c) Notre point de vue - Les sites de la famille COLLOMB

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CHAYOUX Sarah (DU1)
COLLOMB Philippe (UES)
CLEMENT Gaëlle (DU1)
PERROT Frédéric (DU1)
JE PENSE, TU ES …
de l’addiction à l’addict.
TER de l’UE « Introduction à la psychocriminologie ».
Responsable : D. LAUNAT
Année 2001-2002
SOMMAIRE
Pages
INTRODUCTION
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I - LA NOTION D’ADDICTION
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A - DEFINITION DU CONCEPT
1) L’addiction une dette symbolique
2) Comment décrire le phénomène ?
a) L’effet « cacahuète »
b) La conduite de dépendance
c) L'envahissement psychologique et social
3) L’addictologie
4) L’addiction une multitude de conduites
B - EVOLUTION HISTORIQUE DE LA NOTION
1) Les substances au cours des siècles
2) De l’addition à l’addiction
a) Plus, encore plus…l’interdit
b) Plus, encore plus…pour la société
c) De la dette à l’esclavage
d) L’usage moderne du mot « addiction »
3) Evolution de la notion
a) Des rites et des tabous
b) Du sacré au sacrilège
c) La maladie en « isme », en « manie »
d) La toxicomanie actuelle
e) Les addictions
II - COURANTS THEORIQUES
A - CAS D’ADDICTIONS
B - LES COURANTS THEORIQUES
1) La psychologie
2) La psychanalyse
3) L’approche de la neurobiologie et de la psychiatrie
a) Notre cerveau a un fonctionnement addictif
b) Substances psychoactives, neuromédiateurs ?
c) Les mécanismes généraux des addictions
d) Une classification différente des addictions
4) L’approche sociologique
a) L’axe de la consommation et du plaisir
b) L’addiction : remède à une souffrance sociale
c) Les pièges des théories
5) L’émergence de nouveaux modèles de l’addiction
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III - QUELLES PRATIQUES DECOULENT DES
THEORIES
A - COMPTE-RENDU D’ENTRETIENS AVEC
DES PROFESSIONNEL ET DISCUSSION
1)Rencontre avec Claude VEDEILHE, psychiatre
a) Son cadre de travail :
b) Sa vision de l’addiction
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c) Notre point de vue
2) Rencontre avec Didier RICHARD, psychologue
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B - LES PRATIQUES A L’EGARD DE L’ADDICTION
1) L’addictologie clinique
a) Les groupes d’entraide
b) Les groupes d’auto support
c) La psychothérapie
d) La chimiothérapie
e) Le sevrage
f) La question de la rechute
2 ) L’addictologie de Santé Publique
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IV - REGARD DE LA SOCIETE SUR LE PHENOMENE
ADDICTIF
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A - LA SOCIETE FACE A L’ADDICT
B - L’ADDICT FACE A LA SOCIETE
C - L’HYPOTHESE DES ADDICTIONS POSITIVES
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CONCLUSION
ANNEXE 1
Démarche de travail
ANNEXE 2
Quelques dates dans l'histoire des addictions
ANNEXE 3
Définitions
ANNEXE 4
Nébuleuse addictive
ANNEXE 5
L’émergence du concept d’addiction et alcoologie
ANNEXE 6
Contact avec l’unité des addictions de Nantes
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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I
II
IV
VI
VII
VIII
IX
3
INTRODUCTION
La société nous confronte aujourd'hui à la réalité des conduites regroupées sous le terme générique " addictions ".
Il semblerait que cela soit en passe de devenir un phénomène de mode,
comme si l’addiction venait remplacer les « maladies emblématiques » que
furent l'hystérie et les névroses à la fin du 19ème siècle.
Notre société actuelle paraît donc s'attacher à la question des dépendances
sous toutes leurs formes. Il n’est en effet pas rare d'entendre des expressions
de type « c’est addictif », expression qui tend à gagner le langage populaire,
de façon à exprimer le fait que l'on risque de ne pas pouvoir se passer d'une
chose, même si elle n'est pas désirable.
Aussi, la question qui se pose est de savoir s'il existe une définition
consensuelle de cette notion d’addiction ?
Il semblerait que cela soit une entité encore discutée de nos jours,
sans consensus réel. D'ailleurs, le terme ne trouve pas encore place dans les
dictionnaires de langue française sinon dans le discours préventif autour de
la lutte contre les ravages du tabac, de l'alcool et autres substances, donnant
lieu à abus, usage nocif et dépendances.
Le contexte d'apparition de cette notion est international, sans doute dans un
souci de réguler les productions, les usages et les circulations de substances
psychoactives, dans un contexte socio-économique particulier qui voit au
19ème siècle se développer les échanges commerciaux, les guerres de
l'opium, l'industrialisation et les découvertes de produits synthétiques
antalgiques puissants.
4
I - LA NOTION D’ADDICTION
A - DEFINITION DU CONCEPT
Le terme d’addiction émerge dans les années 1970 en
Amérique du Nord et pour autant la traduction française vient prendre un
sens différent dans les années 1990. Alors qu’en anglais il s'agit « de
s'adonner à », en français la dimension active du sujet a disparu puisqu'il est
fait référence à la dépendance, voire à l'assujettissement de la personne et
donc à une dimension passive.
Alors qu'il est question de « troubles » dans la classification
psychiatrique nord-américaine, la clinique psychiatrique française du 19ème
siècle utilise le terme de toxicomanie. La toxicomanie semble être la
maladie de notre temps. Elle est à la fois la plus dramatisée des formes de
dépendance et le modèle sur lequel est construite la notion d’addiction.
Délit, vice ou maladie ? La société a du mal à savoir comment traiter les
toxicomanes et la situation s’en trouve paradoxale : l'usage de certaines
substances constituant encore de nos jours un délit grave, passible de prison,
il est en même temps admis que les usagers de drogue doivent être traités
comme des malades (politique d'accès aux soins et mesures de protection de
la santé).
On peut alors se demander si le succès de la notion d’addiction ne tient pas
de son rapprochement entre des expériences couramment vécues par tout un
chacun et la toxicomanie, de façon à mieux comprendre cette conduite
mystérieuse !
Les modalités descriptives du phénomène étant plutôt consensuelles,
les explications qui y sont liées se rattachent à des courants théoriques qui
vont tantôt s'attacher au comportement du sujet et à l'objet des addictions et
tantôt s'attacher au sujet lui-même et à ses propres difficultés à être au
monde.
1) L’addiction une dette symbolique
Pour autant, la terminologie est la suivante, nous retrouvons dans la
déclinaison étymologique entreprise par le philosophe Michel SERRE («les
cinq sens»), les racines du mot ADDICERE qui signifie : dire, vouer,
dédier, céder, vendre, donner en adjudication, confirmer une cession,
condamner. Il s'agit dans le droit médiéval inspiré du droit romain d'une
contrainte par corps d'une personne qui, se retrouvant dans l'impossibilité de
s'acquitter d'une dette, est alors mise par le juge la disposition du plaignant.
La reprise de son acceptation dans notre langue contemporaine a donné lieu
à une extension de son usage à propos des conduites de dépendance. Cette
idée de « contrainte par corps » va être reprise par la psychanalyse et
notamment par BERGERET dans le sens d'une dette symbolique à laquelle
va se soumettre le corps du sujet.
D’une manière différente, GOODMAN va définir l’addiction dans le
sens d'un processus d’ordre psycho-cognitif dans lequel l'objet et
l'expérience du sujet font force d'explication du phénomène.
5
2) Comment décrire le phénomène ?
Il semblerait donc quela définition de l’addiction soit construite en
fonction des courants théoriques auxquels elle se réfère, d’où la nécessité de
les aborder afin d'en comprendre les fondements et de pouvoir déceler les
prémisses d'une vision de l’addiction telle que nous pouvons l'appréhender
d'une manière générale de nos jours.
De façon plus observable et descriptive, comment peut-on définir
l’addiction et justifier le fait que l'on englobe les phénomènes de
dépendance sous un même terme générique ?
N’y a-t-il pas un risque d'y associer une liste d'objets ou de situations
non exhaustives et ainsi d'y perdre l'identité et la spécificité de chaque
comportement et / ou maladie ?
De la simple habitude à la maladie, où est la frontière ?
Même si les rapprochements entre les comportements semblent parfois
grossiers, c'est en partant de ces habitudes envahissantes qu’il est sans doute
plus aisé d'appréhender, sinon de comprendre le processus addictif.
a) L’effet « cacahuète »
Certains auteurs parleront de « l'effet cacahuète » qui bien
qu’anodin, nous sensibilise sur le fait que certaines attitudes, d'abord
machinales peuvent nous conduire jusqu'aux frontières d'une perte de
contrôle. La cacahuète, en effet, on y goûte machinalement au début puis on
continue au risque de se couper l’appétit et ce malgré notre volonté d'arrêter.
Il ne s'agit pas réellement de gourmandise mais d’une de difficulté à mettre
fin à une sensation particulière.
D'autres tendances à persister dans une conduite, presque malgré soi,
se retrouvent dans certains rapports au « jeux vidéos » : caractérisé par leur
simplicité, cela ne demande aucun effort particulier sinon une forme de
concentration qui va permettre de faire le vide.
De la même manière chez certains téléspectateurs de feuilletons ou
lecteurs de littérature de type « harlequin » le caractère prévisible, l'absence
d'effort apparent et l'illusion de maîtrise du sujet en font la recette d'une
addiction.
Le premier élément donc pour définir une conduite addictive semblerait être
dans le fait de poursuivre cette conduite plus longtemps que l'on avait pensé
le faire, comme d’avoir du mal à y mettre un terme après en avoir décidé.
b) La conduite de dépendance
L'un des éléments essentiel qui permettra de distinguer de simples
habitudes, des formes pathologiques de dépendances est l'envahissement de
la vie par la conduite de dépendance.
Dépendant en soi, nous le sommes tous. : par l'air que nous
respirons, la nourriture que nous sommes obligés de manger afin de pouvoir
6
vivre... En somme, par définition, la dépendance renverrait à tout ce qui
constitue un besoin et non une simple envie ou un désir.
De ce fait, les addictions seraient avant tout des formes de besoins non
universellement considérés comme fondamentaux.
La dépendance est définie de manière différente par l'OMS et la
psychiatrie. Alors que la première en 1964 reprend une définition qui repose
sur le processus physiologique de la pharmaco-dépendance, la DSM IV et le
CIM10 essayent de retrouver une dimension plus subjective en considérant
le caractère variable des addictions selon les milieux et les cultures.
La dépendance n’est pas problématique en soi mais le devient alors
que son objet se constitue en obstacle au déroulement de la vie quotidienne.
Ainsi les addictions seraient une forme particulière d’être au monde,
relevant de la maladie puisque source de souffrance pour le sujet et de
problèmes pour le groupe social.
Il ne s'agirait donc pas là d'une simple
envahissement total de l'existence, voire même
pour le sujet qui se définira ainsi lui-même
toxicomane ... » avant même de décliner son statut
dépendance mais d'un
d'une nouvelle identité
« joueur, boulimique,
social ou sa profession.
c) L'envahissement psychologique et social
L'envahissement psychologique et social se définira en terme
« de Saillance » ou « centration » de l'objet afin de décrire la place centrale
que vient prendre l'objet d'addiction. La frontière entre le simple usage et la
dépendance pathologique est parfois difficile à trouver pour un même
produit, une même conduite. D'ailleurs, elle peut aussi varier pour le même
sujet, en fonction des périodes de son existence.
Selon l'observatoire français des drogues et des toxicomanies, on
distingue pour chaque substance psycho-active les expérimentateurs, les
occasionnels, les réguliers et les consommateurs à problème. On définira de
la même manière les conduites potentiellement addictives, en dehors de
l'usage de substances : ainsi, on parlera de joueurs occasionnels,
d’expérimentateur de jeu ...
3) L’addictologie
De façon schématique, on pourrait séparer le champ de l'étude des
addictions en deux disciplines complémentaires :
- une addictologie de santé publique, dont la priorité est d'éviter le
passage de l'usage à l’abus puis de l’abus à la dépendance. L'accent est donc
pointé sur les réglementations en matière d'usage et tourne autour de la
prévention. Son objet porte principalement sur ce qui touche une catégorie
quantitativement importante de la population, à savoir le tabac et l'alcool.
- l’addictologie clinique, centrée sur l'accompagnement et le soin
aux personnes dépendantes, en fonction de la souffrance qui y est liée (jeu
pathologique, toxicomanie ...)
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4) L’addiction, une multitude de conduites
L’addiction semble donc être, dans son sens pathologique une forme
particulière d'être au monde qui vient envahir le sujet et se poser en terme
d'empêchement quant à une vie sociale dite « normale ».
Pour autant il s'agit d’un processus dans lequel sont englobées une
multitude de conduites non encore clairement définies et acceptées par tous.
De la même manière, de la simple habitude à des formes pathologiques
extrêmement graves, de l'usage à l'abus et de l'abus à la dépendance, les
frontières ne sont pas clairement définies et la terminologie semble alors de
ce fait un peu trop aisée parfois.
