HÉRITAGE ET PROPHÉTIE 150 ans de grâce et de service à l’Évangile Lettre Circulaire du P. Aquilino Bocos Merino, C.M.F. Supérieur Général Rome 1998 LES SIGLES LES PLUS UTILISÉS 1F AC AG CMF Aut CC ColCC CPR DC EA EC EsC EMP MCH MR Mss Claret NPVM PE PGF RM SP VC - Décret sur la Formation (Chapitre Général, 1967) Annales Congregationis Archives Générales Clarétaines Saint Antoine-Marie Claret, Autobiographie Constitutions CMF Collection des circulaires des PP Généraux, Madrid, 1941 Le Clarétain dans le processus du renouveau congrégationnel (Chapitre Général, 1985) Déclaration sur le charisme (Chapitre Général, 1967) J. M. Viñas - J. Bermejo, San Antonio María Claret. Escritos autobiográficos, BAC, Madrid, 1991 J.M. Gil, Epistolario Claretiano (I-II, Madrid, 1970; III, Madrid, 1987) José Xifré, El espíritu de la Congregación, Madrid, 1949, 3 ed En mission prophétique (Chapitre Général, 1997) La mission du clarétain aujourd’hui (Chapitre Général, 1979) Instruction «Mutuae relationes» (1978) Manuscritos autógrafos, AG CMF Notre projet de vie missionnaire (Commentaire aux Constitutions, 1989-1991) Déclaration sur le patrimoine spirituel (Chapitre Général, 1967) Plan Général de Formation. Rome, 1994 Redemptoris missio, 1990 Serviteurs de la Parole (Chapitre Général, 1991) Vita Consecrata, 1995 À tous les Missionnaires Clarétains Chers Missionnaires, Que Dieu le Père, le Fils et l’Esprit Saint, qui anime, renouvelle et perfectionne toute chose, vous remplisse de joie et d’espérance dans le service du Royaume. Le 16 juillet 1999 s’approche, date jubilaire de notre Congrégation. Cela marquera les 150 ans de la fondation de cette petite première communauté de Missionnaires Fils du Cœur Immaculé de Marie dans le séminaire de Vic (Barcelone, Espagne). Que ce jour où le Seigneur a agi, «soit notre joie et notre allégresse»1. En regardant l’avenir, nous nous rappelerons et commémorerons avec joie le début et le cheminement de la «grande œuvre». Nous ferons nôtre tout ce qu’il y a eu de grâce et de service à l’Évangile, de miséricorde divine et de fidélité humaine à travers les générations. Nous rendons grâce pour les faits de vie qui sont aujourd’hui des signes d’espoir pour demain. C’est pour cette raison que, en annonçant officiellement cette célébration, je vous invite à chanter avec le psalmiste: «Rendez grâces au Seigneur parce qu’il est bon, éternelle est sa miséricorde»2. Ces fêtes jubilaires sont appelées à devenir une célébration de la vie missionnaire et un stimulus pour grandir en elle. Avec ce double but, ayant comme toile de fond l’expérience des six dernières années et les orientations du dernier Chapitre Général, je veux, avec cette lettre circulaire, faire parvenir à tous les Missionnaires de la Congrégation une invitation fraternelle à vivre dans la joie cet événement et quelques réflexions qui nous aideront à répondre aux défis les plus marquants dans notre vie missionnaire. Je consacrerai la première partie à héritage charismatique: les origines et les dates marquantes de notre histoire. Dans la deuxième partie, sous le titre «Faire de notre héritage une prophétie», je parlerai de la dimension prophétique dans notre vie missionnaire qui demande une attention spéciale: cheminer ensemble, fidélité, réconciliation avec l’étude et le défi des vocations. I «J’ADORE MON HÉRITAGE» Seigneur, mon partage et ma coupe, C’est toi qui garantis mon sort: La part qui me revient fait mes délices, J’ai même le plus bel héritage. (Ps 16,5-6) 1. Sans aucun mérite de notre part, par pure grâce, nous sommes Fils du Cœur Immaculé de Marie, missionnaires clarétains. Nous aurions pu être une autre chose. Nous admettons qu’il y a beaucoup de possibilités et de formes de vivre et de servir l’Évangile. Mais nous continuons à vivre dans cette Congrégation parce que nous avons eu l’expérience que pour nous rien ne peut se comparer au don reçu. À partir d’une expérience comparable à celle du psalmiste, nous affirmons: «Tu es mon bien». Nous sommes heureux d’avoir Dieu comme le trésor de notre vie, de suivre Jésus-Christ selon le style de Claret dans cette famille religieuse. Oui, nous avons eu un beau lot. Nous sommes heureux de notre sort. Nous n’hésitons pas à dire: «J’adore mon héritage». 