaparte est absolue. Les frères fêtent avec enthousiasme les victoires militaires, le sacre de Napoléon ou la naissance de son fils. Le buste de l'empereur trône dans les loges ; aux Coeurs unis de Blaye, un buste est ainsi inauguré en grande pompe le 29 août 1805. Etroitement liée à l'Empire, la franc-maçonnerie se ressent de la chute de Napoléon. La fin de l'alliance de l'acacia et de l'abeille ouvre une nouvelle période de son histoire. * Spécialiste d'histoire contemporaine, Jacqueline Lalouette est l'auteur de La Libre Pensée en France. 1848-1940 (Albin Michel, 2001) et de La République anticléricale (Le Seuil, 2002). Comprendre Hiram Architecte du Temple de Salomon. Sa légende est au coeur de la maçonnerie : il représente la maîtrise à laquelle tend tout initié. Prince du sang et maçon Le futur Philippe Egalité devient Grand Maître de la Grande Loge en 1773. Il démissionnera de l'Ordre et sera guillotiné en 1793. Napoléon, empereur des franc-maçons Pour la plupart de ses contemporains, son affiliation à l'ordre paraît acquise. Lui-même n'a jamais dit qu'il l'était, mais il n'a pas dit non plus qu'il ne l'était pas... Par Jacques-Olivier Boudon L'entourage de Napoléon est peuplé de franc-maçons, à commencer par ses frères, auxquels il faudrait ajouter Cambacérès bien sûr, mais aussi quatorze des dix-huit premiers maréchaux, nombre de généraux et une pléiade de dignitaires de l'Empire. Mais Napoléon lui-même était-il franc-maçon et quels furent ses rapports avec la franc-maçonnerie ? Quel rôle enfin a-t-elle pu jouer sous l'Empire ? Les historiens n'ont cessé de se quereller sur le fait de savoir si Napoléon avait ou non été initié dans sa jeunesse. Avant de trancher ce point, il faut rappeler la fascination qu'exerçait la maçonnerie sur les jeunes gens de la noblesse et de la bourgeoisie à la fin de l'Ancien Régime, pour peu qu'ils aient été séduits par les idées des Lumières. Or, Napoléon a vécu dans une ambiance marquée par la maçonnerie. Son père Charles Bonaparte et ses frères appartiennent à l'ordre. Quant à Napoléon luimême, il ne fait plus guère de doute qu'il a été initié, probablement en Egypte, au sein d'une loge écossaise. En tout cas, pour la plupart des francs-maçons de l'époque du Consulat et de l'Empire, son affiliation à la maçonnerie paraît acquise : ils le reconnaissent comme un frère. Mais comme Napoléon n'a jamais avoué son affiliation à la maçonnerie, alors qu'il s'y est beaucoup intéressé, le doute a longtemps perduré. En revanche, il n'a pas eu d'activité maçonnique notable. Mais qu'il ait été ou non initié, Napoléon Bonaparte baigne incontestablement dans une ambiance maçonnique, et il a surtout compris l'intérêt qu'il pouvait retirer à la contrôler et à l'orienter dans un sens favorable à ses vues, tout en continuant à se méfier du poids qu'elle pouvait représenter. Les distances prises par Napoléon avec la franc-maçonnerie ont incité plusieurs historiens à y voir le signe qu'il n'en était pas membre. En réalité, même initié, Napoléon pense que la maçonnerie peut représenter un danger pour l'Etat. Après le 18 Brumaire, il la considère comme un foyer de jacobins et conserve une certaine réserve vis-à-vis de ces réunions d'hommes obnubilés par les questions de rite, ce qui lui fera dire à Sainte-Hélène au docteur O'Meara, médecin anglais qui l'interrogeait sur l'ordre : « C'est un tas d'imbéciles qui s'assemblent pour faire bonne chère et exécuter quelques folies ridicules. » Autre observateur de l'exil hélènien, son valet de chambre Constant, dont le témoignage tardif n'est cependant pas toujours très sûr, déclarait : « L'Empereur en parlait quelquefois, mais comme de purs enfantillages bons pour amuser les badauds. » En fait, ces témoignages montrent un certain dépit à l'égard d'une institution dont Napoléon s'est certes toujours méfié, mais dont il avait espéré qu'elle serait un soutien à son régime, favorisant pour cette raison sa renaissance. Florissante à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution, la francmaçonnerie a subi le contrecoup de la Terreur qui l'a décapitée au sens propre puisque le duc d'Orléans, Philippe Egalité, Grand Maître du Grand Orient est guillotiné (lire p. 52) . Elle se tapit alors dans l'ombre en attendant des jours meilleurs. Le 8 août 1793, le Grand Orient annonce qu'il cesse de se réunir. Pourtant, l'initiation de Joseph Bonaparte à Marseille, en octobre de la même année, montre que des loges continuent à fonctionner en province au moins jusqu'à la fin de l'année. Puis le retour