Willy Delort Heubo : La crise de la dette peut comprimer les aides

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Willy Delort Heubo : La crise de la dette peut comprimer les aides
bilatérales et multilatérales
Membre de l’Association française des analystes techniques (Afate),
Willy Delort Heubo, de nationalité camerounaise, est ingénieur
financier, titulaire du Master of Business Administration (Mba) en
gestion financière de l’Université libre de gestion (Ulg) de Liège en
Belgique. Il rejoint les marchés financiers en 2004, à l’ETF, filiale de
trading d’une société de bourse en Belgique, puis en 2006 au Maroc au
sein de la Banque d’Affaires Finergy. Il suit pendant 3 ans une carrière
de trader, puis d’analyste financier pendant 5 ans à la bourse de
Casablanca,
au
Maroc.
Ce
compatriote
est
actuellement le responsable
des marchés financiers de
Bmce
Capital
(Banque
marocaine pour le commerce
extérieur) au Cameroun, la
filiale
des
métiers
d’investissement du groupe
Bmce Bank. Dans cette
entretien qu’il a bien voulu
nous accorder, ce spécialiste
des
marchés
financiers
explique, en des termes
simples, la crise de la dette
que vit actuellement le monde,
en
s’appesantissant
notamment sur ses origines,
ses manifestations et ses incidences pour l’économie mondiale, en
général,
et
africaines,
en
particulier.
Après la crise financière qui s’est muée en véritable crise
économique mondiale en 2008, les milieux économiques
internationaux parlent ces jours-ci d’une crise de la dette. De quoi
s’agit-il
en
langage
simple
?
Vous savez, en réalité les Etats fonctionnent un tout petit peu comme
des entreprises. Outre les prélèvements de type impôt et taxes, les Etats
créent de la valeur, c’est le fameux Produit intérieur brut (Pib), elles
commercialisent également des biens et services, c’est l’exportation.
Avec l’argent qu’elles en dégagent, elles payent leurs salariés qui sont
les fonctionnaires, elles investissent pour le long terme (routes,
barrages, énergie etc.…). Voilà, c’est un peu une vie d’entreprise en
somme. Et comme toute entreprise, quand elle a des investissements
importants à faire, elle doit généralement recourir à un emprunt. Si la
stratégie d’endettement a été bien calculée, les investissements
effectués permettront généralement de dégager de la valeur et de
rembourser
la
dette
contractée.
Si à contrario, la dette n’a pas été contractée dans un plan et une
stratégie bien précise, vous pourriez très vite à l’échéance être dans
l’incapacité de rembourser. Et souvent, vous êtes poussés à en
contracter d’autres pour venir à bout des précédents, et un engrenage
d’endettement pourra à un moment donné créer une forme d’implosion,
une insolvabilité. C’est la crise de la dette. C’est ce qui est arrivé à de
nombreux pays, dont l’illustre cas argentin ou encore plus récent de la
Grèce.
Que représente aujourd’hui la dette américaine à l’origine de cette
crise, et qu’est-ce qui peut justifier que la dette d’un pays comme
les Etats-Unis puisse avoir des répercussions au-delà de son
territoire
?
Il faut préciser que même si la dette américaine est certainement très
importante, celle de la Grèce a plus enflammé les marchés et est
davantage à l’origine de la crise actuelle, en ce sens qu’elle fragilise le
bloc de pays le plus fort du monde, ceux notamment de la zone euro
qui se doivent de lui apporter de la solidarité. Pour revenir au parallèle
avec les entreprises, c’est comme si vous aviez des entreprises d’un
même groupe, et qu’il y’a une filiale qui ne fait que des pertes mais
qu’on ne puisse ni fermer ni isoler. Et donc, cette filiale aura pour
impact de réduire le résultat consolidé de tout le groupe.