Il s'avère donc important de saisir le contexte historique dans lequel
a évolué cette notion afin d'en comprendre les fondements puis, de décliner
les différentes approches théoriques dont elle est l'objet.
C'est en effet à partir de ces théories et par celles-ci que va se définir
l’addiction ou les addictions et plus encore les pratiques qui y seront
associées en terme de traitement curatif, thérapeutique ou d'accompagnement.
Aussi, partant de nos pratiques, nous verrons s'il est bien question
d'un rapprochement des conduites addictives sous toutes les formes que
nous aurons pu appréhender et ainsi peut-être de décliner une identité, celle
de « l’addict » ?
B - EVOLUTION HISTORIQUE DE LA NOTION
1) Les substances au cours des siècles
Il y a 5000 ans avant JC, les Chinois utilisaient l’éphédra comme
stimulant pour augmenter la résistance cardiaque et pour résister à la fatigue
pendant les conflits.
Il a 2500 ans avant JC, la coca était utilisé par les Indiens des Andes
comme stimulant au même titre que les amphétamines.
Tout au long des siècles :
_ la mandragore(effets hallucinogènes),
_ le ginseng (lutte contre la fatigue),
_ le pavot (euphorisant, calme les douleurs),
_ le peyolt (diminue la fatigue physique, état de bien-être),
_ le khat (diminue le temps de travail et permet de rester éveillé),
_ le café (stimulant),
_ l’amanite tue-mouches (« augmente la force 12 fois »),
_ le vin (symbole de joie et de prospérité),
_ l'alcool (euphorisant, donne des forces et du cœur à l’ouvrage)
et bien d'autres substances seront utilisées à des fins thérapeutiques mais
aussi pour leur capacité à se procurer, à « s'additionner » des formes de
plaisir, de satisfaction qui deviennent alors un « plus » pour la personne qui
l’utilise.
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2) De l’addition à l’addiction
a) Plus, encore plus…l’interdit
Force multipliée, effets stimulants, pouvoir hallucinogène, entraînent
les utilisateurs à rechercher toujours « le plus » :
_ plus de force,
_ plus de travail,
_ plus de joie,
_ plus de plaisir…mais au-delà du plaisir : l'oubli…
Le plus, l’ « encore plus », se traduit souvent par l'excès, le débordement, le
chavirement, l'abus. Cet abus est déjà remarqué dans l’ancien testament,
dans le « Talmud », qui repère déjà les conséquences de consommations
abusives du vin, les dénonce et les condamne.
En 1366 un roi Thaïlandais promulgue un édit de prohibition de
l'usage de l'opium... Dans ce cas le « plus » procure un plaisir personnel,
non contrôlable, la société y voit alors un risque, un danger et pose des
interdits.
b) Plus, encore plus…pour la société
Il semblerait cependant que dans l'histoire, les effets des produits
soient bénéfiques, productifs pour la société, dès lors qu’ils « augmentent
la force », permettent de résister à la fatigue pendant les conflits, stimulent,
éloigent la peste (mandragore), facilitent le travail, et par conséquent
fassent rarement l’objet d’interdits. En effet, la société voit alors un intérêt
économique, repoussant les frontières de l'interdit qui deviennent floues !
La société ne place-t-elle pas alors l'alcoolique, le travailleur
excessif, etc, en situation d’esclavage ?
c) De la dette à l’esclavage
Cette situation d'esclavage n'est pas sans rappeler la contrainte par
corps. « Dans les civilisations les plus anciennes, il était d'usage courant de
réduire en servitude un débiteur qui ne s'était pas acquitté de sa dette : à
Rome, le créancier impayé avait la possibilité de se saisir de la personne
physique, de son débiteur... qui devenait alors l’esclave de son créancier et
payait sa dette par son travail... La contrainte par corps est couramment
pratiquée sous l’ancien droit : à Paris les débiteurs récalcitrants étaient
enfermés... ».(Encyclopédie Universalis)
L’idée de dette apparaît au Moyen Âge lorsque le juge pouvait
déclarer une personne « ad dictum » c’est-à-dire « dite à » au sens où cette
personne devenait en quelque sorte l'esclave de la personne envers laquelle
elle avait une dette. Dans les langues européennes, la dette prend la
signification de devoir, de délit (en allemand), « avoir l'obligation de », être
en faute.
9
d) L’usage moderne du mot « addiction »
On voit alors pointer l'usage moderne du mot « addiction » au 16ème
siècle. C’est par extension sur le mode figuré que les Anglo-saxons ont
repris le terme français d’addiction. Addiction signifie alors un état de
suggestion, de soumission, d'aliénation à une chose, un être, un
comportement, une stimulation particulière.
Il y a donc une notion de perte de liberté, d'une emprise, d’un
emprisonnement, d'une dépendance. Le terme d’addiction peut s’appliquer
sur toutes ces choses souvent répréhensibles dont on peut devenir l’esclave,
être « accroc » qu'il s'agisse de substances psychoactives consommées ou
d'autres activités prenantes à caractère répétitif et contraignant.
3) Evolution de la notion
Que certaines sources de plaisirs puissent devenir l'objet d'un désir
incontrôlable, engloutissant, est le fondement même de la morale des
anciens. Depuis le début de l'humanité les « actuelles addictions » ont été au
cœur des préoccupations religieuses, de la morale, avant d'être pensées en
termes de maladie.
a) Des rites et des tabous
La nourriture a été associée aux rites. Dans les cultures traditionnelles, nombre de rites et de cérémonies peuvent être interprétés comme une
façon magique de garantir au groupe un approvisionnement.
Les rituels d’initiation des sociétés traditionnelles, comme les
préceptes religieux rappellent ce tabou fondamental : « on ne peut pas
coucher avec n’importe qui… ». FREUD, dans « Totem et Tabou » précise
que la société est fondée sur des interdits fondamentaux, le meurtre et
l’inceste. La morale dans les sociétés qui ne sont plus fondées sur la
religion, continue à traiter la sexualité comme un domaine du sacré.
Aujourd’hui, le champ des perversions sexuelles relève autant de la
justice que de la médecine.
b) Du sacré au sacrilège
Le jeu prend ses racines dans les textes anciens, la bible, la
mythologie grecque. Les osselets, les dés sont utilisés à des fins de tirage au
sort, de prise de décision. « La réponse des dés est un moyen de produire du
sens, en cherchant ce sens à la source, auprès des puissances divines »
(M.VALLEUR et J-C.MATYSIAK). Mais ces pratiques risqueraient fort de
fatiguer Dieu car chaque jeu d'un joueur devenait une question posée a Dieu,
ceci sans passer par les prêtres, quel sacrilège !
Quant aux drogue, nous avons vu précédemment qu'elles sont
présentes dans l'histoire de l'humanité depuis la plus lointaine origine et
qu’elles ont joué un rôle majeur dans l'origine même de la civilisation.
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Longtemps les drogues, les substances psychoactives ont permis le lien
entre le monde profane, le monde sacré, entre l'homme et les puissances
supérieures.
La présence du vin lors des messes peut être la trace de l'emploi de
boissons enivrantes à des fins religieuses !
Les pratiques d'ordalie (jugement de Dieu) utilisaient l'usage des
plantes sacrées comme poison d’épreuve pouvant décider de la culpabilité
ou de la survie d'un accusé…Les conduites de risque de notre société
peuvent être apparentées à des épreuves ordaliques auto-imposées.
L’intempérance, les abus, les excès de toutes sortes ont été dénoncés
par la religion. L’intempérance est un vice, un crime, un pêché, un
gaspillage des dons divins et l'abus relève d'un sacrilège. Seul les prêtres
pouvaient recommander ou interdire l'usage de drogues.
À ces tabous religieux succèdera la morale qui s'opposera à la facilité
(l’effort remplacera le plaisir).
Mais comment est-on passé de la notion de sacré à celle de maladie ?
c) La maladie en « isme », en « manie »
Le premier modèle de maladie apparaîtra à la fin du 18ème siècle,
Benjamin RUSH, médecin américain parle de l’abus de spiritueux en terme
de maladie, avec des symptômes physiques et mentaux. Il évoque déjà à
cette époque des possibilités de substitutions, fortifiants moins nocifs,
comme le thé, le café, l'opium !
Au 19ème siècle on considère que le potentiel pathogène est contenu
dans la substance, l'alcool, la cocaïne, la morphine, donc dans un modèle de
type intoxication dont les appellations en « isme » verront le jour, comme
alcoolisme, cocaïnisme,… Cette récupération par la médecine de ces
problématiques d'intoxications a pour effet d'atténuer l'influence de
l'ordre moral et religieux. Mais celles-ci persistent à l'intérieur même du
discours médical.
En effet au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, la théorie de la
dégénérescence (B.A.MOREL en 1857) précise que « certains individus sont
plus faibles que d'autres, à la fois sur le plan physique, mental et moral.
Cette faiblesse est transmise par hérédité et aggravée par des causes
extérieures, infections ou intoxications (comme l'alcoolisme). Ces malades
sont donc des « dégénérés » qui représentent un péril pour la race, la nation
et la communauté ».
À la fin du 19ème « manie » suggère la fixité, la folie, la passion, la
primauté du besoin sur tous les autres investissements du sujet.
Un glissement sémantique s’opère alors et du morphinisme on passe
à la morphomanie, le cocaïnisme devient la cocaïnomanie, etc.
La dépendance à plusieurs produits verra naître le terme de toxicomanie.
11
d) La toxicomanie actuelle
Les toxicomanies actuelles ont un caractère plus transgressif,
antisocial, que dans les toxicomanies « historiques » du fait de l'influence
de la prohibition, ce qui a pour effet :
- d'une part de lui donner un statut marginal, clandestin,
- d'autre part de le placer dans un champ d'infraction («le dealer»).
Délinquance et dépendances sont alors intriqués.
e) Les addictions
Les addictions sans drogue apparaîtront officiellement parmi les
troubles impulsifs, troisième édition du manuel statistique et diagnostic des
troubles mentaux (DSM III) avec entre autres la « maladie du jeu ». Mais les
premières descriptions comme maladie remontent à l’époque de la dégénérescence comme modèle, même si la dimension morbide du jeu n’échappe
pas aux anciens !
Quant à l'histoire des troubles des conduites alimentaires, on peu en
trouver trace au travers de la boulimie dans la décadence morale des
Romains. Mais la notion de syndrome de boulimie remonterait à 1973.
(H.BRUCH). L’anorexie trouve ses racines dans l’ascétisme pratiqué par de
nombreuses Saintes, du Moyen Âge à la renaissance, pour être rangée en
1873 (LASEGUE) dans les troubles mentaux proches de l'hystérie, puis
considérée comme un problème endocrinien, pour être enfin enrichie par
l'approche psychanalytique.
À l'heure actuelle, les approches sociologiques, la dimension sociale
de l'apprentissage, seraient privilégiées pour définir les addictions,
proposant ainsi une alternative au « modèle de maladie ». Il existerait donc
un modèle psycho-social, comme « une réaction des psychologues et des
sociologues à l'emprise d'un discours strictement médical, dans un domaine
complexe »( M.VALLEUR et J-C.MATYSIAK).
L'addiction prend alors un sens plus large et ne peut être réduite qu'à
un champ unique de recherche, mais à l’intégration de plusieurs champs,
relatifs au produit (l'objet d'addiction), à la personnalité (le sujet), et au
contexte ou au cadre (familial, sociologique, culturelle, historique).
12
II - COURANTS THEORIQUES
A - CAS D’ADDICTIONS
Dominique, 40 ans, ne peut s'empêcher d'acheter des vêtements et
des objets inutiles au point de s’endetter sérieusement. Toutefois, la
réalisation de l’achat s’accompagne pour elle d’un véritable soulagement.
(n° hors série de Sciences et avenir : « Les folies ordinaires »)
Gabriel, 35 ans, interrompt parfois son travail une journée pour se
rendre dans des « salons ». À chaque fois qu'il se sent stressé, frustré, à
cause de son travail, de sa vie familiale, ou à la suite d’une situation où il
« ne se sent pas à la hauteur », un irrépressible besoin sexuel s’empare de
lui, pour ne disparaître qu'après assouvissement. Pourtant il n'arrive jamais à
établir une relation sexuelle gratifiante...
André n'a pas la passion d'un seul jeu mais de tous les jeux d'argent
et de hasard. Il y a tout laissé : sa famille, sa situation, ses amis.
Contrairement au jeu social, le jeu pathologique correspond à une perte de
contrôle des impulsions. A cette dimension mordibe s'ajoute une dimension
existentielle : à chaque enjeu, c'est sa vie que mise le joueur
Comme tous les joueurs pathologiques, André fait spontanément la
comparaison avec la drogue : « C'est pire qu'une drogue, c'est une maladie
dont on ne peut pas se débarrasser…
Karine, 25 ans, connaît, depuis l'âge de 16 ans, des accès
boulimiques qui durent jusqu'à ce que la douleur survienne. Ce trouble des
conduites alimentaires touche 1 à 2 % des jeunes femmes. Dans sa forme la
plus grave, il constitue une « toxicomanie sans drogue »
Karine supporte mal les transformations de son corps survenues au
moment de l'adolescence. Elle a honte de son corps, dont le poids se situe
pourtant dans la norme (50 kilos pour 1 mètre 63). Karine a eu ses premières
crises de boulimie à l'âge de 16 ans, en colonie de vacances. De retour chez
elle, manger devient un rituel. Les accès boulimiques peuvent durer une
heure, jusqu'à ce que la douleur survienne. Les vomissements lui permettent
de contrôler sa prise de poids.