de la liberté de réunion sous le Directoire favorise sa renaissance sous l'impulsion de Roëttiers de Montaleau. Directeur de l'administration des monnaies en 1798, Alexandre-Louis Roëttiers de Montaleau (1748-1808) appartient à l'ancienne noblesse. Haut dignitaire de plusieurs rites maçonniques, il avait abrité chez lui les archives du Grand Orient pendant la Terreur, assurant ainsi la continuité de l'ordre par-delà les soubresauts révolutionnaires. Il réorganise donc le Grand Orient, puis oeuvre à la réunion des deux principales obédiences au sein de la maçonnerie française, le Grand Orient et la Grande Loge de France. Le 23 mai 1799, au terme d'un concordat, une union perpétuelle entre les deux obédiences donne naissance au Grand Orient de France. A partir de cette date, l'expansion maçonnique est continue. Alors que le Grand Orient ne comptait que 16 loges en 1796, on en dénombre 114 en 1802, 520 en 1806. A ce nombre, il faut alors ajouter les loges écossaises, demeurées à l'écart jusqu'en 1806 et qui fusionnent à cette époque avec le Grand Orient, tout en conservant leur rite propre. Les négociations ont été longues, mais Napoléon, soucieux d'unité, a fortement pesé pour que l'union se fasse. Toutes tendances confondues, il y a donc en France 664 loges en 1806, ce nombre s'élevant à 1219 en 1814. Le Grand Orient reste toutefois l'obédience dominante. Bien implanté à Paris, avec 54 loges en 1806, mais surtout en province, avec 413 loges, il rencontre un succès grandissant dans l'armée où l'affiliation maçonnique des officiers est de plus en plus répandue. L'adhésion de la franc-maçonnerie au nouveau régime n'est pas immédiate. Au lendemain du coup d'Etat du 18 Brumaire, nombre de maçons s'interrogent sur cet acte contraire à la constitution et aux libertés, mais le message de Bonaparte en faveur du rétablissement de l'ordre et de la paix rassure le plus grand nombre et la conclusion de la paix avec l'Autriche, à Lunéville en février 1801, puis la paix d'Amiens conclue avec l'Angleterre en mars 1802 achèvent de rallier la maçonnerie à Bonaparte. Cependant les maçons associent encore très fréquemment dans leurs éloges le Premier consul au général Moreau, lui-même maçon, autre grand vainqueur de la guerre contre l'Autriche et dont la popularité reste grande jusqu'à son arrestation en 1804. Les loges sont cependant sous surveillance. Comme tout lieu de réunion susceptible de générer une opposition au régime, elles font l'objet de contrôles policiers réguliers, mais à partir de 1805, les mentions de propos hostiles au régime sont devenues très rares. Il est vrai que la franc-maçonnerie a amorcé un ralliement de plus en plus net au régime. Ainsi lorsque Roëttiers décide en 1803 de rétablir les dignités maçonniques qui avaient cessé d'être attribuées depuis 1793, il songe presque naturellement à Bonaparte pour celle de Grand Maître et confie au général Masséna, maçon de longue date, le soin d'en faire la proposition au Premier consul : « La maçonnerie a besoin d'un chef illustre. Cette institution ancienne d'amitié et de bienfaisance fait le bonheur de ceux qui y sont admis. Elle a besoin de protection, mais elle ne la désire que dans la proportion de son dévouement aux lois et aux gouvernements dans les Etats où elle est tolérée. Ce sentiment intime lui fait désirer d'avoir un Grand Maître digne d'une association aussi intéressante. Elle ne peut prétendre à Napoléon Bonaparte, mais le plus cher de tous ses voeux serait que ce nom chéri devint le cri de ralliement de la famille maçonnique. » Napoléon, sur le point de devenir empereur, refuse cette proposition, fidèle à son souci de demeurer au-dessus des partis. Le Grand Orient offre alors la Grande Maîtrise au frère aîné de Napoléon, Joseph, Louis devenant Grand Maître adjoint. Mais la liste des dignitaires qui est alors établie est modifiée un peu plus tard après la fusion du Grand Orient et des loges écossaises. Si les deux frères de Napoléon conservent leurs titres au sommet de la hiérarchie, on y voit aussi figurer Lebrun et Cambacérès, devenus depuis le passage à l'Empire architrésorier et archichancelier et nommés administrateurs généraux. Cette liste de dignitaires contient également les noms de onze maréchaux sur les dix-huit récemment promus et de cinq ministres, dont Fouché. Elle est donc l'illustration des liens étroits désormais noués entre le régime et la franc-maçonnerie. Mais cette relation se renforce encore davantage avec la part croissante prise par Cambacérès dans l'organisation maçonnique. Maçon