Xavier HAUTBOIS
L’unité musicale sous l’angle de l’harmonique et de l’organique : recherche
d’une esthétique comparée avec les sciences physiques. (introduction)
Entre physique et métaphysique
« L'homme a naturellement la passion de connaître ; et la preuve que ce penchant existe en
nous tous, c'est le plaisir que nous prenons aux perceptions des sens. »
1
La phrase introductive de La métaphysique d'Aristote met en exergue le préliminaire à
l'intelligibilité du monde : la perception. L'observation de la nature est la source première du
savoir et de l'esthétique
2
[2]. Cette double quête est motivée par le plaisir qu'elle engendre. A la
différence de Platon, qui voyait dans le Beau un principe transcendant au monde, le Beau,
selon Aristote, procède d'une démarche profondément humaine. Sa définition du Beau est
plus précise que dans l'oeuvre de Platon : « Le bel animal et toute belle chose composée de
parties supposent non seulement de l'ordre dans ces parties mais encore une étendue qui n'est
pas n'importe laquelle, car la beauté side dans l'étendue et dans l'ordre »
3
[3]. On peut
observer, entre le critère platonicien de l'harmonie et de la mesure, et la notion aristotélicienne
de l'ordre et de la grandeur, la différence qui sépare un principe transcendant d'un principe
inhérent à l'esprit humain. A travers les sciences et les arts, se reconnaît la satisfaction d'une
recherche intellectuelle d'inspiration élevée. Platon et Aristote s'accordent pour établir la règle
d'un principe d'organisation qui attribue aux êtres leur simplicité, leur cohérence et leur
perfection. Que l'idéal soit un paradigme éternel immanent ou extérieur à l'esprit humain, la
quête de la perfection conduit à établir des corrélations perceptibles à la raison humaine. La
science s'inspire en permanence de l'étude de la nature et de l'émulation intellectuelle offerte
par sa modélisation. Or, l'observation de la nature tend à démontrer que la diversité semble
prévaloir sur l'unité. Doit-on pour autant en conclure que l'unité est inextricable ? A cette
question fondamentale, qui interrogea les premiers philosophes, les scientifiques de ce siècle,
comme les théoriciens de l'art, répondent majoritairement par la négative : l'unité n'est pas que
satisfaction de l'esprit, elle est aussi une réalité des composants du monde.
En première approximation, la démarche qui mène à la connaissance du monde se
base sur un besoin d'unification : comprendre la nature c'est faire un pas vers l'unité. Le
domaine de la nature, comme celui de la pensée, est le creuset de l'un et du multiple. Suivant
l'échelle d'observation, la diversité apparente s'atténue de façon très nette. Si l'on observe la
nature à l'échelle macroscopique, on constate sa complexité, sa diversité : les minéraux, les
plantes, les animaux et l'homme, comme schéma ultime mais non unique de l'évolution.
A l'inverse, si l'on se penche sur l'infiniment petit, on se rend compte que le nombre de
particules et de forces est très limité et d'une grande simplicité : il y a quelques quarks,
quelques familles, quelques particules qui s'échangent. Par ce changement d'échelle, on passe
d'un monde extrêmement complexe, à un monde déjà extrêmement simplifié, dans l'état
actuel de notre connaissance. La démarche du physicien de la matière est de continuer ce
1
[1] Aristote, La métaphysique, trad. de Barthélemy-Saint-Hilaire revue et annotée par Paul Mathias, Paris, Presses
Pocket, 1991, A, 1, 980a.
2
[2] Rappelons que, dans son sens premier, l'esthétique désigne la sensibilité qui touche à la fois à la perception et
à nos sensations. On trouve, dans le Dictionnaire de la langue philosophique de Paul Foulquié (Presses
universitaires de France, Paris, 1992), les deux définitions suivantes : « Esthétique, du grec aisthètikos, qui est
doué de sensation (aisthèsis), qui est perceptible par les sens. »
3
[3] Aristote, La poétique, trad. de J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1990, VII, 1450b.
processus de simplification pour unifier davantage les constituants de la matière. Il ne s'agit
donc plus de rechercher de nouvelles particules, mais d'établir les liens entre les particules qui
permettent de les englober dans une même famille. Il semble que, dans les sciences
physiques, comme dans le domaine musical, la multiplicité soit nécessaire à l'aboutissement
de l'unité. Le dualisme un/multiple des pythagoriciens résonne à nos oreilles : c'est par la
combinaison de l'un et du multiple que l'on peut appréhender le champ entier de la création.
