bc_sg_ab_herencia_fr_0

publicité
HÉRITAGE ET PROPHÉTIE
150 ans de grâce et de service
à l’Évangile
Lettre Circulaire du
P. Aquilino Bocos Merino, C.M.F.
Supérieur Général
Rome 1998
LES SIGLES LES PLUS UTILISÉS
1F
AC
AG CMF
Aut
CC
ColCC
CPR
DC
EA
EC
EsC
EMP
MCH
MR
Mss Claret
NPVM
PE
PGF
RM
SP
VC
-
Décret sur la Formation (Chapitre Général, 1967)
Annales Congregationis
Archives Générales Clarétaines
Saint Antoine-Marie Claret, Autobiographie
Constitutions CMF
Collection des circulaires des PP Généraux, Madrid, 1941
Le Clarétain dans le processus du renouveau congrégationnel (Chapitre Général, 1985)
Déclaration sur le charisme (Chapitre Général, 1967)
J. M. Viñas - J. Bermejo, San Antonio María Claret. Escritos autobiográficos, BAC, Madrid, 1991
J.M. Gil, Epistolario Claretiano (I-II, Madrid, 1970; III, Madrid, 1987)
José Xifré, El espíritu de la Congregación, Madrid, 1949, 3 ed
En mission prophétique (Chapitre Général, 1997)
La mission du clarétain aujourd’hui (Chapitre Général, 1979)
Instruction «Mutuae relationes» (1978)
Manuscritos autógrafos, AG CMF
Notre projet de vie missionnaire (Commentaire aux Constitutions, 1989-1991)
Déclaration sur le patrimoine spirituel (Chapitre Général, 1967)
Plan Général de Formation. Rome, 1994
Redemptoris missio, 1990
Serviteurs de la Parole (Chapitre Général, 1991)
Vita Consecrata, 1995
À tous les Missionnaires Clarétains
Chers Missionnaires,
Que Dieu le Père, le Fils et l’Esprit Saint, qui anime, renouvelle et perfectionne toute chose, vous remplisse
de joie et d’espérance dans le service du Royaume.
Le 16 juillet 1999 s’approche, date jubilaire de notre Congrégation. Cela marquera les 150 ans de la
fondation de cette petite première communauté de Missionnaires Fils du Cœur Immaculé de Marie dans le
séminaire de Vic (Barcelone, Espagne). Que ce jour où le Seigneur a agi, «soit notre joie et notre allégresse»1.
En regardant l’avenir, nous nous rappelerons et commémorerons avec joie le début et le cheminement de la
«grande œuvre». Nous ferons nôtre tout ce qu’il y a eu de grâce et de service à l’Évangile, de miséricorde divine
et de fidélité humaine à travers les générations. Nous rendons grâce pour les faits de vie qui sont aujourd’hui des
signes d’espoir pour demain. C’est pour cette raison que, en annonçant officiellement cette célébration, je vous
invite à chanter avec le psalmiste: «Rendez grâces au Seigneur parce qu’il est bon, éternelle est sa
miséricorde»2.
Ces fêtes jubilaires sont appelées à devenir une célébration de la vie missionnaire et un stimulus pour
grandir en elle. Avec ce double but, ayant comme toile de fond l’expérience des six dernières années et les
orientations du dernier Chapitre Général, je veux, avec cette lettre circulaire, faire parvenir à tous les
Missionnaires de la Congrégation une invitation fraternelle à vivre dans la joie cet événement et quelques
réflexions qui nous aideront à répondre aux défis les plus marquants dans notre vie missionnaire. Je consacrerai
la première partie à héritage charismatique: les origines et les dates marquantes de notre histoire. Dans la
deuxième partie, sous le titre «Faire de notre héritage une prophétie», je parlerai de la dimension prophétique
dans notre vie missionnaire qui demande une attention spéciale: cheminer ensemble, fidélité, réconciliation avec
l’étude
et
le
défi
des
vocations.
I
«J’ADORE MON HÉRITAGE»
Seigneur, mon partage et ma coupe,
C’est toi qui garantis mon sort:
La part qui me revient fait mes délices,
J’ai même le plus bel héritage.
(Ps 16,5-6)
1. Sans aucun mérite de notre part, par pure grâce, nous sommes Fils du Cœur Immaculé de Marie,
missionnaires clarétains. Nous aurions pu être une autre chose. Nous admettons qu’il y a beaucoup de possibilités
et de formes de vivre et de servir l’Évangile. Mais nous continuons à vivre dans cette Congrégation parce que
nous avons eu l’expérience que pour nous rien ne peut se comparer au don reçu. À partir d’une expérience
comparable à celle du psalmiste, nous affirmons: «Tu es mon bien». Nous sommes heureux d’avoir Dieu comme
le trésor de notre vie, de suivre Jésus-Christ selon le style de Claret dans cette famille religieuse. Oui, nous avons
eu un beau lot. Nous sommes heureux de notre sort. Nous n’hésitons pas à dire: «J’adore mon héritage».
1. La Congrégation en fête
C’est le temps de célébrer
2. C’est inné en nous de célébrer la fondation de notre Institut. L’Esprit qui sema hier la petite sémence
nous pousse aujourd’hui à rendre grâces parce que la bonté divine s’est fait et continue à se faire protection,
appui et force. N’est-ce pas tout ceci que nous avons experimenté tout au long de ces 150 ans? Par ailleurs, un
sentiment de joie partagée fait naître dans le cœur de chacun la beauté de l’idéal qui nous pousse, l’espoir pour
faire face aux défis et aux difficultés de chaque jour. Nous pourrions faire beaucoup de choses à l’occasion de cet
anniversaire, mais la première et la plus importante sera de le célébrer. Comment empêcher que notre mentalité
programmatrice et productive ne vide pas le sens le plus authentique de la fête? Les pauvres aiment célébrer les
fêtes. Les riches, comme ils ont tout, au lieu de célébrer, ils s’amusent. Leur obsession de posséder et de paraître
ne leur permet pas de jouir. Les pauvres, même s’ils manquent de tout, apprécient ce qu’ils ont et le partagent.
Vous le savez bien, vous qui vivez avec eux et qui partagez leur sort. Puissions-nous le célébrer à leur façon! Qui
sait si ce que nous ne réussissons pas à faire avec nos projets nous l’aurons comme fruit de cette célébration! À
travers la fête, on atteint la communion, on brise les frontières, on oublie les plaintes et l’on multiplie les efforts
pour se réjouir. La gratuité, la tendresse, le bénévolat, le pardon, la confiance, si souvent présents dans la fête
avec force, font fuir tout ce que le travail quotidien apporte d’obscur, de négatif et douloureux. Tout ce qui est
beau est au rendez-vous de la fête. Son éclat nous fait oublier la douleur de ce qui est éphémère, la croix du
travail, la souffrance de la lutte.
Les célébrations dans le passé
3. Célébrer en communauté l’anniversaire de la fondation a toujours été une tradition dans la
Congrégation3. Le Père Fondateur invita M. José Caixal pour commémorer le premier anniversaire de la
rencontre avec les frères. Vingt ans plus tard, il écrivait au Supérieur Général, le P. José Xifré: «Jésus et Marie
ont fondé la sainte Congrégation il y a vingt ans aujourd’hui; et on a continué jusqu’à maintenant où le Seigneur
a permis cette persécution que nous subissons non pas pour l’éteindre mais plutôt pour l’agrandir et la faire
étendre»4. La Congrégation a célébré, d’une manière spéciale, les 50, les 75 et les 100 ans de la fondation5.
Quelque chose d’inconnu a dû arriver au 50e anniversaire à cause de la maladie grave du P. Xifré. Un
témoignage de cet événement fut la publication de la «Historia de la Congregación» du P. Mariano Aguilar6, où
la vitalité du jeune Institut est si bien reflétée. En 1924, avec le bref «Inter religiosas familias», Pie XI approuvait
solennellement les Constitutions et la Congrégation. De nouveaux horizons universels s’ouvraient à la
Congrégation. L’année du centenaire (1949), la Congrégation, irriguée abondemment par le sang des martyrs, se
réjouissait de se voir solidement établie dans plusieurs continents. L’année après, on a eu la joie de fêter la
canonisation du Père Fondateur. Comme fruit de la célébration du centenaire et de la canonisation, on a décidé de
s’établir au Japon7.
Comment célébrer aujourd’hui?
4. Ces dernières années, la sensibilité des personnes et des groupes sociaux face aux fêtes jubilaires a
changé beaucoup. On ne privilégie pas aujourd’hui l’ostentation extérieure ni les festivités grandioses qui
souvent servent à nourrir l’autocomplaisance et le prestige social, mais on cherche plutôt à réaffirmer son
identité, le renouveau de la communauté en fête et l’élan missionnaire. C’est une occasion de regarder notre
petite histoire comme dans un miroir pour ainsi retirer des leçons pour continuer à avancer dans l’inspiration
charismatique avec plus de fidélité. On cherche, avant tout, la rencontre avec nos origines; on veut partager ce
que la vie apporte pour faire face, avec un dynamisme nouveau, à ce que nous réserve l’avenir. On fait ressortir
les éléments intégrants de toute commémoration solennelle: une pause dans la vie de tous les jours, la gratuité et
la joie, la priorité de la communauté entière, le mémorial de l’événement qui recrée la communauté dans son
passage à travers le temps, la communion des valeurs auxquelles la communauté croit et sur lesquelles elle
s’appuie. Tous ces éléments devraient être présents, d’une façon ou d’une autre, à la célébration de nos fêtes
jubilaires.
5. Dans la pratique, nous devons prendre ce 150e anniversaire comme une occasion idéale de reconnaître le
don de Dieu et d’en remercier le Seigneur; une occasion de louange et de bénédiction pour demander pardon et
miséricorde; de révision et de régénération de notre propre identité; de développer la solidarité et relancer
l’engagement évangélisateur. C’est ainsi que la Congrégation devra entrer dans cette fête. Nous avons une
occasion de «raviver la joyeuse expérience de notre appartenance à une Communauté héritière d’un style de vie
et d’un ministère apostolique prophétiques par lesquels Dieu continue à visiter son Peuple»8. De ce point de
vue, l’exhortation post synodale «Vita Consecrata» acquiert tout son sens: «Vous n’avez pas seulement à vous
rappeler et à raconter une histoire glorieuse, mais vous avez à construire une grande histoire! Regardez vers
l’avenir où L’Esprit vous envoie pour faire encore avec vous de grandes choses»9.
6. Évidemment, il faut tenir compte des différentes situations où se trouvent les membres de la
Congrégation dues à l’âge, formation reçue, expériences apostoliques, contextes sociaux et culturels, ministères,
responsabilités, etc. Le retour aux sources et le rappel de l’histoire de la Congrégation ainsi que les attentes pour
l’avenir sont très différentes. Il y a des groupes qui commencent leur vie missionnaire clarétaine sans trop
d’appui dans la tradition parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion de la connaître. Ils veulent affirmer leur identité
charismatique à l’intérieur de leur contexte culturel. Il y a d’autres qui, tout en ayant une compréhension
rationnelle de leur propre identité, ont besoin de redécouvrir la force créatrice et transformante de l’Esprit pour
reprendre la joie dans leur vocation et s’impliquer avec enthousiasme dans la mission de la Congrégation.
J’espère que, autant les uns comme les autres, que nous tous, sachions tirer profit de l’intensification du dialogue
avec le Fondateur, avec ceux qui ont vécu fidèlement leur charisme missionnaire pendant ce siècle et demi et
avec les hommes et les femmes de notre temps, surtout avec les plus démunis, avec ceux qui souffrent et avec
ceux qui ne réussissent pas à trouver un sens à leur vie. Dans la mesure où nous favoriserons ce dialogue
augmentera notre désir de mener une vie évangélique plus radicale et de mettre toutes les structures au service de
l’Évangile selon ce qui est plus urgent, opportun et efficace.
Une fête à l’intérieur du Jubilé de l’Église
7. Dans la lettre circulaire «En camino hacia el año 2000»10, j’ai présenté les premières considérations sur
le contexte, la portée et la signification de la commémoration des 150 ans de la fondation et d’autres événements
de la Congrégation: centenaire de la mort des co-fondateurs PP. Jaime Clotet et José Xifré et le cinquantième
anniversaire de la canonisation du P. Fondateur. J’y ai indiqué que ces fêtes devraient s’encadrer dans la grande
célébration du troisième millénaire de la naissance du Rédempteur. N’oublions pas que la personne de Jésus, le
Fils du Père et l’Oint de l’Esprit pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres11, est au centre de nos
célébrations! J’ai demandé, à cette occasion, des suggestions pour ce jubilé congrégationnel. Nous avons reçu
beaucoup de propositions que nous avons présentées au Chapitre Général. Par après, le Gouvernement Général a
mis sur pied une Commission chargée de promouvoir les activités programmées. En avril de cette année, la
Commission a concrétisé les objectifs, les critères et les projets prévus pour le temps des célébrations fixé du 24
octobre 1998 au 7 mai 2000. Je vous renvoie au programme préparé par la Commission et je demande aux
supérieurs, formateurs et responsables de pastorale de l’assumer avec enthousiasme et de faire de leur mieux pour
que ces projets deviennent réalité. Chaque communauté clarétaine, chaque paroisse, collège, groupe de pastorale
doit chercher la façon de vivre, avec un sentiment ecclésial et missionnaire, cet événement de grâce.
Une fête de famille
8. Nous partageons le charisme missionnaire avec d’autres personnes. Nous ne sommes pas les seuls
héritiers. Par conséquent, nous devons partager aussi la joie de ces fêtes jubilaires avec les membres de la Famille
Clarétaine, spécialement là où elle peut se réunir. D’un autre côté, nous ne pouvons pas oublier dans cette
invitation ceux qui ont aidé à faire grandir et consolider la Congrégation, nos bienfaiteurs. Marie et l’Esprit l’ont
fait naître dans l’Église, mais cette plante toute tendre a grandi grâce à la générosité des parents des
Missionnaires qui ont donné leurs fils à la Congrégation. Ce sont eux les plus grands bienfaiteurs. À travers ces
150 ans, beaucoup de Pasteurs ont appuyé les diverses fondations, ils nous ont accueillis et offert leurs maisons,
en commençant par celui de Vic. Il faudrait, dans chaque localité, inviter tous les prêtres, religieux et laïcs qui ont
collaboré dans la pastorale des vocations et dans les projets d’évangélisation et de promotion humaine.
Également, il faudrait remercier tous ceux qui, avec leurs biens matériels, ont rendu possible la construction
d’édifices, la formation des candidats et la réalisation de tant d’œuvres apostoliques. Ce serait une belle occasion
de faire connaître notre spiritualité aux familles, aux jeunes et, d’une façon générale, à tous les laïcs qui sont en
contact avec nous.
2. «Tout commença à Vic»
9. L’histoire commença à un endroit (Vic) et à un moment donné (1849). En rélisant notre histoire, il est
facile de percevoir la joie de nos ancêtres lorsqu’ils voyaient que les origines de notre Institut étaient marquées
par l’initiative de l’Esprit, la protection de Marie et le feu apostolique de ceux qui se sont rendus dociles à
l’action de l’appel de Jésus pour suivre et annoncer l’Évangile. Nous, les clarétains de cette fin du siècle et du
millénaire, nous sommes des «cohéritiers» d’un grand patrimoine spirituel et missionnaire, enrichi par une
succession de générations12. Le don de l’Esprit, qui remplit Claret et les premiers compagnons, a continué à
engager tous ceux qui, séduits par ce projet de vie, ont voulu apporter leur effort afin de réaliser ce que Claret ne
pouvait pas faire tout seul13.
10. En pensant aux jeunes générations, surtout à celles qui n’ont pas eu beaucoup de contact avec les
sources, je voudrais raconter notre histoire un peu comme quelqu’un qui ouvre l’album de famille et se plaît à
remémorer avec tendresse personnes, faits et paroles. Je sais que pour beaucoup d’entre vous, c’est un itinéraire
très bien connu. Mais raconter ce que nous avons été, c’est la meilleure façon d’enraciner notre présent et de
découvrir des signes pour notre avenir. Je ne voudrais pas que nous oublions d’où nous venons, qui ont été nos
parents dans la vocation, quelles sont, en résumé, nos racines. Évidemment, nous devons toujours être conscients
que la nouveauté de notre vocation vient du Dieu créateur et qui nous appelle à marcher dans la recherche de
celui qui a besoin de nous. Par ailleurs, je le considère indispensable pour améliorer notre connaissance et
l’estime de notre histoire. Il ne suffit pas de se contenter d’une approximation superficielle et encore moins de
quelques faits qui souvent se basent sur des projections subjectives plutôt que sur des faits réels. Apprenons à
raconter sérieusement et simplement et laissons-nous imprégner de la force transformatrice propre à toute
narration authentique.
Claret, une lumière et une voix nouvelles
11. Le premier élément qui se fait remarquer dans notre héritage est la personne même du Fondateur. Claret
se présente dans l’Église comme une lumière nouvelle et une voix nouvelle pour l’annonce de l’Évangile en ce
contexte historique précis du 19e siècle. Face à une société affamée de la Parole de Dieu14, et se rendant compte
qu’il ne pouvait pas faire seul tout ce qu’il souhaitait, il met sur pied une communauté de missionnaires
«évangélisateurs et apostoliques»15 possédant, dès le début, un horizon universel16. Le P. Fondateur montra son
intérêt pour l’extension de la Congrégation. Il souhaitait qu’elle sorte de la Catalogne17, qu’elle aille en
Afrique18, Amérique Latine19, aux États-Unis20. Claret est un homme de son temps vivant en contact continuel
avec le peuple duquel il reçoit des leçons et l’encouragement. Il est un grand écouteur et serviteur de la Parole,
formé à l’école des Prophètes et des Apôtres21. À partir de cette double expérience, il fonde une communauté
centrée sur l’écoute et le service missionnaire de la Parole. On sait que l’image que nous aurons de la
Congrégation est basée sur l’idée que nous aurons du Fondateur. Pour cette raison, tout ce que l’on fera pour
mieux connaître Claret sera bénéfique et stimulant pour le dynamisme missionnaire de la Congrégation. À ce
propos, il faut étudier le contexte historique, social, économique et religieux de ce temps-là, ce que nous mettons
souvent entre parenthèse. C’est seulement ainsi que la figure du Fondateur émergera avec réalisme et que l’on
appréciera à sa juste valeur la naissance d’un nouvel Institut.
12. Au moins pour nous qui possédons tant de faits historiques, l’image du Fondateur ne peut rester limitée
à celle de la fondation. Nous héritons de Claret, en tant que fondateur, toute la richesse spirituelle et apostolique,
pas seulement en Catalogne et dans les Iles Canaries, mais aussi à Cuba, Madrid, Rome et l’exil en France. À
travers ses écrits autobiographiques, ses lettres et ceux qui l’ont connu, nous connaissons ses qualités et ses
limites, ses efforts afin d’atteindre le but d’un idéal qu’il portait en lui-même.. Un fait important: le P. Claret, au
moment de fonder la Congrégation, travaillait à atteindre le troisième dégré d’humilité22. Au dos du manuscrit
dans lequel Claret avait consigné cette résolution, nous trouvons ce commentaire: «Celui qui se plaît à ce que
Dieu soit Dieu et qu’il soit aimé et servi par tout le monde et qui a de la peine de ce que Dieu soit offensé, celuilà peut dire qu’il aime Dieu dans ce monde. Il s’efforce de le faire connaître, aimer et servir de tous et empêche,
autant qu’il le peut, tous les péchés»23. Ce fait qui, comme on peut le constater, s’accorde très bien avec le
«rappel qu’il se faisait à lui-même» ou «définition du missionnaire»,nous fait penser à la hauteur spirituelle qu’il
avait atteinte au moment de la fondation. À celle-ci, nous devons ajouter l’expérience spirituelle et apostolique
acquise les années suivantes de sa vie. À sa mort, Claret quitte une vie accablée et affinée par l’amitié profonde
avec Jésus-Christ nourrie dans la méditation constante de la Parole de Dieu et dans le vécu du Mystère de
l’Eucharistie; par sa façon d’endurer et d’assumer les tribulations et persécutions pendant les années de son
séjour à Madrid jusqu’à son exil et sa mort; par son expérience du pardon des ennemis24; par son amour tendre
et filial de Marie et de l’Église et par son désir passionnée de distribuer le pain de la Parole, écrite et parlée, aux
plus démunis. Il ne faut pas voir Claret seulement à partir de l’expérience qu’il avait au moment de la fondation
puisqu’il a continué à l’enrichir et à élargir les fronitères de la Congrégation tout au long de sa vie25. L’itinéraire
de la vie de Claret est le paradigme de notre propre itinéraire qui nous illumine et nous pousse toujours vers des
buts toujours plus hauts.