A 15 ans, j'ai eu le droit pour la première fois..., de sortir à la "fête du
maïs" avec les jeunes du village.... Fort de paraître un homme et un vrai,
sans jamais avoir eu l'occasion de boire plus d'une gorgée de vin dans le
verre du grand père, je suis parti fier comme un paon. Tous les copains
d'école... étaient là et il n'était pas question... d'être en reste, et bien au
contraire.... Alors, à la buvette, quand est venu mon tour de commander à
boire, j'ai fait comme les autres et j'ai commandé un blanc-limé.... La
première fois de ma vie où j'ai pu me comporter comme un "homme", sans
avoir un adulte pour me dicter ce que j'avais à faire. Il faut résister au
premier verre, puisque nous le savons tous, il entraîne automatiquement le
suivant!!!... Eh bien! avec le recul, 21 ans plus tard, je peux dire que dès la
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première prise d'alcool, les verres se sont enchaînés les uns après les autres
avec une facilité déconcertante...
Je faisais mon apprentissage avec un copain, ancien toxicomane qui
avait complètement arrêté les drogues dures. J’avais 18-19 ans à l’époque.
Nous fumions par contre pas mal de joints; nous buvions aussi beaucoup. Ce
copain était quelqu’un de très sûr de lui, comme on peut l’être quand on s’en
sort. Il était tellement le contraire de moi, il était très ouvert, il m’offrait un
joint devant tout le monde, ça ne le gênait pas. Et puis, un jour, il m’a confié
qu’il avait envie de se faire un extra; moi, j’ai essayé l’héroïne avec lui par
curiosité, je ne me rendais pas compte de ce que je faisais.
À la lecture de ces différents cas tout aussi surprenants les uns que
les autres, ne peut-on pas penser qu'il existe des ressemblances significatives
dans le comportement de ces individus face à des « objets » achats, jeu,
sexe, « drogue », très différents ?
C'est toute la difficulté à laquelle sont confrontés les théoriciens qui tentent
d'apporter une explication à cette réalité clinique qu’est « l’addiction ».
B - LES COURANTS THEORIQUES
Une première lecture que ces différentes cas peu nous amener à
penser qu'il y a, hormis le comportement observé ou le produit utilisé, une
certaine analogie dans les manifestations comportementales émises. On peut
effectivement, si on aborde le problème de façon purement descriptif,
trouver des points communs dans le déclenchement du comportement : son
aspect incontrôlable, impulsif, dans des périodes de stress pour l'individu,
l’aspect plaisir ou soulagement retiré lors du passage à l’acte...
Toutefois, comme nous l'avons introduit, ne peut-on pas se demander s'il
n’existe pas un risque, dans le regroupement de comportements très distincts
et toujours en développement, à prendre l'identité et la spécificité de chaque
addiction ? Quelle est aussi la pertinence de ce genre de regroupement dans
la clinique ?
C'est toute la difficulté à laquelle sont confrontés les théoriciens qui tentent
d'apporter une explication à cette réalité clinique que sont les addictions.
Il nous a paru intéressant, plutôt que de décrire chaque modèle dans sa
spécificité, de synthétiser ce qui nous semblent être les grands principes
fonctionnels des différents groupements disciplinaires. Ainsi nous allons
aborder successivement les théories psychologiques, psychanalytiques,
neuro-biologiques ou psychiatriques et sociologiques tout en terminant sur
l'émergence de nouveaux modèles de l'addiction.
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1) La psychologie
Il existe de nombreux modèles théoriques traitant :
- soit de l'addiction d'un point de vue descriptif, en créant des critères
qui permettent d'inclure les comportements concrets dans cette catégorie
d’addictions,
- soit d’un point de vue interprétatif et/ou explicatif, qui tentent de
déterminer la genèse du trouble, sa fonction et son fonctionnement, son sens
et ses conséquences, comme le font les constructions psychopathologiques.
Chacun de ces modèles donne lieu, dans la clinique, à des orientations de
soins différentes dans la prise en charge thérapeutique du sujet.
Si nous essayons de synthétiser les approches psychologiques, ce qui nous
semble important de souligner c’est :
- que la thérapie s’axe sur l’aide du sujet dans la gestion de ses
comportements par, essentiellement, la prise de conscience des facteurs qui
le pousse à passer à l'acte,
- qu’une deuxième étape consistera à lui faire aménager ses réponses de
manière plus pertinente.
On voit se dégager différentes notions, propres à la conception cognitivocomportementale, effectives dans la prise en charge du malade à savoir :
- diminuer la saillance des réponses que l'individu possède pour réagir
face à une situation anxiogène. La saillance est la force d'investissement de
l'individu dans une réponse par rapport à d'autres réponses de son répertoire
ou système,
- augmenter la variété des actions pouvant servir à gérer ou solutionner
une situation anxiogène,
- élever la vicariance, c'est-à-dire entraîner l'individu à substituer
systématiquement une activité à une autre, à utiliser toute la largeur de son
éventail d'actions, de gestions, d’une situation anxiogène.
Ce qu'il faut entendre par situation anxiogène, ce sont toutes les situations
pouvant entraîner une réponse de fuite par un comportement addictif.
Dans l'optique de cette approche, il est important de noter que le
comportement addictif est la résultante directe de l'interaction entre
situations de fragilisation et situations déclenchantes. De plus, cette
réponse addictive est loin d'être sans effet et comporte elle-même des
conséquences cognitives, émotionnelles, comportementales et sociales
faisant retour et inter-agissant avec les situations déclenchantes et les
facteurs de fragilisation.
L’addiction vient comme une réponse à un problème interne et externe
de l'individu qui nécessite donc une perspective de soins pluridisciplinaires,
mettant en jeu des actions psychologiques, éducatives, sociales et
économiques (mesures de réinsertion socioprofessionnelle si nécessaire),
pour casser ce cercle vicieux.
Cette théorie pointe également le caractère particulier de la personnalité
de l’addict. Il serait, en effet, antisocial, dépendant, narcissique ,..., et
soumis à des facteurs de fragilisation tels que l'anxiété, les difficultés de
communication interpersonnelles, la faible estime de soi, l’impulsivité,...
Cette conception ne prend pas en compte un aspect intéressant de la
problématique addictive, qui a été mis en évidence par la recherche de
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ZUCKERMAN (1960) qui est l'activation et la recherche de sensations
comme composante de la personnalité.
Cette vision a pour intérêt de considérer l’addiction comme ayant une valeur
adaptative face à bas niveau d'activation corticale (le sujet se retrouve
dépendant psychologiquement sous la pression des exigences adaptatives
liées à l'anxiété, au sevrage et aux conséquences de l'addiction).
De plus, malgré le manque de travaux sur ce sujet, on peut entrevoir des
liens entre cette théorie et les théories neuro-biologiques que nous
aborderons par la suite.
2) La psychanalyse
Si nous considérons maintenant les théories psychanalytiques, nous allons
pouvoir mettre en évidence plusieurs points intéressants.
Leur but, va être de, se baser sur le sujet de l'inconscient en essayant de
transformer l’addiction en symptôme, c'est-à-dire en objet du discours, qui
retrouvera, par le transfert, sens dans l'histoire du sujet et lui permettra peutêtre d'y renoncer.
Les différents modèles qui découlent de ces théories posent avec quelques
différences les problèmes de la défaillance identitaire, du narcissisme
primaire, de l'échec de l’introjection et du fonctionnement incorporatif.
Selon nous, l’essentiel à retenir est que, l'addiction répond à une douleur
psychique due à une absence d'objet transitionnel (Mac DOUGALL in
« Psychopathologie des addictions » PEDINIELLI, J-L., ROUAN, G. &
BERTAGNE, P.). Elle est un acting out, c'est-à-dire caractérisée par l'agir,
mais aussi une forme d’auto-érotisme particulier (notion de plaisir) et serait
étroitement liée à la culture dans laquelle elle puise sa forme (P.GUTTON in
« Psychopathologie des addictions » ). La puberté, par ce même auteur, est
une période critique dans le choix d'une réponse addictive, face à un
équilibre psychique instable, du fait du remaniement du matériel oedipien,
qu’on observe à cette période.
Toutefois, si l’addiction est une réponse, elle est aussi une sorte d'économie
pour le sujet car elle a aussi une fonction autothérapeutique (JEAMMET in
« Psychopathologie des addictions »).
En effet, le sujet se sentant agressé, par le monde extérieur dont il semble
avoir du mal à se différencier, l’addiction ou l'objet de l'addiction, comme
objet extérieur, lui assure une certaine source d'excitation et de contrôle
l’assurant de sa différence avec de l'environnement.
Les propositions thérapeutiques, qui découlent du modèle de JEAMMET,
offrent au sujet « un jeu d’investissements suffisamment différenciés » pour
qu'il ne se sente pas menacé par la relation (sujet/ psychanalyste).
Un autre modèle, celui de A.CHARLES-NICOLAS & N.VALLEUR,
propose une définition de l’addiction comme une pratique répétée de mise
à l'épreuve, de prise de risque visant une sorte de renaissances face à la
mort. Ils appellent ce modèle, le modèle de l'ordalie.
L'intérêt d'un tel modèle est surtout dans la compréhension que l'on peut
avoir des conduites, assez spécifiques, comme les tentatives de suicide, le
jeu et certains comportements toxicomaniaques (overdose) et maintenant
les conduites à risque.
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Si on ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable, on peut
toutefois trouver certaines similitudes intéressantes entre ces deux grands
groupements théoriques, que sont, la psychologie et la psychanalyse, au
moins en ce qui concerne ce domaine d’addictologie.
 Ainsi, quand l’un parle de prise de conscience de l’addiction et de
ses facteurs pour mieux la « soigner », l'autre parle de transformer
l’addiction en symptôme, pour lui donner du sens dans l’histoire du
sujet et lui permettre d'y renoncer,
 quand l’un parle de l’addiction comme réponse à un problème
interne et/ou externe au sujet, l'autre parlera de « réponse à une
douleur psychique »,
 quand l’un prône dans sa thérapie l'élargissement de l'éventail de
réponse, l'autre dira qu'il faut proposer au sujet « un jeu
d'investissements suffisamment différencié »,...
Il est évident que le vocabulaire est différent et que les concepts sousjacents à chaque théorie sont très spécifiques, mais, au-delà des « guerres de
clochers » théoriques, y a-t-il une véritable différence dans la clinique du
sujet ?
Ces notions, si elles sont effectivement différentes, ne sont-elles pas
plutôt complémentaires ?
3) L’approche de la neurobiologie et de la psychiatrie
Nous avons tenu à regrouper ces deux domaines que sont la
neurobiologie et la psychiatrie car il semble que leur conception la plus
récente et la plus souvent admise des addictions soit presque en tous points
semblable.
a) Notre cerveau aurait un fonctionnement addictif
Tout d’abord, les psychiatres et neurobiologistes estiment que
la répétition d’une activité caractérisée par le besoin de rechercher une
information ou une sensation serait à l’origine de l’addiction. E.LOONIS,
par exemple, parle du « fonctionnement naturellement addictif » de notre
cerveau ; nous aurions ainsi tous des dépendances…mais elles restent
maîtrisables car elles sont multiples. Une dépendance unique entraînerait un
déséquilibre général et serait alors pathologique.
b) Substances psychoactives, neuromédiateurs ?
Ensuite, un consensus assez général ressort des écrits selon
lequel les substances psychoactives seraient des imitatrices de l’action des
neuromédiateurs naturels (substances chimiques) du système nerveux
central (SNC). Les principaux circuits intervenants sont ceux de la
dopamine, de la sérotonine et des opioïdes endogènes.
Par exemple, la cocaïne a une action d’inhibition de la recapture de
la dopamine au niveau de la fente synaptique. Cela entraîne des effets
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euphorisants et excitants du fait du trop plein de dopamine qui est un
précurseur de l’adrénaline et de la noradrénaline bien connues pour leur
action excitatrice. L’héroïne remplace l’action des endorphines et quand
elle se fixe sur leurs récepteurs spécifiques et permet une limitation de la
douleur et une régulation des émotions. L’alcool a quand à lui des effets
multiples : lors d’une intoxication chronique, l’individu sera dépressif et
anxieux du fait du manque de noradrénaline et de sérotonine. S’ajoute, lors
de prises de grandes quantités, le déficit de l’action des opioïdes qui sont en
quantité inférieure.
