Jeanne Bourrel [email protected] Conférence d’économie de Sophie Harnay le 5 janvier 2005 fiche technique n° 45 Les théorèmes de l’économie du bien-être Le bien-être constitue le cœur de l’analyse économique dans la mesure où la recherche de maximisation de la satisfaction conditionne les choix économiques. Ainsi, dès 1776, Adam Smith expose-t-il sa théorie de la main invisible dans son ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations : selon Smith, une main invisible permet aux individus cherchant à satisfaire leur propre intérêt de promouvoir l’intérêt général. En 1920, Pigou publie The Economics of Welfare, ouvrage fondateur de l’économie du bien-être et qui interroge sur les situations optimales permettant de maximiser le bien-être des individus et de la collectivité. L’économie du bien-être revêt d’ailleurs une importance capitale dans la mesure où c’est la définition d’un optimum qui déterminera les choix politiques tentant de maximiser le bien-être de la société. Pourtant, on doit s’interroger sur la portée réelle des théorèmes de l’économie du bien-être : la question est en effet posée de savoir si ces théorèmes constituent un simple modèle explicatif susceptible de fonder une économie politique positive, ou si on doit réellement les considérer comme porteurs d’une valeur normative, capable de déterminer des décisions politiques relatives au bien-être d’une société. Dès lors, la question se pose : les théorèmes de l’économie du bien-être peuvent-ils justifier le laisser-faire des forces du marché ? Quels obstacles remettent en cause l’applicabilité de ces théorèmes ? I – Les théorèmes de l’économie du bien-être justifient l’efficacité de l’équilibre général concurrentiel A) l’optimum de Pareto ► L’optimum de Pareto constitue la norme de maximisation du bien-être par les individus. On peut rappeler la définition de l’optimum de Pareto : lorsque, pour des ressources et des conditions techniques données, on ne peut pas améliorer la situation de l’un des agents sans détériorer celle de l’un au moins des autres agents, la situation est celle d’un optimum de Pareto : on dit qu’elle est efficace au sens de Pareto ou pareto-optimale. L’optimum de Pareto constitue donc une situation d’unanimité. ► La définition d’un optimum de Pareto se fait à plusieurs niveaux : - au niveau du consommateur : ► Le rapport des utilités marginales ( utilité apportée par une unité supplémentaire ) des biens est égal au rapport des prix des biens soit Um1 / Um2 = p1 / p2 ↔ Um1 / p1 = Um2 / p2 avec 1 et 2 deux biens, Um1 et Um2 les utilités marginales respectives des biens 1 et 2 p1 et p2 les prix respectifs des biens 1 et 2 ► En outre, la répartition des biens entre les consommateurs est optimale lorsque le taux marginal de substitution entre deux biens ( quantité d’un bien à laquelle un individu est prêt à renoncer pour obtenir une unité supplémentaire de l’autre bien ) est identique pour tous les consommateurs. 1 - au niveau du producteur : ► Le rapport des prix des biens est égal au rapport des coûts marginaux ( coût de production d’une unité supplémentaire de bien ) de production des biens soit Cm1 / Cm2 = p1 / p2 ↔ Cm1 / p1 = Cm2 / p2 avec Cm1 et Cm2 les coûts marginaux respectifs des biens 1 et 2 ► En outre, la répartition des facteurs de production est optimale lorsque le taux marginal de substitution technique ( quantité d’un facteur de production à laquelle l’entreprise est prête à renoncer pour obtenir une unité supplémentaire de l’autre facteur ) entre deux facteurs de production est identique chez tous les producteurs. L’économie est alors située sur la frontière des possibilités de production. - au niveau de la combinaison des biens produits : Les combinaisons de biens produites correspondent aux combinaisons de biens souhaitées par les consommateurs, de sorte que le taux marginal de transformation ( quantité d’un des biens que la collectivité doit sacrifier pour produire une unité supplémentaire de l’autre bien ) entre deux biens est égal au taux marginal de substitution entre ces deux. ► la vérification de ces conditions permet alors d’atteindre un équilibre général concurrentiel, qui ne se limite pas à un seul marché mais qui prend en compte l’ensemble des interdépendances entre les différents marchés. B) les deux théorèmes de l’économie du bien-être : la recherche de maximisation du bien-être des individus ► Ces deux théorèmes de l’économie du bien-être reposent sur un certain nombre d’hypothèses : - l’hypothèse d’un «système complet de marché », c’est-à-dire notamment d’un marché exempt d’externalités et de biens collectifs. - l’hypothèse de monotonie des préférences des ménages Ils ont été démontrés par Maurice Allais sous le terme de théorèmes du rendement social ( 1944 ). 