13. Lorsque la Congrégation célébra son centenaire, on nous rappella les mots du prophète Isaie: «Regardez
le rocher d’où l’on vous a taillés»26. On nous invitait à la fidélité filiale envers le Fondateur. Cinquante ans
après, la théologie sur les fondateurs et sur les charismes dérivant de la fondation nous ont placés dans une
perspective encore plus profonde et intégrale. Le Chapitre sur le Renouveau en 1967 et les Chapitres qui ont suivi
ont mis en relief la portée de la paternité spirituelle de Claret. Pour cette raison, aujourd’hui, l’invitation à nous
rappeler le rocher d’où nous sommes taillés nous remet à l’action de l’Esprit, à revivre sa force créatrice et
innovatrice qui nous arrive grâce à la médiation historique du Saint-Fondateur. Claret n’a fait que nous rendre
participants de son expérience de l’Esprit. Cette expérience, riche et profonde, impliquait son amour de JésusChrist et de Marie comme Mère de tous les hommes; son zèle pour la gloire de Dieu et la beauté de l’Église; son
souci du salut de tous les hommes et son empressement pour trouver des collaborateurs dans l’évangélisation; sa
capacité de discerner les signes des temps et sa façon de faire face à la déchirante réalité sociale et ecclésiale de
son temps; ses intuitions prophétiques et ses initiatives apostoliques; sa large compréhension du service
missionnaire de la Parole et son audace dans l’exécution; sa capacité de prier, travailler et souffrir jusqu’à la mort
dans l’exil afin que Dieu soit connu, aimé et servi. Rien d’étonnant que cette expérience devienne pour nous une
source d’inspiration et de stimulation dans la réponse que nous devons donner aujourd’hui à notre vocation et
mission dans l’Église et dans le monde27.
14. Nous descendons d’Antoine-Marie Claret. Il est notre Père Fondateur. Ce lien, profond et intime, entre
Claret et la Congrégation ne peut être compris qu’à partir de l’Esprit-Saint. C’était l’Esprit-Saint qui poussa
Claret à réunir les premiers missionnaires, à donner un nom à la première communauté, à écrire pour elle les
Constitutions, à travailler pour qu’elle soit approuvée par le Gouvernement espagnol et par le Saint-Siège et à
l’aider par tous les moyens. Pas seulement cela. Plus important encore, l’Esprit lui a donné la grâce d’avoir des
disciples et de les rendre participants dans la manière même de vivre le mystère de Jésus, ainsi que de prolonger
la mission évangélisatrice dans le style des Apôtres. Saint-Antoine-Marie Claret, avant d’être un saint que nous
admirons et dont nous apprenons, est le Père de notre communauté missionnaire. En ravivant l’Esprit qui animait
Claret, la Congrégation se sent poussée au delà d’elle-même. Le Fondateur n’est pas un axe qui la fait tourner sur
elle-même, mais plutôt une force qui la pousse à établir le Royaume de Dieu dans le monde des pauvres, des
laissés pour compte, des marginalisés. La Congrégation, lorsqu’elle se sent poussée par la fidélité créatrice du
Fondateur, se met en marche vers ceux qui n’ont pas encore écouté la Bonne Nouvelle du Royaume, vers les
affamés de vérité, de justice et d’amour fraternel.
«Animés par le même esprit»
15. Une caractéristique saillante des origines de notre communauté missionnaire, c’est que tous se sentaient
«animés par le même esprit». Dans son Autobiographie, en racontant sur la fondation, Claret nous dit: «…entretemps, je suis allé rencontrer un certain nombre de prêtres à qui Dieu avait donné le même esprit dont j’étais
animé. Voici leurs noms: Esteban Sala, José Xifré, Domingo Fábregas, Manuel Vilaró, Jaime Clotet…»28.
Lorsqu’il demanda au Nonce l’approbation des Constitutions, il lui annonça: «en 1849, nous nous sommes réunis
quelques prêtres animés par le même esprit»29. Dans leur recherche, il existait un instinct de syntonisation.
Claret considérait ses compagnons comme un don: «jusqu’en 1849 où le Seigneur daigna lui donner des
compagnons qui étaient…»30. L’esprit dont ils se sentaient animés était le même qui avait inspiré et poussé
Claret à tout laisser et à se donner entièrement au service missionnaire de la Parole31. Ils avait trouvé les appels
puissants à prêcher l’Évangile dans la prière, dans la Bible et dans les temps difficiles des gens. Auprès des
prophètes et, surtout, auprès de Jésus, il trouvait des modèles de référence pour sa vocation missionnaire. Luimême nous dit: «Le Seigneur me fit également comprendre d’une façon très particulière ces paroles: L’Esprit du
Seigneur Dieu est sur moi: il m’a envoyé porter la Bonne nouvelle aux pauvres, panser ceux qui ont le cœur
brisé»32. Missionnaire apostolique à travers la Catalogne et les Canaries, Claret a senti l’impulsion de s’engager
davantage dans une mission plus universelle. Comme il ne pouvait pas le faire tout seul, il se réunit avec d’autres
pour former une communauté de vie à la manière des Apôtres et pour se donner à la prière, à l’étude et à la
prédication33.
16. Ils sont nombreux les témoignages du Fondateur lui-même qui laissent voir clairement son intense zèle
apostolique. Il suffit de lire les chapitres avant la fondation de la Congrégation. Parmi les témoignages externes,
il vaudrait la peine de citer les paroles du P. José Xifré dans la «Crónica de la Congregación». Parlant du P.
Claret comme fondateur, il dit: «Son zèle dépassait toute mesure. Il voulait étendre la voix de l’Évangile à tout
l’univers. Il souhaitait, avec une très grande ardeur que l’on prêche et catéchise, jusqu’à la fin des temps et dans
toutes les régions, les pauvres et les riches, les savants et les ignorants, les prêtres et les laïcs. Il voulait, avec
ardeur, sauver tous les gens parce que tous sont faits à l’image de Dieu et ils sont le prix du sang du Christ. Ces
désirs enflammés remplissaient son cœur et devenaient l’objet de ses prières ferventes au Seigneur et, parce
qu’elles étaient conformes au Cœur de Jésus, elles ont été exaucées. Le Seigneur, qui a les yeux fixés sur les
justes et les oreilles attentives à leurs supplications, s’est daigné d’écouter son serviteur en Lui inspirant l’idée
de fonder une Congrégation d’hommes qui, revêtus du même esprit apostolique que lui, auraient l’objectif qu’il
désirait et implorait»34. Le P. J. Jaime Clotet décrit l’histoire de la fondation et commence par dire «Depuis
plusieurs années, le Missionnaire , plein de zèle, voyant clairement les besoins des gens, avait projété de réunir
quelques prêtres qui l’aideraient dans la tâche très difficile de conquérir les âmes pour Dieu avec comme moyen
les saintes missions. C’était dans le silence et la prière surtout qu’il sentait les élans pour cette immense
entreprise»35.
17. Après les premiers mois d’expérience communautaire, Claret attestait que les membres de la
communauté naissante agissaient sous la mouvance du même esprit: «Les Missionnaires vont très bien et on ne
peut pas aller plus vite qu’à présent (…); nous nous exercerons dans toutes les vertus, spécialement dans
l’humilité et la charité, et nous menerons en communauté, dans ce collège, une vie vraiment pauvre et
apostolique; (…) plusieurs nous ont demandé de venir vivre avec nous, mais nous faisons beaucoup d’attention
et nous examinons leur portrait physique et moral, puisque dans ce domaine, il faut viser juste car une brebis
galeuse peut infecter les autres»36. À son retour de Cuba, Claret voit que sa mission dans l’Église est
universelle. La vision de l’Ange de l’Apocalypse lui fait comprendre que son activité s’allonge et s’élargit: «À
son cri, les sept tonnerres ont fait entendre leur propre voix. Voilà qu’arrivent les fils de la congrégation du
Cœur Immaculé de Marie; l’ange dit: Sept. Ce nombre veut dire tous, il les appelle des tonnerres parce que,
comme le tonnerre, ils parleront haut et feront entendre leurs voix». Et il ajoute: «Le Seigneur m’a dit à moi et à
mes compagnons missionnaires: Ce n’est pas vous qui parlez, c’est l’esprit de votre Père et de votre Mère qui
parle en vous. De sorte que chacun de nous pourra dire: L’esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m’a
oint. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, soigner les cœurs brisés»37. Ce sont les paroles
d’Isaïe, qui l’avaient poussé à sortir et annoncer la Bonne Nouvelle, qui doivent inspirer la vie missionnaire de
ses compagnons. Le même esprit qui animait Claret et les co-fondateurs devra aussi animer tous les
Missionnaires: «L’esprit de votre Père et de votre Mère parlera en vous».
18. Ces célébrations nous placent dans les origines de la source de tout renouveau: l’ouverture et la docilité
à l’Esprit qui nous a convoqués et qui continue à nous pousser à être des témoins et des prophètes dans ce monde
qu’il veut renouveler avec notre collaboration désintéressée. L’Onction de l’Esprit et la syntonie avec le peuple
vont de pair dans notre vocation missionnaire. Vivre «à partir du même esprit», c’est vivre selon l’Esprit; c’est lui
qui nous consacre et nous ouvre aux besoins des peuples où nous sommes envoyés; qui nous rend participants de
son inventivité et de sa créativité, nous remplit d’audace prophétique et nous réconforte dans les moments de
persécution, de difficulté et de découragement.
«Aujourd’hui commence une grande oeuvre»
19. Ceux qui se rassemblèrent dans la cellule du séminaire de Vic ce 16 juillet 1849 étaient, à l’exception
de Claret, des prêtres jeunes et inconnus, et l’un d’entre eux, plutôt fragile. Le début, d’ailleurs, ne pourrait
qu’être plus humble. Ils n’avaient pas une maison à eux38, ni mobilier ni moyens financiers. Ce n’était pas un
groupe aux conditions humaines et matérielles apte à crier haut et fort: «Aujourd’hui commence une grande
oeuvre». Malgré tout cela, le Fondateur, homme de foi et plein de l’esprit prophétique, l’affirme et le réaffirme
devant la méfiance de quelqu’un parmi les participants. Claret savait que Dieu peut faire de grandes choses à
partir de notre petitesse afin que brille davantage sa Divine Providence39.
20. Sur quoi Claret s’appuyait-il pour penser que ce serait une grande œuvre? Il était convaincu que ses
prières avaient été exaucées. Nous avons des preuves qu’il avait prié ainsi: «Appuyé sur votre grâce – disait-il à
Dieu et à la Très Sainte Vierge – et sur les compagnons que vous me destinerez, je formerai la Congrégation
dont je serai le dernier et le serviteur de tous, et, pour cette raison, je baiserai leurs pieds, servirai à table et je
me considérerai heureux de rendre ces services»40. Lors de la première conférence des exercices de la fondation,
selon le témoignage du P. Jaime Clotet, Claret montra sa grande consolation en voyant établie l’œuvre qu’il avait
souhaitée des années auparavant41. Il en était certain que c’était l’œuvre de Jésus et de Marie. Il le déclara à
plusieurs occasions42. Il n’était qu’un instrument dans les mains de Dieu43. Il prenait appui sur la croix, comme
il l’a fait remarquer dès la prémière conférence des exercices. Il s’appuyait aussi sur l’image qu’il avait du
Missionnaire Fils du Cœur Immaculé de Marie. Il pensait, sans doute, qu’il ne manquerait pas à la Congrégation
des missionnaires de la taille et de l’étoffe reflété dans le «mémorial ou définition du missionnaire»44 écrit et
commenté par le Fondateur lui-même pendant les Exercices de la fondation. Grâce à tout cela, la Congrégation
serait «une grande oeuvre».
La Congrégation, œuvre de Dieu et de Marie
21. Une des convictions les plus profondes et spontanées des premiers membres de la Congrégation, c’était
qu’elle était l’œuvre de Dieu et de Marie. Ni le Fondateur ni les co-fondateurs ont eu le moindre scrupule
d’appeler la Congrégation Sainte, Sacrée, Œuvre Divine. Au moins, dans deux lettres au P. José Xifré, le P.
Claret parle de «la sainte Congrégation». Dans la première lettre, il écrit qu’il a pensé laisser ses économies à
cette sainte Congrégation45; dans l’autre, à l’occasion du vingtième anniversaire de la fondation de la
Congrégation46. Dans cette lettre et dans une autre, il se réfère à la Congrégation comme «œuvre de Dieu»47.
Pendant les exercices qu’il donna aux communautés de Vic et Gracia en 1865, il disait que «la Vierge a fondé sa
Congrégation en Espagne»48. Nous savons, par une lettre du Paladio Curríus, que le P. Sala parle de la
Congrégation comme «la Sainte Oeuvre»49. Le P. Xifré, dans le «Espíritu de la Congregación», consacre le
deuxième paragraphe de l’Introduction à prouver que «la Congrégation est l’œuvre de Dieu»50.
22. Comme une conséquence de cette forte conviction du Fondateur, des co-fondateurs et des premières
communautés, est né l’espoir dans la durée et la Providence spéciale de Dieu et de Marie pour leur œuvre. Les
premières années de la Congrégation ne furent pas très faciles. Le P. Claret a dû répéter à plusieurs reprises au P.
Xifré des paroles d’encouragement: «Dites à tous les missionnaires qu’ils prennent beaucoup de courage en
Dieu et en la Très Sainte Marie»51. «Courage! En avant! N’ayez pas peur! Jésus et Marie nous feront tirer de
l’embarras! Nous travaillons pour eux»52. «Je félicite mille fois tous les membres de la Congrégation du
bonheur d’être persécutés. Dites-leur de ma part qu’ils gardent courage et confiance dans les Sacrés Cœurs de
Jésus et de Marie»53. «Courage, Dieu et Marie ne laisseront pas tomber leur Oeuvre»54. Cette confiance dans
l’avenir de la Congrégation, parce qu’elle était l’œuvre de Dieu, a été une note constante dans notre histoire, une
des plus belles traditions que nous avons reçue et que nous devons renouveller à partir de la foi, comme cela se
faisait dans les prières communautaires lorsqu’on récitait cette antienne:: «Regarde du haut des cieux et vois cette
vigne et protège-la, celle qu’a pantée ta main droite»55. C’était l’expression de la croyance dans l’origine divine
de la Congrégation et que c’est le Seigneur qui la soutient et la fait grandir.
23. Marie est la Mère, la Fondatrice et la Patronne de la Congrégation. Ce ne sont pas des spéculations qui
nous amènent à cette conviction profonde. Marie a été considérée comme telle depuis les origines. Nous pouvons
le déduire des expressions que nous venons de citer. Il faut aussi ajouter le témoignage du P. Clotet qui participa
aux exercices donnés par le P. Fondateur aux communautés de Vic et Gracia en 1865. Il raconte que le P. Claret,
se tournant vers l’image du Cœur de Marie, avait dit: «La Congrégation est à vous. C’est vous qui l’avez fondée:
ne vous rappelez-vous pas Madame, ne vous rappelez-vous pas? Il l’avait dit avec emphase et tout spontanément,
ce qui laissait entendre qu’il se souvenait vivement en ce moment-là de l’ordre, des paroles et de la présence de
la Mère de Dieu»56. En se voyant l’oeuvre de Marie, la Congrégation éprouve une sensation de confiance, de
sécurité et d’élan missionaire. Marie exerce sa maternité en nous configurant à son Fils, l’Envoyé du Père et
l’Oint par l’Esprit. La filiation cordimariale est une note essentielle de notre charisme missionnaire. En vivant
cette grâce, notre foi et notre docilité à la mission augmentent; notre charité devient plus ardente. C’est la
manifestation de notre façon d’être et de notre travail apostoliques. Nous sommes des Fils du Cœur Immaculé de
Marie et, comme tels, nous travaillons à construire la fraternité universelle et nous prêchons la tendresse et la
miséricorde de Dieu envers tous les humains. Ainsi nous embellissons le Corps du Christ; ainsi nous faisons
Église. L’avenir de la Congrégation est entre les mains de Marie. Elle guide, forme et encourage tous les
missionnaires.
24. C’est stimulant de voir que la Congrégation soit considérée comme «sainte» depuis le tout début. Elle
n’était pas sainte grâce à ses membres ni à ses moyens mais parce qu’elle partageait la note essentielle de l’Église
qui est sainte parce que le Christ l’a aimée et l’a enrichie du don du Saint-Esprit pour la gloire de Dieu, le Père.
Le Fondateur et les premiers Missionnaires voyaient la Congrégation dans l’Église et pour l’Église, partageant
dans la nouvelle alliance et le don de l’Esprit. Ils croyaient que, de la même manière que la sainteté de l’Église se
manifeste et doit se manifester dans les fruits de grâce que l’Esprit produit dans les fidèles, la Congrégation,
ayant reçu le don de l’Esprit, elle aussi devrait se manifester avec les fruits de fidélité à la vocation missionnaire
que tous ses membres avaient reçue. Le meilleur moyen de corriger la tentation de croire que l’on peut rendre la
Congrégation plus forte à base d’efforts humains, c’est de souligner que la Congrégation est l’œuvre de l’Esprit.
Malgré tout ce que nous disons sur la gratuité et sur l’importante priorité donnée à l’Esprit, dans la pratique, ce
sont la force humaine, le prestige et l’acceptation sociale qui s’imposent très souvent. C’est la mystique des ses
origines et non pas le pouvoir de ses œuvres ou structures qui doivent inspirer la Congrégation. Même si elles
manifestent beaucoup de force, elles ne pourront jamais faire croître l’enthousiasme et l’espoir missionnaires
auprès des personnes et des communautés.
3. La Congrégation comme un arbre planté
25. Ce qui a commencé humblement à Vic s’est étendu à travers le monde. Ce qui, en 1849, semblait une
graine de moutarde est devenu aujourd’hui un arbre feuillu aux fruits abondants: «l’abre de la Congrégation»57.
Cette expression du Fondateur58 est devenu le symbole de la trajectoire vitale de notre Institut. Nous nous
appuyons sur ce symbole pour parler de plusieurs facettes de l’histoire de la Congrégation à travers ses 150 ans.
En commentant le texte biblique, nous pouvons dire que, ayant êté plantée aux bords du torrent de la Vie59, elle
peut se compter parmi ces «arbres fruitiers dont le feuillage ne se flétrira pas et dont les fruits ne cesseront pas;
ils produiront chaque mois des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une
nourriture et les feuilles un remède»60.
Enracinement, vigueur et solidité
26. Trois qualités d’un arbre61 qui synthétisent l’histoire de la Congrégation pendant ces 150 ans:
enracinement, vigueur et solidité. Enracinement qui n’implique pas immobilité mais plutôt affirmation
continuelle de l’identité propre; vigueur, qui n’est pas arrogance, mais plutôt force et fraicheur pour la
croissance; et solidité, qui n’est pas non plus entêtement, mais capacité d’endurer les intempéries et adversités
sans abdiquer sa propre mission. La Congrégation, comme l’Église et la société, a souffert les secousses des
changements produits par la modernité et la post-modernité. Des changements rapides, profonds et universels.
Nous nous sentons secoués par de grandes interrogations dans la société, la culture, la politique, l’économie, la
religion et l’Église; beaucoup de doutes nous ont assaillis; on a mis en question beaucoup de croyances
fondamentales. Même si tout n’est pas parfait ni réussi, même s’il y a eu des erreurs et failles regrettables, même
si les ouragans ont brisé quelques branches et ont emporté beaucoup de feuilles sèches, l’arbre est encore débout,
fleurissant et plein de fruits. Nous devons remercier le Seigneur du fait que, au milieu des épreuves endurées qui
ont pris tant de victimes, la Congrégation s’est vue aidée par l’Esprit et par Marie et par la lucidité, l’audace
missionnaire et la sérénité institutionnelle dont elle a joui.