1. La Congrégation en fête C’est le temps de célébrer 2. C’est inné en nous de célébrer la fondation de notre Institut. L’Esprit qui sema hier la petite sémence nous pousse aujourd’hui à rendre grâces parce que la bonté divine s’est fait et continue à se faire protection, appui et force. N’est-ce pas tout ceci que nous avons experimenté tout au long de ces 150 ans? Par ailleurs, un sentiment de joie partagée fait naître dans le cœur de chacun la beauté de l’idéal qui nous pousse, l’espoir pour faire face aux défis et aux difficultés de chaque jour. Nous pourrions faire beaucoup de choses à l’occasion de cet anniversaire, mais la première et la plus importante sera de le célébrer. Comment empêcher que notre mentalité programmatrice et productive ne vide pas le sens le plus authentique de la fête? Les pauvres aiment célébrer les fêtes. Les riches, comme ils ont tout, au lieu de célébrer, ils s’amusent. Leur obsession de posséder et de paraître ne leur permet pas de jouir. Les pauvres, même s’ils manquent de tout, apprécient ce qu’ils ont et le partagent. Vous le savez bien, vous qui vivez avec eux et qui partagez leur sort. Puissions-nous le célébrer à leur façon! Qui sait si ce que nous ne réussissons pas à faire avec nos projets nous l’aurons comme fruit de cette célébration! À travers la fête, on atteint la communion, on brise les frontières, on oublie les plaintes et l’on multiplie les efforts pour se réjouir. La gratuité, la tendresse, le bénévolat, le pardon, la confiance, si souvent présents dans la fête avec force, font fuir tout ce que le travail quotidien apporte d’obscur, de négatif et douloureux. Tout ce qui est beau est au rendez-vous de la fête. Son éclat nous fait oublier la douleur de ce qui est éphémère, la croix du travail, la souffrance de la lutte. Les célébrations dans le passé 3. Célébrer en communauté l’anniversaire de la fondation a toujours été une tradition dans la Congrégation3. Le Père Fondateur invita M. José Caixal pour commémorer le premier anniversaire de la rencontre avec les frères. Vingt ans plus tard, il écrivait au Supérieur Général, le P. José Xifré: «Jésus et Marie ont fondé la sainte Congrégation il y a vingt ans aujourd’hui; et on a continué jusqu’à maintenant où le Seigneur a permis cette persécution que nous subissons non pas pour l’éteindre mais plutôt pour l’agrandir et la faire étendre»4. La Congrégation a célébré, d’une manière spéciale, les 50, les 75 et les 100 ans de la fondation5. Quelque chose d’inconnu a dû arriver au 50e anniversaire à cause de la maladie grave du P. Xifré. Un témoignage de cet événement fut la publication de la «Historia de la Congregación» du P. Mariano Aguilar6, où la vitalité du jeune Institut est si bien reflétée. En 1924, avec le bref «Inter religiosas familias», Pie XI approuvait solennellement les Constitutions et la Congrégation. De nouveaux horizons universels s’ouvraient à la Congrégation. L’année du centenaire (1949), la Congrégation, irriguée abondemment par le sang des martyrs, se réjouissait de se voir solidement établie dans plusieurs continents. L’année après, on a eu la joie de fêter la canonisation du Père Fondateur. Comme fruit de la célébration du centenaire et de la canonisation, on a décidé de s’établir au Japon7. Comment célébrer aujourd’hui? 4. Ces dernières années, la sensibilité des personnes et des groupes sociaux face aux fêtes jubilaires a changé beaucoup. On ne privilégie pas aujourd’hui l’ostentation extérieure ni les festivités grandioses qui souvent servent à nourrir l’autocomplaisance et le prestige social, mais on cherche plutôt à réaffirmer son identité, le renouveau de la communauté en fête et l’élan missionnaire. C’est une occasion de regarder notre petite histoire comme dans un miroir pour ainsi retirer des leçons pour continuer à avancer dans l’inspiration charismatique avec plus de fidélité. On