Revue d’Anthropologie des Connaissances
Appel à Contributions pour un Numéro Spécial (Numéro 6 décembre 2008)
TICs, Mobilité et Développement des Suds
Un numéro coordonné par Dana Diminescu, Paul de Guchteneire,
Jean-Baptiste Meyer et William Turner
La mobilité des personnes hautement qualifiées a longtemps été désignée négativement comme une
fuite de cerveaux responsable de l’appauvrissement des pays des Suds. Est-il légitime maintenant,
avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de
prétendre le contraire ? Les personnes qui se déplacent ont toujours eu le souci de rester en contact,
d'être présent à la famille, aux autres, à ce qui est en train de leur arriver, bas, au pays ou ailleurs.
Cependant, cette culture du lien est devenue visible et très dynamique avec l’usage massif par les
migrants des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Est-elle de nature à
renforcer le rôle des Diasporas dans le développement des Suds ?
Ce numéro spécial de la Revue d’Anthropologie des Connaissances vise à explorer la dimension
cognitive de cette question. Son objectif est de mieux comprendre le lien qui existe entre la
connectivité apportée par les TIC, le développement d’un sens d’appartenance communautaire plus
aigu parmi les membres des Diasporas et l’engagement de ces derniers en faveur des pays et régions
d’origine. Trois orientations sont proposées pour la soumission d’articles. Elles concernent les
problèmes méthodologiques liés à l’analyse de la connectivité apportée par les TIC, les problèmes
conceptuels liés à l’émergence de systèmes d’action transnationaux et les problèmes liés à la
démonstration de l’impact réel des TIC sur notre compréhension du lien entre mobilité et
développement.
Les TIC : vers une nouvelle représentation de la mobilité et de son influence sur le développement
des Suds ?
Les TIC permettent de construire des nouveaux outils de représentation des relations entre mobilité et
développement des Suds. Il s’agit d’une activité pluridisciplinaire réunissant des équipes en SHS et en
sciences de l’ingénieur. C’est ainsi que des techniques informatiques sont utilisées pour fabriquer au
fil de l’eau des archives de traces d’interactions médiatisées par ordinateur. Des nombreuses méthodes
sont employées pour exploiter ces archives, allant des analyses de réseaux sociaux aux algorithmes
d’apprentissage, en passant par la visualisation des nouveaux territoires numériques de la migration. Et
les résultats obtenus sont de plus en plus utilisés pour préciser des actions de recherche qualitative
(enquêtes, interviews, observations participatives, etc.) en vue de contrôler des hypothèses engendrées.
Cependant, malgré l’intérêt réel qu’ils suscitent, l’apport de ces nouveaux outils à la recherche sur la
mobilité et le développement doit être confirmé. D’une part, ils exploitent des indicateurs
rudimentaires utilisant, par exemple, la consultation de sites Web, la participation aux forums ou
l’échange de Emails comme des mesures de connectivité. Or, en SHS, la perception des liens sociaux
dépasse le simple échange d’informations pour être ancrée dans les normes de réciprocité, de respect
et d’entraide génératrices de confiance. D’autre part, le fait d’être capable de représenter les nouveaux
territoires transnationaux de la migration donne consistance au discours sur la mondialisation, le
multiculturalisme et la fin de l’ordre national. Mais ce discours ne tient peut-être pas suffisamment
compte de l’emprise des structures nationales et régionales sur le développement. Empiriquement,
l’apport des compétences et des connaissances venant de l’extérieur est très variable selon des
structures politiques, économiques et sociales des pays et régions d’origine.
On voit bien que l’appel aux propositions d’articles vise ici à encourager une discussion critique de
l’assistance que peuvent apporter les techniques informatiques à la compréhension des relations entre
mobilité et développement. Cette assistance est ancrée dans une démarche technique et dans un
discours d’interprétation qui doivent être évalués par rapport à d’autres types d’étude. Nous
souhaiterions recevoir des articles qui s’engagent dans cette voie comparative.