27. La Congrégation, en fait, se présente dans l’Église comme un Institut de vie consacrée profondément
enraciné dans son charisme fondationnel. Si l’on regarde la Congrégation dans son ensemble, on ne sait pas quoi
admirer le plus: son fort enracinement dans l’expérience charismatique de Claret ou sa constante vision vers le
haut qui nourrit l’utopie dans le service de l’Évangile; son tronc noueux fournissant sérénité et vigueur au milieu
de tant de défis ou sa capacité d’accueillir tous ceux qui cherchent protection et bien-être. Pour nous, c’est la
marque d’une histoire réussie dans la fidélité créatrice qui a connu tous les contrastes propres de la vie. Ce que
nous savons, c’est que les meilleurs moments de la Congrégation ont été ceux qui sont marqués par la vie
évangélique, le zèle apostolique et le martyre. La sève qui a nourri tout l’arbre a été l’intérêt persistant à atteindre
le but de la Congrégation: «chercher en tout la gloire de Dieu, la sanctification de ses membres et le salut des
hommes du monde entier, selon notre charisme des Missionnaires dans l’Église»62. Et les pires moments? Quels
ont été les vents violents qui ont secoué l’arbre? Il serait très intéressant de les pointer pour une étude profitable
mais nous n’en avons pas assez d’études historiques critiques. De toute façon, tenant compte de la richesse de
notre héritage charismatique, nous pouvons déjà supposer que les pires moments de la Congrégation ont été
lorsque l’on a obscurci la conscience de son identité et de sa mission dans l’Église, lorsque l’on n’a pas écouté la
voix de Dieu à travers les signes des temps, lorsque l’on a déserté les sources de notre propre spiritualité et on a
entrepris des œuvres qui n’étaient ni inspirées ni dirigées par le ministère de la Parole. À l’occasion, l’exercice
d’un gouvernement peu responsable et une formation peu exigeante ont pu affaiblir la vie de la Congrégation.
Également, on pourrait considérer comme des pires moments lorsque les clarétains ont arrêté de cultiver le
détachement et le style de vie vraiment pauvre et se sont conformés à la société de consommation et ont diminué
leur disponibilité pour les urgences missionnaires qui entraînent des sacrifices sérieux.
Les cernes de la croissance
28. La Congrégation, en tant qu’organisme vivant, a eu sa trajectoire vitale durant ces 150 dernières années.
C’est un itinéraire qui reste encore à étudier et à approfondir. Connaître les personnes et leurs actions ou les
Organismes qui la composent ne serait pas assez pour apprécier la Congrégation; il faudrait encore bien étudier
les générations, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui coexistent, vivent ensemble et collaborent à un moment
donné. Ces générations se trouvent dans des contextes sociaux, culturels et ecclésiaux concrets et elles en sont
débitrices. Les générations qui ont suivi ont marqué l’articulation du changement historique de la Congrégation.
Il serait bon de les étudier et de trouver leurs traits. De toute façon, à l’intérieur de la continuité de la vie
historique, nous trouvons différentes étapes, des jalons de récapitulation et de recommencement. Même si c’est
un peu de façon artificielle, ces jalons, que nous pourrions considérer comme des cernes de croissance d’un
arbre, pourraient coïncider avec les périodes jubilaires de notre Institut63: 1899, 1949 et 1999.
Jusqu’au premier jubilé
29. Les 50 premières années ferment la première étape de la Congrégation. Pendant cette période, ont vécu
les témoins de la première heure, ceux qui «avaient vu et entendu» le Fondateur et s’étaient trempés dans son
charisme. En effet, même si on ne connaissait pas les écrits autobiographiques, on peut percevoir le vécu du feu
des origines, avec tout ce que cela comporte de spontanéité et de dynamisme irrésistible, sans exclure, cependant,
quelques tensions. Preuve de tout ceci – comme je l’ai déjà indiqué – pensons à la «Historia de la
Congregación», publiée par le P. Mariano Aguilar. En novembre 1899, le P. Xifré est mort qui, pendant 41 ans et
six mois, avait été le Supérieur Général. C’est lui le responsable de la croissance numérique, de l’expansion
géographique et de la consolidation institutionnelle. Il a ouvert les premières missions aux non-chrétiens, le
ministère scolaire et paroissial. À sa mort, il a laissé le chemin ouvert à une Congrégation jeune et pleine de vie,
assez bien structurée et prête à faire face aux défis qui marquaient le début du 20e siècle. La Congrégation était
présente dans 6 pays avec 60 maisons appartenant aux 2 Provinces créées en 1895: Catalogne et Castille. Le
personnel était ainsi reparti: 463 Prêtres, 430 Étudiants, 451 Frères et 108 Novices.
Jusqu’au deuxième jubilé
30. Les 50 ans qui ont suivi complètent le centenaire de la Congrégation. Il reste encore quelques témoins
qui ont vu et entendu les premiers missionnaires. Il s’agit d’une étape de croissance en personnes et en œuvres
apostoliques. L’Institut révèle un degré spécial de maturité de réflexion sur sa nature apostolique, sa spiritualité
et son universalité missionnaire. C’est l’étape où on fait connaître la «Autobiografía» (1917) avec tout ce que cet
événement a comporté de première approche à l’étude du charisme fondamental. Mais il y manquait une
connaissance critique de l’histoire du Fondateur, de ses écrits, adhérences étrangères que la Congrégation avait
peu à peu incorporées à sa forme d’exprimer et de vivre sa condition missionnaire. En 1946, on publie la
volumineuse «Vida del Beato P. Claret»64. Pendant ces 50 ans, la Congrégation se fait présente en plusieurs pays
de l’Amérique Latine. En 1902, nous allons aux États-Unis. On ouvre des communautés dans plusieurs pays de
l’Europe (Angleterre, France, Italie). Le Chapitre Général de 1922 insiste pour que la Congrégation s’étende à
d’autres pays. Comme fruits de ce désir, parmi d’autres, nous trouvons les fondations de Panamá et Venezuela
(1923). Nous fondons en Allemagne en 1924; au Sao Tomé en 1927; à Cuba en 1930; en Chine en 1929. Plus
tard, après l’expulsion de la Chine, nous allons aux Philippines (1947) et au Japon (1951). Pendant la guerre
civile espagnole (1936-1939), la Congrégation reçoit la grâce du martyre avec plus de 270 de ses membres. Tout
le monde connaît les répercussions que cela a eues sur les Provinces espagnoles et sur toute la Congrégation. Au
cours de la dernière décennie, on commence à ressentir dans l’Église une certaine inquiétude pour le renouveau
de la vie religieuse qui veut devenir un ferment d’unité et d’élan évangélisateur dans le monde. Les activités
apostoliques se multiplient de 1899 à 1949. En plus des grandes personnalités qui travaillent dans les territoires
de mission ou dans les missions populaires, quelques-uns de nos frères se distinguent dans des champs aussi
divers que le droit, les mass média, la musique, la direction spirituelle de séminaires, etc. Pendant cette période,
la Congrégation publie beaucoup de revues et de brochures, toutes imprégnées de l’esprit missionnaire. Le 15e
Chapitre Général a eu lieu en 1949. Quarante et un capitulaires y participent et 1 seulement n’est pas d’origine
espagnole, le P. Peter Schweiger qui est élu Supérieur Général. À l’intérieur de ce centenaire, le P. Fondateur est
canonisé. En 1950, la Congrégation comptait avec 241 maisons en 23 pays. Elle était formée de 15 Organismes
Majeurs (Provinces, Sémi-Provinces et Délégations). Le personnel était distribué ainsi: 1154 Prêtres, 676
Étudiants, 501 Frères, 160 Novices.
Jusqu’au troisième jubilé
31. Le troisième cinquantenaire était marqué par un grand événement ecclésial qui débute à la fin de la
première décennie: le Concile Vatican II. Cet événement a forcé la Congrégation à initier un processus de
discernement, d’éclaircissement et de responsabilité sur son identité et sa mission dans l’Église. L’itinéraire du
renouveau a été toujours ouvert aux défis des différents contextes sociaux, culturels et ecclésiaux. Il nous a
obligé à étudier plus attentivement le Fondateur et le développement du charisme de l’Institut. Un grand effort a
été fourni pour éditer et faire connaître les écrits autobiographiques, spirituels, mariaux et pastoraux du P. Claret
ainsi que son épistolaire actif et passif. En 1967 paraît la deuxième partie de la « Historia de la Congregación»65.
Malgré les convulsions soudaines qui ont touché quelques groupes de personnes, la Congrégation a continué à
s’affirmer progressivement dans les Chapitres post-conciliaires dans sa vocation au service missionnaire de la
Parole. Essayant de conjuguer la fidélité créatrice avec l’esprit du Fondateur et l’attention aux signes des temps,
elle a mis en relief l’une ou l’autre dimension de sa vocation, prenant comme critère de donner une réponse à ce
qui est le plus urgent, opportun et efficace. Elles sont nombreuses les données sur la croissance de la
Congrégation qui nous viennnent à l’esprit à nous tous. Je veux souligner le nombre d’Organismes qui, à partir
du Chapitre du renouveau, ont assumé une mission à eux. Les présences missionnaires en Asie et en Afrique ont
augmenté considérablement. Les Rencontres missionnaires par zones ont entretenu vif l’esprit missionnaire et ont
facilité la coordination des programmes et des projets. En plus, la Congrégation a fait un grand effort pour
promouvoir la vie religieuse avec la création de trois Facultés ainsi que la promotion du laïcat. Selon les
statistiques dont nous disposons, nous sommes maintenant 2955 membres, dont 15 Évêques, 1985 prêtres, 2
diacres, 612 étudiants, 252 frères et 109 novices. Nous sommes présents dans 56 pays et nous travaillons dans
269 Eglises locales. Nous sommes distribués en 33 Organismes Majeurs avec 362 maisons et 59 résidences.
32. La Congrégation jouit aujourd’hui d’une riche et sérène autocompréhension de son identité et de sa
mission dans l’Église et dans le monde, exprimée dans les Constitutions renouvelées66, le Directoire67, les
Documents Capitulaires68, le Plan Général de Formation, etc. Tout ceci est, sans doute, le fruit d’une meilleure
connaissance des sources clarétaines et d’avoir mis face à face ses intuitions, ses exigences et ses projets avec les
défis du monde d’aujourd’hui. La Congrégation possède une structure juridique solide et flexible en même
temps. Concernant la vie missionnaire, il est difficile aujourd’hui de la comprendre sans une planification
adéquate selon les zones et les niveaux et sans tenir compte des options des sujets préférentiels des Eglises, de la
Congrégation et des Organismes. Le pronostic de Claret sur la Congrégation et sur l’Amérique Latine, «la vigne
jeune», s’est accompli à la perfection. Aujourd’hui nous comptons avec d’autres «vignes jeunes»: Asie et
Afrique. Lorsque nous regardons notre histoire, nous voyons, comme qualités saillantes son extension et sa
floraison dans la plupart des peuples et des cultures où elle est présente. Avec une grande reconnaissance, nous
pouvons affirmer que l’expérience de l’Esprit de Claret, transmise aux premiers missionnaires, a été accueillie,
vécue, protégée, approfondie et dévéloppée constamment en synthonie avec le Corps du Christ en croissance
continuelle69. Cette expérience de l’Esprit a été la sève qui a donné des racines, de la solidité et qui a fait croître
l’arbre de la Congrégation à travers son histoire dans les différents continents. Il y a déjà des vocations et des
centres de formation dans la plupart des pays où nous travaillons.
Plusieurs figures: une seule vocation
33. J’ai sur mon bureau le dernier «Catalogue» de notre Congrégation. Ce n’est qu’un symbole de la
communauté universelle que nous formons. À la vue de tant de noms et d’origines, comment ne pas avoir un
profond sentiment de gratitude? Il y a en nous des limitations et des péchés; chacun de nous, avec son histoire
concrète, est un don de Dieu à l’Église et au monde. Nous ne nous sommes pas choisis les uns les autres. Nous
tous avons été convoqués par le Seigneur et la grâce du «même esprit» de Claret nous a été accordée. Pour cette
raison, en ce moment, ses paroles résonnent plus spontanément: «Merci, Seigneur, mille fois d’avoir daigné
choisir vos humbles serviteurs pour devenir les fils du Cœur Immaculé de votre Mère!»70. Comment ne pas le
remercier pour le don de notre appel commun lorsque nous nous rendons compte que ce n’est pas grâce à nos
désirs ni à nos stratégies humaines? Beaucoup de nos frères ont laissé leur famille, leur ville, leur culture, leur
langue pour partager la vie de Jésus dans d’autres contextes culturels et sociaux. D’autres ont fait des efforts pour
s’ouvrir à un nouveau style de vie et de mission apostolique et s’efforcent pour l’accueillir et les faire siens.
D’autres encore travaillent avec zèle dans la pastorale des vocations, dans la formation, dans l’accompagnement
des nouvelles générations, dans le gouvernement, dans les multiples offices internes de nos communautés et,
surtout, dans les plus divers ministères apostoliques. Nos frères âgés et nos malades constituent la force d’appui
pour notre communauté missionnaire.
Fruits de sainteté et d’héroïsme évangélique
34. Dans presque toutes nos communautés, on lit chaque jour le «Nécrologe». C’est un autre album de
famille. Dès la fondation jusqu’à aujourd’hui, 3613 missionnaires sont passés à la maison du Père. Beaucoup
d’entre eux ont brillé par leur sainteté, leur héroïsme dans leur vie missionnaire, par leurs dons de gouvernement
et de formation, par les arts littéraires et musicaux, par leur sens d’organisation et par beaucoup d’autres activités.
Le Fondateur a été glorifié par l’Église. L’héroïcité des vertus du P. Jaime Clotet a été reconnu déjà. Les PP.
Estéban Sala et José Xifré ont joui d’une renommée spéciale de sainteté. La Congrégation a gardé dans sa
mémoire la vie missionnaire héroïque des Pères Donato Berenguer71, Pablo Vallier, Julián Butrón, Mariano
Avellana (vénérable), Clemente Serrat, Antonio Naval, José Arumí, Toribio Pérez, Francis Ambrosi, Tom
Mitchelle, Leo Mattecheck…; des Frères Miguel Xancó, Manuel Fonseca, Manuel Giol, Pedro Marcé, Miguel
Palau…; des Étudiants Ignacio Buil, Eusebio Bofill, Juan Puigmitjà, Jaime Puiggrós, Luis Alvarez Icaza, Pedro
Mardones, Juan Llamosa, Félix J. Juaton…
35. D’une façon ou d’une autre, la souffrance et le martyre ont marqué l’histoire de notre vie missionnaire.
Rappelons-nous la douleur de voir le Fondateur éloigné de la première communauté, à peine inaugurée; le
premier sang versé par le P. Francisco Crusats et l’exil de la Congrégation en France; le martyre du P. Andrés
Solá, au Mexique et de tant d’autres en Espagne pendant la guerre civile de 1936; les persécutions souffertes en
Chine et en Guineé Équatoriale et à beaucoup d’autres endroits où, pour rester fidèles à leur vocation ou pour
défendre les droits humains, assez de clarétains ont été victimes de la violence, blessés ou maltraités. Nous
pouvons aujourd’hui nous mettre sous la protection de 51 missionnaires martyres (prêtres, étudiants et frères) de
la communauté de Barbastro, proclammés Bienheureux par l’Église. C’est stimulant de se rappeler le sens du
sacrifice de tant de clarétains qui s’offraient volontaires pour les missions si difficiles en ce temps-là de la Guinée
Équatoriale, du Chocó, de Darién, San Blas (Kuna Yala) et de la Chine; la générosité sans frontières de tous ceux
qui ont fait face à des difficultés dans leur ministère.
36. Le 7 mai 2000, date où nous finirons notre 150e anniversaire et célébrerons le 50e anniversaire de la
canonisation du P. Fondateur, l’Église fêtera le martyrologe du siècle qui s’achève. Quelle belle occasion de nous
unir à l’Église qui admire le témoignage de foi de ses enfants et de rendre grâces pour tous les missionnaires
clarétains qui ont rempli tant de pages de ce martyrologe! Pendant ces fêtes jubilaires, nous devrions favoriser la
communion avec les martyrs qui nous ont légué un signal clair de radicalisme évangélique dans la suite de Jésus
et dans l’annonce de l’Évangile. Avec eux nous formons une communauté et nous recevons d’eux des forces
neuves et l’enthousiasme pour solidifier notre vocation et la vivre avec un élan renouvelé, surtout face à la
violence qu’il faut endurer afin de faire fructifier le Royaume.
Des feuilles tombées et des branches sèches
37. Nous devons rendre grâces à Dieu et à Marie pour tous et chacun des clarétains. Leur vie et leur travail
sont des signes de bénédiction. Nous ne sommes pas orgueilleux de ce que nous sommes mais plutôt
reconnaissants à ceux qui ont rendu possible le bien-être dont nous jouissons. Nous ne formons pas une
communauté de personnes parfaites mais plutôt des hommes qui cheminent vers la plénitude. Nous devrions tous
aller dans cette direction mais, malheureusement, ce n’est pas le cas. Il y a parmi nous aussi des situations
ambigües. Il y a un mélange de grâce et de péché; de sagesse et d’erreur; d’accueil reconnaissant et de recherche
passionné des intérêts personnels; du désir humble et fatigant, d’avance et l’inhibition de ceux qui ne risquent
rien. Personne ne doit s’étonner, alors, de trouver dans la Congrégation, comme dans n’importe quel arbre, des
feuilles qui jaunissent et tombent ou des branches qui sèchent. D’autres, tout simplement, vont se planter ailleurs.
Les abandons et les sorties, avec tout le mystère qui les entoure et la douleur qu’ils comportent pour ceux qui
s’en vont et pour ceux qui restent, sont comme des feuilles qui tombent. Ceux qui restent chez nous sans
s’intégrer, sans s’engager à fond, étant avec nous mais sans faire partie de nous, sont comme des branches sèches
ou stériles. La sève du charisme clarétain ne circule plus en elles. Nous pouvons dire la même chose des activités
ou des œuvres qui ne sont pas inspirées et animées à partir de l’esprit missionnaire de Claret. Tout ceci nous
interpelle, nous rend vigilants et nous aide pour que les paroles du Seigneur ne s’appliquent pas à nous: «Je vous
ai donné une terre qui ne vous a demandé aucune fatigue, des villes que vous n’avez pas bâties et dans lesquelles
vous vous êtes installés, des vignes et des olivettes que vous n’avez pas plantées et qui sont votre nourriture»72.
Une mission: des services multiples
38. La Congrégation, en tant que communauté apostolique itinérante et universelle, a exercé le service
missionnaire de la Parole de plusieurs façons: catéchèse, missions populaires, exercices spirituels, mission «ad
gentes», livres et publications, éducation chrétienne à différents niveaux, direction des associations, formation de
leaders d’évangélisation, ministère paroissial, cours bibliques, pastorale de la famille, des malades et des
prisonniers, accompagnement spirituel, services sociaux et humanitaires, dialogue foi-culture, dialogue
oécuménique, interreligieux, promotion de justice et paix, expression artistique à travers la peinture, la sculpture
et la musique, etc. Toute cette diversité de ministères ne doit pas nous amener à penser que chacun peut faire ce
qui lui plaît. Le service missionnaire de la parole doit toujours inspirer et orienter tous et chacun des membres de
l’Institut et toutes et chacune de nos œuvres apostoliques73.
39. Le déploiement des activités apostoliques de tous nos frères dans le monde est étonnant. En les
constatant directement, les mots du psalmiste nous montent à l’esprit et au cœur: «Rendez grâces au Seigneur,
car il est bon, éternel est son amour. Qu’ils le disent, les rachetés du Seigneur, ceux qu’il racheta de la main de
l’oppresseur, ceux qu’il rassembla du milieu des pays, orient et occident, nord et midi»74. C’est admirable la
générosité et le sacrifice offerts, la solitude et l’incompréhension assumées, la satisfaction et la joie reçues. On
constate souvent que ceux qui sèment dans les larmes, récoltent dans la joie75. Lorsque l’on regarde le travail
accompli par les Missionnaires Clarétains, il faut bien se rappeler, encore une fois, les paroles que le P.
Fondateur écrivait au P. J. Xifré en 1861: «Dites à mes très chers frères missionnaires qu’ils prennent courage,
qu’ils travaillent tant qu’ils le pourront, Dieu et la très sainte Vierge le leur rendront. Je sens une telle affection
pour les prêtres qui s’engagent dans les missions que je leur donnerais mon sang et ma vie; je laverais et
baiserais mille fois leurs pieds, je leur ferais leur lit, préparerais leur repas et je me priverais de la nourriture
pour qu’ils mangent. Je les aime tant que je deviens fou d’amour pour eux; je ne sais pas ce que je ne ferais pas
pour eux. Lorsque je considère qu’ils travaillent pour que Dieu soit plus connu et aimé, pour que les âmes soient
sauvées et ne se perdent pas, je ne sais pas ce que je ressens… En ce moment où je vous écris, j’ai dû laisser ma
plume pour essuyer mes larmes… Ô fils du Cœur de ma très chère Mère!, je veux vous écrire mais je ne le peux
pas parce que mes yeux sont pleins de larmes. Prêchez et priez pour moi»76. Ces paroles effusives du P.