Nous relèverons donc, en première instance, le parallèle à la fois simple et saisissant qui lie la
pensée scientifique à celle du compositeur (et plus généralement à tout créateur) :
comprendre/créer une oeuvre, c'est percevoir/concevoir son unité dans les éléments qui la
composent.
Peut-on parler d'une esthétique des sciences ? N'y a-t-il pas là deux domaines réservés
les arts, d'une part, et le domaine scientifique, d'autre part , à la finalité et aux périmètres
bien établis et distincts ? les pythagoriciens réfutaient cette duali en enseignant la
beauté contenue dans le nombre. Cette conception relève d'une réalité profonde : malgré
l'apparence austère des mathématiques, le sentiment du Beau éclaire le chercheur et lui
impulse une dynamique de création. Si l'harmonie du monde était une vision chimérique,
pourquoi la retrouvons-nous avec autant de grâce dans les mathématiques qui en expriment
les lois ? Pour Kant, cette harmonie est une invitation à la prospection autant qu'à
l'introspection : « Le spectacle des harmonies de la nature nous invite à chercher la cause d'un
si complet accord régnant au sein de la diversité »
4
[5]. C'est à travers les mathématiques et son
utilisation dans les sciences que cette harmonie prend une valeur objective. C'est même,
comme l'écrira Henri Poincaré, « la seule réalité objective, la seule vérité que nous puissions
atteindre ; si j'ajoute que l'harmonie universelle du monde est la source de toute beauté, on
comprendra quel prix nous devons attacher aux lents et pénibles progrès qui nous la font peu à
peu mieux connaître »
5
[6]. La quête scientifique et la quête esthétique sont inséparables : on ne
peut s'intéresser à l'une sans viser l'autre. Et les scientifiques peuvent percevoir un plaisir
comparable à celui que l'on ressent face à une oeuvre d'art :
« Ils admirent la délicate harmonie des nombres et des formes ; ils s'émerveillent quand
une découverte nouvelle leur ouvre une perspective inattendue ; et la joie qu'ils éprouvent
ainsi n'a-t-elle pas le caractère esthétique, bien que les sens n'y prennent aucune part ? Peu
de privilégiés sont appelés à la goûter pleinement, cela est vrai, mais n'est-ce pas ce qui
arrive pour les arts les plus nobles ? »
6
[8]
La sensibilité est un caractère qui doit animer le chercheur autant que l'intelligence
7
[9]. Quand
on demanda au physicien Paul Dirac d'exprimer ce qu'était selon lui la beauté d'une théorie
mathématique de la physique, il répondit que « si le questionneur était un mathématicien, il
n'avait pas besoin de répondre, mais que s'il ne l'était pas, aucune réponse ne pourrait alors le
satisfaire »
8
[10]. Beauté du nombre, élégance des formes. Ces deux mots se retrouvent dans les
écrits des scientifiques tels que Einstein, Heisenberg, Eddington, Jeans, Schroedinger, Bohr,
4
[5] E. Kant, L'unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu, trad. de Paul Festugière,
Paris, Vrin, 1972, part. 2, 1re considération, 1, p. 110.
5
[6] H. Poincaré, La valeur de la science, réimpression [1re éd. 1905], Paris, Flammarion, 1970, p. 23-24.
6
[8] H. Poincaré, « L'analyse et la physique », in La valeur de la science, op. cit., p. 104.
7
[9] H. Poincaré, Science et méthode, p. 57, cité par Andréas Speiser, « La notion de groupe et les arts », in F. le
Lionnais, Les grands courants de la pensée mathématique, Paris, Albert Blanchard, 1962, p. 477.
8
[10] Cf. J. D. Barrow, La grande théorie : les limites d'une explication globale en physique, trad. d'A. Michel,
Paris, Flammarion, 1996, p. 32.