cherche, avant tout, la rencontre avec nos origines; on veut partager ce que la vie apporte pour faire face, avec un dynamisme nouveau, à ce que nous réserve l’avenir. On fait ressortir les éléments intégrants de toute commémoration solennelle: une pause dans la vie de tous les jours, la gratuité et la joie, la priorité de la communauté entière, le mémorial de l’événement qui recrée la communauté dans son passage à travers le temps, la communion des valeurs auxquelles la communauté croit et sur lesquelles elle s’appuie. Tous ces éléments devraient être présents, d’une façon ou d’une autre, à la célébration de nos fêtes jubilaires. 5. Dans la pratique, nous devons prendre ce 150e anniversaire comme une occasion idéale de reconnaître le don de Dieu et d’en remercier le Seigneur; une occasion de louange et de bénédiction pour demander pardon et miséricorde; de révision et de régénération de notre propre identité; de développer la solidarité et relancer l’engagement évangélisateur. C’est ainsi que la Congrégation devra entrer dans cette fête. Nous avons une occasion de «raviver la joyeuse expérience de notre appartenance à une Communauté héritière d’un style de vie et d’un ministère apostolique prophétiques par lesquels Dieu continue à visiter son Peuple»8. De ce point de vue, l’exhortation post synodale «Vita Consecrata» acquiert tout son sens: «Vous n’avez pas seulement à vous rappeler et à raconter une histoire glorieuse, mais vous avez à construire une grande histoire! Regardez vers l’avenir où L’Esprit vous envoie pour faire encore avec vous de grandes choses»9. 6. Évidemment, il faut tenir compte des différentes situations où se trouvent les membres de la Congrégation dues à l’âge, formation reçue, expériences apostoliques, contextes sociaux et culturels, ministères, responsabilités, etc. Le retour aux sources et le rappel de l’histoire de la Congrégation ainsi que les attentes pour l’avenir sont très différentes. Il y a des groupes qui commencent leur vie missionnaire clarétaine sans trop d’appui dans la tradition parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion de la connaître. Ils veulent affirmer leur identité charismatique à l’intérieur de leur contexte culturel. Il y a d’autres qui, tout en ayant une compréhension rationnelle de leur propre identité, ont besoin de redécouvrir la force créatrice et transformante de l’Esprit pour reprendre la joie dans leur vocation et s’impliquer avec enthousiasme dans la mission de la Congrégation. J’espère que, autant les uns comme les autres, que nous tous, sachions tirer profit de l’intensification du dialogue avec le Fondateur, avec ceux qui ont vécu fidèlement leur charisme missionnaire pendant ce siècle et demi et avec les hommes et les femmes de notre temps, surtout avec les plus démunis, avec ceux qui souffrent et avec ceux qui ne réussissent pas à trouver un sens à leur vie. Dans la mesure où nous favoriserons ce dialogue augmentera notre désir de mener une vie évangélique plus radicale et de mettre toutes les structures au service de l’Évangile selon ce qui est plus urgent, opportun et efficace. Une fête à l’intérieur du Jubilé de l’Église 7. Dans la lettre circulaire «En camino hacia el año 2000»10, j’ai présenté les premières considérations sur le contexte, la portée et la signification de la commémoration des 150 ans de la fondation et d’autres événements de la Congrégation: centenaire de la mort des co-fondateurs PP. Jaime Clotet et José Xifré et le cinquantième anniversaire de la canonisation du P. Fondateur. J’y ai indiqué que ces fêtes devraient s’encadrer dans la grande célébration du troisième millénaire de la naissance du Rédempteur. N’oublions pas que la personne de Jésus, le Fils du Père et l’Oint de l’Esprit pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres11, est au centre de nos célébrations! J’ai demandé, à cette occasion, des suggestions pour ce jubilé congrégationnel. Nous avons reçu beaucoup de propositions que nous avons présentées au Chapitre Général. Par après, le Gouvernement Général a mis sur pied