Fondateur deviennent vivantes dans l’actualité missionnaire de la Congrégation et encore plus que par le passé, si
cela est possible, car les frontières se sont élargies et les postes d’avant-garde pour l’évangélisation se sont
multipliés.
Avançant entre ombres et lumières
40. Cependant, nous ne pouvons pas oublier, comme nous le rappellent plusieurs Chapitres, que la
Congrégation a traversé des moments d’ombres, de reculs et de résistance dans son cheminement de fidélité aux
exigences du charisme reçu. Elle a eu des occasions où elle a été perspicace pour capter les réponses aux signes
des temps et d’autres occasions où il lui a manqué le sens critique et l’audace pour entreprendre de nouvelles
actions en faveur du Royaume. Nous avons souffert des ratés dans le ministère de la parole parlée, écrite ou
enseignée. Par exemple, le nombre de paroisses a augmenté outre mesure dans des pays qui n’en avaient pas
besoin et nous avons perdu un peu de l’itinérance missionnaire. Nous avons eu des moments d’exaltation mariale
au détriment de notre spiritualité Cordimariale, qui est authentiquement missionnaire. Il y a eu des moments où
nous avons abandonné la lecture et la méditation de la Parole de Dieu et centré notre attention dans d’autres
lectures qui, même si elles étaient bonnes, ne nourrissaient pas le charisme missionnaire. Dans le développement
ou l’expansion de la Congrégation, reste toujours l’intérrogation sur les causes du manque d’équilibre de
présence entre les continents, sur la concentration excessive dans les zones hispaniques même si l’on avait
demandé une plus grande universalité, surtout à partir du Chapitre de 192277. Pourquoi la Congrégation, qui, par
tradition, s’est occupée avec attention, de centres propres de formation, les a peu à peu laissés de côté et a négligé
la formation de professeurs? Il serait bon de prendre l’occasion de ces fêtes jubilaires pour faire des études
historiques critiques sur la vie de chacun de nos Organismes Majeurs. Il y a quelques années, CICLA organisa
quelques ateliers sur la mémoire historique des Organismes dans cette zone de la Congrégation. On a pensé de les
continuer. Nous espérons que d’autres Conférences entreprennent des travaux semblables. Sûrement, ce serait
une façon de donner de la solidité et de la base à la révision des positions.
4. «Chère Congrégation»
Une expression de famille
41. Je voudrais terminer ce bref itinéraire de notre héritage en me rapportant à une expression qui, il y a
quelques années, était fréquente sur les lèvres des membres de la Congrégation. Elle fut prononcée par le
Fondateur, répétée avec insistance par les co-fondateurs, les supérieurs généraux, les formateurs, les théologiens,
les écrivains, les artistes, les martyrs, tous les clarétains d’une époque. Aujourd’hui, cette expression nous semble
étrange et nous avons même honte de la prononcer comme telle. Cependant, nous y découvrons un sentiment qui
nous semble très valide et même nécessaire à récupérer dans la Congrégation. Possiblement le monde symbolique
– et, cependant, de vie – des religieux d’autrefois, était leur Institut. Aujourd’hui, en ayant élargi l’horizon
ecclésial et social, nous mettons plus de relief sur l’amour de l’Église et de l’homme. On dirait que parler
d’amour à la Congrégation ressemblerait à un «narcissisme de groupe», à se renfermer sur soi-même, à
l’autocomplaisance et au désintérêt pour ce qui est Église et société. Il devrait neanmoins être tout à fait le
contraire. Il suffit de réfléchir attentivement sur ce qui est véritablement une Congrégation. En tant que
communauté d’apôtres et de disciples de Jésus, réunie par la force de l’Esprit, on ne peut, en aucune manière, la
réduire à une simple institution ou ensemble d’œuvres matérielles. On ne peut même pas l’échanger avec le cadre
de principes et de critères (projet de vie) qui la dirige. Ce sont les personnes qui, vivant d’un même esprit,
constituent une Congrégation, qui est communauté de grâce offerte et acceptée. Mais laissons la théorie de côté.
Voyons ce qui se cachait sous les expressions «chère Congrégation», «Congrégation aimée» ou «cher Institut».
Claret et nous: père, frère et compagnon
42. Le P. Claret, au tout début, voyait la Congrégation comme une pensée78, comme une inspiration79. Il a
eu, par après, l’expérience réelle des «frères», des personnes pleines du même esprit que lui, les missionnaires80.
Lorsqu’il écrit de Madrid au Supérieur Général et fait allusion à la communauté des Frères de Vic et, plus tard,
de Gracia, il emploie normalement les nom de «Congrégation». Puisque Claret n’était pas le Supérieur Général, il
n’écrit pas directement à la Congrégation. Quand Claret s’adresse au P. Xifré ou au P. Clotet, il parle d’elle
comme une communauté pour la mission. Pour Claret, la Congrégation est «la communauté au style des Apôtres»
dont la seule raison d’être est la prédication de l’Évangile. Il manifeste son amour à travers ses soucis et sa
sollicitude envers les membres qu’il considère comme frères et fils81. Il se dépense pour eux avant de voir la
Congrégation reconnue, ses Constitutions approuvées, bien structurée dans son gouvernement et formation et
étendue dans plusieurs pays. Il la fait connaître afin qu’elle ait de nouvelles vocations et laisse une bonne partie
de ses économies afin de l’aider.
Deux exemples d’amour à la Congrégation: Xifré et Clotet
43. Nous avons, dans les PP. Xifré et Clotet, dont nous commémorons le centenaire de la mort, deux
formes, différentes et complémentaires à la fois, d’exprimer la sollicitude pour la Congrégation. Si nous devons
nous les rappeler, avec gratitude et admiration, dans ce centenaire, nous devrions nous fonder surtout sur leur
amour sincère de la Congrégation. Ils se sentaient liés à elle par une vocation et une mission spéciales. Ils avaient
partagé le même esprit du Fondateur qui les incitait à mener à bien cette œuvre qui s’offrait à l’Église comme un
don de Jésus et de Marie. Les personnes, les maisons, les travaux apostoliques, la vie spirituelle des
missionnaires, la bonne formation des Missionnaires Étudiants, le soin des Missionnaires Frères, les réussites, les
échecs, les persécutions, les nouvelles fondations…; tout était pour eux objet d’intérêt, de sollicitude,
d’inquiétude, d’impatience, de préoccupation et de vif espoir. Bien entendu, chacun d’une manière très
différente.
44. Le P. Xifré fut un homme de «caractère résolu, sans peur des dangers, entreprenant de grandes
œuvres, courageux dans le combat, infatigable dans le travail, généreux dans les sacrifices, indomptable dans
l’adversité et plein de courage». Il possédait, à la fois, «une foi vive et forte, une confiance illimitée en Dieu, un
zèle brûlant et inépuisable pour la gloire divine»82. Cet homme, avec ses grandes vertus et ses limitations à
cause de son fort caractère, fut le premier Supérieur Général qui a eu l’expérience de la Congrégation comme une
communion de personnes et comme une institution. Il a travaillé à temps plein à sa consolidation institutionnelle
et à sa croissance. Tous ceux qui ont étudié la vie du P. Xifré se lamentent de défigurement dont il a été victime.
Peut-être, le centenaire de sa mort serait l’occasion de réhabiliter la figure d’un homme qui s’est dépensé pour la
Congrégation. Nous voudrions espérer que, pendant ce temps jubilaire, nous puissions avoir un portrait de lecture
facile et plus tard une biographie plus documentée de la vie et l’œuvre de ce grand homme qui a été appelé le
«deuxième fondateur» de la Congrégation83. Dans le «Espíritu de la Congregación» et dans ses nombreuses
circulaires paraît constamment «notre très aimée Congrégation». Derrière cette expression se trouvaient les
personnes comme objet primaire de ses soucis et préoccupations84. Il lui a ouvert des horizons universels
d’apostolat et lui a donné une consistance canonique. Il a travaillé pour l’approbation des Constitutions et l’a
enrichie des centres de formation à toutes les étapes. Il fut élu Supérieur Général en 1858. La Congrégation
comptait en ce temps-là 15 membres et elle avait 1 maison. Nous avons indiqué plus haut comment la
Congrégation était constituée et étendue en 1899, l’année de sa mort.
45. Le P. Clotet était bien différent. Il était affable et doux, minutieux et bon conseiller. Il donnait toujours
l’impression de sérénité propre de quelqu’un qui se trouve continuellement dans la présence de Dieu. Il possédait
la sagesse du cœur ou de la foi vivante qui lui faisait voir Dieu dans tous les événements. Il offre à tous les
premiers missionaires le témoignage de sa sainteté personnelle. Missionnaire zélé et maître de sourd-muets et
fidèle transmetteur de l’esprit et de la vie du P. Fondateur. Comme il avait eu une relation très étroite avec Claret,
il en a gardé une affection spéciale qu’il a voulu transmettre à tous les membres de la Congrégation. Grâce à son
intérêt, nous avons beaucoup de documents et de données d’une valeur incalculable pour l’histoire de la
Congrégation. C’est lui qui s’occupa de préparer le procès de la béatification du P. Fondateur. Il remplit le rôle
de formateur de la communauté naissante, spécialement de celle des Frères. Il a eu une grande influence dans
l’organisation de la vie spirituelle de la Congrégation. Il insistait et disait que notre façon de nous sanctifier,
c’était à travers notre travail apostolique.
46. On a comparé les PP. Xifré et Clotet aux forces centrifuges et centripètes respectivement dans la vie et
la mission de la Congrégation. Le P. Xifré a amené la Congrégation toujours vers de nouveaux horizons et
nouvelles aventures missionnaires. Le P. Clotet devenait la mémoire des valeurs essentielles qui renforce le
dynamisme missionnaire. Deux formes complémentaires de maintenir vivante la Congrégation. La façon actuelle
de faire Congrégation a changé mais les attitudes à partir desquelles elle a pris les origines sont toujours les
mêmes.
Nos Martyrs
47. Notre héritage de martyre est grand. L’amour de la Congrégation est explicite chez nos frères martyrs.
Les différents témoignages que nous conservons des Bienheureux Martyrs de Barbastro, de leur «amour fidèle,
généreux et constant» sont assez bien connus. La lettre d’au-revoir que nos frères ont écrite mérite d’être méditée
souvent, surtout dans les centres de formation. Ils se sentent fils de la Congrégation: «Ce sont tes fils, chère
Congrégation!»; «Mère commune de nous tous». Ils se sentaient des membres d’un corps bien articulé et avec un
avenir car ils désiraient que leur sang «pénètre rouge et vivant dans ses veines, stimule son dévéloppement et son
expansion dans le monde entier». Ils étaient conscients que leur fidélité jusqu’à la mort n’était pas une perte mais
une gloire pour la Congrégation. Le signe de maturité qu’ils ont montré dans leur recours à la foi en Jésus-Christ
et dans l’Église, à l’Eucharistie, aux valeurs essentielles de leur vocation missionnaire, à leur condition de fils du
Cœur de Marie, à la vie fraternelle en communauté, au Supérieur Général, à leurs familles, leurs villes et villages,
aux persécuteurs et bourreaux, aux ouvriers, à un futur social, ecclésial et Congrégationnel plus encourageant,
etc. devrait nous faire refléchir sur la façon dont se nourrit l’appartenance à notre communauté apostolique. Ce ne
sont pas seulement les Martyrs de Barbastro car le P. José María Ruiz Cano, préfet des postulants à Sigüenza,
nous a laissé de très beaux témoignages écrits, en plus du grand signe en donnant sa vie pour les postulants85. À
travers le témoignage du P Estanislao Sanmartín, nous savons que le groupe des martyrs de Fernán Caballero
(Ciudad Real) étaient heureux en prison, «prêts à souffrir tout ce que le Seigneur voudrait, même le martyre,
qu’ils offraient pour la Congrégation et le salut de l’Espagne». Deux témoignages sur le Fr. Ramón Ríos
Campos, de la communauté de Cervera (Lérida), s’accordent pour dire que «ils disaient que la seule peine qu’ils
sentaient, c’était de se trouver loin de la Congrégation». Il y a des témoignages semblables chez les martyrs de
Tarragona, Barcelona, Vic, Castro Urdiales, etc.
…et le témoignage de tant de Missionnaires
48. Comme je l’ai déjà dit, l’expression «Chère Congrégation» semble être tombée en désuétude ces
dernières dizaines d’années. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’amour à la Congrégation en soit diminué.
C’est évident dans la façon communautaire de travailler, de prier et de souffrir pour Jésus-Christ et la cause de
l’Évangile. La vocation missionnaire continue à être vécue à partir des expressions universelles, dynamiques et
de l’engagement missionnaire. La conscience que nous formons une large communauté, présente dans plusieurs
continents, se manifeste à travers l’intérêt et l’appui mutuels et la collaboration dans les différentes sphères et
niveaux, selon les possibilités de chacun. Signes de tout ceci est l’air de famille que nous remarquons lorsque
nous visitons les communautés; la communication facile des biens entre les Organismes; le désir d’être renseigné
de ce qui arrive dans d’autres contextes géographiques et culturels de la Congrégation; la souffrance causée par la
rareté des vocations dans certains endroits et la joie pour la croissance ailleurs. Tous ces signes ont un substrat
d’attachement, de communion, du sens d’appartenance.
49. Nous trouvons souvent des témoignages personnels très émouvants d’amour de la Congrégation. Il y en
a parmi eux qui, sous l’inspiration de Claret, des Martyrs et d’autres grands missionnaires, s’offrent à ouvrir de
nouveaux chemins à l’Évangile là où humainement on dirait impossible de marcher. La disponibilité de nos frères
est grande et généreuse! Sans l’amour de la Congrégation, il serait bien difficile de justifier le nombre de
présences et de travaux que beaucoup de clarétains assument avec détachement, douleur et fatigue chez les exclus
et les marginalisés. Et, comment ne pas reconnaître l’amour chez ceux qui, au nom de la Congrégation, se placent
à l’avant-garde missionnaire parmi les non-chrétiens et qui acceptent ne pas être ni reconnus ni appréciés. Dans la
vie de tous les jours, on peut voir des signes évidents d’amour pour la Congrégation. Il n’est pas rare de trouver
dans nos communautés des frères qui, en lisant assidûment l’Autobiographie et les Constitutions, se sentent
poussés à faire de leur vie missionnaire une offrande d’eux-mêmes dans la souffrance de la maladie ou dans le
silence face aux calomnies. Un autre signe, c’est la prière constante des prêtres et de frères pour la Congrégation,
pour sa croissance en vocations, pour les missionnaires qui se trouvent seuls ou qui souffrent une crise dans leur
vie missionnaire. N’est-ce pas admirable que de savoir que beaucoup de nos malades offrent leur douleur pour
que leurs frères vivent heureux leur vocation, pour que soit fécond le service du gouvernement, de la formation,
de la pastorale des vocations et d’autres tâches apostoliques? Et tous, d’une façon ou d’une autre, savent que
prier, travailler et souffrir pour la vocation, c’est prier, travailler et souffrir pour l’Église, dont nous faisons
partie, et pour le monde entier que nous voulons servir.
L’amour aide à grandir
50. L’amour aide à grandir. Mais l’amour et la croix vont ensemble. Accepter la croix, c’est un signe
d’amour et de fécondité. Si nous voulons faire grandir la Congrégation, nous devons être prêts à sacrifier notre
vie pour nos frères: «À ceci, nous avons connu l’Amour: celui-là a donné sa vie pour nous. Nous devons, nous
aussi, donner notre vie pour nos frères»86. Aime vraiment la communauté celui qui est capable de rénoncer à ses
projets individuels et se met sans conditions au service de sa mission dans l’Église et dans le monde. Ceci ne veut
pas appuyer l’uniformisme dans la pensée ou dans les attitudes. Il faut tenir compte de tout ce qui est positif dans
la différence. Les désaccords possibles sur quelques facettes de la vie et mission de la Congrégation sont toujours
profitables lorsqu’ils sont exprimés auprès des instances qui peuvent offrir des alternatives pour la croissance.
Dialoguer, confronter et discerner aident à s’améliorer. Les silences, les réserves, les soupçons, les fausses
interprétations appauvrissent et déforment l’harmonie communautaire à tous ses niveaux. Sans cet amour, notre
crédibilité sera toujours médiocre. Les saints qui ont souffert pour l’Église l’ont rendue grande. Les
missionnaires qui souffrent pour la Congrégation la rendent vigoureuse et féconde.
51. Le secret de l’espoir dans l’avenir reste dans les personnes qui aiment leur vocation et se dépensent
pour la remplir du contenu missionnaire. La Congrégation ne subsistera pas grâce au nombre de ses membres, ni
de ses œuvres ni de ses multiples services ni de sa bonne organisation mais grâce à la qualité de vie dans la
communauté clarétaine. La survie est un don et nous assurerons l’avenir seulement si nous répondons à cette
grâce. La Congrégation grandira et deviendra vigoureuse dans la mesure où nous maintiendrons vivant l’idéal de
Claret et grandira le nombre de missionnaires qui, dans le silence, à l’ombre de la croix de chaque jour,
renouveleront leur décision de croissance dans la vie missionnaire87. C’est l’expérience de l’amour fraternel qui
tisse notre vie pour annoncer le mystère total du Christ jusqu’à ce qu’il vienne88, qui rend possible une vision
pleine d’espoir pour l’avenir.
… et aussi le pardon et la réconciliation
52. La plus grande expression que nous connaissions pour exprimer l’amour, c’est le pardon. Dieu est un
père patient, bon et miséricordieux. Il pardonne, rend la liberté et espère la vie nouvelle. La Congrégation se sent
aimée dans le pardon, même si, comme nous l’avons déjà vu, à côté des multiples vertus et activités pour le
Royaume, les traces du mal n’ont pas manqué: infidélités, erreurs, péchés. C’est l’heure de la conversion. Parce
que le pardon et la réconciliation font croître, nous devons encourager les demandes publiques de pardon et les
expressions de pardon dans nos célébrations communautaires, provinciales et congrégationnelles de ce Jubilé.
Nous devons demander le pardon de Dieu pour les infidélités au don reçu pour le bien de son Église et de tous les
humains. Nous devons demander pardon les uns aux autres et nous réconcilier pour ne nous être pas entraidés à
donner une réponse joyeuse et engagée dans notre vie missionnaire. Nous devons demander pardon aux peuples
que nous desservons de notre manque de témoignage évangélique et des négligences, erreurs et incompréhensions
dans l’évangélisation, comme, par exemple, le manque à reconnaître leurs valeurs culturelles ou à nous habituer à
leurs coutumes. Ainsi, notre Congrégation, réconciliée, pourra entrer dans ce troisième millénaire avec vigueur
pour aider dans le virage et la construction de la «civilisation de l’amour».
5. Qu’allons-nous faire de l’héritage reçu?
53. De tout ce que nous avons vu, le contenu fondamental de l’héritage que nous avons reçu n’est pas une
conquête de ceux qui nous ont précédés ni la nôtre non plus. Par pure bonté, nous sommes des «cohéritiers» avec
le Christ89. En définitive, l’héritage, c’est le Royaume de Dieu! Il s’agit d’un événement de grâce qui nous est
arrivé sous la forme de filiation, fraternité et mission, toutes ensemble. Nous n’avons pas reçu cet héritage pour le
dilapider, pour nous exalter ou pour l’enterrer mais plutôt pour le faire fructifier avec responsabilité au service
des autres, comme une vraie prophétie pour le monde à l’aube du troisième millénaire. On nous demande non
seulement de rendre témoignage de ce que nous avons reçu mais aussi de nous efforcer de le faire produire90. Ce
qui veut dire dans notre cas de mettre ce que nous sommes et ce que nous avons au service de la croissance du
Royaume. La vigne, ce Royaume de Dieu, nous a été confié, pour qu’il donne des fruits91.