de longue date, puisqu'il a été initié en 1779 à Montpellier, Cambacérès est un proche de Roëttiers. En 1804, il a été associé à la tentative de conciliation menée entre les deux obédiences rivales du Grand Orient et de la Grande Loge d'Ecosse, mais surtout, en décembre 1805, il remplace Louis Bonaparte dans les fonctions de Grand Maître adjoint et, en l'absence de Joseph, devenu roi de Naples, il exerce, à partir de 1806, le véritable pouvoir de direction sur la maçonnerie. Enfin, en acceptant des dignités dans la plupart des obédiences maçonniques, Cambacérès s'emploie à les fédérer à travers sa personne, faisant ainsi servir l'ensemble de la maçonnerie à la cause de Napoléon. Napoléon encourage ce rapprochement entre la maçonnerie et le régime impérial, car elle sert ses intérêts et lui permet de contrôler une force influente. C'est la thèse que lui a exposée le ministre des Cultes, Portalis, lui-même maçon, dans un rapport du 27 janvier 1807 : « Il serait impossible, en France, de détruire les réunions d'hommes et de femmes connues sous le nom de Loges maçonniques. En les traitant comme des réunions suspectes, on ne réussirait qu'à les rendre dangereuses. [...] Avec le retour au calme, on a vu renaître ces loges. Il a été infiniment sage de les diriger, puisqu'on ne pouvait pas les proscrire. Le vrai moyen de les empêcher de dégénérer en assemblées illicites et funestes, a été de leur accorder une protection tacite, en les laissant présider par les premiers dignitaires de l'Etat. Votre Majesté, dont le génie embrasse tout, a donné par là à ces établissements une impulsion invisible, qui était seule capable de prévenir tous les dangers et tous les abus. » La franc-maçonnerie tient même lieu de parti bonapartiste, au moins jusqu'à un certain point. Par les origines sociales de leurs membres, les loges correspondent en effet au voeu de Napoléon qui souhaitait établir son pouvoir sur le soutien des notables. Elles représentent une France urbaine, et attirent à elles, à côté de fonctionnaires et de militaires, des représentants de la bourgeoisie libérale ou commerçante, plus rarement des artisans. Les loges se sont fortement démocratisées par rapport à l'Ancien Régime, après le départ des nobles et du clergé, offrant un visage beaucoup plus homogène. Tous ses membres ont appris à vénérer l'Empereur dont un buste orne la plupart des loges. Le culte impérial est en effet devenu, après 1805, une des activités principales des loges. A Charleville, dans les Ardennes, l'inauguration de la statue de Napoléon donne ainsi lieu à une succession de discours panégyriques, inimaginables vingt ans plus tôt, et en parfaite contradiction avec les règles de l'ordre. Le buste, revêtu des insignes maçonniques, est placé sur une colonne aux cris de « Vive Napoléon, vive le libérateur de la France, vive le protecteur de la maçonnerie ». Signe encore plus frappant de ce culte impérial organisé par la maçonnerie, nombre de loges ont adopté un nom qui fait directement référence à l'Empereur : Napoléon, Napoléon le Grand, Saint Napoléon, et même Napoléomagne. Poèmes, hymnes, discours célèbrent à l'envi le génie de Napoléon. Un frère de Marseille proclame ainsi dans un discours, en avril 1805 : « Pourrais-je vous rappeler les actions immortelles qui ont élevé Napoléon Ier au faîte de la gloire et de la puissance ? Pourra-t-elle retracer les actes du génie, de la sagesse et de la plus vaste intelligence ? Ah ! Sans doute, ma voix n'est pas digne de célébrer les exploits mémorables du héros dont la génération présente admire avec étonnement les actions éclatantes, dont la génération future ne puisse croire les faits mémorables. C'est au burin de l'Histoire à consacrer les hauts faits dans le temple de l'immortalité. » Or si l'Empereur ne décourage pas ces formes d'adhésion à sa personne, il n'en est pas directement responsable. Les maçons ont d'euxmêmes contribué à sa glorification, certes pour s'assurer la protection du régime, mais surtout parce que l'Empire répond finalement aux attentes de la francmaçonnerie. Il n'a pas remis en cause les principes de 1789, tout en rétablissant l'ordre et l'autorité dans le pays, ce qui explique le soutien des maçons au régime impérial. Le succès des diverses obédiences maçonniques manifeste donc l'adhésion d'une fraction non négligeable de la société urbaine à l'Empire. La francmaçonnerie a même servi à son extension puisque l'essor des loges a suivi les armées françaises, contribuant à associer en un même lieu officiers français et