une Commission chargée de promouvoir les activités programmées. En avril de cette année, la Commission a concrétisé les objectifs, les critères et les projets prévus pour le temps des célébrations fixé du 24 octobre 1998 au 7 mai 2000. Je vous renvoie au programme préparé par la Commission et je demande aux supérieurs, formateurs et responsables de pastorale de l’assumer avec enthousiasme et de faire de leur mieux pour que ces projets deviennent réalité. Chaque communauté clarétaine, chaque paroisse, collège, groupe de pastorale doit chercher la façon de vivre, avec un sentiment ecclésial et missionnaire, cet événement de grâce. Une fête de famille 8. Nous partageons le charisme missionnaire avec d’autres personnes. Nous ne sommes pas les seuls héritiers. Par conséquent, nous devons partager aussi la joie de ces fêtes jubilaires avec les membres de la Famille Clarétaine, spécialement là où elle peut se réunir. D’un autre côté, nous ne pouvons pas oublier dans cette invitation ceux qui ont aidé à faire grandir et consolider la Congrégation, nos bienfaiteurs. Marie et l’Esprit l’ont fait naître dans l’Église, mais cette plante toute tendre a grandi grâce à la générosité des parents des Missionnaires qui ont donné leurs fils à la Congrégation. Ce sont eux les plus grands bienfaiteurs. À travers ces 150 ans, beaucoup de Pasteurs ont appuyé les diverses fondations, ils nous ont accueillis et offert leurs maisons, en commençant par celui de Vic. Il faudrait, dans chaque localité, inviter tous les prêtres, religieux et laïcs qui ont collaboré dans la pastorale des vocations et dans les projets d’évangélisation et de promotion humaine. Également, il faudrait remercier tous ceux qui, avec leurs biens matériels, ont rendu possible la construction d’édifices, la formation des candidats et la réalisation de tant d’œuvres apostoliques. Ce serait une belle occasion de faire connaître notre spiritualité aux familles, aux jeunes et, d’une façon générale, à tous les laïcs qui sont en contact avec nous. 2. «Tout commença à Vic» 9. L’histoire commença à un endroit (Vic) et à un moment donné (1849). En rélisant notre histoire, il est facile de percevoir la joie de nos ancêtres lorsqu’ils voyaient que les origines de notre Institut étaient marquées par l’initiative de l’Esprit, la protection de Marie et le feu apostolique de ceux qui se sont rendus dociles à l’action de l’appel de Jésus pour suivre et annoncer l’Évangile. Nous, les clarétains de cette fin du siècle et du millénaire, nous sommes des «cohéritiers» d’un grand patrimoine spirituel et missionnaire, enrichi par une succession de générations12. Le don de l’Esprit, qui remplit Claret et les premiers compagnons, a continué à engager tous ceux qui, séduits par ce projet de vie, ont voulu apporter leur effort afin de réaliser ce que Claret ne pouvait pas faire tout seul13. 10. En pensant aux jeunes générations, surtout à celles qui n’ont pas eu beaucoup de contact avec les sources, je voudrais raconter notre histoire un peu comme quelqu’un qui ouvre l’album de famille et se plaît à remémorer avec tendresse personnes, faits et paroles. Je sais que pour beaucoup d’entre vous, c’est un itinéraire très bien connu. Mais raconter ce que nous avons été, c’est la meilleure façon d’enraciner notre présent et de découvrir des signes pour notre avenir. Je ne voudrais pas que nous oublions d’où nous venons, qui ont été nos parents dans la vocation, quelles sont, en résumé, nos racines. Évidemment, nous devons toujours être conscients que la nouveauté de notre vocation vient du Dieu créateur et qui nous appelle à marcher dans la recherche de celui qui a besoin de nous. Par ailleurs, je le considère indispensable pour améliorer notre connaissance et l’estime de notre histoire. Il ne suffit pas de se contenter d’une approximation superficielle et encore moins de quelques faits qui souvent se basent sur des projections subjectives plutôt que sur des faits réels. Apprenons à raconter sérieusement et simplement et laissons-nous imprégner de la force transformatrice propre