Manifestations rhumatologiques du diabète
22/11/2010 | Diabétologie , Rhumatologie
Les manifestations rhumatologiques du diabète sont souvent négligées alors qu'elles
peuvent constituer un handicap majeur au quotidien. Il semble que les patients
diabétiques souffrent de troubles musculo-squelettiques avec une prévalence, une
morbidité et une atteinte plus sévère. En effet, l'hyperglycémie affecte les tissus, en
particulier les composants de la matrice des tissus conjonctifs. Les complications
rhumatologiques qui en découlent sont nombreuses.
Dr Emmanuelle Lecornet-Sokol ACCA Paris, Pitié Salpétrière
Bien que fréquentes, les manifestations rhumatologiques du diabète sont souvent négligées ou
ignorées, alors qu'elles peuvent constituer un handicap majeur au quotidien, notamment dans
la mise en place d'une activité physique régulière. Pourtant, les études montrent que les
patients diabétiques souffrent de troubles musculo-squelettiques avec une prévalence, une
morbidité et une atteinte plus sévère. L'hyperglycémie affecte les tissus, en particulier les
composants de la matrice des tissus conjonctifs. Les produits avancés de la glycation
s'accumulent au niveau de certaines protéines, ce qui peut altérer la structure et la fonction de
la matrice extra-cellulaire1et entraîner un vieillissement cellulaire prématuré. Les
complications rhumatologiques qui en découlent sont nombreuses.
Anomalies des membres supérieurs.
L'équipe de David Nathan, à Boston, a retrouvé 36 % de patients atteints d'une pathologie de
la main et/ou de l'épaule, contre 9 % dans une population contrôle 2 h 12 % avaient une
capsulite rétractile, 16 % un Dupuytren, 12 % une ténosynovite du fléchisseur, 12 % un
syndrome du canal carpien..
- Syndrome de diminution de la mobilité articulaire
Probablement l'une des atteintes les plus fréquentes de la « main diabétique », le syndrome de
diminution de la mobilité articulaire peut atteindre une incidence de 30 % 3. Il peut se repérer
par une difficulté à joindre les doigts dans le signe de la prière. Sa prévalence varie selon les
études de 9 à 32 %, ce qui reflète la variabilité des populations étudiées. 4. Ce syndrome est
souvent corrélé à l'ancienneté du diabète et à la présence de complications microvasculaires.
- Doigt à ressaut ou ténosynovite du tendon fléchisseur.
Le doigt à ressaut est le plus souvent dû à une inflammation de la gaine synoviale qui entoure
le tendon fléchisseur. Cette inflammation peut créer un véritable nodule à l'intérieur du tendon
qui va progressivement constituer un obstacle mécanique à la mobilisation du doigt. Ce
nodule peut être perçu à la paume en regard du pli de flexion palmaire distal. L'incidence du
doigt à ressaut est augmentée chez les patients diabétiques, estimée de l'ordre de 20 % 5. Dans
le diabète de type 1, la corrélation semble liée à la durée du diabète, mais pas à l'équilibre
glycémique. La prévalence est similaire dans le type 1 et le type 2, mais les diabétiques de
type 1 ont plus souvent plusieurs doigts atteints6. Le diabète est un facteur de mauvaise
réponse au traitement local par infiltration de corticoïdes, ce qui nécessite un recours plus
fréquent à la chirurgie et un allongement de la durée de la rééducation.
- Dupuytren
Fibrose rétractile de l'aponévrose palmaire de la main, la maladie de Dupuytren entraîne une
rétraction et une flexion progressive et irréductible des doigts. L'association avec le diabète
est classique mais l'incidence varie selon les études de 10 à 40 %. Seule une étude a montré
que le diabète était un facteur de risque pour la maladie ; la plupart s'accordent à dire que la
diabète est plus souvent fréquent en cas de Dupuytren (de l'ordre de 10 %). Le 4e doigt est le
plus souvent atteint, suivi du 5e et du 3e. Il ne semble pas exister de corrélation entre son
apparition et l'équilibre glycémique, et la fréquence est la même dans le diabète de type 1 et
de type 2. Dans environ 10 % des cas, la régression peut être spontanée. De nombreux
arguments semblent confirmer que l'atteinte est plus modérée chez les diabétiques que chez
les non diabétiques, peut-être à cause d'une évolution plus lente 7. Le traitement proposé est
une aponévrotomie soit percutanée soit chirurgicale.
- Canal carpien
Le syndrome du canal carpien est une neuropathie liée à une compression du nerf médian. Le
diabète pourrait jouer un rôle dans son apparition, en entraînant des altérations tendineuses ;
d'autre part, ainsi qu'on l'a évoqué cidessus, l'hyperglycémie favoriserait la prolifération ou la
fibrose des tissus conjonctifs entourant le nerf. La prévalence dans la population diabétique
serait de l'ordre de 20 % 3. Des études récentes ont essayé de mettre en évidence des facteurs
de risque de CC. En plus des antécédents de fractures du poignet, de polyarthrite rhumatoïde,
d'ostéoarthrite, d'hypothyroïdie et d'obésité, le diabète augmente statistiquement le risque
entre 1,5 et 2,2 fois selon les études. Le traitement passe par la prise en charge des facteurs
associés, et notamment la recherche d'une hypothyroïdie ou de traumatismes répétés réguliers.