notables étrangers. Pour le reste, l'activité des obédiences sous l'Empire est assez mal connue, même si les divers témoignages disponibles font état d'une propension à s'occuper davantage des questions rituelles que de problèmes politiques. Les débats sont rares pour des raisons évidentes liées au contrôle policier et au fait que nombre de loges sont dirigées par un notable du régime. Les échanges se résument donc très souvent à la lecture de poésie ou à l'audition de musique. C'est le cas par exemple dans la loge des Neuf Soeurs, l'une des loges parisiennes les plus réputées, à laquelle appartiennent entre autres le président du Sénat, François de Neufchâteau, le président du Corps législatif Fontanes, Lacépède, grand chancelier de la Légion d'honneur ou encore l'astronome Lalande. Au même moment, Ferdinand et Bénigne de Bertier, qui projettent de fonder la société des Chevaliers de la foi, entrent à la loge de la Parfaite Estime et Société Olympique, située au Palais-Royal, pour observer le fonctionnement de la franc-maçonnerie afin de s'en inspirer pour leur propre organisation. Observateur certes partial, Ferdinand de Bertier décrit sans complaisance les activités de la loge : « J'y remarquai un mélange de véritables puérilités dans le cérémonial, les trois coups de marteau, etc., et un but beaucoup plus dangereux qui n'est couvert que dans un voile très transparent pour tout esprit sérieux et observateur. Ce cérémonial presque religieux dans une réunion laïque et toute profane ; ces discours fort ennuyeux en eux-mêmes, parlant de morale, des devoirs de l'homme, du Grand-Etre, de fraternité universelle, mais sans prononcer jamais le nom de Dieu, de religion et de charité. » On s'y occupe donc peu des affaires du temps ni de la poursuite de la guerre. Néanmoins, à partir de 1810 le gouvernement resserre sa pression sur les loges, avec la publication du code pénal dont l'article 291 stipule que toute association de plus de vingt personnes ne pourra s'organiser sans l'accord du gouvernement. Napoléon refuse d'exclure la franc-maçonnerie de cette disposition, malgré les demandes en ce sens, signe de la méfiance qu'il conserve à son égard. « Non, non, s'exclame-t-il, protégée, la franc-maçonnerie n'est pas à craindre ; autorisée, elle aurait trop de force, elle pourrait être dangereuse ; telle qu'elle est, elle dépend de moi ; je ne veux pas dépendre d'elle. » Et pour mieux connaître encore la francmaçonnerie, le gouvernement diligente une enquête en 1811 auprès des préfets. Dans l'ensemble, ceux-ci font état du bon esprit des maçons, à quelques exceptions près. Ainsi le préfet du Cantal note : « Je ne puis me défendre de penser qu'on n'y respecte pas assez le gouvernement et que les grandes vues politiques qui font l'admiration de l'Europe et le bonheur de l'Empire français y trouvent souvent des censeurs. » Son collègue du Léman précise de son côté que « l'esprit de la maçonnerie à Genève est généralement mauvais », mais ajoute une question plus générale : « Mais est-il bien meilleur dans les autres parties de l'Empire ? » Il s'inquiète de ce silence qui a désormais envahi les loges sur la politique napoléonienne, signe d'une prise de distance à l'égard du régime qui va s'accroître après les défaites de 1812. Il ne faut toutefois pas majorer ces mouvements de défection, car dans le même temps force est de constater la présence toujours massive des fonctionnaires dans les loges, au premier rang desquels figurent préfets, sous-préfets et maires de grandes villes. Mais précisément s'ils freinent l'expression d'un mécontentement latent à l'égard de l'Empire, ils ne sont plus assez influents pour faire de la maçonnerie un soutien indéfectible au régime. De fait, au début de 1814, les assemblées du Grand Orient sont suspendues et les loges se mettent en sommeil. Elles reprennent leurs activités après la chute de Napoléon, n'ayant eu aucune difficulté à approuver la Restauration et le retour en France de Louis XVIII, lui-même maçon. Le protecteur de l'ordre Il est représenté avec le cordon maçonnique (ci-contre) ou chevauchant une aigle qui tient dans ses serres l'équerre et le compas (à gauche). Cidessous : un rassemblement de maîtres. Repères 1717 Fondation de la Grande Loge de Londres. 1723 Elle se dote de Constitutions de James Anderson. 1756 Création officielle de la Grande Loge de France. 1773 Création du Grand Orient. Le duc d'Orléans, futur Philippe Egalité, en est le Grand Maître. 1793 Le Grand Orient cesse de se réunir. 