Feynman, Wald, Bohm, Prigogine, Hawking, Sheldrake
9
[11]. L'esthétique de la science est aussi
une esthétique de ses modèles de représentation. François le Lionnais tentera de définir la
beauté des mathématiques, relative à la fois aux objets et à la méthode employée, en faisant
référence aux termes du système hégélien
10
[12]. Il définit la beauté Classique comme une
approche des mathématiques qui met en évidence les relations d'équilibre, de sobriété,
d'harmonie et de symétrie (il prend pour exemple le triangle de Pascal, l'étude des cycloïdes,
la simplicité du procédé de la démonstration par récurrence, etc.). L'autre grande tendance, la
beauté Romantique serait, selon lui, traduite par un effet d'opposition, de surprise, voire
d'étrangeté (il s'agit de la complexité des solutions des équations différentielles d'apparence
simple, des figures singulières comme l'anneau de Möbius, de la géométrie généralisée qui
échappe à la perception des sens, de l'originalité des démonstrations par l'absurde, etc.). La
véritable beauté des mathématiques découle de la conjugaison de ces deux courants
esthétiques : « Ce sont des instants solennels, et d'une prestigieuse et significative beauté que
ceux où des disciplines jusqu'alors distinctes entrent en contact et s'épousent de façons variées
depuis les alliances chacune conserve son individualité, jusqu'aux fusions en une unité
supérieure »
11
[13]. Cette beauté cette harmonie présente dans les mathématiques, est
transposée dans des représentations physiques qui sont les reflets d'une nature dont la
cohésion manifeste l'unité. Si, comme nous le développons dans notre première partie sur le
plan historique, l'harmonie et les mathématiques désignent, à l'origine, une seule et même
science, l'unité des sciences qui est aussi l'unité des forces qui les expriment et l'unité
musicale sont susceptibles de relever des mêmes concepts, des mêmes principes. Musique et
sciences sont apparentées dans l'exercice combiné d'une pensée logique et d'une pensée
esthétique. Comparer la recherche d'unité de l'oeuvre musicale et celle pratiquée par les
scientifiques pour expliquer l'Oeuvre du monde n'a de sens que si l'on s'attache à mettre en
parallèle les outils intellectuels mis en application dans les sciences et dans la musique, car
s'interroger sur le problème de l'unité de l'oeuvre musicale, c'est poser les mêmes questions
que celles des physiciens. L'idée d'une unité de l'oeuvre musicale semble aussi louable ou, à
l'opposé, aussi absurde que celle recherchée dans la matière et les sciences physiques.
On sait à quel point la beauté du nombre a tenu une place majeure à l'origine de la
musique hellénique et durant une vaste partie son histoire. Si, aujourd'hui, le nombre se
manifeste un peu crûment par sa mise en équation dans un outil informatique, le pouvoir
symbolique du nombre est loin d'être complètement érodé. Il faut souligner que la théorie de
la musique porte en elle à la fois des composantes d'ordre physique et métaphysique. Il est
clair que l'expression musicale détient un pouvoir psychologique sur l'individu dont la portée,
bien qu'elle soit mesurable
12
[14], n'en demeure pas moins une interrogation pertinente à l'aube de
ce millénaire. On peut se demander pour quelle raison la musique dont on connaît
aujourd'hui tous les paramètres physiques évoque en nous cette force, cet appel, ces
réminiscences et nous suggère des images, des sentiments, des couleurs, des impressions
mentales conscientes ou inconscientes. Depuis des temps très reculés, ce pouvoir a été
9
[11] Pour tous ces scientifiques, selon la philosophe Renée Weber, cette démarche esthétique relève d'une
« aspiration spirituelle » (Dialogue avec des scientifiques et des sages : la quête de l'unité, Réimpression [1re éd.
1986], Trad. de Paul Couturiau, Paris, Le rocher/Jean-Paul Bertrand, 1988, p. 41).
10
[12] F. le Lionnais, « La beauté en Mathématiques », in Les grands courants de la pensée mathématique, op. cit.,
p. 437-465.
11
[13] Ibid., p. 457.
