Nombre de caractères : 4634 13/06/2007 Economie française : sortir de la dépression On identifie aisément les causes de la langueur dont est atteinte l’économie française. Certaines sont conjoncturelles (la baisse du dollar et la hausse du pétrole), d’autres plus anciennes (un mauvais positionnement sectoriel et géographique à l’exportation, des entreprises qui investissent trop peu, des ménages qui épargnent trop, la confiance minée par le chômage de masse). Mais peut-on se satisfaire de ces explications économiques un peu superficielles ? Ne faut-il pas plutôt incriminer les politiques menées indistinctement par la gauche et la droite, qui n’ont pas su répondre aux défis de notre temps. Et, en dernière instance, n’est-ce pas le corps électoral, donc le corps social lui-même, qui porte la responsabilité de cette situation ? Si l’économie est apathique, c’est probablement que la société française toute entière « déprime », cette fois au sens psychanalytique du terme. On le sait, la dépression est le résultat d’un excès de contraintes et d’interdits, imposés par le « surmoi », lequel réprime les initiatives, les pulsions du « ça » et met dans une impasse le « moi », chargé de gérer ces forces contradictoires. L’état du monde impose aujourd’hui à la France de remettre en cause les schémas de pensée, les méthodes qui ont fait sa grandeur passée. Pays d’administrateurs, de soldats et de paysans, édifié par la volonté de ses Rois et de ses Républiques, elle souffre de voir l’Etat central naguère tout puissant se plier aux volontés de Bruxelles et ses entreprises nationales rachetées par des fonds de pension. Ses valeurs les plus fondamentales sont bousculées par les réalités du moment : l’égalité des conditions obtenue par une fiscalité par trop redistributive nuit au progrès de tous ; la fraternité ne peut s’étendre à tous les démunis du vaste monde ; la soif de liberté se heurte aux impératifs de la sécurité. Pourtant, quoi qu’on en dise, la France s’adapte aux réalités contemporaines, mais à contrecœur, à reculons, imparfaitement, maladroitement. Et surtout, en développant un immense sentiment de culpabilité. D’où l’angoisse sourde qui étreint nos concitoyens, et les paralyse. Ils n’ont pas la mondialisation heureuse ! Comment sort-on d’une dépression ? Le Prozac n’étant pas disponible à l’échelle d’une nation (quoique les Français en soient très friands), la résilience doit être le résultat d’une réorganisation de notre psychisme collectif. La France doit retrouver « l’estime de soi ». Si le « ça » est écrasé par le « surmoi » et que le « moi » est désorienté, le remède est simple dans son principe : il faut renforcer le « ça », remettre en cause le « surmoi » et changer le « moi ». Ce processus est bien engagé. La campagne électorale a redonné la parole au « ça », c’est-à-dire aux Français de la base, avant même les scrutins successifs, en les laissant s’exprimer librement, sous les préaux des écoles, dans les médias, sur Internet. A gauche comme à droite, les candidats ont appelé eux-mêmes ce changement en se mettant à l’écoute du pays. Changer le « moi », c’est chose faite avec l’élection d’un nouveau chef de l’Etat, doté de pouvoirs sans précédent. La personnalité volontaire et énergique du nouveau président laisse augurer d’une plus grande capacité à gérer les contradictions. Remettre en cause le « surmoi », c'est-à-dire les idées reçues et les normes de notre société, tel a été l’apport principal de Nicolas Sarkozy au cours de sa campagne. Arrêtons de culpabiliser au souvenir de notre passé colonial, arrêtons de nous singulariser dans une critique systématique des Etats-Unis, arrêtons de considérer que le respect de la loi et la recherche de la sécurité sont des attitudes réactionnaires, alors qu’elles conditionnent la vie en société, arrêtons de voir dans l’activité économique seulement le moyen de réduire le temps de travail et les inégalités, alors que son premier objectif est de rehausser les niveaux de vie, tout en valorisant le mérite et la réussite professionnelle. Ces idées refoulées, censurées au nom du politiquement correct, ont été enfin réhabilitées. Les conditions du rétablissement paraissent donc réunies. Encore faut-il que la rupture ne se limite pas aux seules questions de société, comme se fut le cas en 1974 avec Giscard d’Estaing et en 1981 avec Mitterrand. Il faut aussi remettre en cause le mode de gestion de l’économie, qui prévaut depuis un demi siècle : le recours à la loi plutôt qu’au dialogue social et au contrat ; une réglementation et fiscalité tatillonnes, fourmillant de conditions, d’exceptions et de plafonds multiples, qui s’illusionnent sur leurs propriétés incitatives. Bref, il faut changer le « logiciel » de la politique économique. Trois sujets auront valeur de test en la matière : Le renouveau du droit du travail. Il faut espérer que la nouvelle réglementation des heures supplémentaires, encore passablement complexe, cache une réelle volonté de dépoussiérer notre Code du travail. La réforme de l’enseignement supérieur, laquelle passe par une simplification de l’architecture des organismes de recherche et une véritable autonomie des universités, bornée par la seule vertu de la compétition. Enfin, la refonte de notre protection sociale, pour qu’elle aille à ceux qui en ont réellement besoin, au lieu qu’elle est l’occasion d’une immense redistribution horizontale et à un énorme gaspillage. Nous saurons bientôt, sur ces critères là, si l’économie française est vraiment guérie de sa dépression.