1799 Union entre la Grande Loge et le Grand Orient qui donne naissance au Grand Orient de France. 1803 Les dignités maçonniques sont rétablies. Comprendre Initiation Cérémonie qui consacre l'admission du postulant dans la maçonnerie. Rite Ensemble des règles et ordonnancement du travail en loge. Loge Lieu de réunion et, par extension, ensemble des frères d'un atelier. Obédience Ensemble des loges qui ont une organisation commune. Maître Troisième et dernier grade de la franc-maçonnerie (après apprenti et compagnon). En complément - Histoire de la franc-maçonnerie française, de Pierre Chevallier, (Fayard, 1974). - La Franc-Maçonnerie des Bonaparte, de François Collaveri (Payot, 1982). - Napoléon franc-maçon ? de François Collaveri (Tallandier, rééd. 2003). - Encyclopédie de la franc-maçonnerie, dir. Eric Saunier (Le Livre de Poche, 1999). Cambacérès, le fédérateur Le parcours de Cambacérès éclaire le rôle des réseaux maçonniques dans l'ascension d'un homme qui devient le numéro deux du régime napoléonien. Né en 1753 à Montpellier, il est initié le 17 mai 1779 dans la loge l'Ancienne et la Réunion des Elus à Montpellier, loge affiliée au Grand Orient à partir de 1781. Il y mène une activité importante au point d'être désigné comme député de plusieurs loges montpelliéraines lors de l'assemblée annuelle du Grand Orient. Comme les autres maçons, il met en sourdine ses activités maçonniques pendant la Terreur, mais participe au renouveau de l'ordre ; il est présent notamment à la réunion de 150 frères des deux principales obédiences, la Grande Loge et le Grand Orient, marquant la naissance du Grand Orient de France en juin 1799, puis contribue avec Roëttiers à la réorganisation des loges, profitant de ses fonctions de ministre de la Justice, puis de Second consul. En 1803, Bonaparte lui demande d'arbitrer les querelles qui divisent le Grand Orient et la Grande Loge écossaise. Il s'emploie à favoriser leur union, notamment par des réunions à son hôtel, tout en évitant de prendre parti, ce qui lui permettra d'apparaître comme un élément fédérateur des diverses banches de la maçonnerie. De fait, il accepte la présidence de tous les rites maçonniques. Mais surtout, il est le protecteur de la francmaçonnerie dont il veut faire un pilier du régime. Il déclare ainsi en loge, après l'affaire Malet (1812) : « Si l'Etat était en danger, j'appellerais autour de ma personne tous les enfants de la Veuve et, avec ce bataillon sacré, en marchant aux factieux, je prouverais au monde entier que l'Empereur n'a pas de plus fidèles sujets que les maçons français. » La famille Bonaparte aux premières loges Napoléon baigne dans une ambiance maçonnique. Son père Charles, ses frères Joseph, Lucien, Louis, Jérôme, sa soeur Caroline sont initiés. Son épouse, Joséphine, également ! Par Pierre Mollier Descendant de la petite noblesse provinciale, la famille Bonaparte porte à la francmaçonnerie un intérêt bien dans l'air du temps. La première loge corse, la Parfaite Union, ouvre ses travaux à Bastia en 1772, bientôt suivie par la Sincère Amitié à Corte en 1778. La qualité maçonnique de Charles, le père, n'est attestée que par un document, mais il n'y a pas de raison de la mettre en doute. L'aîné des frères, « Joseph Bonaparte, 26 ans, profession commissaire du pouvoir exécutif des guerres, natif d'Ajaccio en Corse », le futur roi de Naples puis d'Espagne, est initié le 8 octobre 1793, en même temps que le conventionnel Salicetti, par la loge la Parfaite Sincérité de Marseille. L'année, le lieu et l'orientation nettement jacobine de la loge montrent combien cet engagement maçonnique s'inscrit alors dans le parcours naturel d'un jeune homme gagné aux idées nouvelles. Sous le Premier Empire, il est le Grand Maître en titre du Grand Orient de France même si, en raison de son éloignement, l'obédience est de fait gérée par Cambacérès. Il assumera parallèlement la grande maîtrise des Grands Orients de Naples puis d'Espagne. Le cadet « Jérôme Bonaparte, fils de maçon, natif d'Ajaccio, dpt de Liamone, né le ...bre 1784, aspirant de marine et de religion catholique », éphémère roi de Westphalie, est initié à Toulon dans la loge La Paix le 20 avril 1801. Là encore, l'époque et la sensibilité de la loge témoignent d'une initiation qui se situe dans le prolongement des idées de la Révolution. Lucien et Louis sont tous deux, un temps, Grand Maître adjoint du Grand Orient au début de l'Empire, mais on ne sait ni où ni quand ils ont été initiés à la francmaçonnerie. Les femmes de la famille ne sont pas en reste. Caroline, troisième