Pour résumer, il apparaît que le système dopaminergique
aurait selon, J-L.VENISSE et D.BAILLY, un rôle central dans la médiation
des effets des substances d’abus ; effets renforçateurs négatifs (syndrome de
sevrage) et positifs (euphorie et psychostimulation).
c) Les mécanismes généraux des addictions
Pour continuer, il semble que les théoriciens s’accordent
également sur ce que nous appellerons des mécanismes généraux des
addictions. On peut citer O.DEBRAY, B.GRANGER et F.AZAIS qui
estiment, à juste titre selon nous, que « Le concept même d’addiction […]
s’élargit actuellement […]. Le dénominateur commun n’étant plus la
dépendance (et le manque du produit) mais la répétition de séquences
comportementales associées au plaisir, aiguillonnées par un désir
irrépressible. » Ainsi, un type de comportement plus général de prise de
risque et de recherche de situations dangereuses entretenant une autoexcitation psychique est évoqué dans ces domaines « bio ».
On peut alors décliner plusieurs phénomènes rendant compte
de ces comportements. La tolérance est la conséquence des répétitions des
comportements : le cerveau et le corps s’habituent progressivement au(x)
produit(s) ou au(x) stimulation(s) et réclament des doses plus importantes
pour maintenir l’effet. La présence anormale de l’agent de l’addiction étant
tolérée, il y a une modification des paramètres structuraux du cerveau et
donc un déséquilibre.
Le syndrome de sevrage ou de manque est un corrélat de la
tolérance : l’effet étant de plus en plus faible, l’individu va passer du plaisir
procuré par l’agent au besoin de celui-ci qui doit être satisfait pour éviter
des souffrances physiques et psychiques dues à la privation. Au fil du temps
et des consommations ou utilisations, les effets de l’agent augmentent c'està-dire que l’organisme est habitué à ceux-ci ; on parle de sensibilisation.
A noter que souvent, tolérance et sensibilisation se conjuguent et
constituent les bases d’une dépendance à une même substance ou à un
même objet.
d) Une classification différente des addictions
Il apparaît tout de même un point de divergence observé chez
les psychiatres américains (DSM III-R et IV). Leurs conceptions des
addictions est selon nous particulière car ils s’attachent d’un côté à décrire
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les troubles liés à l’usage des divers produits psycho actifs (alcool, drogues,
médicaments, etc.) et de l’autre, les troubles de l’alimentation, sexuels, et
ceux du contrôle des impulsions « non classés ailleurs ». A chaque
symptôme, sont associés des critères spécifiques nécessaire pour les
caractériser.
Pour conclure, nous retiendrons surtout que la recherche de
sensations apparaît comme une dimension commune aux conduites
addictives car chaque individu serait, via son cerveau et son corps, à la
poursuite d’un niveau d’activation optimal à maintenir à tout prix.
La guérison d’une addiction par des méthodes thérapeutiques
diverses n’est, selon pratiquement tous les auteurs, pas un but car il s’agit de
la contrôler de façon à ce qu’elle ne devienne pas pathologique du fait
d’excès de produit ou d’agent.
Enfin, guidés de par leur rôle de soignants, les neurobiologistes et
surtout les psychiatres seraient en droit de rechercher LE facteur de risque
prédictif de la survenue d’une addiction. Cependant, il est impossible
d’isoler, selon D.BAILLY et J-L.VENISSE, un seul facteur car les théories
« bio » peuvent apporter des éléments de réponse mais pas exclusivement
car elles portent sur des mécanismes différents des autres théories…d’autres
processus non biologiques sont en effets en jeu.
4) L’approche sociologique
L’approche sociologique des conduites dites pathologiques a
sûrement été inaugurée par E.DURKHEIM au début du XXème siècle. Son
travail sur le suicide a mis en évidence que l’augmentation du taux de
suicide pouvait être reliée à ce qu’il nomme de « grands mouvements de
société ». DURKHEIM exprime déjà en 1897 un début de conception des
addictions : «... c’est la sensibilité qui se surexcite et se dérègle […], la
passion ne reconnaissant plus de bornes, n’a plus de but, elle se perd dans
l’infini du désir. ».
Dans les années 1970-1980, le suicide anomique chez les
toxicomanes, défini par DURKHEIM, paraît correspondre à un manque de
repères dans une société d’abondance. Tout comme l’anorexie, trouble de
l’alimentation qu’on retrouve essentiellement dans les pays « riches », qui
semble être une pathologie liée à la culture.
Actuellement, deux grands axes sont retenus en sociologie
pour rendre compte des addictions.
a) L’axe de la consommation et du plaisir
Le premier que nous appellerons l’axe de la consommation et du
plaisir sans cesse à renouveler insiste sur la pression que tout individu subit
ou ressent dans nos sociétés individualistes.
Selon de nombreux auteurs, les addictions sont apparues en même
temps que la modernité et la démocratie car ils estiment que la dépendance
devient morbide lorsque l’individu et la liberté sont devenus des valeurs.
Cela nous ramène à la définition que FOUQUET donnait à l’alcoolisme :
19
« la perte de la liberté de s’abstenir ». Aujourd’hui, prendre du plaisir est
devenu un impératif social, acheter est un mode de production de valeurs et
une manière de plaider une reconnaissance d’existence.
Le contexte individualiste représenté par le fait que les individus
manquent de repères extérieurs (tout comme à l’époque de DURKHEIM)
incite chacun d’entre nous à se référer à nous même en tant qu’esprit et
corps. L’addiction apparaît quand l’individu se prend lui-même à sa quête
de consommation et qu’il se retrouve pris dans « un système des objets »
(J.BAUDRICHARD). La société de consommation met en effet en avant
une sensation permanente de manque et de besoin, que la publicité ne cesse
de renforcer.
Pour finir on peut dire que la clinique des addictions pose des
questions que l’on se doit de rapporter à celles sur la condition humaine,
dans un monde où les individus sont individualistes ; ces questions sont
contemporaines de la modernité et du « désenchantement du monde »
(M.VALLEUR & JC.MATYSIAK).
b) L’addiction : remède à une souffrance sociale
Le second axe, celui de l’addiction comme remède à une
souffrance sociale rejoint la dimension anomique du suicide de
DURKHEIM. Tout comme le suicide reflèterait un malaise sociétal,
l’alcoolisme, la toxicomanie et le jeu seraient des moyens d’anesthésier,
d’échapper ou d’atténuer des souffrances liées à des conditions sociales
difficiles. On peut se remémorer que chez E.ZOLA, l’alcool est un
« assommoir ».
Nous devons cependant faire attention et nuancer cette vision
fataliste d’une fuite de la réalité réalisée par les addictions. En effet, le jeu,
l’alcoolisme, les troubles des conduites alimentaires, la toxicomanie, etc.
sont présentes autant sinon plus que chez des populations socialement
défavorisées que chez des populations moyennes ou favorisées. De même,
la situation de crise ne semble pas être une condition essentielle pour
observer des addictions ; les accalmies sociales, économiques, individuelles
ou collectives connaissent aussi ces types de pathologies.
Enfin, un autre point mérite d’être relevé : la sociologie de la
déviance a montré que la toxicomanie pouvait résulter d’un apprentissage
social. Ce type de déviance, non exclusif aux drogues, s’inscrit dans un tissu
de relations sociales et contient des codes, des valeurs, etc. Les groupes des
toxicomanes, des alcooliques, des joueurs constitueraient selon
T.WILLIAMS & P.BOURGOIS des sous cultures.
On retiendra de ces deux conceptions sociologiques que, comme
Jean GAGNEPAIN l’évoquait, la place du risque (une pathologie de l’excès
ou de l’agir peut être utilisée pour vaincre la peur de l’étranger) dans un
contexte de valorisation du plaisir et de la consommation est elle-même
paradoxale : il s’agit de fuir, d’éviter mais en même temps, l’addiction
constitue un élément de distinction. La démarche de rupture, de révolte et de
refus d’intégration sociale pouvant être l’envers d’une tentative d’adaptation
et de sur intégration (comme lors du dopage).
20
c) Les pièges des théories
Pour terminer sur les conceptions théoriques concernant les
addictions, quelques remarquent méritent notre attention.
Tout d’abord, il convient de modérer tout ce qui ressort des théories car il
existe des pièges que R.VERBEKE a mis en évidence. Son approche
ethnographique, essentiellement sur la toxicomanie, dénonce un certain
aveuglement des personnes qui ne voient pas au-delà de la théorie. Ainsi, le
piège du regard consiste à montrer que la vision des auteurs, théoriciens et
« monsieur et madame tout le monde » a une part non négligeable sur le
message et le sens véhiculés par les conceptions.
De même, le piège des mots est celui qui découle de la richesse des langues
et du langage. Un concept est le plus souvent symbolisé par un mot mais,
selon les personnes, ce mot a un sens différent ; ou bien, il n’y a pas
toujours de concepts associables pour ce qui est du vocabulaire de la drogue,
ils sont donc créer à travers l’argot utilisé par les usagers la plupart du
temps. Ainsi le vocabulaire associé à la toxicomanie (« psychédélique »,
« planant », « flash »…) contribue à donner un aspect plus que péjoratif à
cette pathologie. On en oublierait presque la souffrance et les nombreuses
difficultés que rencontrent les malades.
Enfin, R.VERBEKE toujours dans un souci d’ouverture d’esprit nous alerte
sur les « pièges des théories» eux même ! Elles apportent un cadre, une
référence scientifique et assurent une base à laquelle chaque intervenant ou
professionnel peut se retrouver. Par contre, en aucun cas, elles ne suffisent
et ne préservent d’une véritable rencontre avec au mieux les patients et
addicts, ou le cas échéant, avec en ce qui nous concerne leurs soignants et
les professionnels d’encadrement qui approchent ces patients
quotidiennement.
Nous terminerons cet éventail théorique par une citation du même
auteur : « il faut connaître les théories, parce qu’elles apportent chacune un
éclairage intéressant, il faut aussi ne pas les suivre aveuglément et savoir se
fonder sur l’observation sur le terrain. ». Il ajoute concernant les
toxicomanes « Les seuls vrais experts en toxicomanie sont les toxicomanes
eux même. » ce qui nous semble être, et c’est pourtant rare, une des seules
affirmations généralisable aux addictions.
5) L’émergence de nouveaux modèles de l’addiction
Grâce à la critique de la réification biomédicale de l’addiction, de
nouveaux modèles ont pu prendre naissance.
ROOM & CAHALAN (1974) dénoncent les regroupements
symptomatiques soi-disant caractéristiques de l’addiction, notamment
alcoolique. Par exemple, pour eux, « la perte de contrôle est une expérience
subjective plutôt qu'objective ».
Le chef d'orchestre du débat sur la scène internationale est Stanton
PEELE (1985,1998,2000) qui prône que l’addiction n'est pas un
syndrome biologique spécifique. Dans son modèle éclectique (2000), il fait
entendre plusieurs choses :
21
- on ne connaît la nature de l'addiction qu'à partir des comportements
et de l'expérience subjective du sujet,
- l'addiction n'est pas un phénomène en tout ou rien mais il existe un
continuum,
- l'addiction renvoie à une forme d'expérience (physique,
psychique, pharmacologique et apprise ),
- l'addiction vise à apporter, aux yeux du sujet, des bénéfices
existanciels (sensation de pouvoir, de contrôle, diminution de la douleur, de
l'anxiété).
D'après lui, les facteurs fondamentaux en cause, dans l'addiction et
son évolution, sont de l'ordre :
 culturel
- social ( les gens socialement démunis ont les taux d’addiction les plus élevés, bien qu'ils aient souvent les plus forts
taux d'abstinence),
- éthnique (exemple les manières de boire dans un pays ne
sont pas les mêmes dans d'autres),
 situationnel
- traumatique (guerre, accident, deuil ...)
- développemental (les cycles de vie et les usages)
- rituel (le rituel du toxicomane avant le « shoot »)
 cognitif
- croyance (expectation concernant telle ou telle substance)
- apprentissage social (l'exemple des autres, rôle de normes
locales, ...)
 des valeurs
- valeur stable (valeurs propres à la personnalité)
- valeurs évolutives (valeurs liées à l'expérience de la parentalité)
KENNETH BLUM (1991) proposa une théorie neuro-génétique de la
maladie compulsive. Elle postule qu’un gène du plaisir (récepteur D2 de la
dopamine), qui pourrait être défectueux chez certaines personnes, initierait
et régulerait une recherche anormale du plaisir. En association avec d'autres
gènes, ceux-ci pourraient provoquer une activité spécifique, par exemple des
usages d'alcool ou de drogue.
Le dernier modèle présenté, celui de LOONIS & SZTULMAN
(1998), aborde le problème de l’addiction par « le principe d’addictivité
génénérale », selon la théorie de la gestion hédonique. Ce modèle définit
l’addiction comme toutes les activités humaines utilisées pour leur valeur
hédonique, sur un mode plus ou moins déséquilibré.
L'intérêt et la spécificité de ce modèle, c'est qu'il prend en compte les
addictions aux consommations de substances psychoactives, les addictions
comportementales, les addictions non pathologique ainsi que les addictions
pathologiques, qui seraient une solution extrême à des niveaux tout aussi
extrême de souffrance psychique.
Ces addictions sont comprises dans un système de gestion
hédonique, gestion tout autant nécessaire à chacun qu’universelle, au sens
22
où elle concerne tous les êtres humains quels que soient leur sexe, âge,
culture et époque.