12
[14] Depuis une dizaine d'années seulement, on montre, par des techniques informatiques, qu'une partie bien
déterminée du cerveau est concernée par l'activité d'écoute musicale. Une tomographie au scanner à positrons
peut différencier les stimuli du langage de ceux de la musique (voir à ce sujet Stephen Mc Adams, « Les formes
du plaisir musical », Science et vie 157 : les cinq sens, 1987, p. 119).
ressenti et entouré d'une frontière occulte qui lui a attribué une place essentielle dans les rites
religieux. La musique intercède entre l'homme et Dieu. De ce fait, elle s'introduit dans un
cadre de cohérence ésotérique dans lequel l'observation de la nature a conduit à l'élaboration
d'analogies entre les constituants de la Création, à des liens cosmiques entre les choses et les
êtres, entre l'homme et l'univers. Cette recherche de cohérence est naturelle : elle se retrouve
chez les peuples anciens, comme chez le contemporain. La physique y adhère en avançant un
premier élément de réponse en préliminaire : toute chose, tout être, toute molécule est animée
de forces de vibration, à des tempi variés et pas forcément perceptibles. Dans le cas de la
musique, ces vibrations sont de fréquences audibles, mais cela n'est qu'une partie de l'échelle
universelle des vibrations du monde. De ce point de vue très général, toute la création
participe de concert à ce mouvement incessant de rythme et de pulsation. Pour tenter de
dégager des lois universelles, il faut se pencher sur les principes élémentaires régissant la
matière. Bien que la connaissance de la physique des vibrations date de trois siècles
13
[15], l'idée
que des forces principielles soient présentes à la fois au coeur des êtres et dans tout l'univers,
nous projette au VIe siècle avant Jésus-Christ. Selon les penseurs pythagoriciens, arriver à
déchiffrer les relations mises en jeu dans la vibration des corps sonores, c'est se plonger dans
des rapports de correspondance qui, une fois établis par imitation, analogie, associations
d'idées, symbolique, arithmétique, etc. élèvent l'homme jusqu'au cosmos. La connaissance
précise des rapports articulant les vibrations des objets et des êtres est connue seulement du
Créateur universel. Le seul fait de comprendre ces rapports, est tenter la démarche
prométhéenne de se rapprocher du Tout Puissant. Celui qui a le pouvoir de les reproduire
avec exactitude est capable d'insuffler l'existence à l'objet ou l'être porté par ces vibrations : la
musique est le verbe créateur de l'Evangile de Saint Jean.
La musique contient par nature cette capacité de toucher et de pénétrer l'âme. Pour
Pythagore et ses disciples, elle établit un lien entre les êtres et les choses. Cette observation
est pluriculturelle : dans la Chine du second siècle avant Jésus-Christ, Tong-Tshung-Chu
exprimait déjà l'unité suprême qui marie l'homme au cosmos : « L'harmonie entre la Terre, le
Ciel et l'homme ne vient pas d'une union physique, d'une action directe, mais d'un accord sur
une même note qui les fait vibrer à l'unisson... Dans l'Univers il n'y a pas de hasard, il n'y a
pas de spontanéité, tout est influence et harmonie, des accords qui répondent à d'autres
accords. »
14
[17] Cette pensée affectera les compositeurs depuis des millénaires et l'on retrouve
jusqu'à nos jours, dans certains courants de la musique contemporaine, une recherche de cette
union sacrée entre l'homme et l'univers, par l'intercession de la musique
15
[18]. Mais son action
ne se limite pas là, comme le prouvent les expériences, de nos jours, pour évaluer l'influence
de la musique sur les plantes ou les animaux
16
[19]. Toutefois, si les animaux ou les plantes sont
susceptibles d'être réceptifs à des sons musicaux (et à supposer qu'ils le soient), on est en droit
13
[15] La première mesure de la vitesse du son a été réalisée par le père Marin Mersenne au XVIIe siècle. Les bases
furent élaborées par Galilée et Isaac Newton, puis complétées au siècle suivant par Jean d'Alembert et Léonhard
Euler.
14
[17] Cf. Alain Daniélou, Traité de musicologie comparée, Paris, Hermann, 1959, p. 16.
15
[18] Karlheinz Stockhausen présentait, en 1971 à Berlin, une musique de plein air Sternklang (sons d'étoiles) dans
laquelle cinq groupes d'instrumentistes amplifiés par des haut-parleurs échangeaient des combinaisons
harmoniques sur des rythmes, des timbres et des intervalles basés sur les constellations d'étoiles. Dans un soucis
d'intégration (plus que par mysticisme) Gérard Grisey incorporera le son périodique des pulsars à des
instruments de percussion (Le noir de l'étoile). Lors des premières exécutions en public, la salle de concert était
branchée sur un radiotélescope pour retransmettre en direct le battement de ces objets célestes. Le thème
« cosmique » (pour reprendre l'expression de J. James, La musique des sphères, trad. de Frédéric Révérent et
Paul Cristatus, Monaco, Editions du Rocher, 1997, p. 34), qui a traversé l'histoire de la musique, se retrouve avec
vigueur durant la fin du XXe siècle.