soeur de Napoléon, épouse de Murat, devenue reine de Naples et des Deux-Siciles en 1808, exerce le rôle de Grande Maîtresse des loges d'adoption du royaume des DeuxSiciles. Quant à Joséphine, l'épouse de Napoléon, elle a sans doute été initiée à Strasbourg quand son premier mari, Alexandre de Beauharnais tenait garnison dans cette ville en 1792-1793. Que ce soit en Italie puis en Espagne avec Joseph, en Hollande avec Louis ou en Westphalie avec Jérôme, la franc-maçonnerie joue un grand rôle dans les différents régimes français. Elle sert notamment à fédérer les élites de la bourgeoisie nationale et libérale sur laquelle veulent s'appuyer les nouveaux royaumes. Sur le plan politique, les loges manifestent en effet un soutien sans faille aux Bonaparte mais, parallèlement, sur le plan philosophique, elles contribuent à diffuser les idées des Lumières dans ces régions. Ainsi, en Allemagne, elles font bon accueil aux juifs dans leurs rangs. Après la chute de Napoléon et de ses frères, la franc-maçonnerie sera interdite un peu partout en Europe. L'assurance tous risques des militaires Par leurs signes de reconnaissance, les franc-maçons peuvent s'identifier sur les champs de bataille. S'ils sont blessés ou faits prisonniers, c'est un gage de sécurité, notamment pour les officiers qui sont toujours les plus exposés au feu. Par Alain Pigeard * L'armée de la Révolution, issue de toutes les couches de la population, se trouve impliquée dans la franc-maçonnerie naissante, qui trouve un écho favorable chez de nombreux militaires de tous grades. Echo favorable aussi chez Napoléon, pour qui la franc-maçonnerie n'est pas gênante. Bien au contraire, dans la mesure où elle ne contrarie pas sa politique militaire et qu'elle apporte parfois à ses soldats en détresse une aide, quand ils sont frères naturellement. Au niveau des armées européennes, c'est surtout dans les rangs anglais que les maçons sont les plus nombreux : il n'y a pas moins de 409 loges dans cette armée en 1815. Inversement, la francmaçonnerie est presque absente dans la péninsule Ibérique et en Italie car le courant religieux y est plus puissant. Quelles sont les raisons qui poussent des militaires à se rallier à la franc-maçonnerie ? La première est de nature idéologique et, pour certains, c'est une réaction à des sentiments antireligieux. Le prince Guillaume de Bade, qui commande un contingent badois en Russie, l'évoque dans ses Mémoires : « [...] elle était, comme on le sait, très en vogue dans l'armée française ; dès 1809, à Lobau [à côté de Vienne], je devais être admis dans cet ordre, mais je n'en eus pas envie, car il était contre mes principes de me soumettre aux institutions de supérieurs invisibles. » La seconde raison relève davantage d'un sentiment d'appartenance à un groupe. Elle permet également de lutter contre l'ennui. Le sergent Robert Guillemard est fait maçon après sa belle conduite au feu le 6 août 1807 : « [...] je fus enchanté de m'entendre appeler mon frère par notre colonel et tous nos officiers. Je me retirai enthousiasmé de la maçonnerie dont je devins un zélé partisan, et que j'ai cru longtemps signifier quelque chose. » Dans ses Mémoires, Barral raconte : « Nous nous réunissions deux fois par mois, quelquefois plus. Mais je ne puis rien dire de nos travaux, à l'accomplissement desquels chacun se dévouait, avec un zèle, une ferveur, une abnégation qu'aucun terme ne saurait rendre. » Enfin, la troisième raison, peut-être la plus importante, est que la franc-maçonnerie est un gage de sécurité pour celui qui est blessé ou fait prisonnier : une forme d'assurance tous risques sur le champ de bataille. D'ailleurs, de nombreux témoignages directs ou indirects vont dans ce sens, comme celui d'Octave Levavasseur, aide de camp du maréchal Ney, lui-même maçon : « On sait que les rois et les princes, ne pouvant détruire cette organisation puissante, avaient pris le parti de s'y faire affilier ainsi que leur famille. A l'armée, la promesse de se porter assistance et secours devenait très utile à l'occasion ; entre ennemis mêmes, on fraternisait. » Autre témoignage prouvant que la maçonnerie pouvait apporter de l'aide, celui de Bellot de Kergorré : « Un jour, en faisant rafraîchir nos chevaux dans un château, Lacombe eut l'idée de faire un signe maçonnique ; le propriétaire l'entendit et nous reçut de son mieux, procura du fourrage à nos chevaux et un déjeuner à nous. » Girod de l'Ain confirme : « Le capitaine d'un vaisseau anglais, qui était franc-maçon, défendit de faire feu sur une embarcation