Les TIC : vers la mobilisation des compétences et des connaissances dans des systèmes d’action
transnationaux ?
Nous constatons l’émergence des systèmes d’action transnationaux dans les domaines tels que
l’économie, la recherche, l’éducation et la santé, la protection sociale et la lutte contre la pauvreté, etc.
Ces systèmes ont un certain nombre de traits qui nous intéressent tout particulièrement : ils réunissent
des acteurs localisés géographiquement dans des pays d’accueil, d’origine ou qui sont en transit ; les
communications entre ces acteurs sont médiatisées par ordinateur ; cette connectivité induit un sens
développé de l’appartenance communautaire ; et forte de ce sentiment d’appartenance, des actions
collectives sont entreprises visant à capter, mobiliser et articuler des compétences et des connaissances
locales et distantes pour monter des projets d’intérêt reconnu pour les pays d’origine. Ce concept de
systèmes d’action transnationaux est intéressant à plusieurs titres. D’abord, il permet de contester
l’image du migrant comme la figure d’une personne en rupture avec son passé ; il est là-bas dans un
pays d’accueil, mais il est également ici, connecté à son histoire, à ses amis, à ses réseaux. Ensuite, il
permet d’insister sur le rôle des TIC dans la fabrication d’identités communautaires. Certains auteurs
n’hésitent pas d’affirmer que les TIC sont constitutives des diasporas, dont elles rendent possible
l’existence. Enfin, il permet d’envisager un nouveau cadre théorique pour penser le développement qui
n’est pas formulé en termes de transfert des compétences et des savoirs mais, au contraire, en termes
de leur co-développement ici et -bas. Cela dit, le concept de systèmes d’action transnationaux
recouvre des réalités bien complexes. Par exemple, vus de la théorie politique, ces systèmes soulèvent
la question de leur gouvernance : comment trouver des ressources de leur fonctionnement ? Comment
partager les résultats ? Comment inciter les expatriés à travailler pour leurs pays d’origine sans ingérer
dans les affaires d’Etats souverains ? Vus de la théorie de la communication, une grande diversité de
canaux explique le développement de ces systèmes dont, par exemple, les sites officiels créés par les
gouvernements pour l’usage de leurs diasporas, les sites propres à des organisations diasporiques
spécifiques et, surtout, les blogs, wikis et téléphonie IP qui rapprochent les individus. Vus, enfin, de la
sociologie, une hétérogénéité de situations est désignée par le concept de système qui doit être
démêlée.
En invitant les auteurs à soumettre des articles sur ce thème, l’objectif est d’engager un débat critique
sur la possibilité de transformer la fuite des cerveaux (brain drain) en un capital de compétence et de
savoirs pour les pays et régions d’origine (brain gain). Une telle hypothèse ne saurait être ramenée à
une déterminisme technologique : si la culture du lien est actuellement plus visible et dynamique en
raison des TIC, les TIC n’explique certainement pas cette culture du lien. Son activation suppose les
procédures complexes de gestion collective de connaissances pour identifier et donner la signification
de compétences et de savoirs en émergence ; une capacité socio-politique de se faire entendre et d’agir
au sein des structures d’action collective déjà établies dans leurs pays et régions d’origine ; et, enfin,
une réflexion plus théorique sur ce qui est l’action transnationale dans un contexte de co-
développement. D’un tel débat émergeront les critères d’évaluation des TIC comme facteur
d’émergence et d’efficacité des systèmes d’action transnationaux pour le développement.
Les TIC : vers les études d’usages ?