Revenons à la question de la dette américaine…
La dette américaine est d’à peu près 10 000 milliards d'euros [environ
6.550.000 milliards de Fcfa]. Evidemment, ce chiffre seul ne traduit
rien. Pour l’analyser, il faut le comparer à quelque chose.
Généralement, on le rapporte à la richesse créée par le pays, le fameux
Pib. Vous savez, une entreprise a le droit de s’endetter tant que la dette
ne dépasse pas une certaine proportion de ses fonds propres ou une
certaine proportion de ses résultats, c’est dans cet ordre là. Pour une
dette souveraine, c'est-à-dire celle d’un Etat, on compare donc le stock
de la dette avec le Pib produit par le pays. La norme si vous voulez
c’est des niveaux de 30 à 50% de dette par rapport au Pib.
Autrement dit, à un point de vue microéconomique, si vous gagnez
100, vous ne devrez pas emprunter plus de 50. Quand vous empruntez
des niveaux de 80 (c'est-à-dire 80% de ce que vous gagnez), vous
devez déjà vous inquiéter, parce que visiblement vous vivez au dessus
de vos moyens. Et aujourd’hui, la dette américaine représente 100% de
son Pib. Je crois que vous comprenez à présent l’inquiétude dans
laquelle
elle
plonge
tout
le
monde.
Les répercussions au-delà de ses frontières c’est parce d’un, cette dette
est surtout extérieure, c'est-à-dire que c’est une dette vis-à-vis du reste
du monde, même si la chine toute seule en détient plus de la moitié.
Elle concerne donc en premier plan l’ensemble des prêteurs dont le
remboursement devient aujourd’hui naturellement plus incertain
qu’hier.
D’autres parts, il y’a un effet pervers, c’est la dégradation de la note du
pays. Plus on vous trouve déjà trop endetté, plus on s’en inquiète, et les
taux auxquels on vous prête désormais sont de plus en plus élevés
parce qu’on vous juge désormais plus risqué, ce qui veux dire pour
vous qui empruntez que ça vous coûte de plus en plus cher.
Comment peut-on justifier cette explosion incontrôlée de
l’endettement aux Etats-Unis, alors que d’autres pays ploient
généralement sous la surveillance du Fmi pour ne pas atteindre ce
niveau
d’endettement
?
Les Etats Unis sont loin d’être seuls dans ce cas. Je pense d’ailleurs que
si vous observez la courbe d’endettement des pays, vous pourrez être
surpris de ne pas trouver d’exceptions. Pour le cas américain, chaque
gouvernement, nouveau président, arrive avec son plan. La loi exige du
Congrès d’autoriser le gouvernement à s'endetter jusqu'à un certain
palier pour financer sa politique en cours. Lorsque le déficit cumulé du
pays atteint ce palier, la somme est de nouveau évaluée au Congrès.
D’après ce que j’ai pu lire, depuis 1980 ce palier de la dette a été
augmenté
près
de
40
fois.
En Europe, en Asie et partout ailleurs dans le monde, les pays se
mettent déjà en ordre de bataille pour contrer les effets de cette
crise. En Afrique, ce n’est pas encore la grande mobilisation. Est-ce
à dire que l’Afrique en sera épargnée, et pourquoi ?
L’Afrique n’est pas concernée au premier plan, pour la raison très
naïve que l’Afrique ne prête pas, et n’a pas prêtée. Ça se joue d’abord
entre prêteurs et emprunteurs, et l’Afrique, comme d’habitude, ne
prend pas part aux grandes choses, bonnes ou mauvaises (rires).
Quelles peuvent être les incidences de cette crise pour un pays
comme
le
Cameroun
?
Sur le plan direct, aucun. Comme je disais, si nous avions prêté de
l’argent à ces pays il y’aurait évidemment sujet à l’inquiétude, mais ce
n’est pas le cas comme nous le savons tous. Sur le plan indirect, elle
peut comprimer considérablement les aides bilatérales et multilatérales
reçues, nos donateurs ayant eux-mêmes désormais besoin d’aide.