En cas d'échec des infiltrations de corticoïdes, le recours à la chirurgie est nécessaire 8.
- Capsulite rétractile de l'épaule
Egalement appelée épaule gelée, la capsulite rétractile constitue un problème particulièrement
fréquent dans la population diabétique, avec une fréquence de l'ordre de 25 %, soit un risque
environ cinq fois plus élevé que dans la population générale. Le mauvais contrôle glycémique
pourrait favoriser son apparition. Il a par ailleurs été rapporté une augmentation des calci-
fications péri-articulaires et des tendinites de l'épaule. L'assocation pathologie de l'épaule et
de la main est également fréquente 3. Certaines études semblent montrer qu'il existe une
relation entre l'apparition de pathologies rhumatologiques des membres supérieurs et
complications du diabète. Même si le lien avec l'équilibre glycémique n'est pas toujours
clairement établi, on ne peut éliminer que ces anomalies résultent d'un mauvais équilibre
antérieur, ce qui expliquerait le lien avec la présence de complications microangiopathiques,
comme la rétinopathie 9.
Anomalies du pied
- Les déformations des orteils.
La plus fréquente des déformations des orteils est classiquement appelée orteil en griffe. On a
longtemps expliqué son apparition par une atrophie et une faiblesse des muscles intrinsèques
liées à la neuropathie, conduisant à une perte de l'équilibre des forces entre muscles
intrinsèques et extrinsèques sur les articulations méta-tarso-phalangiennes et
interphalangiennes. Néanmoins, des études récentes, réalisées par IRM du pied, ont montré
que ce facteur ne serait pas le seul impliqué. Il semble exister en effet des anomalies de
l'aponévrose plantaire, qui constitue un tissu conjonctif important dans la stabilité de la
flexion plantaire, et qui peut être déchiré ou fibrosé.
- Pied de Charcot
Complication ultime de la neuroathropathie diabétique, le pied de Charcot se caractérise par
une destruction de l'architecture osseuse du pied, une déformation du pied, qui favorise
l'apparition de plaies. Une phase aiguë initiale passe souvent inaperçue alors que l'on peut
mettre en place des moyens thérapeutiques afin de limiter ces déformations, notamment par
l'immobilisation et le port d'attelles. Une meilleure compréhension des mécanismes
physiopathologiques semble ouvrir de nouvelles voies de prise en charge. Les facteurs sont
multiples. D'une part, la neuropathie entraîne une amyotrophie mais également une perte des
capacités sensorielles de protection des os et des articulations, ce qui entraîne la répétition de
traumatismes avec microfractures et dislocations articulaires. D'autre part, a été mise en avant
la théorie neurovasculaire : la neuropathie autonome entraîne un état d'hypervascularisation,
avec une augmentation du flux sanguin, dû au développement de shunts artéro-veineux. Cette
hypervascularisation semble causer une ostéopénie, une augmentation de la résorption osseuse
et donc une fragilisation osseuse. C'est sur ce terrain qu'apparaîtrait, suite à des traumatismes
mineurs ou de manière spontanée, des microfractures et une dislocation osseuse. Toutefois,
ceci n'explique pas les aspects typiques du pied dans la forme aiguë, le caractère le plus
souvent unilatéral et sa rareté relativement à la fréquence de la présence d'une neuropathie.
Une récente théorie dite « inflammatoire » semblerait permettre de mieux répondre à ces
interrogations. Le lien commun est l'existence d'une inflammation locale, et il a été montré
qu'il existe à cette occasion un relargage de cytokines proinflammatoires comme l'interleukine
(IL)-1ß et TNFa (tumor necrosis factor), connus comme médiateurs de résorption osseuse via
un excès d'activité ostéoclastique. Les cytokines entraînent une augmentation de l'expression
des RANKL (receptor activator of nuclear factor kB - ligand). Ceci va activer la voie du
facteur de transciption NF-kB qui induit la maturation des précurseurs des ostéoclastes. Ainsi
un traumatisme mineur, parfois passé inaperçu, une plaie ou une chirurgie du pied pourrait
entraîner cette activation de l'inflammation, ce qui permettrait d'expliquer le « déclenchement
» du pied de Charcot 11.
- Ostéoporose
Le diabète et les fractures sont deux problèmes de santé publique. Bien que plusieurs études
se soient penchées sur la relation entre ostéoporose et diabète, elle demeure controversée.