Les systèmes statistiques nationaux produisent des informations sur leurs populations expatriées qui
sont peu comparables. Les problèmes sont multiples liés, entre autres, à la diversité des objectifs
politiques poursuivis, à l’ambiguïté des catégories statistiques (c’est quoi un expatrié ?) et aux
techniques de collecte des données (comment estimer les facteurs d’erreur ?). C’est donc à l’intérieur
d’un paysage national à contours flous que prend place le débat spécifique sur l’usage des TIC pour le
développement. Or, ce bat soulève lui-même des questions conceptuelles et méthodologiques
complexes. Comme nous l’avons vu, il s’agit de savoir comment intégrer les résultats obtenus en
faisant interagir entre elles des méthodes issues de l’informatique (traitement des traces, fouille de
données) et celles qui concernent la recherche qualitative sur le terrain. Deux axes d’investigation
qualitatives semblent particulièrement nécessaires : une approche ergonomique permettant de tester
l’accessibilité aux résultats, leur utilité par rapport aux autres méthodes d’analyse et leur utilisabilité
pour forger des discours nouveaux ; et une approche plus sociologique pour élaborer des entretiens,
des scénarios et des sessions d’observation participatives permettant de contrôler la qualité des
hypothèses dérivées des traitements de traces.
En invitant les auteurs à soumettre des articles sur ce thème, l’objectif est de rendre compte des études
d’usage qui adoptent une approche spécifique qu’elle soit statistique, informatique, ergonomique,
sociologique ou anthropologique. A plus long terme, une batterie de tests intégrée devrait permettre de
démontrer l’impact réel des TIC sur l’organisation des relations entre mobilité et développement. Des
études de cas seront nécessaires pour atteindre cet objectif.
Modalités pratiques
Les propositions sont à envoyer à la revue ou directement aux coordinateurs du numéro 2008-6.
dana.diminescu@msh-paris.fr
Le calendrier est le suivant:
Sortie du Numéro 2008-6 prévue en décembre 2008
fin juin 2008 : limite pour la remise des textes
les auteurs recevront les évaluations en septembre 2008.
Novembre 2008 - limite pour la remise des textes en version finale.
Présentation de la Revue d’Anthropologie des Connaissances
La Revue d’Anthropologie des Connaissances se propose d’explorer un champ de flexion formé de nombreux
travaux à la fois théorique et pratiques qui visent à montrer comment la connaissance se forme et se diffuse.
Notre revue publiera des articles en provenance de nombreuses disciplines des sciences sociales qui s’attachent à
l’étude des connaissances réalisées comme discours, comme pratiques, ou comme dispositifs techniques; sur les
conditions de leur production, de leur utilisation, de leur transmission et, plus largement, de leur mobilisation par
les collectifs d’humains. Le terme anthropologie’ est pris ici non pas dans son sens particulier, mais au sens
général d’enquête multidisciplinaire sur les pratiques et les conduites, sur les représentations et les idéologies,
sur les professions, les organisations et les institutions, sur les techniques et les productions dans leurs
singularités historiques. La revue se doit de satisfaire à deux critères essentiels:
Explorer, avec rigueur et de manière informée, les dimensions des savoirs, sans exclusive, tout en
maintenant un débat actif sur les concepts, les méthodes, les enquêtes, les thèmes et réflexions;
Satisfaire aux exigences académiques les plus strictes en ne publiant d’articles qu’une fois acceptés
par le comité de rédaction de la revue mais aussi par des lecteurs anonymes qui proviendront des
domaines académiques auxquels appartiennent les auteurs des articles.
Afin de garantir son indépendance et assurer son caractère multidisiplinaire, il a été décidé de ne pas rattacher la
Revue à une institution particulière. La revue est donc publiée par la Société d’Anthropologie des Connaissances
qui a été fondée en Mai 2006.
http://www.ird.fr/socanco
La Revue d’Anthropologie des Connaissances est uniquement publiée en ligne. Sa mise en ligne correspond aux
critères des revues de type académique entièrement on-line.
http://www.cairn.info/revue.php?ID_REVUE=RAC
L’ensemble des articles est accessible au format HTML ou PDF.
Contact: Marc Barbier, secrétaire de rédaction de la RAC,
email: barbier@grignon.inra.fr
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