Émilie Lemire Auclair 17 juin 2005 - 1 -
La mémoire : fondements et méandres d’une faculté qui
oublie
La mémoire occupe une place essentielle dans le fonctionnement de l’être
humain. Elle est impliquée dans toutes les sphères de nos vies étant donné le rôle
central qu’elle joue. En effet, la mémoire est appelée à intervenir dans la plupart
de nos activités quotidiennes : se souvenir d’une étape de la recette lue assez
longtemps pour l’exécuter, se rappeler nos rendez-vous du lendemain, garder le
souvenir d’une date de fête, d’une connaissance ou d’une information. De plus,
c’est sur la mémoire que se fondent les bases de notre personnalité qui se
construit, entre autres, au fil de nos expériences. Ainsi, dès notre plus jeune âge,
nos impressions, nos réactions et nos actions sont fortement teintées de ces
expériences dont le souvenir est stocké en mémoire.
Il est bien évident que la mémoire, si centrale à la vie humaine, occupe une
place déterminante dans le parcours scolaire de tout individu. Pour bien
comprendre comment une faculté si importante intervient dans les
apprentissages, qu’ils soient scolaires ou non, le présent texte aborde différents
thèmes reliés à son fonctionnement : son rôle dans l’apprentissage, les étapes de
la mémorisation, les différents types de mémoire, les facteurs perturbateurs de la
mémoire ainsi que les interventions et les stratégies favorisant une utilisation
plus efficace de celle-ci.
La mémoire et l’apprentissage
La mémoire et l’apprentissage sont si intimement liés qu’ils sont souvent
confondus. Toutefois, ils représentent deux phénomènes distincts. Alors que la
mémoire renvoie à notre capacité de se rappeler les expériences passées,
l’apprentissage désigne plutôt un processus qui va modifier le comportement
futur d’un individu. Ainsi, l’apprentissage ne se limite pas aux connaissances
factuelles ou théoriques. L’étude d’une nouvelle langue et la morsure d’un chien
étranger sont des situations qui permettent deux apprentissages différents. Une
nouvelle langue modifie notre comportement verbal, et la morsure du chien,
notre comportement physique en présence d’un animal similaire. Malgré leur
nature différente, ces deux apprentissages dépendent de la mémoire : sans
mémoire, l’individu ne peut se rappeler la langue apprise ni le fait d’avoir déjà
été mordu par un animal, ce qui empêche alors la modification du
comportement. La mémoire est donc la pierre angulaire de l’apprentissage, car
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elle est un lieu privilégié de traitement de l’information qui permet le stockage et
le rappel des informations apprises.
De façon plus spécifique, le rôle de la mémoire durant l’apprentissage se
résume à trois processus :
1. l’encodage, c'est-à-dire l’analyse consciente ou inconsciente de
l’information en vue de son enregistrement en mémoire;
2. l’entreposage, c’est-à-dire la rétention et le maintien de l’information sur
une période de temps plus ou moins longue. Cet axe de la mémorisation
inclut le processus de consolidation qui permet de stabiliser et de solidifier
les traces de l’information en mémoire;
3. la récupération, c’est-à-dire la capacité à accéder aux informations
maintenues disponibles en mémoire.
Ces trois processus sont mis en place grâce aux deux principales structures
de mémoire, la mémoire de travail et la mémoire à long terme, ainsi qu’à un
certain nombre de fonctions cognitives connexes.
Les étapes du fonctionnement de la mémoire
La mémoire n’est pas constituée d’un bloc homogène et unitaire mais
plutôt d’un ensemble de structures neurologiques intégrées dans des réseaux
hiérarchisés et parallèles. Ainsi, la mémorisation et la récupération d’une
information nécessitent la participation d’une série de fonctions qui sont
illustrées dans le schéma suivant.
Perception Attention
sélective
Mémoire de
travail
Mémoire à
long terme
Fonctions
exécutives
Encodage
Récupération
Attention soutenue
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La perception est la première étape de tout traitement d’information. Les
informations, par l’entremise des récepteurs sensoriels, sont captées et dirigées
vers le cerveau pour être analysées. Cette analyse permet de doter d’une
représentation mentale les stimuli captés dans l’environnement, ce qui leur
donne un sens. Un stimulus auquel on n’attribue aucun sens est plus
difficilement traité et mémorisé. Il est donc important, à l’étape de la perception,
que l’individu soit en mesure de comprendre ce qu’il perçoit. Une fois analysés,
les stimuli peuvent être reconnus s’ils ne sont pas nouveaux pour l’individu ou
être associés mentalement à des éléments déjà connus, s’ils sont nouveaux. Les
informations peuvent être perçues par différentes modalités : visuelle, auditive,
olfactive, gustative, somesthésique (le toucher) ou proprioceptive (l’orientation et
les mouvements du corps dans l’espace.)
L’attention sélective est une fonction cognitive qui permet à l’individu
d’orienter son activité mentale vers un ou des stimulus particuliers : elle joue un
rôle de filtre. En effet, environ 5 % de l’information contenue dans
l’environnement passe à travers ce filtre pour ensuite être analysée plus
finement, ce qui signifie que tout ce qui est perçu n’est pas nécessairement traité
de façon consciente par l’individu. De plus, seulement une partie de ce 5 %
d’informations environnementales est effectivement encodée et entreposée en
mémoire par la suite. Donc, pour bien mémoriser, il faut être attentif et
sélectionner les informations à retenir.