On aime seulement ce que l’on connaît
54. Pendant ce temps du jubilé, nous devrions nous efforcer de connaître plus et mieux ce que sont nos
racines, la trajectoire de notre histoire et la situation actuelle de la Congrégation. C’est bien vrai qu’il nous reste
encore beaucoup de recherche critique et la publication des œuvres sur le Fondateur et l’histoire de la
Congrégation (à faire), mais nous avons déjà à notre disposition une large littérature clarétaine et
congrégationnelle qui peut nous aider à renouveler les valeurs qui ont inspiré et sont encore à la base de la raison
d’être de la vie et mission de la Congrégation au service de l’Église et du monde. Nous ne devons pas laisser
passer cette période sans méditer l’Autobiographie, l’épistolaire, les écrits spirituels, les écrits mariaux et les
écrits pastoraux du Fondateur et quelques autres œuvres qui recueillent les données les plus marquantes de
l’histoire de la Congrégation92. Il faut connaître non seulement les origines et l’histoire des cent premières
années. Il est important de fixer notre attention sur le changement sérieux qui a affecté la Congrégation ces
cinquante dernières années, surtout à partir du Concile. Elle a vécu le processus du renouveau dans l’écoute de
l’Esprit et dans le discernement des signes des temps; elle a acquis une nouvelle compréhension de son identité et
de sa mission dans l’Église, bien concrétisés dans un nouveau texte des Constitutions. Elle a récupéré la primauté
du service missionnaire de la Parole selon le style des Apôtres. Elle a pris des options et des engagements sérieux
pour se trouver dans de nouveaux secteurs de l’évangélisation. Elle a initié des nombreux et très diversifiés
postes de mission. La collaboration avec les Églises particulières et entre les Organismes s’est vue augmentée.
On a multiplié la collaboration avec les laïcs et on a élargi les champs de la solidarité, etc. À la base de cette
croissance, intensive et extensive, nous trouvons les cours de renouveau clarétain, les atéliers de spiritualité, les
rencontres missionaires par zone géographiques, les rencontres de la Famille Clarétaine. Tout ceci nous stimule
et nous oblige à ne pas ralentir notre marche parce que le renouveau continue.
Connaître n’est pas tout: il faut vivre
55. La meilleure façon de faire en sorte que l’arbre de la Congrégation grandisse et porte du fruit, c’est de
vivre le charisme reçu. Nou avons reçu de Claret un itinéraire de vie évangélique et de service missionnaire,
façonné surtout dans sa vie évangélique, dans ses écrits autobiographiques et dans les Constitutions. Professer
avec joie la suite de Jésus à la manière de Claret; être attentifs à la réalité déchirante de vie autour de nous si
pleine de misère, d’injustice et de mensonge; calmer les désirs les plus profonds du cœur dans l’écoute et la
méditation de la Parole de Dieu, qui nous aide à donner une réponse aux défis du temps actuel; se laisser nourrir
chaque jour du Corps du Christ offert en sacrifice eucharistique afin de rassembler les fils de Dieu dispersés; se
sentir heureux d’appartenir à l’Église et cultiver à chaque instant sa mission évangélisatrice à travers une
collaboration désintéresée; exprimer sa joie dans une vie pauvre, chaste, obéissante, fraternelle; embrasser avec
enthousiasme le travail missionnaire qui nous a été alloué; garder avec régularité un temps de prière et de
contemplation où l’on doit perdre du temps pour trouver un sens à ce qui paraît absurde; assumer
responsablement la formation continue pour être à la hauteur de notre mission. Tout ceci, sous le regard maternel
de Marie et avec le désir de continuer à être des missionnaires du Père, fait grandir la Congrégation. Nous
trouvons cette synthèse de vie dans les Constitutions. Elles forment le chemin de l’Évangile pour nous et
recueillent les valeurs essentielles de notre héritage. Pendant ce temps du jubilé, nous devons en faire notre livre
de chevet, la source constante de notre méditation et le point de référence pour nos planifications apostoliques.
Les Constitutions ne sont pas des normes statiques auxquelles nous devons nous conformer, mais plutôt une
orientation et une incitation à donner des réponses aux défis de chaque moment et chaque endroit. Les vivre, c’est
inculturer le charisme reçu dans les différents peuples où nous travaillons.
Il faut aussi recréer
56. Vivre, c’est recréer. L’héritage que nous avons reçu porte en Lui-même une force créatrice qu’il faut
concrétiser en nouvelles formes de spiritualité, des styles de vie, de gouvernement et de formation; des
engagements et des institutions apostoliques. Ceux qui sont émerveillés par le passé, regrettent ce qu’ils croient
que nous avons perdu. Il nous semble que ceci ne devrait pas être notre plus grande préoccupation. Ce que nous
devrions regretter le plus serait, d’un côté, de ne pas avoir développé toute la subtilité, l’originalité et l’audace
que comporte notre charisme afin de répondre aux défis du monde et de l’Église. Et, d’un autre côté, de ne pas
avoir été assez cohérents dans les engagements proposés dans les Chapitres et Assemblées. Nous sommes très
perspicaces à détecter les changements à promouvoir et très courageux pour redéfinir les modèles de
comportement. Comme preuve de ceci, ce sont les documents élaborés. Mais nous ne déployons pas tout l’effort
requis pour y donner suite. L’étourdissement de la vie quotidienne peut faire que nous les oublions assez tôt ou
bien nous reduisons la radicalité qui nous est nécessaire si nous voulons devenir des agents de transformation. La
qualité de notre vie missionnaire dépend de l’intérêt que nous portons à mettre en pratique ce que nous avons
découvert être les valeurs qui nous font grandir dans le service du Royaume. La «réfondation» rêvée deviendra
une réalité seulement si nous réussissons à faire la synthèse étroite de ces éléments: le vécu profond du charisme
du Fondateur, le dialogue avec le monde d’aujourd’hui et l’effort pour donner une réponse aux défis qui nous
parviennent
comme
signaux
de
la
présence
de
Dieu
dans
notre
histoire.
II
FAIRE DE NOTRE HÉRITAGE
UNE PROPHÉTIE
Pour proclamer une année de grâce du Seigneur
(Cf Lc 4, 19)
57. Faire de l’héritage une prophétie, c’est l’objectif que le 22e Chapitre Général s’était proposé
d’atteindre à la fin du troisième jubilé de la Congrégation et ainsi entrer, en communion avec l’Église, dans le
troisième millénaire. C’est pour cela qu’il a choisi comme point de référence le texte d’Isaïe et de Jésus à
Nazareth: «L’Esprit du Seigneur est sur moi… pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres…, pour annoncer
une année de grâce du Seigneur»93. C’est le texte, comme nous le savons, qui a servi d’inspiration et donné de la
consistance à la vie missionnaire de Claret et de la Congrégation94. L’«aujourd’hui» du monde, de l’Église et de
la Congrégation, avec ses lumières et ses ombres, ses défis et ses opportunités, comme le même Chapitre nous a
laissé voir, nous pousse à raviver la dimension prophétique de notre vocation missionnaire. Ceci explique que le
souligner n’a pas été une concession au snobisme ni à l’opportunisme, mais une réaffirmation de la fidélité au
charisme clarétain.. «L’Esprit nous pousse à poursuivre d’une façon créatrice la «grande œuvre» commencée par
Claret et ses compagnons. Nous voulons entrer dans le troisième millénaire tout en soulignant la dimension
prophétique de notre service de la Parole»95.
1. La Congrégation «en mission prophétique»
Héritage prophétique
58. Claret qui s’était formé à l’école des prophètes et qui avait suivi Jésus, Prophète puissant en paroles et
en œuvres devant Dieu et devant tout le peuple96, nous a laissé en héritage un style de vie et une façon d’exercer
le ministère qui soulignent la dimension prophétique. Tout au long de l’histoire de la Congrégation, il y a eu des
allusions à cette dimension de notre vocation missionnaire, au moins à son contenu. Dans les Chapitres d’après le
Concile, on en a parlé d’une manière plus explicite97. Mais, elle a pris un relief spécial tout dernièrement pour
plusieurs raisons: 1) Grâce à l’étude plus approfondie de la figure du P. Fondateur, aussi bien dans la spiritualité
que dans l’apostolat98. 2) Grâce à une meilleure connaissance des Saintes Écritures et à une écoute plus assidue
de la Parole de Dieu dans la prière, dans les événemenets de l’histoire, les cultures et la vie des peuples. 3) Grâce
au besoin senti dans l’Église de récupérer la prophétie afin de réconduire l’humanité à vivre le dessein de Dieu
sur elle. 4) Grâce aux orientations de l’exhortation «Vita Consecrata» laquelle, en parlant de la vie et mission des
religieux, fait ressortir le témoignage prophétique comme une réponse aux défis du monde d’aujourd’hui99. Ces
pistes nous aident à comprendre pourquoi la Congrégation a décidé, lors du dernier Chapitre, de s’arrêter sur la
dimension prophétique de notre vie missionnaire.
Le Seigneur a parlé, qui ne prophétiserait?
59. La Congrégation est consciente que nous vivons un vrai kairós, un moment spécial de grâce dont il faut
profiter pour reconnaître le passage de Dieu à travers notre histoire et pour discerner sa voix. Le Seigneur Yahvé
a parlé, qui ne prophétiserait?100. Plusieurs clarétains ont compris que l’Esprit veut nous dire quelque chose de
neuf dans les événements présents qui élargissent de plus en plus les horizons des possibilités pour la vie et pour
la mort. Nous agissons entourés de grands risques mais nous comptons aussi avec de grandes opportunités pour
l’évangélisation. La déclaration capitulaire EMP nous a décrit les défis et les signes d’espérance101. Toute la
nouveauté qui surgit nous défie autant sinon plus que le négatif neutralise et déforme notre travail apostolique. Il
y a beaucoup de raisons pour faire de notre vie et de notre ministère un cri prophétique contre les idoles du
pouvoir, de l’argent et du plaisir; pour s’efforcer de démystifier la culture du progrès et du succès, de l’opulence
et du bien-être; pour démasquer les ambiguïtés de planifications modernes sur la population mondiale ou le
progrès économique (le néo-libéralisme), qui comportent une conséquence logique d’exclusion. La prophétie est
importante aujoud’hui, surtout à cause de la nécessité d’accueillir ce qui est nouveau dans l’explosion des valeur
humaines, sociales et culturelles; à cause du besoin de libérer l’homme de la compléxité embrouillée qui le rend
esclave et à cause aussi du besoin de lui redonner l’espoir en Dieu, Père de tous les humains.
Un appel à tous
60. Le Chapitre s’adresse à tous les clarétains (prêtres, étudiants et frères), aussi bien à ceux qui travaillent
dans les paroisses, les missions populaires, la pastorale des natifs, les centres bibliques, les mass média, le
dialogue intereligieux, les centres d’accueil et l’accompagnement des marginalisés, que ceux qui oeuvrent dans
les universités, les collèges, l’éducation populaire, ceux qui servent dans les communautés provinciales ou
locales dans le gouvernement, la formation ou l’économie. Nous sommes tous héritiers d’un style de vie et d’un
ministère prophétiques. Il est pressant de se créer une plus grande conscience de l’appartenance à une
Communauté Congrégationnelle qui exerce le service missionnaire de la Parole d’une façon différenciée mais
complémentaire. À nous tous, nous pouvons et nous devons rendre possible «la grande œuvre» de Claret et la
doter de la force et de la créativité que l’annonce du Royaume demande aujoud’hui.
61. Mais parler de prophétisme n’implique pas seulement employer un nouveau mot et en étiqueter des
attitudes et comportements, des activités et des structures. Le souci prioritaire a été de mettre la Congrégation
toute entière en perspective prophétique et susciter dans les personnes une manière d’agir semblable à celle des
Prophètes, de Jésus-Prophète telle que vécue par Claret. Regardant vers l’avenir, la Congrégation a voulu inspirer
et motiver sa démarche avec le Peuple de Dieu dans le programme prophétique de Jésus.
La prophétie exige de se placer dans l’autre dimension
62. Si vague soit pour nous le sens des mots tels que: prophétie, prophétique, prophétisme, ils suscitent
toujours en nous fascination et défi. Il est évident que l’on ne puisse parler de prophétisme sans se référer au don
de l’Esprit, à l’expérience de Dieu, à la passion pour le Dieu de la vie, au radicalisme évangélique, au mystère
pascal, à la solidarité avec ceux qui souffrent l’injustice, la pauvreté, la douleur et la marginalisation, à la
capacité de faire face aux situations de conflit avec courage jusqu’au martyre, au témoignage des mots dans la
vie. Il n’y a rien de plus contraire au prophétisme que le manque de sensibilité religieuse, l’inhibition devant la
culture de la mort et de la souffrance, l’incohérence, la confusion et l’individualisme. La prophétie est un
correctif constant de la tentation du sécularisme et de l’ambiguïté dont nous, chrétiens et missionnaires, pouvons
être victimes.
63. En se proposant de rester «en mission prophétique», la Congrégation veut implicitement éviter toute
sorte de retard à se défaire de toute attache qui puisse l’empêcher d’avancer libre et souple dans l’annonce de
l’Année de grâce du Seigneur. Il n’y a pas de prophétie sans prophètes. Le prophète se sent impliqué dans une
singulière expérience du divin et de l’humain et, à partir de lui-même, il offre le signe, l’annonce ou la
dénonciation. Il est l’homme de l’Esprit et pour cette raison, il est l’indicateur du nouveau, le promoteur de
communion et le héraut du message du salut. Guidé par l’Esprit, il crie pour vaincre le chaos, la routine et le
péché. Il se trouve dans l’éternel carrefour entre l’écoute de Dieu qui l’appelle et l’envoie et le cri du peuple qui
souffre; entre la passion pour la gloire de Dieu et la passion pour le peuple qui demande la libération. C’est pour
cela qu’il ne peut pas se taire: il proclame, conteste, aiguillonne, console, soutient et réconforte. Il prêche la
compassion et la miséricorde de Dieu Père envers les pécheurs. Il est une personne incommodante car son point
de vue, son style de vie, son message contrastent avec tout ce qui n’est pas en accord avec le dessein de Dieu sur
le monde et sur la personne humaine. Arriver à être signes prophétiques du Royaume à partir de notre vie
consacrée en communauté fraternelle nous constitue en voix autorisée du message de Dieu et éclaire l’avenir
avec espoir. Ce sont des éléments d’un programme de vie assez exigeant, surtout lorsque l’on sait que le vrai
prophète paie son message avec sa vie.
64. Le titre du document capitulaire «En mission prophétique» a voulu être l’expression de la façon de
pratiquer le service missionnaire de la Parole. Il a essayé de refléter le dynamisme et l’attitude dont nous devons
vivre et avec lesquels travailler. Le EMP n’est pas un livre de recettes de notre vie et mission pour chaque
moment ou activité. À la base des 109 résolutions ou suggestions, il y a un questionnement de fond sur
«l’altération» de nos coutumes et de notre façon de faire. Il nous oriente et nous parle de la façon dont nous
devons évangéliser. Il laisse l’application pratique aux personnes et aux groupes avec qui nous travaillons en
pastorale. Étant donné que toute prophétie possède son contexte historique et géographique102 dans chaque
travail ou ministère, dans chaque conjoncture de la vie, nous devons nous efforcer de revivre, avec fidélité, un
esprit inventif et avec audace le caractère prophétique de notre vie missionnaire. Malgré tout, je voudrais mettre
l’accent sur quelques engagements qui demanderont, dans les années qui viennent, encore plus notre attention..
Amis des pauvres
65. Même si souvent nous sommes vctimes des événements et des incohérences et même si nous voudrions
les mettre de côté, il est évident qu’un missionnaire ne peut pas fermer les yeux à la réalité déchirante et
démoralisante des pauvres et des exclus de notre monde. Le Chapitre est très clair: «Nous allons être présents,
d’une manière significative, au milieu des marginaux et là où la vie est menacée. Nous allons encourager notre
participation d’entraide dans les endroits et institutions où l’on décide du sort des pauvres»103. Je sais très bien
que cette deuxième proposition (celle de la participation subsidiaire) n’est pas facile et nous ne sommes pas tous
en position de la pratiquer adéquatement, même si nous devons nous y préparer dans la mesure du possible. Mais
rien ni personne ne peut nous empêcher de pratiquer la première: «être pésents» là où il y aura un homme ou une
femme dans le besoin, un fils de Dieu victime d’exclusion. C’est ce que Jésus nous a enseigné: cherchant
toujours l’absent, l’exclu, celui qui manque104. Ces marginalisés se trouvent partout et ils ont des visages qui
nous semblent étranges: personnes âgées seules, immigrants, réfugiés, toxicomanes, chômeurs, paysans sans
terres, mendiants, orphelins abandonnés, femmes battues, enfants et jeunes sans scolarisation, des sans-abris. Etre
présent veut dire être près, partager du temps et des biens, nous faire leurs amis. Seulement à partir de la
proximité, nous pourrons nous laisser interpeller et découvrir des moyens efficaces d’aide. La seule chose
nécessaire, c’est une charité apostolique brûlante et une attitude évangélique sans équivoque.
66. Si nous renonçons aux grands discours adressés seulement aux autres, il nous sera beaucoup plus facile
d’ouvrir les yeux et découvrir, vraiment et simplement, tant de pauvres près de nous – et loin aussi – dont nous
pouvons et devons partager le sort. On nous critiquera, peut-être, des erreurs de stratégie, le manque de
compétence technique dans la lutte contre l’injustice qui est à la source de la pauvreté. Nous devons apprendre
constamment dans ces domaines, guidés par ceux qui connaissent les problèmes et les solutions. Le même
Chapitre nous demande de consacrer quelques-uns «à une profonde étude du fontionnement actuel de l’économie
mondiale et de ce qu’on appelle néolibéralisme, tout en essayant de comprendre ses mécanismes internes et ses
effets réels»105. On ne devrait jamais dire de nous que nous ne sommes pas des amis des pauvres, que nous
sommes jugés parmi ceux qui jouissent de toutes les sécurités, que nous avons honte d’être comptés parmi eux.
C’est ici que se joue la vérité de notre prophétie. N’importe quel pas dans cette direction, si petit soit-il, nous
approche toujours de l’Évangile et de Jésus qui a lié sa présence à la personne du pauvre. La plus grande partie
de l’humanité vit dans des situations d’une pauvreté horrible. Des pays de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique
Latine demandent notre présence. Soyons des missionnaires généreux.
67. Je voudrais adresser un mot spécial d’encouragement à vous qui, depuis plusieurs années, vivez et
travaillez en permanence parmi les plus pauvres. Je pense à beaucoup d’endroits dans tous les continents. Même
si, des fois, vous pouvez vous sentir seuls et incompris, le reste de la Congrégation ne vous oublie pas. Vous êtes
en train d’expérimenter dans votre propre chair des situations de famine, de précarité, de violence, de mépris
systématique des droits humains. Il y en a parmi vous qui souffrent parce que, après tant d’années de lutte en
faveur des pauvres, vous constatez peu de réussite. Dans quelques endroits, vous voyez même du recul et que
vous vivez «des nuits obscures». Gardez l’espoir. Vous êtes nos porte-paroles. Plus encore: vous êtes le visage de
l’Église qui devient samaritaine sur les chemins les plus éloignés de la terre. Sans votre dévouement, la prophétie
serait une moins Bonne Nouvelle et beaucoup en resteraient exclus. Ce n’est pas seulement les pauvres qui ont
besoin de vous; nous aussi, vos frères clarétains, nous avons besoin de vous.
Des experts dans le «dialogue de la vie»
68. Ils sont de plus en plus nombreux les clarétains (présents dans les quatre points cardinaux) qui vivent
dans des sociétés pluriculturelles où plusieurs langues, coutumes et religions coexistent. Comment exprimer notre
vocation prophétique dans des endroits pareils? Le Chapitre nous invite à configurer notre dialogue interreligieux et interculturel comme un «authentique dialogue de vie»106. Ici aussi – comme dans les cas des pauvres
– la vie a la priorité sur les paroles. Notre vocation prophétique nous rend sensibles à toute manifestation du
Royaume de Dieu là où elle se trouve. De là jaillit une attitude d’ouverture et d’écoute qui peut, plus tard, se
traduire par des manifestations multiples: projets communs en faveur des nécessiteux, forums de discussion,
prière partagée, location d’installations107. Nous, clarétains, devons avancer dans cette direction, sachant que le
nouveau millénaire peut éclairer un monde plus uni dans sa pluralité, mais aussi un monde déséquilibré par la
suprématie des plus puissants, les haines tribales, religieuses, etc. Si seulement là où il y a un clarétain, il y avait
un expert pour établir des ponts, un homme de dialogue!