à toute narration authentique. Claret, une lumière et une voix nouvelles 11. Le premier élément qui se fait remarquer dans notre héritage est la personne même du Fondateur. Claret se présente dans l’Église comme une lumière nouvelle et une voix nouvelle pour l’annonce de l’Évangile en ce contexte historique précis du 19e siècle. Face à une société affamée de la Parole de Dieu14, et se rendant compte qu’il ne pouvait pas faire seul tout ce qu’il souhaitait, il met sur pied une communauté de missionnaires «évangélisateurs et apostoliques»15 possédant, dès le début, un horizon universel16. Le P. Fondateur montra son intérêt pour l’extension de la Congrégation. Il souhaitait qu’elle sorte de la Catalogne17, qu’elle aille en Afrique18, Amérique Latine19, aux États-Unis20. Claret est un homme de son temps vivant en contact continuel avec le peuple duquel il reçoit des leçons et l’encouragement. Il est un grand écouteur et serviteur de la Parole, formé à l’école des Prophètes et des Apôtres21. À partir de cette double expérience, il fonde une communauté centrée sur l’écoute et le service missionnaire de la Parole. On sait que l’image que nous aurons de la Congrégation est basée sur l’idée que nous aurons du Fondateur. Pour cette raison, tout ce que l’on fera pour mieux connaître Claret sera bénéfique et stimulant pour le dynamisme missionnaire de la Congrégation. À ce propos, il faut étudier le contexte historique, social, économique et religieux de ce temps-là, ce que nous mettons souvent entre parenthèse. C’est seulement ainsi que la figure du Fondateur émergera avec réalisme et que l’on appréciera à sa juste valeur la naissance d’un nouvel Institut. 12. Au moins pour nous qui possédons tant de faits historiques, l’image du Fondateur ne peut rester limitée à celle de la fondation. Nous héritons de Claret, en tant que fondateur, toute la richesse spirituelle et apostolique, pas seulement en Catalogne et dans les Iles Canaries, mais aussi à Cuba, Madrid, Rome et l’exil en France. À travers ses écrits autobiographiques, ses lettres et ceux qui l’ont connu, nous connaissons ses qualités et ses limites, ses efforts afin d’atteindre le but d’un idéal qu’il portait en lui-même.. Un fait important: le P. Claret, au moment de fonder la Congrégation, travaillait à atteindre le troisième dégré d’humilité22. Au dos du manuscrit dans lequel Claret avait consigné cette résolution, nous trouvons ce commentaire: «Celui qui se plaît à ce que Dieu soit Dieu et qu’il soit aimé et servi par tout le monde et qui a de la peine de ce que Dieu soit offensé, celuilà peut dire qu’il aime Dieu dans ce monde. Il s’efforce de le faire connaître, aimer et servir de tous et empêche, autant qu’il le peut, tous les péchés»23. Ce fait qui, comme on peut le constater, s’accorde très bien avec le «rappel qu’il se faisait à lui-même» ou «définition du missionnaire»,nous fait penser à la hauteur spirituelle qu’il avait atteinte au moment de la fondation. À celle-ci, nous devons ajouter l’expérience spirituelle et apostolique acquise les années suivantes de sa vie. À sa mort, Claret quitte une vie accablée et affinée par l’amitié profonde avec Jésus-Christ nourrie dans la méditation constante de la Parole de Dieu et dans le vécu du Mystère de l’Eucharistie; par sa façon d’endurer et d’assumer les tribulations et persécutions pendant les années de son séjour à Madrid jusqu’à son exil et sa mort; par son expérience du pardon des ennemis24; par son amour tendre et filial de Marie et de l’Église et par son désir passionnée de distribuer le pain de la Parole, écrite et parlée, aux plus démunis. Il ne faut pas voir Claret seulement à partir de l’expérience qu’il avait au moment de la fondation puisqu’il a continué à l’enrichir et à élargir les fronitères de la Congrégation tout au long de sa vie25. L’itinéraire de la vie de Claret est le paradigme de notre propre itinéraire qui nous illumine et nous pousse toujours vers des buts toujours plus hauts. 