Enfin il s'appuie sur le principe de la « double fonction des
activités », c'est-à-dire que les mêmes activités peuvent, tantôt servir la
fonction pragmatique ou la fonction hédonique de l'individu, tantôt
représenter une passion dévorante et maladive ou, parfois chez d'autres
personnes, n'être qu'une pratique occasionnelle. (voir Annexe 4)
Ces derniers modèles présentés sont sujets à discussion et viennent
bousculer des certitudes (apprises) très fortes.
Malgré la polémique qu’ils peuvent engendrer, il est intéressant de voir
qu'ils ouvrent de nouvelles perspectives de recherche, de nouveaux angles
d’attaque de la problématique addictive.
On pourrait toutefois s'interroger sur la théorie de K.BLUM au vu des
dérives possibles des différentes théories génétiques et de leurs
interprétations parfois radicales.
De plus, les dernières informations, que nous avons pu avoir, font
remarquer que les recherches génétiques n'ont pas validé la présence de
marqueurs génétiques. De même, les recherches sur l’héritabilité
(transmissions de traits et de comportements) trouvent tout juste une
prévalence entre le père biologique et les enfants (CLONINGER). Donc, un
père alcoolique n'aura pas forcément des enfants alcooliques mais, il semble
que c'est beaucoup plus le milieu social qui aura de l'influence...
23
III - QUELLES PRATIQUES DECOULENT DES THEORIES
A - COMPTE-RENDU D’ENTRETIENS AVEC DES PROFESSIONNEL ET DISCUSSION
1) Rencontre avec Claude VEDEILHE, psychiatre
a) Son cadre de travail :
Claude VEDEILHIE est psychiatre, il intervient auprès de patients
toxicomanes depuis plus de 20 ans. Il dirige le Centre régional de Soins en
Pharmacodépendances et Toxicomanies. L’ « Envol », où nous l’avons
rencontré, est une antenne dépendant du CHS G. REGNIER de Rennes et
accueille des patients toxicomanes pour des cures de sevrage, des suivis de
traitements de substitution et des bilans médicaux.
La durée se séjour moyenne des patients est de 3 mois, et varie d’une
quinzaine de jours à 6 mois maximum.
Le Centre est financé par le Ministère de L’emploi et de la Solidarité dans le
cadre de la lutte contre la toxicomanie, il bénéficie aussi du soutien de la
MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la
Toxicomanie) et du CFES (Comité Français d’Education à la Santé).
Dans ce cadre, l’addiction est considérée d’après le Dr VEDEILHIE comme
une dépendance pathologique à un produit, ce qui rejoint la définition que
l’OMS donnait à la dépendance en 1964.
b) Sa vision de l’addiction
Dans sa pratique, C.VEDEILHIE distingue quatre types de
comportements liés à la consommation de drogue(s) :
_ l’usage épisodique.
_ l’abus dangeureux.
_ l’abus nocif qui à long terme entraîne des problèmes
psychopathologiques et somatiques.
_ la dépendance, qui est synonyme d’addiction dans ce cas.
Dans ce contexte, l’addiction est en fait une « palette » de
comportements plus ou moins dangereux, importants et fréquents pour
l’individu, sa santé et son entourage.
Notre psychiatre parle aussi de trois groupes de patients, ce qui
permet de mieux comprendre les problématiques addictives :
_ Un premier groupe de personnalité de type « névroticonormale », très peu représenté à l’Envol, peut bénéficier d’une prise en
charge psychothérapeutique.
_ Un second se compose d’adolescents et de jeunes adultes
qui tentent de colmater une problématique souvent psychotique par l’usage
de cannabis et d’alcool en priorité. Il constate que ces patients sont de plus
en plus souvent rencontrés dans la pratique.
_ Le dernier groupe est celui où les sujets ont une
« problématique narcissique ou états-limite ». Ils se caractérisent par une
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problématique identitaire (clivage, déni, dette symbolique et inversée,
insécurité, tout ou rien…).
L’addiction toxicomaniaque aurait alors un rôle majeur de défense.
Les sujets addictés ont en effet très souvent des difficultés de symbolisation
( « Penser c’est douloureux » nous a fait remarquer le Dr VEDEILHIE) et
fonctionneraient plutôt sur un registre des sensations où les réponses se
situent dans l’agir ( utiliser un produit et sentir son corps en mouvement).
Le produit, la drogue a alors une fonction de dynamisation, de
reconnaissance pour les sujets et permet parfois, voire souvent, de masquer
un autre problème : par exemple, masquer un trouble d’ordre psychotique en
consommant du cannabis, de l’alcool…
C.VEDEILHIE remarque également que régulièrement, plusieurs
dépendances sont associées, avec selon les moments, la dominance de l’une
sur l’autre : par exemple, le jeu peut être associé à l’alcool ou aux drogues.
Pour ce qui est de la prise en charge, elle est de deux ordre à
l’Envol :
_Dans un premier temps, forger une « alliance
thérapeutique », établir du lien entre le patient et l’équipe soignante. Ce
travail en transferts latéraux, avec une prise en charge multidisciplinaire
permet d’éviter d’éventuelles difficultés liées à des processus de séparation
ou de persécution.
_ Ensuite, dans le cadre de la politique d’accès aux soins, un
traitement de substitution (pour les dépendances aux opiacés) est proposé
(Méthadone et Subutex). De même, il est possible d’effectuer un bilan
médical pour chaque patient de façon à détecter d’autres problèmes que la
dépendance ( infections, VIH, hépatites, problèmes dentaires…).
Pour résumer, l’approche psycho-socio-thérapeutique de ce centre ne
prétend pas à une guérison totale de la problématique addictive mais elle a
pour but de permettre au patient de retrouver un équilibre lui assurant au
mieux de ne plus être en souffrance, sans être exclu socialement et /ou
psychologiquement.
Dans ce contexte, C.VEDEILHIE utilise souvent une métaphore :
« La prise en charge des toxicomanes n’est pas une traversée de
l’Atlantique mais du cabotage. » Il sous-entend par-là, que la majorité des
personnes étant demandeuses de soin ou d’aide, il est nécessaire qu’elles
s’approprient cette démarche. Tout au long de leur séjour, cette première
demande doit toujours se structurer pour s’affiner progressivement. Cela
devrait permettre à chaque patient de se fixer, avec l’équipe soignante, des
objectifs à la hauteur de ses possibilités et capacités du moment.
Ainsi, la rechute auparavant tant redoutée, n’est plus liée à un échec
mais à la possibilité de faire des étapes successives dans un parcours semé
d’embûches. Le patient peut alors revenir au centre, si besoin, avec une
demande différente et sans sentiment d’avoir échoué.
25
c) Notre point de vue
Nous avons voulu mettre en avant certains aspects de l’entretien qui
ont particulièrement retenu notre attention.
Premièrement, les références théoriques utilisées par les professionnels de ce centre ne se cantonnent pas à une seule approche mais sont
plutôt multivariées. Elles proviennent de la psychiatrie, de la psychanalyse,
de la neurobiologie et d’une approche plus comportementale.
Ensuite, le concept de la dette inversée nous a semblé intéressant en
ce qui concerne notre démarche de recherche. Cela fait référence directe,
selon nous, à la définition de « l’addiction moyenâgeuse » à une nuance
près : alors que l’individu avait une dette envers autrui, il s’agit ici de la
société qui est redevable à l’addicté. Un sentiment de haine et de violence
apparaît chez le sujet qui veut faire payer une injustice dont il serait ou est
victime.
Enfin, le plus marquant pour nous relativement aux addictions ont été les
buts que se fixent et se donnent les soignants dans la démarche de soins. En
effet, il n’est plus question d’effacer l’addiction comme on guérirait un
rhume mais au contraire de la contrôler et de « mieux vivre avec ».
Supprimer une dépendance toxicomaniaque entraînerait son déplacement
vers une autre dépendance, parfois plus nocive ou mortelle.
L’objectif envisagé est, comme nous l’avons vu précédemment, que chaque
patient parvienne à contrôler, dompter son addiction afin de trouver ou
retrouver une certaine stabilité dans sa vie psychique, sociale, affective et
professionnelle.
2) Rencontre avec Didier RICHARD, psychologue
Nous avons également pu rencontrer M. Didier RICHARD,
psychologue diplômé de l’université de RENNES II, qui exerce dans
différentes structures telles que le CCAA, les Iris, l’escale, et le SPIP 35 . Il
intervient aussi à l’université dans le cadre de l’option « psychologie sociale
de la santé». Son activité professionnelle est surtout axée sur la prise en
charge de malades alcooliques.
Pour lui, il n’y a pas de définition de la dépendance qui puisse être
totalement acceptable, car il pense que la dépendance ne se vérifie pas par
des critères objectifs : ce serait le patient qui présente une problématique
addiction qui s’identifierait ou non comme dépendant.
Voilà l’une des premières limites de la théorie qui, à l’aide de critères plus
ou moins observables, tente d’enfermer les sujets dans des « cases » ne leur
correspondant pas forcément.
Alors, comment aborder la clinique du sujet si la théorie n’apparaît
pas toujours suffisante ?
La première chose qui semble importante pour M. RICHARD, c’est
la place que choisi le thérapeute et le sujet dans la relation qu’ils vont
entretenir. En effet, face à une situation, le psychologue à plusieurs grilles
de lecture possibles. Pourtant, la lecture que le professionnel va faire de son
point de vu d’homme est tout aussi importante que celle qu’il peut faire avec
ces grilles très structurées et très théoriques. Bien sûr, ces dernières vont
26
servir pour dépasser le stade de la première impression et vont venir étayer
un diagnostique ou une proposition de travail avec le sujet.
Didier RICHARD nous a appris que ce qui a influencé son travail et
l’approche qu’il en a aujourd’hui est de trois ordres :
- il cite en premier lieu les lectures de Karl RODGERS sur les
différentes conduites d’entretiens,
- Puis, les rencontres auprès des différents groupes et associations
qui lui ont permis d’appréhender la problématique de l’alcoolisme
différemment,
- enfin, les théories d’orientation analytique lui permettant de mettre
du sens sur tout ce qu’il a pu observer.
D’après lui, il est également très important d’avoir une « lecture
sociale » de la problématique que l’on va rencontrer, car s’il existe des
dépendances prenant leurs origines sur la base de traumatismes dans
l’enfance, il y a néanmoins beaucoup de personnes développant ces
dépendances sur une base socioculturelle. C’est, semble-t-il, la majorité du
public qu’il rencontre.
Evoluant avec l’idée que le psychologue est garant du cadre dans
lequel il évolue, Mr RICHARD pense que les structures d’accueil
vieillissent et ne correspondent plus vraiment aux populations et pathologies
rencontrées.
En ce qui concerne le travail thérapeutique, l’objectif n’est pas la rémission
totale mais il convient de créer une « bonne relation » entre le sujet et le
thérapeute pour élaborer, par la suite, la meilleure stratégie
d’accompagnement du « malade ».
Il ne parle pas de « neutralité bienveillante »( en référence à certaines
pratiques appliquées) mais compare plutôt la relation avec le patient comme
un duel, un sport de combat, une opposition de deux forces qu’il faut
essayer d’harmoniser pour trouver un équilibre prompt à l’évolution de
chacun des protagonistes et de la thérapie.
Sur la question de la rechute, Didier RICHARD parle de « claque
narcissique » pour le patient et il semble que cela soit un sujet difficile à
aborder avec lui. Pourtant, il ne considère pas la rechute comme un
problème, mais plutôt comme une opportunité à entamer un nouveau
travail : Cela serait une étape comme une autre, importante pour le sujet qui
doit en faire l’expérience afin qu’il ne croie pas à une guérison trop facile.
Enfin, à la question concernant la légitimité de l’utilisation du terme
générique d’Addiction, il reste prudent, voire sceptique, quant à un tel
regroupement de conduites ; Notamment, pour ce qui est de la pratique et
de l’identité du sujet . En effet, il lui semble que cela soit trop tôt, d’un point
de vue purement pratique, de faire se rejoindre des malades ayant des
problématiques différentes, s’identifiant de surcroît au travers de leur
maladie. Ainsi, un alcoolique se présente et va jusqu’à se revendiquer
comme alcoolique : il n’est peut-être pas près à lâcher ce que l’on pourrait
appeler une « identité prothèse » ? Toutefois, Mr RICHARD acquiesce
quant à l’utilité que prend ce concept, d’un point de vue politique et social,
permettant de rendre l’accès au soins probablement plus facile. De la même
27
manière, cela pourrait permettre de « dé diaboliser » certains produits et
leurs utilisateurs ainsi que de rétablir un certain équilibre dans le
financement des prises en charge.
Le psychologue clinicien Robert LEBORGNE, rencontré à
l’université lors d’une intervention sur la présentation de son service,
intervient au CHGR, au sein du service du professeur JAGO. Il rencontre
tout type de population ayant des problèmes psychiatriques. Au cours de sa
pratique, il lui a été permis de faire certaines constatations qui recoupent
celles que font d’autres professionnels : notamment que parmi les jeunes
psychotiques, plus de 50% auraient une problématique addictive. Il observe
en effet, dans cette population, une progression importante dans la
consommation de produits tels que l’alcool, le cannabis et les médicaments.