Une prophétie faite coeur
69. La Congrégation a toujours considéré Marie comme Mère et Maîtresse. Elle est aussi un modèle de
prophétie. Le EMP l’exprime ainsi: «Notre style de vie prophétique reçoit du Cœur Immaculé de Marie, mère de
la Congrégation, une empreinte particulière. Elle nous enseigne que, sans cœur, sans tendresse, sans amour, on
ne trouve pas de prophétie crédible. Marie a dit la fiat (cf Lc 1, 38), parce que précédemment elle l’a conçue
dans son cœur; elle a proclamé un magnificat (cf Lc 1, 46-55) car elle a cru auparavant.; elle était là près de la
Croix, et à la Pentecôte parce qu’elle a été la bonne terre qui a accueilli la Parole avec un cœur joyeux, elle l’a
fait fructifier à cent pour un (cf Lc 8. 8, 15. 21) et elle a demandé à tous d’en faire de même (cf Jn 2, 5)»108.
Marie, en montrant son cœur, n’est pas une image décorative dans nos maisons, mais bien plus la mémoire
permanente de la façons dont nous devons évangéliser avec tendresse et miséricorde. En effet, notre mission
clarétaine comprend regarder le monde de la douleur, de la violence, de l’agitation, de la convulsion et de la peur
avec tendresse et entourer de miséricorde le cœur de celui qui se sent pécheur, coupable et défait par ses crimes.
C’est notre mission de faire en sorte que dans le monde puisse se chanter sans cesse le «magnificat» parce que
chaque homme et chaque femme a découvert que Dieu, par son amour infini, est plus grand et qu’il est au dessus
de notre rébellion.
2. Marcher ensemble
Marcher ensemble dans les grandes régions
70. L’origine de notre Congrégation est marquée par la communion et la mission. Communion avec le
Christ et avec les peuples; communion fraternelle et communion ecclésiale; communion dans l’esprit apostolique
et dans les faits de vie et de travail; communion toujours pour la mission, début et fin de notre raison d’être dans
l’Église. De cette communion surgit la collaboration avec les Pasteurs dans le service missionnaire de la parole.
Vatican II a répété que le Peuple de Dieu chemine pèlerin vers le but eschatologique. Il a laissé entrevoir que
l’itinérance et marcher ensemble lui sont propres. Il a pris un comportement «synodal». Depuis la célébration du
Concile, il y a eu IX Synodes de l’Église. Les trois derniers ont mis en relief, sous la même plate-forme
eschatologique du mystère, la communion et la mission, l’identité des formes de vie: laïcat, ministres ordonnés et
consacrés. Cela a contribué à donner une image plus articulée et complète de l’Église, et surtout à rendre plus
vigoureuse la réponse aux grands défis de notre temps grâce à l’apport concerté des divers dons»109. Tout
dernièrement, les Synodes nous ont présenté différents visages de l’Église en Afrique, en Amérique et en Asie et,
dans l’avenir, ils nous montreront les visages de l’Église en Océanie et en Europe. Cette multiple expérience
écclesiale peut devenir paradigmatique pour la Congrégation.
71. La Congrégation avait décidé, il y a déjà quelques années, de commencer une expérience de
communion dans la diversité des aires culturelles et géographiques. Dans la pluralité d’expressions de notre
service missionnaire de la Parole – toujours compris comme une manière d’être, d’agir et de signifier110 –, nous
voulions que la communion missionnaire fût sentie par toute la Congrégation. Nous avions pensé que les
différentes façons d’expression et les divers engagements opératifs étaient une richesse pour tous en tant
qu’interpellation mutuelle et stimulant à la co-responsabilité111. Maintenant, la vie partagée et la réflexion qui se
fait dans les différents Synodes continentaux nous encouragent à continuer le processus initié dans la
Congrégation. Quelques conséquences pratiques pour nous découlant de ce mouvement synodal dans l’Église
pourraient nous aider à intensifier notre travail dans les champs suivants: 1) fomenter la spiritualité de la
communion ecclésiale qui aujourd’hui revêt un accent prophétique spécial à travers le dialogue, la collaboration
et la coresponsabilité. 2) Approfondir les deux éléments du «parcourir ensemble un chemin» (la signification
étymologique de synode): l’itinérance et partager, qui sont les contrepoints de l’immobilisme et de l’égoïsme. 3)
Tracer des pistes pour vivre le charisme missionnaire de Claret dans les différents contextes, tout en gardant
l’unité et le pluralisme. Les Conférences des Supérieurs majeurs devraient établir un programme d’actualisation
dans ce sens. 4) Renforcer dans ce «cheminer ensemble» la collaboration avec les Évêques, les prêtres et les
religieux et, surtout, avec les laïcs. Tout ceci nous aiderait à renforcer l’insertion dans les Eglises particulières et
l’inculturation dans les différents peuples, dans notre vie missionnaire. En même temps que nous soulignons
notre mission évangélisatrice, prenons soin de notre appartenance à l’Eglise locale et de notre responsabilité dans
la croissance de sa vie et mission.
Spiritualité de la communion
72. Elles sont nombreuses les forces centrifuges et désintégrantes qui troublent notre monde. Nous sommes
en train de nous habituer à regarder, sans étonnement, les conséquences des passions incontrôlées, qui surgissent
des intérêts bâtards et des haines incompréhensibles, nous déplorons également dans l’Église des conflits, des
différences et des tensions; des groupes qui s’ignorent, se méfient et s’affrontent. C’est l’un des grands obstacles
à l’évangélisation. Nous, qui, par charisme fondationnel, sommes nés dans l’Église pour collaborer dans
l’annonce de l’Évangile et dans la transformation du monde112, nous sommes poussés, d’une manière spéciale, à
assumer la proposition adressée à toutes les personnes consacrées, de promouvoir la spiritualité de la
communion. Celle-ci fait ressortir le caractère ecclésial, c’est-à-dire l’attitude intérieure qui pousse le clarétain à
partager tout le dynamisme de l’amour trinitaire envers l’intérieur et vers l’extérieur de l’Église. Elle comporte
«une nouvelle façon de penser, de parler et d’agir qui fait grandir l’Église en profondeur et en extension. La vie
de communion sera ainsi un signe pour le monde et une force d’attraction qui conduit à croire au Christ»113.
Cette spiritualité devrait être le climat naturel où nous, clarétains, devrions fonctionner. Ce ne sont pas les
récommendations éthiques ni stratégiques mais les exigences charismatiques qui nous mènent au dialogue de la
charité sur tous les fronts et à tous les niveaux, dans l’Église et à l’extérieur de l’Église. Notre source et notre but,
c’est la communion ecclésiale, la fraternité universelle. En tant que clarétains, nous devons collaborer afin que
tous les membres de l’Église et tous les hommes de bonne volonté pensent, parlent et travaillent en harmonie
pour la communion fraternelle, pour la solidarité de tous. Évidemment, ceci exige d’ouvrir le dialogue ou le
rétablir là où il s’est coupé et seuls ceux qui se sont montrés des experts dans la communion et la coopération
fraternelle peuvent l’ouvrir et y persévérer. Arrivés à ce point-ci, probablement que nous nous interrogeons sur la
qualité de notre communication, participation et corresponsabilité dans la vie communautaire; sur l’intérêt que
nous mettons à la programmation pastorale, au travail en équipe; à la valeur que nous attribuons à la pastorale
d’ensemble, à la collaboration avec les Pasteurs et à l’intégration des laïcs dans les activités missionnaires.
Prophétie de la vie ordinaire
73. À l’intérieur de cette spiritualité de la communion, des petits traits, qui configurent notre cheminement
ensemble, prennent dans la Congrégation un relief spécial. Ouvrons les yeux. La vérité sur nous-mêmes et sur le
sens de notre fraternité ne se joue pas, en général, dans les grands projets mais bien plus dans les détails de
chaque jour. «La prophétie de la vie ordinaire, fréquente parmi nous, est celle qui rend possible la grande
prophétie des moments extraordinaires. Elle se trouve dans la prière, en tant qu’expression de l’amitié avec
Dieu, dans la recherche inlassable de sa volonté, dans les relations où percent d’abord la tendresse, la joie
vitale, la compassion, la foi dans l’autre et le service»114. Nous savons, par expérience, combien les petites
choses sont importantes dans la vie de la communauté: les salutations quotidiennes, les paroles de remerciement
et de pardon, les petis services domestiques que nous nous prêtons: s’occuper des membres âgés et malades,
accueillir les visiteurs, répondre au téléphone, s’occuper de la porte, dresser la table… Les omettre peut avoir des
effets négatifs hors proportion. Par contre, la fidélité à ces petites choses peut contribuer à ce que notre marcher
ensemble ne soit pas une fiction mais un véritable encouragement à se dépasser et à croître. Dans ce cas, la
communauté est aussi comme une forge où se façonne le missionnaire que nous sommes appelés à être.
3. Vivre en fidélité dynamique et créative
Célébrons et rendons grâces pour tant de fidélité
74. Célébrer les 150 ans de cheminement congrégationnel signifie, faire mémoire du Dieu toujours fidèle et
de centaines d’histoires fidèles. Sans la fidélité de Dieu et de ceux qui nous ont précédés, nous pourrions
difficilement vivre aujourd’hui le charisme de Claret. Chaque fois que l’on parle de fidélité, il faut commencer
par chanter: «Louez Yahvé, tous les peuples, fêtez-le, tous les pays! Fort est son amour pour nous, pour toujours
sa vérité»115. Le Seigneur a soutenu nos frères dans leur vocation missionnaire et il les a investis de force pour
confesser et vivre à partir de l’amour trinitaire; il leur a offert la charité apostolique, leur a donné la confiance
dans le travail malgré les risques et les difficultés, malgré les souffrances et les persécutions; leur a fait sentir la
suprématie de son amour absolu et ils ont su tout laisser sans nostalgie ni regrets; il les a remplis de passion pour
la vérité et la justice et ils ont eu de l’audace dans la proclamation du Royaume de Dieu sans ambiguïtés. Ce sont
des expressions d’une vie vraiment libre, dynamique et fidèle dans la créativité. C’est un héritage que nous
sommes appelés à convertir en prophétie. Un nuage de témoins nous précède116. Ils nous encouragent à vivre
avec enthousiasme et fidélité. La Congrégation a été une vraie école de sainteté. Il serait bon de nous le rappeler
les uns les autres, de raconter la vie de ceux qui ont vécu fidèles au Seigneur. La mémoire de ceux qui ont vécu
en fidélité117 est un encouragement pour nous qui marchons à la suite de Jésus et sommes appelés à annoncer
aux captifs la libération et un an de grâce du Seigneur.
Des faits et des questions qui nous font penser
75. Vivre notre vocation missionnaire d’une façon créative a été l’un des plus clairs messages du dernier
Chapitre Général. Il voulait ainsi donner une réponse aux faits qui nous obligent à penser et qui nous interpellent.
D’un côté, les sorties de la Congrégation qui deviennent la plus grande souffrance dans notre vie communautaire.
Même si, du point de vue des statistiques, nous avons passé les pires années, il y a encore un nombre significatif
de clarétains qui demandent la dispense des engagements religieux et sacerdotaux, aussi bien pendant la période
de vœux temporels comme peu après la profession perpetuelle ou l’ordination presbytérale. Il est vrai qu’il y a eu
autrefois des sorties et abandons; nous devons cependant faire face avec courage à la situation actuelle et en
extraire ses leçons. Nous ne voulons aucunement nous montrer juges des frères qui nous ont quittés. Le Seigneur
seul connaît l’itinéraire de chacun, ses recherches et difficultés, ses espoirs et ses frustrations. Notre rôle, c’est de
toujours entretenir une attitude de respect et d’aide fraternelle même lorsque nous ne savons pas très bien
comment l’offrir. D’un autre côté, notre souci ne doit pas se centrer sur ceux qui nous quittent mais sur nous tous
qui restons. Quelques-uns, simplement, par inertie; par habitude. Mais la fidélité est quelque chose de plus
profond que la simple perséverance118.
76. Nous sommes tous appelés, chaque jour, à croître dans la fidélité, car il ne suffit pas de nous sentir bien
à l’aise dans la Congrégation ou d’accomplir nos tâches. Il est question ici de répondre à la grâce de Dieu,
comment être créativement fidèles au don que nous avons reçu et de pratiquer le ministère avec clairvoyance et
enthousiasme. À la vue de nos faiblesses, de nos routines, de nos pactes avec la médiocrité, de notre incapacité
d’offrir des nouveaux horizons ou des institutions adéquates, comment croire que Dieu lui-même, qui a
commencé en nous une si bonne œuvre la menera à bon terme dans le jour du Christ Jésus?119 Comment offrir
une vie qui donnera sécurité et espoir à ceux qui nous entourent parce que nous sommes appelés à soutenir la
vocation de nos frères? Comment être joyeusement fidèles afin que l’homme d’aujourd’hui croit que notre style
de vie est signe de «l’homme nouveau» présenté par l’Évangile? Si nous avons besoin de créer un climat de
fidélité, ce n’est pas pour survivre mais pour que notre vie devienne «encouragement qui peut et doit attirer
efficacement tous les membres de l’Église à remplir sans défaillance les devoirs de la vie chrétienne»120. Notre
fidélité aide à vivre en fidélité les membres d’autres formes de vie chrétienne..
Difficultés actuelles
77. Aujourd’hui, parler de fidélité, c’est parler de quelque chose peu commune, d’un idéal impossible à
atteindre. Ce qui arrive dans le monde post moderne culturel nous met en garde. Les possibilités de choix de vie
se sont tellement multipliées que choisir l’une ou l’autre et y rester paraît presque un exercice d’irresponsabilité.
Nous ne pouvons jamais savoir si demain paraîtra dans notre horizon quelque chose de plus agréable. Pourquoi
fermer les portes? De plus, nous vivons dans un monde où le changement fait partie des valeurs évidentes. Les
vieux idéaux de stabilité ne jouissent pas de prestige. Pourquoi affirmer aujourd’hui quelque chose qui demain
pourra devenir provisoire? L’histoire nous a ouvert les yeux. Combien d’intolérance absurde au nom des
convictions qui semblaient éternelles et qui se sont soldées dépassées! Combien de souffrances inutiles!
L’éphémère semble dominer le style de vie. Notre relation avec les choses est chaque fois plus momentanée. Les
fabriquants réduisent la durée de leurs produits afin d’assurer des nouvelles ventes. Le rapport avec les lieux a
aussi changé. La mobilité constante favorise le relativisme sur les valeurs et fait que les rapports personnels
soient plus superficiels. À cause de ceci, dans les pays développés, le modèle de l’homme «sans vocation» a vu le
jour. Beaucoup de jeunes vivent affectés par le présentisme. Ils éprouvent une grande difficulté à percevoir le fil
de l’histoire et les racines qui expliquent ce que nous sommes. Ils ne voient que des événements sans rapport
entre eux qui n’ont pas de sens. Devant un avenir incertain, la capacité de faire des projets et l’intérêt d’améliorer
le présent en souffrent. Ce qui est important, c’est de vivre le jour au jour et de jouir au maximum de chaque
moment...
78. Si tout change tellement et si rapidement, il est très difficile d’acquérir des certitudes, d’assumer des
engagements. Beaucoup de jeunes et des moins jeunes s’expriment ainsi: «Je sais ce que je veux aujourd’hui,
mais, dans quelques années…! Ce n’est pas alors surprenant, qu’ils soient tellement à la mode les volontariats
«pour une période de temps», plutôt que les engagements à vie (mariage ou toute autre forme de vie chrétienne).
Il n’est pas surprenant, non plus, que beaucoup d’engagements scellés solennellement cèdent devant les
premières difficultés. Nous vivons dans une époque de «pactes doux». Th. Adorno disait que les hommes
d’aujourd’hui sont capables de beaucoup de choses, même d’aimer, mais ils ne sont pas préparés à la fidélité. La
capacité de tolérance, d’endurance de la croix et de la souffrance, inhérentes à la vraie vie est maigre, très maigre.
79. Très souvent, cette façon de voir les choses est associée à une prédominance excessive de la sensibilité
et de l’affectivité. Elle comporte aussi une exaltation démesurée de la subjectivité et de la réalisation de soi. Des
questions telles «Qu’est-ce qui est vrai? Qu’est-ce qui est le plus raisonnable? Quelle est la volonté de Dieu sur
moi? ont laissé la place à d’autres questions presque exclusivement en rapport avec les sentiments personnels:
«Est-ce que je me sens à l’aise dans cette vocation, dans cette communauté? Le travail que je fais, me plaît-il?»
Le fait de dire que «l’affectif est l’effectif» ne signifie pas que nous ne devions pas équilibrer nos sentiments
avec nos idées et avec les engagements assumés. Il est important de se sentir bien, mais il est aussi important de
chercher la vérité, l’accueillir et éduquer notre volonté pour ne pas dépendre seulement de notre propre état
d’esprit. Cela ne suppose pas – comme l’on dit souvent superficiellement – ne pas être authentique, mais
comprendre notre vie d’une manière plus large et plus ajustée à notre condition de personnes consacrées. Il n’est
pas question de nier nos sentiments, mais d’apprendre à les percevoir, à ne pas les rendre absolus et à les orienter
adéquatement. À l’origine de beaucoup de ruptures ou de beaucoup de «fidélités vides», on trouve un grand
manque de capacité d’harmoniser les idées, les affections et les engagements.
Que pouvons-nous faire?
80. Nous ne sommes pas en dehors de la mentalité post moderne. Elle nous touche de mille façons, Nous
pouvons adopter trois positions:
- Vivre comme si rien n’avait changé, prenant une attitude de résistance, faisant de la simple persévérance
l’ultime idéal..
- Nous laisser toujours emporter par la dernière nouveauté sans nous demander son impact ni où elle peut
nous amener..
- Apprendre à nous enraciner dans le Christ afin de rester pour toujours ouverts à la nouveauté de son
Esprit.
C’est seulement la troisième attitude qui nous aide à être fidèles à l’Évangile. N’oublions pas que, avant
tout, la fidélité est une forme d’être de Dieu. Dieu est fidèle121, il est le rocher qui ne cède pas ni s’use122. Il
garde son amour même s’il n’est pas partagé123. Le Christ est le «oui» des promesses124, le «amen»125, le
«témoin fidèle» du Père126. La fidélité de l’homme est le résultat de la réponse généreuse au dialogue entre Dieu
et nous, même si c’est Lui qui a commencé le premier. Le Fils, sa Parole mise en gage pour nous, est avec nous
pour toujours127, nous remplit de confiance et fait germer en nous la stabilité nécessaire pour braver les
changements brusques et constants du monde. Stabilité n’est pas synonyme d’immobilisme ni de simple
équilibre, mais de sécurité et fermeté dans le chemin. De nos jours, il faut cultiver la stabilité d’esprit à partir du
vécu des valeurs qui donnent sens et consistance à la vie humaine, chrétienne et missionnaire.
81. Il est évident que celui qui n’est pas bien préparé dans son intérieur, qui ne se trouve pas en condition
d’engager, sans réserves, sa vie pour l’Évangile, il exercera difficilement le ministère avec la passion et l’audace
des prophètes. Si on ne vit pas intensément les valeurs du Royaume, si on ne s’appropprie pas le message des
Béatitudes, s’il n’y a pas une expérience joyeuse des vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, si on
n’apprécie pas ni exprime la fraternité, il est bien difficile de dénoncer les idoles de pouvoir, d’avoir et de jouir;
il est impossible de lutter contre l’égoïsme, l’ambition et l’hédonisme. Seul peut vivre en fidélité dynamique et
ainsi exercer la prophétie de l’unique nécessaire celui qui s’est converti en signe pascal, qui a fait l’expérience de
l’amour filial jusqu’à pouvoir tout donner comme Jésus. Qui d’autre, s’il n’a pas ces habiletés, pourra opter pour
les pauvres, les marginalisés, les exclus, les pécheurs?
82. Plus les racines sont profondes, plus l’arbre est exubérant. En cet anniversaire congrégationnel,
l’invitation à la fidélité peut revêtir des expressions concrètes. On a déjà mentionné l’explicite et continuelle
action de grâces à Dieu, qui ne retire jamais ses dons et ses appels et qui reste toujours fidèle malgré nos
infidélités personnelles et communautaires. Nous avons également fait allusion à ce que l’on maintienne une vive
mémoire réconnaissante de ceux qui nous ont précédés et ont scellé le pacte de fidélité avec leur mort. D’autres
expressions pourraient être:
- Approfondir la force prophétique de la fidélité dans une conjoncture historique où elle est, à la fois,
méprisée et souhaitée, considérée comme impossible et nécessaire.