1°) le premier théorème de l’économie du bien-être ► on le formule généralement ainsi : un équilibre de concurrence pure et parfaite est un optimum de Pareto. En d’autres termes, tout équilibre de marché correspond à une allocation des ressources optimale au sens de Pareto. 2°) le second théorème de l’économie du bien-être ► on peut considérer le second théorème de l’économie du bien être comme la réciproque, à quelques nuances près, du premier théorème de l’économie du bien-être. En revanche, une hypothèse supplémentaire est requise pour l’application de ce second théorème : on doit être en situation telle qu’il y ait convexité des préférences ( c’est-à-dire des courbes d’indifférence ) et concavité des fonctions de production. ► second théorème de l’économie du bien-être : toute allocation de Pareto peut être atteinte par un marché concurrentiel. En d’autres termes, tout optimum de Pareto est un équilibre. 3°) la justification de l’équilibre général concurrentiel ► Les théorèmes de l’économie du bien-être établissent donc une correspondance entre équilibre du modèle de concurrence pure et parfaite et optimum de Pareto. Ils constituent dès lors un argument en faveur de la concurrence : une économie de marché fondée sur la concurrence conduit à une allocation optimale des ressources, c’est-à-dire à la meilleure combinaison possible des biens et des services. En outre, c’est par le marché que peut être atteinte une situation économique efficace. 2 II – Les théorèmes de l’économie du bien-être ne rendent pas compte des imperfections du marché et de la répartition des revenus Néanmoins, il est généralement admis que les marchés réels ne répondent pas toujours aux exigences de la concurrence pure et parfaite. En témoigne l’intervention de l’Etat qui tente de remédier aux imperfections du marché et de garantir une répartition plus juste des ressources. A) Les défaillances du marché remettent en cause l’applicabilité des théorèmes de l’économie du bien-être 1°) effets externes et biens collectifs ► On a déjà noté que les théorèmes de l’économie du bien-être requérait un « système complet de marché », c’est-à-dire dépourvu de tout effet externe. Or, dans la réalité, il existe des externalités, c’est-à-dire des effets, positifs ou négatifs, qui n’entrent pas dans le système de marché et qui s’appliquent aux agents économiques sans compensation monétaire. exemples : - la pollution par une usine en amont d’une rivière nuira aux agents situés en aval de la rivière, sans pour autant impliquer une compensation → externalité négative - l’implantation d’un site touristique à proximité d’un commerce → externalité positive ► Les biens collectifs, qui peuvent être consommés par plusieurs personnes à la fois, échappent aussi aux critères de la maximisation du bien-être définis dans les deux théorèmes. 2°) imperfections de l’information Les théorèmes de l’économie du bien-être supposent une information parfaite de tous les agents économiques, producteur et consommateurs ( les consommateurs connaissent parfaitement la qualité des biens qu’ils achètent… ). Or, la réalité des marchés met en évidence l’existence d’imperfections de l’information : ► l’antisélection : asymétrie de l’information ex ante ex : sur le marché des voitures d’occasion, le consommateur ne connaît pas la qualité de la voiture ► l’aléas moral : asymétrie de l’information ex post ex : la souscription à une assurance-maladie entraîne une augmentation de la consommation de médicaments 3°) le théorème de « second best » ► Dans certains cas, il est donc impossible d’atteindre un optimum de Pareto et donc de satisfaire aux conditions énoncées dans les théorèmes de l’économie du bien-être. ► R. Lipsey et K. Lancaster ont alors développé un nouveau théorème adapté à cette constatation d’un équilibre de marché impossible : c’est le théorème du second rang ( théorème du second best ) Dans ce cas, l’impossibilité de répondre aux conditions nécessaires pour atteindre un optimum de Pareto dans une activité doit amener à rechercher la meilleure situation alternative, qui ne peut pas être atteinte si l’on respecte les conditions parétiennes pour l ‘ensemble des autres activités. 