La mémoire de travail (à court terme) est un lieu mental où les données
sont manipulées et transformées. C’est un lieu privilégié de traitement de
l’information : elle est donc sollicitée dans la plupart de nos tâches et de nos
activités. Toutefois, malgré sa grande utilité, son empan, c’est-à-dire sa capacité,
est plutôt réduit : on ne peut maintenir et traiter que 7 (± 2) éléments
simultanément en mémoire de travail. Sa durée est également limitée :
l’information ne reste active qu’un maximum d’une minute. Ainsi, pour qu’une
information soit retenue, il faut qu’elle soit traitée le plus rapidement possible,
car, si elle ne l’est pas, elle sera perdue. Les données maintenues actives en
mémoire de travail peuvent provenir de deux sources :
1. elles peuvent provenir de l’environnement extérieur;
2. elles peuvent également être récupérées à partir de la mémoire à long
terme pour être utilisée ou modifiée (connaissances antérieures.)
De plus, l’information traitée en mémoire de travail peut servir deux objectifs :
1. elle peut être exploitée dans l’immédiat dans le but d’exécuter une tâche
ou de résoudre un problème (comprendre un texte ou calculer
mentalement, par exemple);
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2. elle peut être acheminée en mémoire à long terme pour y être entreposée.
La mémoire à long terme est un lieu mental de classement et
d’entreposage. Contrairement à la mémoire à court terme, la mémoire à long
terme, comme son nom l’indique, permet à l’individu de conserver une donnée
sur une très longue période de temps. Toutefois, une information restée trop
longtemps inutilisée ou sollicitée risque d’être difficilement retrouvée. De plus,
au contraire de la mémoire de travail, l’espace disponible en mémoire à long
terme est très vaste : il est possible de mémoriser une quantité phénoménale
d’informations. Toutefois, cet espace doit être judicieusement utilisé. Ainsi, les
données transférées en mémoire à long terme ne sont pas emmagasinées de façon
aléatoire : l’entreposage de l’information nécessite la participation de réseaux,
c’est-à-dire que chaque nouvel élément appris est organisé et lié à un réseau
d’informations déjà en mémoire avec lequel il entretient un rapport. C’est
pourquoi la mémoire à long terme n’est pas considérée comme un simple lieu
d’entreposage mais aussi un lieu de classement et de catégorisation. Ainsi, lors
de la phase d’encodage, c’est-à-dire le passage de l’information de la mémoire de
travail à la mémoire à long terme, l’organisation de l’information et sa liaison à
un réseau de connaissances lui assure une trace durable en mémoire, ce qui
facilite ensuite la phase de rappel ou de récupération. En résumé, une
information est mieux retenue et rappelée si elle « fait du sens », c’est-à-dire
qu’elle peut se lier à ce que l’individu connaît déjà.
L’attention soutenue, ou la concentration, permet la mobilisation des
ressources d’un individu sur une période de temps plus ou moins longue; elle est
donc indispensable au processus de mémorisation. En effet, pour mémoriser une
information, il faut non seulement être attentif afin de sélectionner les
informations pertinentes à encoder mais également rester alerte et concentré tout
au long du processus, car, une fois sélectionnées, les données doivent être
comprises, organisées et transférées en mémoire à long terme.
Les fonctions exécutives jouent le rôle de « chef d’orchestre » ou de
régulateur dans les situations de résolution de problèmes, entre autres : elles
permettent la mise en place d’activités cognitives complexes liées à l’organisation
de la pensée (l’association d’idées et la catégorisation, par exemple), à la
planification de l’action et à l’élaboration de stratégies orientées vers un but. Elles
sont également impliquées dans les processus d’autovérification et
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d’autocorrection
1
. Ainsi, dans le processus de mémorisation, les fonctions
exécutives permettent la mise en place de stratégies facilitant l’organisation et
l’encodage d’informations. Ces mêmes stratégies peuvent être réutilisées lors de
la phase de récupération.
L’utilisation efficace et adéquate de la mémoire sollicite un ensemble de
processus variés qui, combinés ensemble, permettent à l’individu de sélectionner
les informations importantes, de les manipuler et de les organiser en vue de les
enregistrer de façon plus durable. La qualité de cet encodage est déterminante :
meilleur sera l’encodage, plus facile sera la récupération de l’information et ce,
grâce aux réseaux de connaissances qui permettent le regroupement et
l’organisation des informations liées entre elles par le sens. D’une façon similaire,
ces réseaux sont eux-mêmes organisés en fonction de la nature des informations
qu’ils contiennent : cette structure forme ainsi différents types de mémoire à long
terme. Ceux-ci sont présentés dans la section suivante.
Les types de mémoire
Les informations encodées ne sont pas emmagasinées dans un « entrepôt »
unique : elles sont plutôt classifiées dans différentes structures de mémoire, en
fonction de leur nature. On a identifié plusieurs types de mémoire à long terme
dont les plus connus sont la mémoire épisodique, la mémoire sémantique et la
mémoire procédurale.
La mémoire épisodique est souvent nommée mémoire autobiographique,
car les informations qui y sont entreposées concernent la vie de l’individu. Ce
sont des données de nature personnelle, des souvenirs contextualisés, c’est-à-dire
qu’ils sont accompagnés de précisions sur l’aspect temporel et spatial des
événements. Ils sont souvent empreints d’une charge émotive et déterminants
dans la construction de la personnalité.
La mémoire sémantique, quant à elle, contient plutôt les connaissances
didactiques, les concepts, les lois, les principes, les règles, les définitions, c’est-à-
dire les informations concernant le fonctionnement du monde et du langage. La
mémoire sémantique est une mémoire de sens et de signification où se rassemble
le bagage de connaissances générales d’un individu. Ces connaissances sont
1
Pour obtenir plus d’informations concernant les fonctions exécutives, vous pouvez consulter le
texte Le syndrome dysexécutif : quand le chef d’orchestre ne répond plus..
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