- Au niveau personnel, cultiver une spiritualité qui nous mène à revivre la joie de notre réponse à l’appel de
Jésus. Entretenir la prière personnelle et le contact assidu avec la Parole de Dieu, renforcer la vie communautaire,
se donner décidément à la mission et au travail qui nous a été confié, célébrer ou participer quotidiennement à
l’Eucharistie, travailler à l’intégration de notre affectivité au projet évangélique de vie, «éviter les dangers
comme par une sorte d’instinct spirituel»128, s’exercer dans l’humilité et le renoncement et demander de l’aide
ou de l’accompagnement spécial en périodes de crise.
- Au niveau communautaire: prier pour la fidélité de nous tous qui avons été appelés et créer un climat
communautaire théologal et missionnaire qui rende possible aux personnes de donner une réponse joyeuse à leur
vocation et mission
- De la part des supérieurs, assumer la tâche d’accompagner, avec un soin spécial, les jeunes missionnaires,
prêtres et frères129.
- Au niveau de la Congrégation: continuer à mettre le maximum d’intérêt dans les personnes, qui sont notre
plus grand trésor; réproduire, avec audace, la créativité et la sainteté du Fondateur comme une réponse aux signes
des temps130; maintenir le climat qui favorise «le don total de soi» dans la vie missionnaire131; envisager notre
mission à partir des options choisies et encourager notre présence parmi les non-chrétiens, sachant que, de la
même façon que la foi s’affermit quand on la donne, cette présence aussi renforce notre vie consacrée, lui
communique un enthousiasme renouvelé, des nouvelles motivations et stimule la fidélité132.
83. Le Fondateur se servait d’une comparaison pour exprimer sa résolution à demeurer fidèle: «Le chien est
à tel point le fidèle compagnon et l’ami de l’homme que ni les durs travaux, ni la pauvreté, ni la plus grande
misère, ni rien au monde, ne sont capables de le séparer de son maître. Il faut que ma conduite à l’égard de Dieu
soit la même; c’est-à-dire, que ma constance dans le service et l’amour de Dieu doit être telle que je puisse dire
avec saint Paul que ni la vie, ni la mort, ni aucune créature ne pourront me séparer de l’amour du Christ»133.
Pour cette raison, il a voulu faire de sa vie une donation afin que tous servent Dieu «en toute fidélité et
ferveur»134. Comme dans d’autres dimensions essentielles de notre vie, ici aussi Marie est un modèle et une
source d’énergie. «Le rapport filial avec Marie constitue la voie privilégiée de la fidélité à l’appel reçu et une
aide très efficace pour progresser dans sa réponse et vivre en plénitude sa vocation»135. Marie est la vierge
fidèle dans la nuit sombre de la foi, en service à ceux qui en ont besoin, pendant que Jésus prêchait le Royaume et
à côté de la croix. Nous faisons nôtre la prière du Fondateur adressée à Dieu «Je ne veux autre chose que vous
aimer avec toute ferveur et vous servir en toute fidélité ! Ma Mère, Mère du bel amour, aide-moi!»136.
4. Réconciliés avec l’étude
Il nous faut deux pieds pour marcher
84. Combien de fois n’avons-nous pas entendu que la prière et l’étude étaient comme les deux pieds du
missionnaire? Qui ne se rappelle pas les paroles du Fondateur: «Moi, avant de prêcher, je dois agiter et battre les
ailes de l’étude et de la prière?»137. Lorsque nous examinons la distribution de sa journée, nous sommes
étonnés, non seulement du temps consacré à la prière mais aussi nous découvrons son dévouement intense à
l’étude. Lui, si actif, savait que «un corps sans yeux ne voit pas et tombe, et, sans nourriture, il meurt»138. Sa
bibliothèque personnelle est un signe de son intérêt pour être à la page en tout: depuis les sciences naturelles
jusqu’aux langues et les sciences ecclésiastiques. Tout au long de notre histoire, l’étude a occupé une place de
choix. Dans les premières décennies de la Congrégation, les missionnaires consacraient trois quarts de l’année
aux tâches apostoliques (surtout missions populaires et exercices) et un quart à une formation intensive. Avec le
temps, les modalités changeaient peu à peu, mais on a toujours essayé de prendre soin de la préparation
intellectuelle avec les conférences hebdomadaires, le temps consacré à l’étude personnelle, aux spécialisations et
à d’autres initiatives. Tout ceci est aussi héritage qu’il faut convertir en prophétie: la prophétie de la qualité de
notre service missionnaire devant les multiples défis de l’évangélisation.
Les «compensations culturelles» ne suffisent pas
85. Pressés par tant de besoins, nous courons aujourd’hui le risque de nous contenter de répondre au plus
immédiat ou de réduire notre formation à des connaissances pratiques «à employer et jeter». Il nous paraît très
dur d’acquérir une formation intellectuelle solide comprenant une connaissance suffisante des sciences humaines
(particulièrement les courants de la pensée ou de la culture) et des matières théologiques, ou, à partir d’une
perspective évangélisatrice, une formation qui nous permette de connaître plus à fond notre récepteur, les
destinataires du message et le message lui-même. Souvent nous sommes satisfaits avec une compensation
culturelle qui se réduit à consacrer du temps et des énergies dans l’usage excessif des media (presse, radio, TV,
Internet) avec la vaine espérance d’être ainsi à jour. La tâche est certainement plus profonde et plus difficile. La
vie aujourd’hui est très complexe, le niveau moyen d’éducation de plus en plus élevé et la spécialisation croît
dans toutes les sphères professionnelles. On nous a rappelé que «la vie consacrée a besoin de renouveler
l’attachement à l’engagement culturel, de se consacrer à l’étude comme moyen de formation intégrale et comme
voie d’ascèse, extraordinairement actuelle, face à la diversité des cultures»139. Ces paroles du Pape ont une
résonnance spéciale pour nous. Si le drame de notre temps est – comme Paul VI l’avait déjà signalé – l’abîme
entre foi et culture140, comment ne pas nous sentir interpellés puisque nous sommes nés dans l’Église pour
évangéliser? Pouvons-nous aider à établir des ponts sans une profonde expérience de foi et sans une solide
connaissance des cultures où nous vivons? Il nous faut être lucides ici aussi afin de pas confondre la simplicité
évangélique avec la médiocrité, le style populaire avec la vulgarité, la spontanéité avec la paresse. Une
caractéristique des clarétains a toujours été l’application au travail et la sage utilisation du temps, qui vont
ensemble.
Établir des ponts entre la foi et les cultures
86. La foi est certainement une expérience de rencontre personnelle avec Dieu. Elle ne se réduit pas à une
coutume ou à un trait culturel. Mais cette expérience ne peut se limiter non plus – comme la société bourgeoise le
veut – à une affaire intimiste, de conscience. La foi crée la communion entre tous les croyants et, par son
dynamisme propre, génère la culture. C’est-à-dire, elle veut recueillir en elle «tout ce qui est vrai, noble, juste,
aimable, honorable»141 et l’exprimer à travers les médiations humaines normales: la science, la technique, l’art,
l’économie, la politique. Est-il possible de vivre d’une façon durable la foi dans des conditions culturelles
adverses ou dans une attitude permanente de confrontation avec la culture? Sommes-nous appelés à toujours être
une minorité contreculturelle? Ou au contraire, la foi chrétienne constitue-t-elle une proposition de vie qui
devient culture dans un dialogue ouvert à d’autres propositions? L’Église croit que l’Évangile qu’elle annonce,
même si souvent il présente des traits qui se heurtent à d’autres cultures, est supposé être une bonne nouvelle
pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui, une proposition de vie et de sens, un chemin d’humanisation.
C’est la raison pour laquelle un groupe de missionnaires comme nous doit sentir une vraie passion culturelle.
Nous avons encore besoin de missionnaires qui connaissent le monde de la science, de l’art, de la
communication, qui puissent établir des ponts entre l’Évangile et les différentes cultures autour de nous. Ceci
n’est point possible sans créer, dès la formation initiale, une mentalité ouverte, un désir d’admiration, de
recherche, un don du dialogue et une solide habitude à l’étude142.
Être à la hauteur des temps
87. Le dernier Chapitre Général a mis en relief le besoin de cultiver la formation «pour être à la hauteur de
notre temps»143. Il nous a offert, en plus, une motivation missionnaire («Une communauté qui accueille le don
de Dieu est à l’écoute des signes des temps et elle se laisse rajeunir sans cesse afin de réaliser l’annonce de
l’Évangile d’une manière crédible et attrayante») et quelques propositions144. Dans les prochaines années, nous
devons prendre au sérieux les neuf engagements proposés par le Chapitre. Il y a quelques années, un théologien
bien connu disait «l’Esprit-Saint ne remplace pas le manque coupable de compétence». Sans des clarétains bien
préparés, quelle sorte de discernement pouvons-nous faire dans nos Chapitres, assemblées, rencontres de
pastorale, etc.? Quel va être notre apport dans le diverses structures des Eglises particulières? C’est pourquoi, par
cette lettre circulaire, je veux lancer un appel à toute la Congrégation: donnons du temps à l’étude! Prenons au
sérieux les personnes et leurs problèmes! Ne nous contentons pas de n’importe quoi! Gageons sur la qualité!
Préparons-nous avec ceux qui cherchent la transformation du monde selon le dessein de Dieu! Ne nous laissons
pas emporter par la superficialité»!145. Il est vrai que l’étude n’est pas tout mais, si j’insiste sur ce point
maintenant, c’est parce que nous en avons beaucoup besoin.
Soyons réalistes: faisons face aux défis
88. Être à la hauteur du moment que nous vivons et donner une réponse satisfaisante aux défis qui nous
arrivent, c’est plus qu’en être renseignés ou sensibilisés. Parfois, il nous semble que, parce que nous avons
énuméré les défis de l’évangélisation, tout est déjà résolu. Il faut parcourir tout le processus: analyse de la
réalité, éclaircissement et engagement. Beaucoup restent au premier point. D’autres passent de l’analyse de la
réalité à l’engagement sans avoir refléchi suffisamment. À cause de la vitesse de la vie actuelle, il est
absolumment nécessaire d’être bien préparé afin de donner des réponses efficaces à ces défis. Il faut les affronter
avec une étude sérieuse et préparer des stratégies aux réponses adéquates. Certains s’illusionnent en étant dans
les «centres de décision» où se discutent des solutions aux grands problèmes, mais ils ne sont pas capables de se
préparer comme il le faudrait. Nous devons jeter de la lumière à partir de la Parole de Dieu, la pensée des Saints
Pères, le Magistère de l’Église, la théologie, l’expérience religieuse des peuples et les sciences humaines.
89. Dans les six prochaines années, – tel que le Chapitre Général146 l’a demandé – il faudra favoriser les
spécialisations, surtout dans les disciplines écclesiastiques: études bibliques, théologiques, pastorales, morales,
catéchétiques. Nous avons besoin de personnes préparées dans les media, la missiologie et la spiritualité. La
poursuite des sciences humaines comme la sociologie, la psychologie, la pédagogie, doit être prise à partir de
notre charisme missionnaire. Nous sommes tous invités à construire la communauté avec les dons reçus. À
l’heure de déterminer les spécialisations, il faudra tenir compte des qualités des personnes et les besoins de la
mission évangélisatrice de la Province et de la Congrégation. Les spécialisations visent le bien commun et non la
satisfaction des intérêts personnels. Les Provinces devraient établir leurs priorités dans la préparation des
personnes selon une planification, surtout dans les domaines de la formation et de l’apostolat. Une fois les études
réalisées, il faudra les rendre rentables. La préparation doit contribuer à une amélioration de la vie culturelle et
spirituelle de tous. Il y a parmi les nôtres des personnes dont les diplômes ne sont pas «utilisés» adéquatement.
Parmi d’autres raisons, parce qu’elles n’ont pas cultivé le professionalisme ou parce qu’elles ont été éloignées
des urgences de la mission. D’autres ne sont pas valorisées à leur juste titre, pendant que d’autres montrent des
prétentions démesurées ou hors proportion. La tendance des dernières dizaines d’années à remplir les trous a
empêché d’apprécier comme il le fallait la contribution apostolique de ceux qui se consacrent au monde de la
pensée et de l’étude. On a classé d’une certaine marginalisation (dans certains cas aussi «automarginalisation»)
ceux qui, par leur préparation spécialisée auraient dû être comme des «sentinelles critiques» de notre démarche
missionnaire. Quelque chose fonctionne mal lorsque un groupe n’écoute pas la voix de ceux qui sont compétents
dans les diverses matières et se laisse entraîner par la mode, les préjugés ou les opinions superficielles.
90. Le Gouvernement Général continuera à promouvoir la qualification des personnes pour les trois
Instituts de Vie Consacrée (Madrid, Rome et Manille). Il a un intérêt spécial pour qu’entrent en vigueur les
Centres Supérieurs de Curitiba (Brésil), Villa Claret (Argentine), Madrid (Espagne), Maryland (Nigéria), Wardha
(Inde), Quezon City (Philippines) et appuyera la sélection et la préparation des équipes de Formateurs pour tous
les Centres de Formation. Pendant les prochaines années, il faudra étudier la possibilité d’ériger quelques Centres
Supérieurs dans des Organismes d’Asie et d’Afrique. Nous avons la conviction que les centres Supérieurs
d’Études apportent et encouragent la vie missionnaire d’avant-garde de la Congrégation. Il essayera aussi de
promouvoir des groupes de refléxion inter-disciplinaire et d’autres initiatives qui rehausseront notre niveau
culturel et qui aideront à jeter de la lumière sur les problèmes qui préoccupent notre tâche évangélisatrice. Si
nous ne disposons pas d’hommes qui éclairent, ouvrent des chemins, nourrissent nos utopies, élargissent nos
horizons, nous tomberons peu à peu dans la «médiocrité» et une Congrégation appauvrie intellectuellement est
aussi une Congrégation incapable de répondre aux défis de la mission prophétique. Nous ne sommes pas appelés
à gérer le présent seulement mais, dans une certaine mesure, à anticiper l’avenir, à chercher des réponses aux
multiples problèmes que l’évangélisation présente aujourd’hui. En tant que clarétains qui avons reçu en héritage
l’engagement à multiplier les leaders d’évangélisation, nous ne pouvons pas nous contenter de notre propre
bonne préparation mais nous devons plutôt faire en sorte que d’autres soient également bien équipés pour prêter
un service évangélisateur de qualité.
5. Inviter d’autres avec audace
Une préoccupation de toujours
91. L’héritage se fait prophétie lorsque nous osons embrasser la vocation du Seigneur, lorsque nous
rendons le bonheur de l’Évangile contagieux pour que les hommes de notre temps vivent un peu mieux. Voici
notre souhait et souvent notre tracas. La préoccupation pour les vocations a toujours été constante dans notre
histoire. L’écho des messages du Fondateur nous arrive jusqu’à aujourd’hui: «Il faut avoir du monde»147, «Il ne
faut pas s’endormir»148, «Prions le Seigneur céleste afin qu’il envoie des ouvriers, car les ouvriers sont
vraiment peu nombreux et la moisson très abondante en Espagne et en dehors de l’Espagne»149, «J’ai confiance
dans le Seigneur qu’il nous enverra des ouvriers pour cultiver sa vigne, prions beaucoup le Père céleste»150.
Quelques années avant le centenaire de la Congrégation, le P. Nicolás García, dans une circulaire sur «La
vocation missionnaire», encourageait les membres de notre Institut à travailler pour les vocations: «Sans de
nombreux ouvriers, la Congrégation ne pourra pas réaliser le plan très vaste tracé dans les Constitutions. Ne
soyons pas la cause de l’échec de la Congrégation dans la poursuite de son but; ce serait sa mort. Demandons
constamment au Maître de la moisson de nous envoyer des ouvriers»151. Ces dernières années, nous avons
acquis une conscience plus aigüe de ce besoin. Les chapitres, les assemblées et les rencontres l’ont répété maintes
et maintes fois. Le P. Gustavo Alonso, dans sa circulaire «Les Clarétains en formation», l’exprimait ainsi au
début de cette décennie que nous sommes à la veille de clore: «On a besoin de plus de disciples de Jésus qui se
consacrent, pour la vie, à l’annonce de son Évangile. Dans cette perspective, il faut renouveler la vigueur de
l’œuvre de promotion des vocations (…). Des nouvelles vocations à l’œuvre évangélisatrice seront le fruit,
surtout, du nouvel enthousiasme missionnaire dont nous ferons preuve afin de faire face à cet avenir qui est à
nos portes»152.
Pourquoi vouloir être plus nombreux?
92. Je ne crois pas qu’aujourd’hui notre intérêt pour les vocations naisse seulement d’une préoccupation
humaine de notre survie, surtout dans les Organismes dont le taux de viellissement est assez élevé et les jeunes
clarétains se font rares ou non-existants, ni le désir de voir nos multiples œuvres évangélisatrices continuer. Si
c’était le cas, nous devrions continuer à purifier nos motivations. Durer ne veut pas dire mieux vivre. Lorsque le
désir démesuré devient une obsession, il lève une barrière devant une proposition claire et évangélique et il nous
rend inaptes à accueillir d’une manière désintéressée les frères que le Seigneur nous envoie. La raison en est plus
profonde. Nous souhaitons avoir des vocations parce que Jésus et son Royaume sont notre plus précieux
trésor153, parce que nous voulons partager avec les générations futures un style de vie évangélique qui nous rend
heureux, parce que nous désirons, comme notre Fondateur, «faire avec d’autres ce que nous ne pouvons pas faire
seuls». Ces paroles, si vivantes au moment de la fondation, nous offrent, encore aujourd’hui un horizon et un
encouragement. Au fur et à mesure que notre conscience missionnaire s’agrandit, nous sentons le besoin de
partager ce don avec beaucoup d’autres. Nous ne pouvons pas appeler d’autres en nous vantant d’une perfection
que nous n’avons pas. Mais nous ne pouvons pas non plus le faire sans une profonde attitude de reconnaissance
pour ce que Dieu a fait avec nous. Les jeunes ne cherchent pas de modèles parfaits mais des hommes émus par le
passage de Dieu.
Notre situation vocationnelle
93. Comme nous le savons bien, la situation vocationnelle de la Congrégation est très différente selon les
endroits. Nous continuons à croître en Asie et en Afrique; nous restons stables en Amérique Latine mais
diminuons en Europe et en Amérique du Nord. Nous observons un déplacement évident vers les régions du
monde où la Congrégation est plus jeune. Dans un certain sens et en paraphrasant les paroles de l’Apocalypse, le
premier monde est en train de passer et quelque chose de nouveau voit le jour154. N’est-il pas encourageant de
remarquer que la Congrégation, 150 ans après sa fondation, s’élargit dans des pays très différents en Asie et en
Afrique? Le dernier Chapitre Général nous encourage à être reconnaissants pour les vocations que Dieu nous
donne, aussi bien dans les endroits d’abondance comme dans ceux de pénurie. Dans les deux cas, nous devons
répondre au don reçu. Mais la quantité n’est pas tout. Notre service à l’Évangile dépend plus de l’authenticité et
de la qualité de notre vie plutôt que du nombre. Les Organismes qui jouissent de beaucoup de vocations ont
encore besoin d’aide pour effectuer un discernement juste et garantir une formation solide155. Dans les
prochaines années, nous aurons à construire six séminaires (Guinée Équatoriale, Cuba, Tanzanie, Uganda,
Indonésie et Kenya). Dans la conjoncture actuelle de la Congrégation, il nous faut atteindre la plus grande
corresponsabilité par la prière, la disponibilité personnelle à des tâches formatives et la solidarité économique.