3 B) l’absence d’un véritable critère d’optimum social ou de justice sociale 1°) l’optimum de Pareto ne permet pas de définir une solution optimale unique ► l’optimum de Pareto ne constitue pas une solution unique, optimale et préférable à toutes les autres, mais un ensembles de solutions efficaces. → l’optimum de Pareto indique certes les situations inefficaces qui doivent être exclues ; en revanche, les théorèmes de l’économie du bien-être ne permettent pas de faire un choix entre plusieurs situations sur la frontière de Pareto ( = ensemble des optimum ), dans la mesure où elles sont chacune considérées comme répondant au critère d’efficacité selon Pareto. La courbe des Optimums de Pareto U2 U1 et U2 sont respectivement les utilités des individus 1 et 2 frontière de Pareto : l’ensemble des points situés sur la courbe correspond à des situations efficaces au sens de Pareto ● E2 ● E1 U1 2°) le choix d’une répartition optimale nécessite des choix politiques ou idéologiques en dehors de l’analyse économique ► Ce sont des décisions d’ordre politique et idéologique qui permettront de décider quelle situation choisir parmi un ensemble de situations pareto-optimales ; sur le schéma, la question de savoir si l’individu 1 doit être avantagé par rapport à l’individu 2 ( point E 1 ), ou si au contraire, on doit choisir le point E2 qui favorise l’individu 2 par rapport à l’individu 1, ne pourra être tranchée que par des critères extérieurs à l’analyse économique. La question de la répartition du revenu n’est donc pas solutionnée par la correspondance établie entre équilibre général et optimum de Pareto par les théorèmes de l’économie du bien-être. 3°) l’impossible construction d’une fonction de bien-être social ► C’est dans le but de surmonter l’indétermination d’un optimum que Bergson et Samuelson ont tenté de construire une fonction de bien-être social ( FBS ), désignant les préférences collectives à l’égard de la répartition du bien-être entre les individus. La détermination de l’optimum social correspond alors à la solution située sur la frontière de Pareto et atteignant l’utilité collective la plus grande possible ( fonction de bien-être social sur le modèle des courbes d’indifférence du consommateur individuel ). Mais les problèmes de la transitivité, de l’agrégation et de la pondération des préférences individuelles rendent impossible en pratique la construction d’une fonction de bien-être social ( voir fiche technique n° 53 ). Conclusion : ● Les théorèmes de l’économie du bien-être constituent un outil intéressant de l’analyse économique → ils permettent de comprendre l’efficacité de l’économie concurrentielle et les relations entre les agents économiques, aussi bien à une petite échelle que pour le commerce international ● En revanche, les imperfections du marché et le problème d’une répartition juste des revenus soulignent les limites de ces théorèmes et de leur applicabilité sur les marchés réels. L’intervention de l’Etat pour pallier les défaillances du marché contredit ainsi les théorèmes de l’économie du bien-être. 4 Bibliographie : ● B. Guerrien, Dictionnaire d’analyse économique, La Découverte, 2002 ● H. Varian, Introduction à la microéconomie, De Boeck Université, 1997, chapitre 32 ● J.Stiglitz, Principes d’économie moderne, De Boeck Université, 2000, chapitre 13 ● P.A. Samuelson, W.D. Nordhaus, Economie, Economica, 2000, chapitre 15 ● J. Généreux, Economie politique tome 2 : Microéconomie, Hachette Les Fondamentaux, 2000 ● G. Abraham-Froix, Economie politique, Economica, 1996 ● J. Généreux, L’économie politique Analyse économique des choix publics et de la vie politique, Larousse, 1996 5