qui s'enfuyait [de Cadix] montée par les marins de la Garde, dont l'un avait eu l'idée de faire le signe de détresse. » C'est en Egypte, en 1799, que la franc-maçonnerie des armées du général Bonaparte va plonger ses racines avec la création de plusieurs loges, les Vrais Amis Réunis à Alexandrie, ainsi que l'Union Militaire et l'Egalité Triomphante. Sous l'Empire, le nombre des maçons dans les régiments est conséquent. Il suffit de lire quelques mémoires pour s'en faire une idée. Dans Les Souvenirs d'un Ardéchois , l'auteur écrit : « Pour terminer ce chapitre, je dois noter que nombre de mes camarades faisaient partie de loges de la franc-maçonnerie ou d'autres associations plus ou moins secrètes. A ce sujet, le bon commandant Dupuis me raconta que les officiers de la Grande Armée avaient mis la franc-maçonnerie à la mode et que certains régiments, du colonel au plus jeune lieutenant, étaient à peu près entièrement francs-maçons. » Et il ajoute : « [...] ma loge à moi c'était pour la frime ; nos réunions se passaient à boire et à faire danser les filles dans un cabaret près de la Bastille. » Au début de l'Empire, on dénombre 132 loges militaires et réglementaires. Les loges militaires fonctionnent de manière mobile dans le cadre d'un régiment ou d'une unité militaire. C'est dans l'infanterie que l'on retrouve le plus gros pourcentage d'officiers maçons ; cela s'explique dans la mesure où cette arme subit les plus grosses pertes au combat. L'infanterie de ligne, qui comprend 90 régiments, compte 42 loges (voir détail dans tableau) ; l'infanterie légère (26 régiments), 18 loges. En revanche, les dragons, avec 30 régiments, n'ont que 3 loges et les chasseurs à cheval, avec 26 régiments, 2 loges seulement. En ce qui concerne les 26 maréchaux, les chiffres sont éloquents : 18 sont maçons, 3 ont peut-être été initiés, 5 ne le sont pas ou il n'existe aucun renseignement sur eux (Berthier, Davout, Gouvion-Saint-Cyr, Jourdan, Marmont). Mais la maçonnerie, particulièrement puissante dans cette armée, fait l'objet d'une surveillance rapprochée par Napoléon grâce à deux personnages influents dans le domaine du renseignement : Fouché, ministre de la Police, et le général Savary, qui commande la gendarmerie impériale. Cela n'empêche pas de trouver parmi les officiers subalternes, traditionnellement les plus fidèles à leur Empereur, le pourcentage le plus élevé de maçons. * Enseignant, docteur en droit, docteur en histoire, diplômé de l'IEJ, lauréat de l'Institut. Spécialisé en histoire militaire napoléonienne, Alain Pigeard est, notamment, l'auteur de L'Armée de Napoléon (Tallandier, 2000) et du Dictionnaire de la Grande Armée (Tallandier, 2002). La Grande Armée... secrète Pas moins de 18 maréchaux sur 26 sont affiliés à une obédience. Chez les généraux, environ 400 d'entre eux sont maçons. Ce que Napoléon ne voit pas d'un mauvais oeil, du moment que cela ne contrarie pas sa politique militaire... En complément - L'Armée et la Franc-Maçonnerie, de Jean-Luc Quoy-Bodin (Economica, 1987). - Dictionnaire de la franc-maçonnerie, de Daniel Ligou (PUF, 1987). - Dictionnaire de la Grande Armée, d'Alain Pigeard (Tallandier, 2002). - Exposition : La franc-maçonnerie de l'art royal à la citoyenneté républicaine du 14 mars au 31 août, Saint-Denis, Musée d'art et d'histoire. (Tél. : 01 42 43 05 10). Boulevard des francs-maçons AUGEREAU Rose-Croix en 1801 puis membre de la loge les Enfants de Mars. Il est nommé Grand Hospitalier du Grand Orient, le 23 brumaire an XIII et Grand Officier d'honneur en 1814. BERNADOTTE Il aurait été initié vers 1785-1786 à la loge de la Tendre Fraternité. Grand Maître de la franc-maçonnerie suédoise à sa mort en 1844. BESSIÈRES Inscrit au tableau de l'Ordre sacré des Sophisiens, qui ne recrutait que parmi les maçons ; nous n'avons pas de renseignements sur une appartenance plus engagée. BRUNE Membre de la loge Saint-Louis des Amis Réunis. Grand conservateur de la maçonnerie française et membre de la loge Saint-Napoléon. Il était membre de la loge parisienne des Frères Artistes. GROUCHY Membre de la loge l'Héroïsme, Orient de Beauvais, en 1787. KELLERMANN Grand Garde des archives du Grand Orient le 30 septembre 1803 ; député du Grand Orient en 1811. Vénérable d'honneur de la loge Saint-Napoléon. Il fut surtout rattaché au rite écossais. LANNES Administrateur du Grand Orient dont il fut Officier d'honneur dès 1806. Sa mort fut vécue dans les loges comme un deuil national. LEFÈBVRE Grand Hospitalier d'honneur et Grand Aumônier d'honneur du Grand Orient