soi-même. Vivre incessamment dans sa présence et laisser que celle-ci configure au
fur et à mesure chacune des dimensions de la propre vie. Ressentir d’une façon
nouvelle, près de Jésus, la présence consolatrice et transformatrice de l’amour
incommensurable de l’Abba. Percevoir, à partir de la sensibilité de Jésus, la présence
des frères, leurs espoirs et leurs cris, et se laisser porter uniquement pour cette
compassion – la qui a marquée sa vie. Discerner seulement à partir de Dieu ce qui est
bon et ce qui est mauvais, dépassant n’importe quel genre d’intérêts qui ne soient pas
ceux qui regardent «les choses du Père », avec le Royaume. Pouvoir affirmer, avec
Jésus, que la propre nourriture est faire la volonté du Père. Laisser que ce soit Jésus qui
suscite dans le cœur l’attitude face à ceux qui calomnient et persécutent et mette dans la
bouche la parole de pardon capable de gagner définitivement le frère. Se sentir, comme
Jésus, entre les mains du Père même lorsque le cri issu du cœur angoissé sera «que ce
calice passe de moi ». Savoir dire avec Jésus, «entre tes mains je remets mon esprit »,
expression de la plus haute confiance en Dieu, qui crée l’espace indispensable de
liberté afin d’annoncer et témoigner toujours et en tout lieu, la nouvelle réalité du
Royaume. Le tout se résume chez l’expression de Paul dans la lettre aux Galates : « Ce
n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2,20). Voici l’expérience de
Claret béni par la présence sacramentelle permanente de Jésus dans son intérieur.
À partir de ce moment l’histoire de la propre vie s’écrit seulement avec le langage de
l’amour, comme reste fortement souligné dans la suite de l’allégorie de la vigne et les
sarments dans ce texte du chapitre 15 de l’Évangile de Jean. La vie entière devient
«eucharistie », parce qu’on vit avec une profonde gratitude l’amour de Dieu et avec une
grande passion envers les frères. On répond à l’amour de Dieu, en aimant. Ça n’est pas
être autrement. Et d’une vie marquée par l’amour et d’une communauté dont la loi est
l’amour, naissent des fruits abondants.
Une vie eucharistique c’est une vie en communion : avec Jésus, et, en Jésus, avec tous
et avec tout. Elle jouit la communion et cherche la communion. Elle lutte contre tout ce
que brise la communion. Elle est marquée par un puissant dynamisme de solidarité
avec les pauvres et exclus, à qui Jésus a constitué, également en tant que sacrements de
sa présence. Elle se caractérise, aussi, par une profonde conscience écologique qui sait
respecter l’harmonie de la Création, et l’accueillir comme don que Dieu nous a donné
pour être partagé entre tous. Une vie eucharistique est celle qui trouve son sens au
moment de se donner afin que la vie, don de Dieu, puisse être vécue en plénitude pour
tous et en chacun et afin qu’ainsi, resplendisse véritablement la gloire de Dieu.
Je me demande comment nous interpelle aujourd’hui, cette expérience eucharistique du
Père Fondateur. Selon lui, elle lui a fait se sentir appelé à vivre « très recueilli et dévot
intérieurement »,c’est à dire jouir et cultiver l’amitié profonde avec Jésus, et à « prier et
faire face à tous les maux d’Espagne », c’est à dire, à s’unir à Jésus dans son don total
au projet du Père en assumant toutes les conséquences que cel peut supposer .
Cette expérience du P. Fondateur m’invite à rêver d’une Congrégation marquée par une
conscience profonde de la présence de Dieu, une Congrégation se sentant habitée par
Dieu et vive reconnaissante pour ce don toujours immérité. Ça sera, ainsi, une
Congrégation capable de susciter la question sur Dieu dans notre monde sécularisé.
Elle me pousse à rêver d’une Congrégation qui, parce qu’elle a su s’ouvrir à la présence
de Dieu, elle sait reconnaître sa voix en celui qui demande de l’aide, sa souffrance en