Chez les diabétiques de type 1, la majorité des études a confirmé l'association entre diabète de
type 1 et baisse de la densité minérale osseuse (DMO) mesurée par ostéodensitométrie. Une
ostéopénie existerait chez 50 à 60 %, et une ostéoporose chez 14 à 20 % 12. Le risque
fracturaire est également élevé avec un risque relatif autour de 7 pour les fractures de hanche,
chiffre retrouvé dans plusieurs études13. Les résultats chez les diabétiques de type 2 sont
nettement différents puisque puique la DMO est normale à augmentée. En revanche, le risque
fracturaire est quant à lui plus élevé par rapport à la population non diabétique, avec un risque
relatif estimé entre 1,5 et 3 selon les études14. Il semblerait également que le risque
d'ostéopénie ou d'ostéoporose soit plus élevé chez les patients ayant des complications du
diabète, comme une rétinopathie13. La physiopathologie reste pour le moment mal élucidée et
associe plusieurs facteurs intriqués. Toujours est-il que la risque fracturaire des diabétiques est
d'autant plus élevé qu'ils sont soumis à des facteurs de risque de chute comme les
hypoglycémies non ressenties, les troubles visuels (secondaires à une rétinopathie, mais aussi
à une cataracte), et une polyurie nocturne.Bien qu'il ne soit pas actuellement recommandé
d'effectuer un dépistage systématique, il convient toutefois d'être attentif aux facteurs de
risque associés, notamment chez les diabétiques de type 1. Après s'être assuré que les apports
calciques sont suffisants, une supplémentation en vitamine D peut s'avérer nécessaire.
- Glitazones et fractures
L'étude ADOPT avait montré une augmentation du risque fracturaire chez les femmes sous
rosiglitazone, comparée à celles sous metformine ou sous sulfamides hypoglycémiants15.
D'autres études analysées a posterori ont montré des résultats similaires. Il a en effet été
constaté in vitro et in vivo une activation de PPAR. (peroxisome proliferator-activated
receptor gamma), responsable d'une réduction de la formation osseuse. Une récente étude
observationnelle, TRIAD, a montré que ce risque était d'environ 1,7 chez les femmes de plus
de 50 ans, mais ne semble pas augmenté chez les femmes plus jeunes et les hommes8, 16. Il
n'a pas été montré de différence entre la rosiglitazone et la pioglitazone.
Autres complications :
- Myonécrose
Rare, la myonécrose se caractérise par une douleur musculaire de survenue brutale, sans
fièvre ni traumatisme. La localisation est le plus souvent au niveau de la cuisse ou de la fesse.
Dans trois quarts des cas, elle survient chez les diabétiques de type 1 et chez les sujets dont
l'équilibre glycémique est précaire. La physiopathologie est mal connue, avec peut-être des
phénomènes d'occlusion athéromateuse, de vascularite et/ou de phénomène
d'hypoxie/reperfusion. L'IRM est devenu un excamen de référence : elle montre un oedème
musculaire extensif avec un hypersignal en T2. La biopsie est le plus souvent inutile, sauf en
cas de suspicion de diagnostic différentiel : infection, fasciite nécrosante, occlusion
vasculaire, tumeur, myosite inflammatoire. La résolution est spontanée en 8 semaines environ,
et le traitement est uniquement symptomatique : équilibre glycémique, antalgiques. La
myonécrose peut récidiver dans un tiers des cas17.
- Infections ostéo-articulaires
L'obésité est un facteur de risque classique et reconnu d'ostéoarthrite. En revanche, les
preuves concernant l'implication du diabète sont moins évidentes. Il semblerait que chez les
sujets jeunes, le diabète soit un facteur de risque d'ostéoathrite de la main, mais ces chiffres
n'ont pas été retrouvé pour la hanche et le genou8. Bien sûr, l'ostéoarthrite du pied diabétique
est à mettre à part, liée à une plaie chronique dans le cadre d'un neuropathie.
- Maladie de Forestier
Décrite également sous le nom anglais de DISH (Diffuse idiopathic skeletal hyperostosis), la
maladie de Forestier de caractérise par une raideur rachidienne liée à l'ossification des
ligaments du rachis, et notamment le ligament longitudinal antérieur. La prévalence serait
plus élevée dans la population diabétique. Le lien physiopathologique avec le diabète serait
l'IGF (insulin-like growth factor) qui favoriserait l'ossification, ou peut-être les anomalies des
protéines de la matrice, qui seraient responsables de calcifications.
- Goutte
L'hyperuricémie étant inclus dans le syndrome métabolique, les arthrites goutteuses sont plus
fréquentes chez le diabétique, d'autant plus en cas d'existence d'une néphropathie au stade
d'insuffisance rénale. Mais le lien entre les deux pathologies n'a pas été étudié de façon
précise.
Conclusion Même si les complications rhumatologiques ne sont pas classiques dans le
diabète, leur fréquence et leur possible retentissement fonctionnel peuvent justifier d'un
examen rhumatologique régulier du patient diabétique. La meilleure compréhension des
phénomènes physiopathologiques peut permettre la mise en place de thérapeutiques plus
adaptées.
LES POINTS FORTS
Bien que fréquentes, les manifestations rhumatologiques du diabète sont souvent négligées ou
ignorées
La plus fréquente des déformations des orteils est classiquement appelée orteil en griffe.
Bien que plusieurs études se soient penchées sur la relation entre ostéoporose et diabète, elle
demeure controversée.
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