dès le 23 brumaire an XII. Il est élu en 1809 Grand Maître de l'Ordre du Christ. Cet ordre, créé en 1809 par huit souverains commandeurs du Temple, fait preuve d'un dévouement absolu à l'Empereur. MACDONALD Deuxième Grand Expert du Grand Orient le 23 brumaire an XIII, il est, en 1813, Grand Administrateur de la Grande Loge symbolique du Grand Orient. MASSÉNA Il entre au Grand Orient comme Grand Administrateur dès le 23 brumaire an XIII ; il en est Grand Premier dignitaire et Grand Représentant du Grand Maître. Vénérable d'honneur en 1805 et 1807. Il est 33e. MONCEY Grand Officier d'honneur du Grand Orient en 1814. MORTIER Admis en 1792 dans la loge des Amis Réunis de Lille, il passe compagnon le 7 mars et est élu membre honoraire le 2 juin 1814. Officier d'honneur du Grand Orient dès 1806, il entre au Conseil Suprême en 1821. MURAT Sa carrière maçonnique est riche. Il est notamment le très puissant Souverain Grand Commandeur Grand Maître du Conseil Suprême des Puissants et Souverains Grands Inspecteurs généraux pour le royaume des Deux-Siciles. NEY Il est initié, en septembre 1801, par la loge Saint-Jean-de-Jérusalem alors qu'il est général. Il s'affilie ensuite à la loge la Candeur, Orient du 6e corps de la Grande Armée. OUDINOT Vénérable d'honneur de la loge Saint-Napoléon. Grand Officier d'honneur du Grand Orient en 1814. Il est 33e. PÉRIGNON Grand Officier d'honneur du Grand Orient. Il appartient au Suprême Conseil et est, en juin 1813, membre honoraire du Suprême Conseil des 33e pour le royaume de Naples. PONIATOWSKI Il est mentionné par Lennhoff comme membre de la loge Bracia Polacy Zjednoczeni de Varsovie. SÉRURIER Il est avant tout dévoué à l'écossisme. Grand Maître du Rite à la Mère Loge Ecossaise de France. SOULT Grand Officier d'honneur du Grand Orient en 1806 et en 1814. Deuxième Grand Surveillant du Grand Chapitre du Grand Orient. Pour l'anecdote, il perdit son diplôme de franc-maçon pendant la guerre d'Espagne de 1813 et ne le récupéra qu'en 1850. SUCHET Seule une signature de type maçonnique (trois points horizontaux entre deux barres parallèles) pourrait laisser supposer une appartenance à une loge, mais rien n'est prouvé. VICTOR Il a peut-être été membre de la loge l'Union, Orient de Paris, mais cela n'est pas sûr. «A moi les enfants de la veuve» Le signe de détresse maçonnique fait office d'appel au secours adressé aux frères. Il consiste à « porter la jambe droite derrière la gauche, incliner le buste en arrière, ayant placé sur la tête les deux mains jointes par leurs doigts entrelacés, les paumes en haut et, dans cette position, s'écrier : "A moi les enfants de la Veuve !" » (rite français). Il est très rare de trouver ce type de témoignage dans les mémoires de l'époque napoléonienne, soit que l'auteur applique la règle du silence, propre à cette institution, soit que les auteurs n'y aient tout simplement pas songé. Dans ses Mémoires, Girod de l'Ain nous indique une forme du signe de détresse : « Ce signe était celui d'un soldat qui se rend mais avec cette différence que les mains se rapprochaient au-dessus de la tête, doigts écartés. » Les francs-maçons se nomment entre eux Fils, ou Enfants, de la Veuve. Ces formulations font référence au mythe d'Hiram, l'architecte du Temple de Salomon, que la Bible appelle « fils d'une veuve de la tribu de Nephtali ». Pour les uns, après le meurtre d'Hiram, c'est la franc-maçonnerie qui est devenue veuve ; pour d'autres, c'est après la mort du Grand Maître Jacques de Molay en 1314. Les officiers de l'infanterie de ligne Si la proportion des colonels est presque de 100 %, celle des quartiers- maîtres (capitaines ou lieutenants) chargés de la comptabilité de chaque régiment est de près de 75 % : ce sont des officiers non-combattants qui aiment à se retrouver entre eux. Le service de santé est assez riche en francs-maçons, les risques qu'ils encourent lors des batailles justifiant peut-être cette appartenance. Le nombre des capitaines est important, plus du tiers ; cela s'explique par le fait que ces officiers combattent à la tête des compagnies et sont souvent exposés au feu de l'ennemi qui cherche à les tuer en premier pour déstabiliser la troupe. Etre maçon constitue donc une forme d'assurance tous risques. Les chiffres sont inconnus ou peu fiables en ce qui concerne les sousofficiers et la troupe, où l'appartenance à la maçonnerie semble négligeable. En revanche, on connaît les chiffres exacts pour les officiers de l'infanterie de ligne. Sur 2 773 officiers, on dénombre 684 maçons répartis ainsi :