L’approche qu’il a vis-à-vis de ces patients, il la tient des théories
psychiatriques et psychanalytiques. Ceci dit, il s’interroge beaucoup sur
l’influence du cadre (du service) et parle de « lecture institutionnelle » du
patient. Toutefois, même si la théorie et le cadre ont un rôle effectif dans la
prise en charge du sujet, il précise que c’est aussi de par les affects que le
patient est capable de mobiliser chez le psychologue, et inversement, que la
relation débute et s’enrichie.
Pour lui, tout cadre, quel qu’il soit, à ses limites . Cependant, même si un
cadre institutionnel ou une pratique ne répond pas à la demande d’un sujet,
cela n’est pas un échec en soi dès lors qu’il puisse être orienté vers une autre
structure, pratique, plus adaptées.
Robert LEBORGNE se pose le problème d’un manque de retour
quant à sa pratique dans le cadre hospitalier, qui n’a pas en charge le suivi
des patients sur l’extérieur. Le seul retour qu’il a c’est lorsqu’un patient
revient et, c’est en général signe d’échec de la thérapie précédente.
Ce qui semble important de retenir de ces deux entretiens, c’est qu’il
n’existe pas une seule façon d’appréhender le sujet, ni un seul cadre disposé
à le prendre en charge. Ainsi, pour Robert LEBORGNE, il semble très
important que le psychologue ne soit pas le seul référant thérapeutique d’un
sujet mais qu’il se créé autour de celui-ci un réseau pluridisciplinaire. De
même que pour Claude VEDHEILLE, Didier RICHARD ne conçoit pas la
guérison comme un objectif majeur de la thérapie, du fait de la complexité
de la problématique abordée. La thérapie serait plus à considérer comme un
accompagnement dans « la reconstruction identitaire » du sujet, donc dans
la recherche d’un équilibre.
B - LES PRATIQUES A L’EGARD DE L’ADDICTION
Etant donné le grand nombre d’approches des addictions, nous avons
choisi de nous intéresser aux pratiques les plus représentatives nous
permettant d’appréhender une certaine identité spécifique de « l’addict ».
Du malade au défenseur d’un mode de vie minoritaire, en passant par
28
l’individu en souffrance qui exprime son symptôme…l’identité du sujet sera
dès lors très différente face à l’objet de l’addiction.
On peut ainsi distinguer deux grands champs au sein de ces
pratiques :
_ Une addictologie clinique, centrée sur l’accompagnement
et le soin aux personnes dépendantes. Elle propose une importante variété
de pratiques.
_ Une addictologie de santé publique, essentiellement axée
sur la prévention et dont l’objet n’est pas l’addict lui-même mais une
recherche d’évitement destiné à la population quant au passage de l’usage à
l’abus puis de l’abus à ma dépendance ; c’est-à-dire, l’objet de l’addiction.
1) L’addictologie clinique
a) Les groupes d’entraide
Au sein des traitement de conversion, ces groupes d’inspiration religieuse
ont une place de choix. Citons les « Alcooliques Anonymes », un des
premiers qui n’est pas d’inspiration catholique (contrairement aux tous
premiers groupes) mais qui dit agir au nom d’une puissance supérieure non
définie à laquelle peuvent se référer les membres du groupe.
Dans ce contexte, l’entraide est selon l’alcoologue P. FOUQUET a relier au
terme grec « Néphalisme » qui rappelle que certains groupes de l’Antiquité
célébraient l’abstinence par des fêtes appelées Néphalides.
Le traitement proposé se compose de douze étapes successives que les
membres doivent atteindre et dépasser. La première étant d’admettre son
impuissance face à l’objet d’addiction, l’abstinence devient le moyen de
guérison de la dépendance.
En complément, sont apparus des groupes de « codépendance » basé sur
l’idée que vivre avec une personne dépendante constituait aussi une
maladie. Citons ALANON et ALATEEN( groupes de conjoints et d’enfants
d’alcooliques), NARANON ( groupes de parents de toxicomanes).
Le succès de ce type de groupe semble tenir à plusieurs facteurs :
_ Le caractère religieux paraît favoriser le maintien de l’abstinence
par l’abandon de l’objet d’addiction en se référant à une puissance
supérieure.
_ La notion de groupe, de par ses réunions régulières, semble être u
support affectif suffisant, une proximité affective s’y jouant.
Souvent, l’encouragement à l’abstinence et surtout les renforcements
positifs associés (anniversaires de l’abstinence) incitent certains à qualifier
ces groupes de comportementalistes. Cependant, la philosophie semble plus
spirituelle que comportementale ou behavioriste.
De même, les risques de (trop) forte dépendance aux autres peuvent laisser
penser à une « prothèse de socialisation de sujets infantilisés »
(M.
VALLEUR & C. MARTYSIAK). On parle ici d’un déplacement d’une
addiction vers une autre. En pratique, la majorité des sujets ne sont pas hors
société mais bien plutôt intégrés dans une vie affective et sociale
indépendante. La question de la dérive sectaire peut aussi se poser et est
29
illustrée malheureusement par SYNANON, une communauté américaine
pour toxicomanes. Ce groupe thérapeutique totalitaire et maltraitant était en
fait une secte paramilitaire. Ceci dit, une certaine garantie chez les vrais
groupes d’entraide consiste en l’adoption de « traditions » où tout échange
d’argent est prohibé, une hiérarchisation du groupe est respectée, etc.
b) Les groupes d’auto-support
Nés d’un contexte politique de réduction des risques liés à l’usage de
drogues illicites, ce modèle apparaît aux Pays Bac en 1980. La création des
« junkie bonds », associations voire syndicats de « drogués » se défendent
d’être des minorités à cause de leur choix de vie différent de celui de la
majorité de la population.
La réduction des risques, la lutte contre le SIDA, les préventions, etc. vont
être leur cheval de bataille ; leur but étant d’encadrer, d’informer et de
former les plus jeunes ou novices et de leur éviter les pièges menant à
l’addiction.
c) La psychothérapie
Guidée par les approches psychanalytiques, cette approche considère
les addictions comme des symptômes de difficultés plus profondes et dont il
convient de trouver la source.
Proposées sous de multiples formes et contextes (cabinet individuel, centre
de post-cure, hospitalisation…), elle peut aussi s’adresser à la famille. Ainsi
sur le modèle systémique, la thérapie familiale pourra déceler un
dysfonctionnement dû au patient désigné, la personne addictée.
d) La chimiothérapie
Dans des centres spécialisés, les traitements de substitution
(Méthadone et Subutex) sont un accès au soin(des médicaments)et non un
produit pour un produit.
Préconisée pour la dépendance aux opiacés, la Méthadone agit comme
l’héroïne mais sur une duré beaucoup plus importante (24 heures). Le
Subutex (Buprémorphine), pris par voie orale, agit de façon antagoniste car
plus la dose augmente et plus les récepteurs opioïdes sont saturés, ce qui
limite les risques d’overdose. Son inconvénient en pratique est qu’il est
« shootable » et peut donc être détourné de son utilisation.
L’intérêt de ces traitements ne tient pas seulement à la substitution d’un
produit illicite par un médicament délivré sur ordonnance mais bien plus
encore, au lien qui s’établit entre le consommateur et son médecin. La
démarche de soin est complémentaire à une réduction des risques : pour la
société ( délinquance, contamination par le VIH…), pour le sujet (course au
produit, souffrance psychique et physique…).
Ce moyen n’est il donc pas l’espoir d’une socialisation ou d’une démarche
d’une resocialisation ?
30
e) Le sevrage
Remis en question par certains, valorisé par d’autres, le sevrage
apparaît comme une étape capitale pour le sujet. Possible en cure
ambulatoire, les « puristes » pensent qu’il s’agit d’un moment d’expériences
qui va permettre à l’individu de prendre du recul sur sa pratique addictive.
En hospitalisation ou en post-cure, le sujet peut s’évaluer à distance. Il
mesure ainsi la place prise dans son existence ainsi que ses enjeux.
Ceci dit, une limite reste tout de même que le changement de contexte est
rarement définitif, un retour à la vie non hospitalière arrivera et le risque de
rechute reste présent.
f) La question de la rechute
Selon le Petit Larousse de Médecine (Hachette), la rechute est « une
nouvelle poussée évolutive d’une maladie chez un sujet qui en avait déjà été
atteint et qui n’était pas bien guéri ». Etymologiquement, ce terme vient de
l’ancien verbe « rechoir » signifiant retomber.
Dans le sens médical comme dans l’esprit populaire, la rechute n’apparaît
pas souhaitable pour le sujet et, est même connotée plutôt négativement,
renvoyant à un retour à zéro.
La question qu’on pourrait se poser est de savoir à partir de quel moment il
est question de rechute ? Pour un alcoolique, est-ce d’avoir reconsommé de
l’alcool ou bien seulement d’avoir fortement pensé le faire ? Cela sous-tend
un aspect comportementaliste d’un côté, et un aspect plus psychologique de
l’autre.
Nous l’avons vu, pour les groupes d’entraide, la rechute est plutôt
dramatisée, seule l’abstinence permettant la rémission. La culpabilité
ressentie par le sujet signe la crainte du retour de la maladie et son
incurabilité.
Au contraire, certains auteurs et praticiens posent la rechute comme une
étape éventuelle, non dramatique et culpabilisante, du processus engagé par
les addictés. A. MARLATT & J. GORDON (in Les addictions chez Armand
Colin). Ils proposent une stratégie thérapeutique de « prévention des
rechutes » : afin d’éviter le drame de la première rechute qui entraînera le
sujet dans une « replonge » extrême, il est proposé au sujet d’adopter des
stratégies qui vont lui permettre de palier au comportement addictif. Par
exemple, éviter certains éléments de contexte, apprendre à repérer les
situations stressantes…Dans tous les cas, il s’agit d’un moyen opérant à
long terme, où le sujet expérimente autant de rechutes que de « victoires »
sur son objet d’addiction.
En somme, aborder la question de la rechute revient à s’interroger sur les
objectifs que l’on se donne : _ l’abstinence face au comportement addictif,
considérée par certains auteurs et praticiens comme pathologique
(C.VEDEILHIE par exemple).
_ la démarche de soin du patient.
_ la mise en évidence d’une problématique plus profonde, découlant d’un
fonctionnement de mise en échec perpétuel.
Autant d’objectifs différents qui sont basés sur des fondements et des
valeurs
31
différents mais qui viendront donner du sens, autrement que négativement à
la question de la rechute.
Pour conclure sur l’addictologie clinique, deux choses essentielles
ressortent :
_ Il n’existe pas de prise en charge unique de l’addict, mais
une variété car chacune porte sur des objets différents. On s’intéresse aussi
bien au comportement du sujet qu’à ses difficultés psychologiques.
L’addiction étant définie par la théorie de laquelle elle
découle, l’addict sera, quant à lui, défini par la pratique auquel il aura accès.
Tantôt malade, tantôt représentant une minorité ou encore, être en
souffrance qui manifeste un symptôme…ce sont autant de possibilités qui
vont justifier des pratiques thérapeutiques variées mais aussi un regard
particulier sur la personne.
_ Il est intéressant de noter que la diversité des propositions,
la relative souplesse dans l’application des « programmes » reflètent la
liberté de choix des patients concernant la mise en œuvre des moyens. On
peut bien sûr formuler des critiques ou des réserves cependant, cet éventail
de possibilités semble être du sur-mesure pour le sujet et lui apporter au
final, une qualité de vie mailleure.
2 ) L’addictologie de Santé Publique
Cet aspect concerne essentiellement la prévention.
Quand on parle de cette notion, il est souvent question de LEDERMAN, un
démographe français, qui en 1956 proposa un modèle statistique faisant un
lien entre la consommation générale d’alcool dans la population et la
quantité de problèmes de santé consécutifs. Plus l’offre serait abondante,
plus le nombre de consommateurs augmenterait. De même, le
développement d’un usage nocif d’un objet ou produit entraînerait
l’apparition de la problématique de dépendance.
De nombreux constats ont pu valider ce modèle concernant l’alcool, les
substances psychoactives mais aussi pour les addictions sans drogue comme
le jeu pathologique ( plus fréquent à proximité des villes de casino).
Auparavant aux Etats-Unis, dans les années 1919 à 1933, la Prohibition
avait donné un exemple différent : interdire l’alcool a entraîné de la
délinquance et du traffic de contrebande et a fait de cette « politique » une
sorte « d’illégalisme populaire », plus dangereux encore poour la société et
les personnes.
En matière de prévention, s’occuper des addicts n’est pas l’objectif principal
mais plutôt, lutter pour la diminution globale de la consommation de la
population générale. C’est une politique de Santé Publique s’intéressant à
tous et non pas à une minorité touchée par les « gros problèmes ». Les
instances préfèrent viser les conduites ayant des conséquences directes,
visibles et nocives pour les individus, tant sur son état physique que sur ce
qu’il peut représenter comme danger pour autrui. Ainsi de nombreuses
actions, publicités et campagnes sont essentiellement axées sur les ravages
du tabac, de l’alcool et du cannabis, en France. Il existe pourtant beaucoup
d’autres conduites dangereuses mais, semble t il moins inquiétantes pour la
société si on analyse correctement les volontés politico-sociales.