Sérénité et discernement devant la rareté de vocations
94. Mais, quoi faire là où, malgré tous nos efforts, nous ne trouvons pas l’écho souhaité? Les terres qui ont
vu naître notre Congrégation, paradoxe de l’histoire, ce sont elles qui enregistrent aujourd’hui le plus bas taux
vocationnel. Que d’efforts fournis, d’heures de prières, de refléxion et de planification consacrées! Combien de
moyens n’a-t-on pas employés! La nuit obscure ou le dur hiver est cependant là. Je veux, au nom de la
Congrégation, montrer dans ces lignes le travail splendide de tous ceux qui, ces dernières années, se sont
consacrés à la pastorale vocationnelle de la jeunesse. En même temps, je les exhorte à l’espérance, car les images
employées ne sont pas négatives mais porteuses de promesses. La nuit obscure est un préambule d’une option
théologale. L’hiver est un passage vers un nouveau cycle de vie. Si nous regardons vers l’avenir, il n’y a pas de
sens à ignorer la réalité, à nous contenter des explications simplistes ou juste des exercices de survie. Nous
devons, en tout cas, éviter la nostalgie, le désenchantement ou de la pure considération du nombre156. Le
Seigneur sait ce qu’il fait avec son œuvre et c’est à nous de discerner le sens évangélique des événements et en
tirer profit pour croître en fidélité: «Les nouvelles situations de pénurie doivent donc être abordées avec la
sérénité de ceux qui savent que l’on demande à chacun plus l’engagement de la fidélité que la réussite. On doit
absolument éviter le véritable échec de la vie consacrée, qui ne vient pas de la baisse numérique, mais de la
perte d’adhésion spirituelle au Seigneur, à la vocation propre et à la mission»157. N’oublions pas les paroles du
Fondateur – transmises par le P. Clotet – lorsque les premiers clarétains ont éprouvé aussi le sentiment d’être peu
nombreux: «Si nous sommes peu nombreux, la grande puissance de Dieu resplendira encore plus». N’oublions
pas non plus la logique surprenante de l’Évangile: parfois, il faut que quelque chose meure afin qu’une autre
réalité surgisse avec une vigueur renouvelée, afin que le nouveau ne soit pas une simple retouche sur un vieux
tissu. Nous n’avons pas encore une perspective historique pour savoir si ce que nous appellons aujourd’hui mort
n’est pas un temps de grâce qui nous prépare à une vie nouvelle plus authentique, plus ouverte et plus généreuse.
Là où nous souffrons de cette pénurie vocationnelle, profitons de ce petit exil en Babylone pour tourner nos yeux
vers Dieu et nous laisser renouveler pour Lui.
95. Là où il y a de l’espoir, il y a aussi de la lucidité pour ne pas s’abandonner à de élans émotifs ou à de
simples calculs numériques. Souvent, la réalité de la pénurie nous fait poser beaucoup de questions auxquelles
nous ne donnons pas toujours des réponses calmement: Pourquoi cela arrive-t-il? Sommes-nous moins fidèles que
dans le passé? Notre charisme missionnaire a-t-il perdu de sa vigueur? Pourquoi quelques Instituts ont-ils des
vocations pendant que nous n’en avons pas? Donnons-nous la réponse adéquate? Le Chapitre Général a fait une
brève présentation des quelques causes158. Le Congrès Continental latino-américain sur les vocations (Italie
1994) et le plus récent Congrès européen (Rome 1997) nous ont offert aussi une refléxion clairvoyante qui nous
est très utile afin de cheminer avec l’Église sur cette question si déterminante pour le présent et l’avenir. Il nous
faut reconnaître les efforts déjà réalisés dans différentes zones pour repenser entre nous ces orientations159. Un
signe de lucidité dans la pastorale des vocations, c’est le soin mis au discernement dans la sélection des
candidats. C’est depuis longtemps que nous, Clarétains, avons opté pour la qualité. Nous mettons la qualité avant
la quantité160. C’est un critère de base pour la formation et pour la vie missionnaire.
96. Les interrogations autour de la problématique de diverses vocations dans l’Église, tant du point de vue
anthropologique, social, ecclésial que de la vie consacrée sont multiples et bien connues. Nous recevons des
descriptions exhaustives de la façon d’être et de vivre de la jeunesse actuelle. Tout ceci nous fait penser aux
difficultés réelles que les jeunes rencontrent avant d’embrasser le radicalisme évangélique ou pour s’incorporer
definitivement dans une Congrégation afin d’y servir le Royaume. Que faire devant tant d’obstacles? Comment
faire face aux multiples défis et questionnements posés aux niveaux de la Congrégation et de l’Église? Comment
accueillir les jeunes dans des communautés qui, en communion avec toute l’Église, offrent un climat vraiment
accueillant où chacun puisse se sentir reconnu et accepté pour y faire mûrir sa décision? Comment établir un lien
entre le «grand» idéal de Jésus et les petits gestes qui tissent la trame de la vie de chaque jour afin que les jeunes
réalisent qu’il est possible de vivre joyeux en étant pauvres, obéissants, chastes et en fraternité au service
missionnaire de la Parole?
Inviter d’autres implique vivre autrement
97. Les pressions du milieu social dominant, la situation de l’Église et les problèmes internes de la vie
consacrée et de la Congrégation ne doivent jamais devenir une excuse pour nous dérober à notre responsabilité.
L’Esprit de Dieu reste actif en tout temps et dans toutes les cultures. Cela ne sert à rien de continuer à nous
lamenter ou à répéter presque jusqu’à l’ennui les appels à «faire quelque chose». Il nous faut nous rapprocher de
la réalité d’une autre façon, avec une autre mentalité. Nous devons créer une vraie «culture vocationnelle», telle
que Jean-Paul II nous la propose161. Il est humainement impossible qu’une communauté découragée soit aussi
attrayante. L’heure est venue de réviser notre engagement vocationnel à partir de nouvelles attitudes. Afin de
vivre cette nouveauté, il est péremptoire de passer:
- D’une pastorale vocationnelle d’urgence à une pastorale qui soit «l’expression normale et continue de la
maternité de l’Église» qui engendre toujours la vie avec la force de l’Esprit, «seigneur et donneur de vie».
- D’une préoccupation obsessive de remplir nos trous vides à une préoccupation sincère pour toutes les
vocations. Si nous ne grandissons pas ensemble dans une Église en communion, personne ne grandira. Quand
allons-nous arrêter de considérer la pastorale vocationnelle comme un appendice de la pastorale-jeunesse?
- D’un travail limité aux plus proches (ceux qui se trouvent dans nos groupes) à une proposition
vocationnelle adressée à tous, puisque le Seigneur peut appeler là où nous l’imaginons le moins.
- D’une attitude de peur et de timidité à une attitude de joie et de conviction dans la force de Dieu qui
n’abandonne jamais sa communauté et qui peut faire d’une minuscule graine de moutarde un arbre où viennent se
nicher les oiseaux.
- D’un simple récrutement à une pastorale qui accompagne les personnes avec proximité et respect
profond.
- De déléguer le travail à quelques franc-tireurs à vivre la pastorale vocationnelle comme une tâche
commune à tous, même si certains se consacrent d’une manière plus spéciale à accompagner de près ceux qui
sont appelés.
- De la fatigue et la résignation comme attitude habituelle à un témoignage simple, plein d’espoir et créatif.
Dans notre pastorale vocationnelle, nous devons avoir en tête que la vocation du missionnaire clarétain peut
être vécue comme ministres ordonnés (missionnaires prêtres et diacres) et comme laïcs consacrés (missionnaires
frères)162.
Il y a un chemin
98. Les Constitutions nous indiquent le chemin à suivre pour encourager la promotion des vocations163. Le
Plan Général de Formation concrétise les moyens les plus adéquats164. Nous avons donc à notre disposition des
éléments suffissants pour savoir ce que nous devons faire. Pour cette raison, je me limiterai à souligner
l’importance que les éléments suivants ont pour les vocations: le vécu joyeux de la propre vocation, la prière
pour les vocations et l’invitation à travers la parole et le style de vie. Il faut intensifier la pastorale des vocations
par la contagion de la joie d’avoir été appelés. Celui qui vit avec joie le don vocationnel même au milieu d’ennuis
financiers et d’obstacles, devient un sacrement de l’appel. C’est comme s’il disait: «Venez et voyez. Le doigt de
Dieu est ici». La prière du 150e anniversaire de la Congrégation contient une humble demande afin que le
Seigneur envoie des ouvriers dans notre Congrégation et qu’il les remplisse de son Esprit. Récitons, avec une
vraie ferveur d’esprit, cette prière tous les jours pendant le jubilé. En ce qui touche l’invitation et le style de vie,
rappellons-nous que, tout au long de notre histoire, la simplicité de vie et le style jovial et amical ont été des
caractéristiques du missionnaire clarétain. Si vraiment nous souhaitons avoir des vocations, nous devons être près
des jeunes, les accueillir, les accompagner dans la prière, dans le discernement et dans les moments de décision.
Nos maisons, auxquelles les jeunes peuvent être invités afins qu’ils «voient», doivent respirer un climat de
grande joie et confiance dans la mission que l’on réalise pour le bien de l’Église et des hommes. Elles doivent, en
même temps, laisser voir que notre mission est universelle; que nous sommes préoccupés par l’annonce du
Royaume dans le monde entier.
99. Dans un climat de proximité humaine, de profondeur spirituelle et de passion missionnaire, il est
toujours possible d’adresser une parole explicite, de faire une proposition claire. Sans fatiguer les jeunes avec
une insistance qui porte atteinte à leur liberté, on peut pratiquer une pédagogie de «toi-aussi tu peux». La
vocation est avant tout une expérience de grâce, de gratuité au milieu d’une société compétitive et
professionnalisée. Nous qui avons été séduits par Jésus, nous savons jusqu’à quel point sa grâce nous a permis
d’avancer dans le chemin malgré nos faiblesses. Pourquoi n’arrivera-t-il pas aux autres ce qui nous est arrivé à
nous? Aujourd’hui encore Jésus regarde avec amour beaucoup de jeunes et leur dit: «Si tu veux être un homme en
plénitude, va, ce que tu as,vends-le et donne-le aux pauvres et tu trouveras que Dieu est ton trésor»165. C’est à
nous que revient la responsabilité de diriger ce regard et cette proposition aux jeunes dans le chemin de la vie.
Celui qui se sent aimé est capable d’entendre l’invitation à suivre Jésus comme une promesse de bonheur et non
comme une intrusion dans sa vie ou comme un arrêt de ses rêves. Dans notre histoire, il y a eu et il y a encore de
beaux exemples de clarétains qui ont su pratiquer ce délicat ministère166 de la parole opportune.
100. Une pastorale vocationnelle ainsi comprise, comme rencontre et dialogue sur le chemin de la vie,
trouve dans le Cœur de Marie sa plus profonde inspiration. Marie est Mère et Maîtresse des Missionnaires Fils de
son Cœur Immaculé. Dans notre pastorale vocationnelle, Marie occupe une place privilégiée. Elle nous inspire,
nous assiste, nous stimule dans les méandres vocationnels. Elle nous ouvre au mystère, nous aide à discerner à
partir de la foi, nous donne son témoignage dans la décision, nous revèle sa joie dans le service. Dans la pastorale
vocationnelle clarétaine, l’on doit donner une importance spéciale à la relation personnelle au sujet des plans, au
soin de l’intériorité avant le cumul des actions externes, l’expérience de la grâce («Réjouis-toi, Marie, le
Seigneur est avec toi») comme base pour prendre une option («Voici la servante du Seigneur»), bien avant tout
calcul humain. Espérons que la même Mère qui était présente aux débuts de notre Congrégation continue à nous
accompagner
dans
les
périodes
de
difficulté
et
de
pénuire.
CONCLUSION:
L’HEURE DE L’ENTHOUSIASME
101. Qui ne rêve pas d’une Congrégation rajeunie pour une Église jeune à l’aube du troisième millénaire?
Nous sommes tous ravis de voir des frères à nous centrés vocationnellement, qui vivent joyeusement leur service
missionnaire, même si cela s’avère difficile; qui sentent comme propre à eux tout ce qui arrive aux autres; qui ont
toujours un regard positif sur tout ce qui les entoure? Ils vivent chaque moment et chaque événement pleins de
joie et avec enthousiasme. Il n’est pas question d’une fantaisie éphémère. Au fond de cette vie de joie et
d’enthousiasme, il y a des croyances et des convictions profondes capables d’étouffer toute ombre de doute, de
découragement ou de peur. Parce qu’ils croient à l’idéal de vie qu’ils ont embrassé, ils s’adonnent avec passion à
la cause de la communauté, de ses options les plus radicales et à l’exercice du ministère qui leur est confié.
Combien vivent-ils dans l’état d’illusion et d’enthousiasme? Nous ne le savons pas. Il n’est pas facile non plus de
savoir combien souffrent d’apathie, de désillusion ou d’indifférence167. Je veux seulement vous rappeler ce que
l’essayiste et poète américain Ralph Waldo disait: «Tout grand mouvement dans l’histoire des annales du monde
est un produit de l’enthousiasme. Aucune grandeur n’a été atteinte sans enthousiasme».
102. Lorsque l’on regarde vers l’an 2000 et l’on contemple la réalité de la Congrégation dans toute sa
richesse et complexité, dans toutes ses limitations et possibilités, notre plus grand désir, c’est que nous soyons
envahis toujours d’un enthousiasme corporatif afin de faire face au défi de l’évangélisation. Il est bien vrai que
l’on n’est pas enthousiasmé par décret ni par obligation. L’enthousiasme est le fruit d’un côté, d’une grâce
spéciale de l’Esprit qui fait sentir une force capable d’approfondir dans les valeurs essentielles et de surmonter
n’importe quelle limitation, et, d’un autre côté, le fruit aussi des conditions favorables que nous créons, nous tous
les membres de la Congrégation. Il est fréquent d’entendre que nous sommes dans le printemps de l’Esprit. C’est
possible qu’aujourd’hui plus que jamais, nous soyons conscients de sa présence dans l’Église. Dans le livre des
Actes des Apôtres, lorsque l’on raconte la venue de l’Esprit-Saint, on fait allusion aux paroles de Pierre qui
évoque le prophète Joël: «Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Alors, vos fils et vos filles prophétiseront;
vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards des songes»168. Que veulent-ils dire ces «visions» et ces
«songes» sinon la riche expérience de tout homme ou tout groupe – sans distinction d’âge ni de condition sociale
– qui se trouve sous l’influence de l’Esprit qui le fait participant de sa force innovatrice et créatrice?
L’expression de cette influence, c’est l’enthousiasme, l’illusion capable de contempler et affronter la vie à partir
de l’expérience sans égale de la résurrection de Jésus.
103. Pendant plusieurs années, nous avons conservé la tradition de prier oralement pour la Congrégation:
pour le fruit apostolique des missionnaires et pour les vocations. On devrait récupérer cette prière dans l’un ou
l’autre moment de prière communautaire de chaque jour. Plus nous faisons des plans pour répondre aux
problèmes que nous découvrons, plus nous devenons conscients du besoin de rester unis à Jésus et de vivre de
son Esprit. L’avenir de la Congrégation, en tant que communauté apostolique, dépend de la participation à la vie
de Jésus, de la communication de son Esprit. La conséquence des paroles de Jésus est tout à fait logique: «Je suis
la vigne; vous, les sarments. Celui que demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit; car hors
de moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se
dessèche; puis on les ramasse et on les jette au feu et ils brûlent»169. A cause de notre mentalité pratique, il nous
est difficile de comprendre l’efficacité mystérieuse de la prière. Nous aimerions avoir plutôt des stratégies
garantissant des résultats tangibles. Cependant, seul celui qui croit que «si le Seigneur ne bâtit pas la maison, en
vain peinent les bâtisseurs»170 peut être porteur des fruits évangéliques.
104. Ayons recours à l’Esprit-Saint et demandons-lui qu’il nous fasse rêver encore une fois et qu’il nous
tire de l’insatisfaction résultant de la confrontation avec la pauvre réalité de la vie. Claret et les premiers
missionnaires ont pu embraser tout sur leur passage parce qu’ils brûlaient de charité. Leur vie et leur annonce
étaient cohérents. Ils disposaient de moins de moyens que nous, mais peut-être ils débordaient de plus de zèle que
nous, de la vraie ardeur prophétique171. Que le même Esprit nous fasse voir les obstacles que nous mettons aux
autres à vivre avec joie et qu’il nous remplisse de force pour créer des conditions favorables afin de devenir une
communauté de témoins et de prophètes qui annoncent la Bonne Nouvelle et proclament un an de grâce du
Seigneur: «Esprit qui as suscité dans l’Église cette Congrégation des Missionnaires, viens en nous tous et faisnous vivre une nouvelle Pentecôte».
Rome 22 août 1998
Fête de Marie Reine.
Aquilino Bocos Merino, C.M.F.
Supérieur Général
HÉRITAGE ET PROPHÉTIE
Cent cinquante ans de grâce et de service à l’Évangile
I. «J’ADORE CET HÉRITAGE»
pag.
5
1. La Congrégation en fête
C’est le temps de célébrer [n° 2]
Les célébrations dans le passé [n° 3]
Comment célébrer aujourd’hui? [n° 4]
Une fête à l’intérieur du Jubilé de l’Eglise [n° 7]
Une fête de famille [n° 8]
» 6
» 6
» 7
» 8
» 10
» 11
2. «Tout commença à Vic»
Claret, une lumière et une voix nouvelles [n° 11]
«Animés par le même esprit» [n° 15]
« A u j o u r d ’ h u i ,
n o u s
c o
oeuvre» [n° 19]
La Congrégation, œuvre de Dieu et de Marie [n° 21]
»
»
»
m
»
3. La Congrégation comme un arbre planté
Enracinement, vigueur et solidité [n° 26]
Les cernes de la croissance [n° 28]
Jusqu’au premier jubilé [n° 29]
Jusqu’au deuxième jubilé [n° 30]
Jusqu’au troisième jubilé [n° 31]
Plusieurs figures: une seule vocation [n° 33]
Fruits de sainteté et d’héroïsme évangélique [n° 34]
Des feuilles tombées et des branches sèches [n° 37]
Une mission: des services multiples [n° 38]
Avançant entre ombres et lumières [n° 40]
»
»
»
»
»
»
»
12
14
20
m e n ç o n s
24
» 26
u n e
g r a n d e
30
31
33
34
35
37
39
» 40
» 42
» 43
» 45
4. «Chère Congrégation»
» 47
Une expression de famille [n° 41]
» 47
Claret et nous: père, frère et compagnon [n° 42]
» 48
D e u x
e x e m p l e s
d ’ a m o u r p o u r
Xifré et Clotet [n° 43]
pag. 49
Nos Martyrs [n° 47]
» 53
… et le témoignage de tant de missionnaires [n° 48]
» 55
L’amour aide à grandir [n° 50]
» 56
l a
C o n g r é g a t i o n :
…et aussi le pardon et la réconciliation [n° 52]
5. Qu’allons-nous faire de l’héritage réçu?
On n’aime que ce que l’on connaît [n° 54]
Connaître n’est pas tout: il faut vivre [n° 55]
Il faut aussi recréer [n° 56]
» 58
»
»
»
»
59
60
62
63
II. FAIRE DE NOTRE HÉRITAGE UNE PROPHÉTIE » 65
1. La Congrégation «en mission prophétique»
» 66
Héritage prophétique [n° 58]
» 66
Le Seigneur a parlé, qui ne prophétiserait?[n° 59]
» 68
Un appel à tous [n° 60]
» 69
L a
p r o p h é t i e
e x i g e
d e
s e
p l a c e r
d a n s
l ’ a u t r e
dimension [n° 62]
» 70
Amis des pauvres [n° 65]
» 72
Des experts dans «le dialogue de la vie» [n° 68]
» 74
Une prophétie faite coeur [n° 69]
» 75
2. Marcher ensemble
Marcher ensemble dans les grandes régions [n° 70]
Spiritualité de communion [n° 72]
Prophétie de la vie ordinaire [n° 73]
» 76
» 76
» 78
» 80
3. Vivre en fidélité dynamique et créative
» 81
C é l é b r o n s e t r e n d o n s g r â c e s p o u r
lité [n° 74]
» 81
Des faits qui nous font penser [n° 75]
» 82
Difficultés actuelles [n° 77]
» 84
Que pouvons-nous faire? [n° 80]
» 87
4. Réconciliés avec l’étude
pag. 91
Il nous faut deux pieds pour marcher [n° 84]
» 91
L e s « c o m p e n s a t i o n s c u l t u r e l l e s » n e
pas [n° 85]
» 92
Établir des ponts entre la foi et les cultures [n° 86]
» 93
Être à la hauteur des temps [n° 87]
» 94
Soyons réalistes: faisons face aux défis [n° 88]
» 96
5. Inviter d’autres avec audace
» 99
Une préoccupation de toujours [n° 91]
» 99
Pourquoi vouloir être plus nombreux? [n° 92]
» 101
Notre situation vocationnelle [n° 93]
» 102
S é r é n i t é e t d i s c e r n e m e n t d e v a n t
vocations [n° 94]
» 103
Inviter d’autres implique vivre autrement [n° 97]
» 106
Il y a du chemin [n° 98]
» 108
CONCLUSION: L’HEURE DE L’ENTHOUSIASME
» 111
t a n t
n o u s
l a
d e
f i d é -
s u f f i s e n t
r a r e t é
d e s
Finito di stampare nel mese di ottobre 1998
Tipografia «La Roccia» - Via delle Calasanziane, 64 - 00167 Roma - Tel. 6282744
Téléchargement