* : Le Pirée : principal port d’Athènes.
1.
Le soleil était désormais plus pâle chaque jour.
Des feuilles ambrées tombaient en effectuant
une danse lascive, avant de se coucher délicatement
sur le bitume. Enfin, un tourbillon d’air venant
du Pirée* les emportait au loin. Les grosses cha-
leurs avaient cessé depuis quelques semaines déjà,
et Athènes s’apprêtait à entrer dans son dernier cycle
saisonnier de l’année.
Émilie était confortablement installée dans
le fauteuil moelleux de la vaste bibliothèque de
leur nouvel appartement. Les genoux repliés sous
le menton, elle somnolait. Les rayons du soleil
pénétraient par les hautes fenêtres et venaient jouer
avec les longues mèches brunes qui s’échappaient
de son chignon improvisé. Un roman policier était
négligemment posé sur un petit guéridon. Elle
entendait vaguement Justin, son frère jumeau,
gratter quelques accords sur sa guitare électrique.
L’après-midi, elle était sortie dans le petit parc
qui se trouvait à quelques pas de leur appartement.
La journée avait été douce et elle avait pris plaisir
à flâner autour de la jolie tonnelle centrale et le long
des allées de hauts pins.
Leur père, François Duret, était employé au service
culturel des ambassades françaises. Cette fois-ci,
il avait été appelé en Grèce. Leur mère, Isabelle,
prenait généralement le train en marche. En tant
que salariée d’une agence internationale de tourisme,
elle était le plus souvent mutée dans une de ses
succursales.
Émilie et Justin, âgés de quinze ans, avaient ainsi
parcouru une large partie de la planète et déposé leurs
valises sur presque tous les continents. Les avantages
d’une telle vie étaient aussi nombreux que les incon-
vénients…
Un grand bruit dans l’entrée fit sursauter Émilie.
Isabelle et François rentraient enfin de leur journée
de travail.
- Bonsoir ! lança Émilie depuis le salon.
Elle se leva, s’étira quelques secondes puis alla
à la rencontre de ses parents.
Son père paraissait d’excellente humeur. Après
s’être débarrassé de sa veste et avoir enfilé ses pantoufles,
il vint s’affaler dans son vieux fauteuil - fauteuil qu’il
tenait à emporter à chacune de ses mutations.
Il annonça alors avec enthousiasme à sa fille et
sa femme que le projet d’une nouvelle exposition
venait d’être enfin validé. Tout restait à faire, mais
au moins, avec son collègue Jacques, ils connaissaient
la direction à prendre dans l’organisation de leur
travail.
- Il s’agira de « la représentation d’Athènes dans
la peinture française, aux XVIIe et XVIIIe siècles ».
D’accord, rien de très original, mais il semble que
nos supérieurs n’aiment pas franchement prendre
de risques. Nous avions au départ proposé, avec
Jacques, une vision de l’Athènes d’aujourd’hui,