32
Réduire les risques, éviter que l’usage ne devienne abusif et que l’abus signe
la dépendance est l’objectif visé. Concernant la politique de réduction des
risques liés à la toxicomanie s’axe en partie, sur une politique « hygiéniste »
plus générale car elle lutte contre les problèmes de contaminations du VIH,
des hépatites par la mise en place de distribution de seringues et de
préservatifs (Stéribox).
En outre, la prévention passe aussi en France par une réglementation
« stricte » (ou qui tend à le devenir) à l’égard des produits « possiblement
addictifs ». Ainsi la commercialisation du tabac, de l’alcool, des
médicaments psychoactifs (prescrits) sont concernés, tout comme les
publicités qui s’y rapportent ; le but semblant être de réduire les tentations.
Par exemple, la Loi Evin sur le retrait du prix du tabac du calcul des indices
de consommation serait une politique dissuasive.( !) Enfin une large part
concerne une prévention plus répressive : la sécurité routière, la protection
des mineurs et depuis quelques années le dopage.
L’addictologie de Santé Publique s’axe donc essentiellement sur une
politique de réduction des risques. Parce que certaines « dépendances »
peuvent comporter un aspect positif et constituer des compromis existentiels
valides, à un moment donné de la vie du sujet, elle tente d’imaginer des
stratégies particulières visant à prserver certaines formes de dépendances
pour limiter au maximum les plus extrêmes.
33
IV- REGARD DE LA SOCIETE SUR LE PHENOMENE ADDICTIF
A - LA SOCIETE FACE A L’ADDICT
L’histoire nous montre que, de tout temps, il était « indispensable »
de mettre à l’écart les « indésirables de la société ». Ainsi dès la fin du
Moyen Age et jusqu’au XIXème siècle, les prostituées, délinquants,
opposants politiques, débiles et fous sont enfermés dans les léproseries.
C’est ce que M. FOUCAULT appelle « Le grand renferment hors la ville ».
Même après la construction des hôpitaux généraux, au milieu du XVIIème
siècle sous Louis XIV, ce n’est qu’après la Révolution française que
P. PINEL (médecin à l’hôpital Bicêtre) obtiendra la libération des
« enchaînés » et la séparation des fous et autres « possédés » de la masse des
délinquants et asociaux.
Une prise en charge existe bien mais dans un souci de protéger la société
plus que de soigner ou d’aider les personnes. La société rejette se qui lui
apparaît hors norme, ce qui lui fait peur. Même si le rejet ne s’exprime plus
comme tel actuellement dans les comportements de tout un chacun,
certaines études de psychologie légale sur la notion de responsabilité en font
état :
_ L’interprétation motivationnelle de la responsabilité du sujet
montre que plus les conséquences sont graves pour l’implication de
l’individu et plus on lui attribue à lui seul (et non aussi au contexte) la
responsabilité de ce qui est arrivé. Cette attribution défensive reflète le rejet
que nous faisons que cela puisse nous arriver.
_ Plus encore les études de WEINER (1988) montrent que plus une
maladie a un aspect contrôlable (SIDA par rapport au cancer), plus
l’individu atteint est jugé responsable de ce qui arrive, car selon les
observateurs-juges il aurait pu l’éviter.
_ Enfin, les travux de L. DEVOS-COMBY (1997) introduisent l’idée
que plus une conduite sera considérée comme contre-normative, plus
l’individu mis en cause sera jugé responsable.
Autrement dit, dans une situation de dépendance de nombreux affects
négatifs sont associés et influent sur la vision que nous avons sur les
addictés. Mais un alcoolique est il vraiment responsable de ses problèmes ?
Toute la question est là.
Il faut peut être d’abord se demander si ces conduites addictives sont ou non
nuisibles pour les sujets et la société. Une part de stigmatisation s’attache à
la plupart des conduites d’excès, d’abus et de dépendances même si elles ne
sont pas interdites par la loi. L’usage d’alcool n’est pas (tacitement) illégal
mais l’alcoolique par ses excès est quelqu'un de vicié et de faible ; il en est
de même pour les autres addictions, réprimées par la morale et signes de
perversion, d’oisiveté, de laisser aller, etc.
On comprend mieux le déni de la maladie dont peuvent faire preuve certains
patients qui partagent les mêmes stéréotypes que la société. De même,
certaines campagnes de prévention basée sur la culpabilisation sont mieux
compréhensibles ; le fameux slogan « Tu t’es vu quand t’as bu ? » marque
bien l’idée de honte plaquée sur le sujet et celle qu’il ressent. L’importance
34
du regard qu’on porte sur soi même (l’estime de soi) influe et prévaut sur la
façon dont nous regardons les autres et dont nous sommes regardés.
B - L’ADDICT FACE A LA SOCIETE
Chaque société met en forme sa façon de faire le fou, le hors norme
et d’exprimer son mal être. Dans une société fonctionnelle où le « tout de
suite » prime, où l’adaptatibilité importe, où la valorisation du corps est
prônée (jeunes, sportifs,…), où la compétitivité est un valeur et où le
compromis et la médiocrité sont rejetés,…
…la question de l’identité reste entière. Confrontés à des identités plus
floues, nous n’appartenons plus à un espace collectif mais nous devons nous
forger une identité individuelle (concept de « l’homme dieu »).
Aussi la recherche d’une « identité prothèse » (« je suis toxico », « je suis
alcoolique »…) peut s’avérer être une réponse, un signe de difficulté à se
situer en tant que personne. De la même façon, le besoin de contrôler et de
maîtriser ce qui n’est pas aisé dans les relations humaines (face aux autres),
ce qui paraît dangereux ou carentiel peut être résolu par le sentiment de
maîtrise du produit ou des activités de manipulations de l’objet ou de soimême.
C - L’HYPOTHESE DES ADDICTIONS POSITIVES
Toutes les addictions ne portent pas le même pouvoir de culpabililsation,
d’autant plus que certaines conduites sont socialement valorisées : c’est le
cas du travail (workoholics aux USA) et du sport (faire du jogging, de la
musculation est signe de bonne santé).
En parallèle, on pourrait penser comme certains chercheurs, que la créativité
artistique, littéraire ou scientifique ait une fonction de refuge et de rempart
face à des vécus traumatiques ou existentiels difficiles. De ce fait, ces
conduites serait pour les sujets une façon de contrer les problèmes.
C’est pourquoi certaines approches thérapeutiques de l’alcoolisme, des
toxicomanies, du jeu pathologique prônent le développement d’addictions
dites « positives » (Cf. la musicothérapie in Nervure) car elles seraient plus
chargées de satisfaction que de culpabilité, de fierté que de honte et surtout,
mieux estimées socialement.
S. TRIBOLET, psychiatre, disait dans Nervure à propos des
addictions que « le regard sur les phénomènes change en fonction des
cultures, des religions, des moyens données à la science. Mais le phénomène
d’addiction ne peut être entièrement saisi par les modes de compréhension
que nous offrent la science, la biologie, la psychanalyse et la sociologe. Le
phénomène d’addiction trouve son fondement dans un « trop » existentiel. »
Ce « trop existentiel » est lié selon nous à une société de consommation où
l’abondance est de mise. Pour autant les excès (inévitables) sont réprimés
car nous y voyons des valeurs morales bafouées. Le vice est donc
populairement au fondement de l’addiction.
35
Ce « trop », c’est aussi la course à être le champion, à la productivité da,s
une société construisant ses valeurs autour du « toujours plus et mieux
donner de soi ».Le danger est de s’y perdre comme les addicts et de ne plus
savoir où se situer.
Les moyens mis en œuvre actuellement consistent à élaborer une « prothèse
identitaire » pour ces sujets. Il semble tout de même intéressant de garder à
l’esprit les « addictions positives » qui, en restant quand même liées à une
certaine dépendance, sont une façon de remplacer une conduite vue
négativement par la société par une conduite mieux admise, possible source
d’équilibre et de bien être pour le sujet. Alors, pourquoi pas ?
36
CONCLUSION
Pour conclure sur notre sujet d’étude et de recherche, il nous a parut
intéressant dans un premier temps de rappeler ce qui nous y avait amené : il
s’agissait d’interrogations relevant de pratiques professionnelles ou de
questions et/ou débats de société. En fin de compte, nous nous sommes
rendu compte que nos préoccupations ne sont pas si différentes que celles de
tout un chacun, si ce n’est que nous avons essayé d’approfondir le sujet
durant ces quelques mois.
Ce qui nous agite et nous questionne, c’est avant tout ce qui peut être
montré, mis en évidence par une médiatisation plutôt stigmatisante et qui
« diabolise » la question des dépendances. Tout actuellement, tourne autour
des dérives liées à l’usage d’alcool, de produits psychoactifs et des liens
établis entre l’usage de ces produits et la délinquance générée associée à
toutes les formes de violences possibles. Finalement, ce qui préoccupe, ce
sont les jeunes, c’est le côté illégal de l’usage des drogues, ce sont les
risques encourus et que génèrent les usagers d’alcool…toutes ces pratiques
illégales ou non, qui gênent la société d’un point de vue éthique,
économique et en ce qui concerne la Santé Publique.
Or ce qui nous est apparu intéressant dans le concept d’addiction,
c’est justement le rapprochement de toutes ces conduites « diabolisées »
avec des conduites plus proches de celles que nous connaissons ou sommes
toutefois plus enclins à rencontrer : l’usage du tabac, le jeu, l’ordinateur, le
travail…
Judicieux ou pas, le regroupement de ces conduites sous un même
terme semble enrichissant et nous permet de mieux cerner la problématique
de dépendance, telle que nous pouvons l’appréhender chez un toxicomane
par exemple, en en ôtant les préjugés et les stigmates.
Le terme d’addiction, dans le contexte actuel, reste largement ouvert
à de multiples comportements. Les addictions prennent
alors des
dimensions différentes puisqu’elles peuvent être pathologiques ; auquel cas,
l’activité addictive prend une place centrale dans la vie quotidienne du sujet
qui devient alors « addicté », elle entraîne en effet une dépendance
dommageable pour lui, pour son entourage, voire pour la société.
Elles peuvent aussi être un moyen de répondre à des besoins
fondamentaux pour le sujet : un besoin de réguler son humeur, ses états
psychologiques, de se soulager de la peine et des souffrances, de rechercher
l’excitation, le plaisir ou le bonheur, tout simplement. Dans ce cadre là, on
parlera plutôt d’usage, nocif ou non, avec une dimension abusive dont on ne
sait pas bien où se trouvent les limites.
Une troisième manière d’être addict consiste à utiliser une addiction
dite « positive », plus équilibrée semble t-il ou du moins mieux tolérée
socialement, comme substitution à une addiction pathologiquement
problématique.
Autrement dit, il apparaît difficile de définir l’addiction en quelques
lignes que l’on trouverait dans un dictionnaire. De tous les comportements
dont le sujet risque de devenir dépendant à la véritable dépendance du sujet
qui centre son existence autour du comportement addictif…de quoi parle t-
37
on vraiment ? Sommes-nous tous plus ou moins addictés à quelque chose ou
est-ce une forme pathologique d’être au monde ?
Les théories expliquent les fondements du concept, les mécanismes
mis en jeu par le sujet et, bien que différentes car ne portant pas sur le même
objet, c’est parmi elles qu’il nous est possible de comprendre la
problématique ainsi révélée par et pour le sujet addicté. De ce fait, la théorie
construit l’addiction.
Les prises en charge étant multivariées, elles sont tout aussi
spécifiques et se centrent particulièrement autour de pathologies liées à
l’usage des produits (alcool, drogues) ou encore autour de problématiques
qui touchent la société (tabac). Rares sont les prises en charge de joueurs
pathologiques ou de travailleurs addictés par exemple, si ce n’est par des
groupes d’auto support naissant d’initiatives plutôt personnelles d’individus
sans doute plus ou moins touchés par ces problèmes. Pourquoi ? Est-ce
parce que ces conduites sont moins gênantes ?…pour le sujet ?…pour la
société ?
Variées et spécifiques, les pratiques ne portent pas sur le phénomène
addiction mais sur la spécificité d’une conduite et donc de l’individu qui y
addicté. Autrement dit, la pratique construit l’addict.
Dans notre titre « Je pense, tu es… », nous avons voulu synthétiser
un peu toutes ces idées : _ le « je », c’est chacun de nous, la société, le
praticien, le chercheur…
_ le « tu », c’est le sujet addicté.
A partir du moment où l’individu dépendant est pensé, c’est qu’il
existe…en tant que sujet unique, en tant qu’objet de recherche. Il l’est aussi
en tant que construction d’une histoire, d’une culture, d’une identité
(prothèse ou non).
En somme, est-il aisé de répondre à la question de la légitimité du
terme générique « addiction » afin de décrire des phénomènes complexes
qui vont de l’usage à l’abus et de l’abus à la dépendance ? Où sont les
frontières ? Pourquoi cette volonté de regroupement ?