Depuis la semaine dernière, une agence de notation a dégradé la
note des Etats-Unis. Que signifie cette note (triple A), et quelles
sont les premières conséquences de la dégringolade de celle des
Etats-Unis
sur
les
marchés
financiers
?
Ce sont désormais les trois grandes et principales agences de notation
qui se sont accordés à dégrader la note de la dette américaine. Celle-ci
était effectivement établie depuis près d’un siècle à triple A (AAA). Il
s’agit de la notation maximale. En termes de sécurité, plus vous êtes
proche de A, plus vous êtes perçus comme crédible et solvable et offrez
aux prêteurs une certaine sécurité. Le Cameroun, par exemple, a une
notation de BBB-. La notation américaine est descendue à AA+, elle
perd un «A», et cette nouvelle notation traduit une perspective
«négative»
pour
l'avenir.
Pourquoi, selon-vous, malgré un endettement de plus en plus
croissant et des signes d’une non soutenabilité de sa dette, la note
des Etats-Unis sur le marché financier a continuée d’être très
compétitive pendant des années ? Cette crise de la dette ne pose-telle pas le problème de l’objectivité des agences de notations ?
Le système de notation des agences internationales est certainement
plus complexe que ça, même si ça n’en a pas l’air. Je ne pense pas en
outre que nous puissions déjà invoquer pour les Etats Unis une
insoutenabilité de la dette. Disons seulement que le niveau est
préoccupant. Vous savez, les Etats comme l’Espagne, l’Italie ou le
Portugal ont dépassé, eux aussi, le seuil inquiétant des 100% pour le
ratio dette –Pib. Et même la France qui nous semble être en meilleure
posture a dépassé elle aussi les 80%.Ce n’est pas plus reluisant.
Les agences de notation prennent certainement l’antériorité en compte
pour apprécier la solvabilité. Les Etats Unis n’ont jamais été en défaut
de paiement. Je suis sûr que vous et moi, nous ne souhaiterions prêter
notre argent qu’à celui qui a une réputation de toujours honorer ses
remboursements, même s’il est établi que ce dernier a des montagnes
de
dette.
Les plus gros créanciers des Etats-Unis sont la Chine et le Japon.
Quels sont les risques encourus par ces deux pays d’Asie ?
C’est tout simplement un risque d’insolvabilité de la part des Etats
Unis. Si dans le scénario apocalyptique, les Etats Unis venaient à être
en défaut de paiement, ce serait dramatique pour ces Etats. Imaginer
que vous me prêtiez toute votre épargne, et qu’au moment où vous en
avez besoin que je ne puisse pas vous rembourser.
Mais surtout, ce serait encore plus grave pour l’Etat américain luimême. Il perdrait de fait son rang de N°1, entraînant le Dollar avec lui
et un déséquilibre dont j’ose à peine imaginer les conséquences. Ce qui
est sûr, ça sonnerait le glas d’une nouvelle ère mondiale.
Quelles peuvent être les incidences de la dégradation de la note des
Etats-Unis sur le dollar, qui est jusqu’ici la monnaie de référence
du
commerce
international
?
Il s’agit ici d’une problématique qui relève davantage de l’économie
monétaire. Ce n’est pas ma spécialité. Mais le bon sens voudrait que
l’effet ne soit pas direct. L’offre et la demande du Dollar américain est,
avant tout, liée au commerce extérieur comme vous l’avez souligné. La
dégradation de la note américaine n’a d’abord d’impact que sur le coût
de son endettement qui va s’épaissir, car il faudra désormais rémunérer
le nouveau risque additionnel. Il n’est en effet pas exclu que par un
mécanisme indirect cela ait des répercussions fâcheuses sur le Dollar.
Mais il s’agirait, à priori, d’une conséquence indirecte et d’une ampleur
discutable.
Entretien avec Brice R. Mbodiam
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