16
[19] Les indiens pensent même qu'elle a une influence sur la matière inanimée. Cf. A. Daniélou, op. cit., p. 20.
de penser que seul l'homme est capable de les interpréter et de mettre en évidence les lois
mathématiques qui les composent. La musique a le pouvoir de lever le voile de la matière
pour faire apparaître les données universelles manifestées par des composantes
mathématiques. Il faut que le musicien maîtrise les relations numériques entre les sons
musicaux afin d'atteindre, par ces vibrations, l'homme au plus profond de son être. Car
l'oreille n'est pas le seul organe à percevoir les sons : le corps complet entre en vibration. La
musique a une influence sur notre comportement, sur notre mental. Les peuples anciens (les
penseurs grecs, comme les savants chinois) en était tellement persuadés qu'ils lui attribuait
des fonctions bénéfiques, ou au contraire destructrices, car si une harmonie peut unir des
hommes, une discordance des sons peut faire trembler tout le gouvernement de l'Etat
17
[20].
Vertus morales, vertus physiques ou psychologiques : les qualités éducatives de la musique
apparaissent alors essentielles tant au bon équilibre de l'individu que de la société. L'étude de
la musique doit être poussée au coeur même des sons musicaux de façon à en extraire les
composantes, les principes qui permettent une meilleure connaissance du fonctionnement de
l'univers.
Or, pour un esprit curieux, comment étudier les principes fondamentaux des sons
musicaux sans être intrigué par l'omniprésence du nombre dans sa manifestation en logos
18
[21] ?
Comment ne pas être séduit, comme le furent les pythagoriciens, par la beauté intellectuelle
des relations numériques reliant la physique des instruments et la hauteur des sons ? Le fait
que l'octave, la quinte et la quarte se matérialisent par des relations numériques simples est
troublant dans la mesure où l'on s'interroge sur le facteur de causalité mettant en jeu le
nombre et les intervalles musicaux. Les intervalles que nous appelons consonants
19
[22] ont-ils
précédé les lois de proportions, ou bien, est-ce que ce sont, à l'inverse, ces objets
mathématiques qui ont conditionné notre écoute ? Cette interrogation exprime toute la
différence qui sépare le savant de l'Antiquité de celui de l'époque des lumières. Pour le
premier, le nombre est le commencement de toute chose, alors que pour le second, il n'est que
l'expression mathématique du phénomène qui, lui, est déterminant. C'est le phénomène de
résonance naturelle
20
[23], exprimé par les rapports épimores 2/1, 3/2, 4/3, qui explique le choix
des intervalles principaux (octave, quarte et quinte) et non ces rapports par eux-mêmes,
dussent-ils posséder de riches propriétés mathématiques. Les premières harmoniques sont
nettement perçues comme des intervalles naturels, tandis que les harmoniques supérieures
enrichissent le son par leurs couleurs. Plus le rapport de fréquence est réductible à une
fraction simple, plus l'accord est consonant. Cependant, le fait de situer le nombre au centre
du débat a contribué à un développement unifié des sciences et des arts. Cette unification est
la base de la doctrine pythagoricienne. Elle recouvre les notions d'harmonie, de proportion et
de symétrie, ou plutôt, pour reprendre la terminologie ancienne qui fait référence à leur
signification originelle, d'harmonia, d'analogia et de symmetria. L'harmonia, principe
17
[20] Platon, La république, trad. d'Emile Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1989, IV, 424c.
18
[21] Le logos mathématique désigne un rapport de deux nombres ou grandeurs : a/b.
19
[22] Rappelons que si le choix de ces intervalles consonants ou dissonants a fait l'objet de nombreuses
polémiques au fil des siècles, la quarte, la quinte et l'octave ont toujours remporté les suffrages de la consonance.
20
[23] L'octave, la quinte et la quarte se retrouvent dans les premières harmoniques :
partiel
1
2
3
4
Note
Do1
Do2
Sol2
Do3
proportion
1/1
2/1
3/2
4/2
2/1
1 / 9 100%
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