Une volonté politique de réduction des coûts de prise en charge par
une redistribution simplifiée du schéma thérapeutique départemental ? ou
une avancée thérapeutique qui sera au moins celle de déstigmatiser et/ou
dédramatiser certaines conduites ?
En tout état de cause, il apparaît légitime de répondre à la souffrance
du sujet dit « addict » et, quels que soient les débats autour du phénomène
(les querelles de clocher) quant au bien fondé de telle ou telle pratique ou
conception, la recherche de l’équilibre du sujet semble être, sans contexte,
l’objectif unanime. Force est de constater qu’il n’est pas nécessaire de
prétendre à la guérison, elle n’appartient pas au thérapeute ; comme le disait
J. LACAN, « La guérison vient de surcroît », elle peut donc être un objectif
en plus…de tous les autres.
38
ANNEXE 1
Démarche de travail
(janvier 2002)
Mise à jour d’une problématique
Cette thématique s’est dégagée de nos divers centres d’intérêts et
activités professionnelles :
 la confrontation avec la problématique de la
drogue et de l’alcool au collège.
 l’intérêt pour le regard de la société sur les
conduites de dépendance et sur les toxicomanes.
 les rapports entre les différentes dépendances et
l’apparitions de nouveaux comportements (sexe, jeu,
internet…)
 l’intensité croissante des débats concernants les
problèmes de dépendances et la légalisation de certaines
drogues.
 le peu ou manque d’informations publiques sur la
prise en charge de telles conduites.
Problématique
La société nous confronte aujourd’hui à la réalité des conduites
regroupées sous le terme générique « ADDICTION ».
Les théories et les traitements sont autant de manières de construire
la notion d’addiction et de définir l’addict.
Questions
 Comment la théorie construit-elle l’addiction ?
 Comment la pratique construit-elle l’addict ?
Méthodes de recherches
 Revue bibliographique (ouvrages, revues, documents internet…)
 Rencontre avec des professionnels
_ C. VEDELHIE (l’Envol, Rennes)
_ Pr. JL VENISSE (CHU de Nantes)
_ A. CERCLE et D. RICHARD (Université de Rennes II)
_ MA RICHARD et H. COUSILLAS (Université de Rennes
II
ANNEXE 2
Quelques dates dans l'histoire des addictions.
1785. Benjamin Rush,
médecin américain propose la première description de l'intempérance ou de
l'ivrognerie en tant que maladie.
1850. Magnus Huss : l'alcoolisme chronique.
Ce médecin suédois propose de définir l'ivrognerie comme une intoxication
chronique, et il propose le terme d'alcoolisme.
1850. Pravaz/Wood : la seringue.
L'invention de la seringue, succédant à l'isolement, au début du siècle, de la
morphine, fut un progrès décisif en médecine. L'injection de morphine en
sous-cutanée sera très utilisée au cours de la guerre de sécession en
Amérique du Nord, et durant la guerre de 1870 en Europe. Très vite, les
premiers cas de morphinisme chronique devaient être décrits.
1857. B.A. Morel, La dégénérescence.
Bénédict Augustin Morel propose une théorie générale de toutes les formes
de pathologies, qui s'appliquera particulièrement aux « maladies sociales »,
la syphilis, la tuberculose, l'alcoolisme, et les toxicomanies.
1914. Harrison Act. Interdiction de l'opium en Amérique du Nord.
1916. Loi sur les stupéfiants : Réglementation de la prescription des
opiacés en France. Cette loi distingue trois catégories de médicaments, pour
lesquels une prescription médicale est obligatoire : les substances
dangereuses, les substances vénéneuses, et enfin les stupéfiants.
1919. Prohibition de l'alcool aux États-Unis (Volstead act).
1933. Re-légalisation de l'alcool aux États-Unis ; Légalisation du jeu au
Nevada (Las Vegas) ; Institution de la loterie Nationale en France.
1934. Alcooliques anonymes :
création du modèle des groupes d'entraide et des « traitements de conversion
» en 12 étapes. Cette création suit la fin de l'époque de la prohibition : c'est
aux personnes concernées que s'adresse cette forme d'autoprohibition.
L'alcoolisme est conçu comme une maladie, de type allergique, progressive,
incurable, et mortelle.
1945. O.Fenichel, Théorie psychanalytique des névroses,
ouvrage psychanalytique, dans lequel est abordé, pour la première fois, le
problème des
« toxicomanies sans drogues ».
III
ANNEXE 2
(suite)
1947. A.Lindesmith, Addiction and opiates.
L'auteur, à partir des différences entre l'usage à visée analgésique de la
morphine et l'usage toxicomaniaque, démontre que la « défonce » ou l'usage
toxicomaniaque nécessite une dimension d'apprentissage.
1952. Découverte des neuroleptiques.
La révolution pharmacologique suit les travaux de J. Delay et P. Deniker sur
l'effet antipsychotique des neuroleptiques. Les pathologies mentales, et
toutes les formes de souffrances psychiques ont désormais leur traitement
chimique.
1987. Autorisation de la vente libre des seringues en France.
Cette première mesure inaugure la politique de réduction des risques, qui
sera poursuivie par la mise en oeuvre de programmes d'échanges de
seringues, puis la généralisation des pratiques de traitements de substitution.
D’après : VALLEUR, M. & MATYSIAK, J.-C.(2002). Les addictions. Dépendances,
toxicomanies : repenser la souffrance psychique. Paris : Armand Colin.
IV
ANNEXE 3
Définitions
Abus : Aussi appelé usage nocif, l’abus est caractérisé par une
consommation susceptible d’induire des dommages somatiques,
psychoaffectifs ou sociaux, pour le sujet ou pour son environnement (les
autres et la société).
Assuétude : (assuetudo = « je suis l’esclave de ») Besoin incoercible d’une
substance ou d’une pratique (dépendance physique et psychique), entraînant
un comportement se répétant de manière plus fréquente (par exemple,
augmenter les doses de drogues).
Dépendance : D’abord psychologique, lorsque le sujet ressent une
souffrance psychique en cas d’arrêt ; la dépendance devient physique quand
le sujet présente des troubles somatiques après interruption de la prise de
substance ou de la pratique.
Drogues : Ensemble des substances psychoactives, naturelles ou synthétiques qui, par leur action sur le système nerveux central, peuvent modifier
l’activité mentale, les sensations, le comportement et engendrer une
dépendance.
Aujourd’hui, plutôt que parler de « drogues dures ou douces »,
on préfère faire une distinction concernant la consommation : « doux » est
en rapport avec une habitude non-pathologique, peu de dépendance et une
action psychologique limitée (fumer un joint de cannabis, une fois, pour
essayer). « Dur » se rapporte alors à l’assuétude et à l’addiction avec une
augmentation permanente des doses et une modification de l’état de
conscience.
Manque : Classiquement on distingue le manque physiologique, qui se
manifeste par des effets physiques (tremblements, douleurs abdominales,
diarrhées…) du manque psychique, se manifestant par de l’anxiété, une
sensation de mort imminente, etc. En pratique, il est plutôt difficile de faire
la distinction.
Réduction des risques : La réduction des risques procède d’une approche
pragmatique liée à une politique de Santé Publique d’un phénomène de
santé. Ce terme désigne l’ensemble des actions individuelles et collectives,
médicales et psycho-sociologiques , qui visent à réduire les dommages
induits directement ou non par la consommation de substances
psychoactives.
V
ANNEXE 3
(Suite)
Syndrome de sevrage : Ensemble des symptômes physiques apparaissant
lors de l’arrêt brutal de consommation d’un produit.
Le sevrage en lui-même, aujourd’hui thérapeutiquement contesté,
est l’inter-ruption brutale ou progressive d’une substance de façon à libérer
l’organisme du produit. Il est accompagné généralement d’un suivi
psychologique et/ou social.
Tolérance : Phénomène par lequel le corps s’habitue au produit se
traduisant par une diminution des effets ressentis pour une dose identique.
Pour maintenir ces effets, le corps « réclame » des doses plus fortes.
VI
ANNEXE 4
Nébuleuse addictive
VII
ANNEXE 5
L’émergence du concept d’addiction
dans le champ de l'alcoologie scientifique
La voie médicale anglosaxonne
(U.S.A.)
B. RUSH (1790)
De la volonté de boire à la
dépendance aux boissons
Histoire d'une rupture entre
l’appétence et la volonté
LASSEGUE :
« n'est pas alcoolique qui
veut. »
La découverte de
l'alcool éthylique
(1836)
La voie médicale
européenne
M. HUSS (1850)
« L'alcoolisme chronique »
Le modèle de l'intoxication
Alcool = Toxique
FREUD (1897) :
Le « paradigme » de la
masturbation comme
« addiction primaire »
SILKWORTH
(1937) :
Une maladie allergique
+
un désordre émotionnel
Les
« ALCOOLIQUES
ANONYMES »
(1934) :
Le « vrai » alcoolique
=
une allergie à l'alcool
+
une obsession mentale
Modèle
endogènerestrictif
LEGRAIN (1920) :
Les « narcotiques sociaux »
=
Les préjugés pro-alcool
JELLINEK :
(1940)
La perte de contrôle
L'incapacité de
s'abstenir
Le besoin impérieux
La compulsion
(1960)
Les variantes du
modèle étiologique
tripôlaire de
« l'alcoolisme maladie »
Pôle social
Pôle pharmacologique
Pôle psychologique
VIE LIBRE (1954) :
L'alcoolisme
=
une maladie
dont on peut guérir
Modèle
exogèneextensif
L’ère des typologies :
L’addict =
un type spécifique d'alcooliques
parmi d'autres
VIII
ANNEXE 6
Contact avec l’unité des addictions de Nantes
IX
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
 CARAVELLO, C., HERNANDEZ, S., MALTAVERNE, D.(déc.2000).
Concepts dépendance//addictions : vers une nouvelle approche
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l’adulte. Paris: Masson, Collection « Les âges de la vie. »
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 KUNTZ, M.(1998). Les toxicomanes : du goût de la drogue au goût de la
contrainte. Paris : L’Harmattan.
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générale des addictions ? Toulouse : Presses Universitaires du Mirail.
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Psychopathologie des addictions. Paris : PUF, Collection Psychiatrie
ouverte, Série Nodules.
 REYNAUD, M. & PARQUET P-J.(1998). Les personnes en difficulté
avec l’alcool : usage, usage nocif, dépendance, propositions. Paris :
Editions CFES.
 ROQUES, B.(2002). Etude comparative de la dangerosité des drogues.
Paris : Secrétariat d’Etat à la santé.
 SCHWAGER, C. & BLIN, L.(déc.2000). Sport, alcool et internet :
discussion autour d’une cyberaddiction. Nervure, journal de psychiatrie,
Tome XIII, n°9, p
 VALLEUR, M. & BUCHER, C.(juin 1998).Des toxicomanes aux
addictions : le jeu pathologique. Nervure, journal de psychiatrie, Tome XI,
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 VALLEUR, M. & MATYSIAK, J.-C.(2002). Les addictions.
Dépendances, toxicomanies : repenser la souffrance psychique.
Paris : Armand Colin.
 VENISSE, J-L. & BAILLY, D.(1997). Addictions : quels soins ?
Paris : Masson.
X
 VENISSE, J-L. & BAILLY, D.(1999, réédition 2001). Addictions et
psychiatrie. Paris : Masson.
 WAYSFELD, B.(juin 1998). Les aliments peuvent-ils être des substances
addictives ? Nervure, journal de psychiatrie, Tome XI, p
Autres documents
 De nombreuses brochures ont été éditées par l’Etat, le CFES et la MILDT
dans le cadre de la lutte contre la drogue et la toxicomanie.
_ Drogues : s’informer, prévenir, agir.(1998)
_ Drogues : savoir plus risquer moins. (2000)
 Le journal de psychiatrie Nervure a publié des dossiers sur les addictions.
_ Les nouvelles addictions.(nov.1993) Tome VI, n°9, p 12-65.
Sites internet
http://www.idsfrance.org/toxicomanie-1.html Dangerosité des drogues
http://p.arvers.free.fr/
http://www.psy-secteur3.com/ressourc.htm Centre Hospitalier Esquirol
http://www.drop-in.ch/tertiair.html Centre de soins DROP IN
http://www.addica.org/ Réseau de prise en charge
http://pharmakon.multimania.com/ Psychanalyse et drogue
http://schwann.multimania.com/ Psychopharmacologie de la toxicomanie
http://psynternaute.com/html/Archives.htm Chroniques sur les conduites
addictives
http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/36_000200.htm#intro
http://www.doctissimo.com/html/sante/partenariat/mildt/intro_4.htm
http://www.psyfc.com/lapsychopatologie%20descomportementstoxicomani
aques.htm
http://www.arfe-cursus.com/toxic.htm
http://www.aihus.org/pages/cours/mpl_coursaddictionsexuelle.html
http://www.chups.jussieu.fr/polys/nivA/POLY.Chp.23.6.html
http://hedomania.free.fr/docindex/plan.html
/…
XI
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