13. Lorsque la Congrégation célébra son centenaire, on nous rappella les mots du prophète Isaie: «Regardez le rocher d’où l’on vous a taillés»26. On nous invitait à la fidélité filiale envers le Fondateur. Cinquante ans après, la théologie sur les fondateurs et sur les charismes dérivant de la fondation nous ont placés dans une perspective encore plus profonde et intégrale. Le Chapitre sur le Renouveau en 1967 et les Chapitres qui ont suivi ont mis en relief la portée de la paternité spirituelle de Claret. Pour cette raison, aujourd’hui, l’invitation à nous rappeler le rocher d’où nous sommes taillés nous remet à l’action de l’Esprit, à revivre sa force créatrice et innovatrice qui nous arrive grâce à la médiation historique du Saint-Fondateur. Claret n’a fait que nous rendre participants de son expérience de l’Esprit. Cette expérience, riche et profonde, impliquait son amour de JésusChrist et de Marie comme Mère de tous les hommes; son zèle pour la gloire de Dieu et la beauté de l’Église; son souci du salut de tous les hommes et son empressement pour trouver des collaborateurs dans l’évangélisation; sa capacité de discerner les signes des temps et sa façon de faire face à la déchirante réalité sociale et ecclésiale de son temps; ses intuitions prophétiques et ses initiatives apostoliques; sa large compréhension du service missionnaire de la Parole et son audace dans l’exécution; sa capacité de prier, travailler et souffrir jusqu’à la mort dans l’exil afin que Dieu soit connu, aimé et servi. Rien d’étonnant que cette expérience devienne pour nous une source d’inspiration et de stimulation dans la réponse que nous devons donner aujourd’hui à notre vocation et mission dans l’Église et dans le monde27. 14. Nous descendons d’Antoine-Marie Claret. Il est notre Père Fondateur. Ce lien, profond et intime, entre Claret et la Congrégation ne peut être compris qu’à partir de l’Esprit-Saint. C’était l’Esprit-Saint qui poussa Claret à réunir les premiers missionnaires, à donner un nom à la première communauté, à écrire pour elle les Constitutions, à travailler pour qu’elle soit approuvée par le Gouvernement espagnol et par le Saint-Siège et à l’aider par tous les moyens. Pas seulement cela. Plus important encore, l’Esprit lui a donné la grâce d’avoir des disciples et de les rendre participants dans la manière même de vivre le mystère de Jésus, ainsi que de prolonger la mission évangélisatrice dans le style des Apôtres. Saint-Antoine-Marie Claret, avant d’être un saint que nous admirons et dont nous apprenons, est le Père de notre communauté missionnaire. En ravivant l’Esprit qui animait Claret, la Congrégation se sent poussée au delà d’elle-même. Le Fondateur n’est pas un axe qui la fait tourner sur elle-même, mais plutôt une force qui la pousse à établir le Royaume de Dieu dans le monde des pauvres, des laissés pour compte, des marginalisés. La Congrégation, lorsqu’elle se sent poussée par la fidélité créatrice du Fondateur, se met en marche vers ceux qui n’ont pas encore écouté la Bonne Nouvelle du Royaume, vers les affamés de vérité, de justice et d’amour fraternel. «Animés par le même esprit» 15. Une caractéristique saillante des origines de notre communauté missionnaire, c’est que tous se sentaient «animés par le même esprit». Dans son Autobiographie, en racontant sur la fondation, Claret nous dit: «…entretemps, je suis allé rencontrer un certain nombre de prêtres à qui Dieu avait donné le même esprit dont j’étais animé. Voici leurs noms: Esteban Sala, José Xifré, Domingo Fábregas, Manuel Vilaró, Jaime Clotet…»28. Lorsqu’il demanda au Nonce l’approbation des Constitutions, il lui annonça: «en 1849, nous nous sommes réunis quelques prêtres animés par le même esprit»29. Dans leur recherche, il existait un instinct de syntonisation. Claret considérait ses compagnons comme un don: «jusqu’en 1849 où le Seigneur daigna lui donner des compagnons qui étaient…»30. L’esprit dont ils se sentaient animés était le même qui avait inspiré et poussé Claret à tout laisser et à se donner entièrement au service missionnaire de la Parole31. Ils avait trouvé les appels puissants à prêcher l’Évangile dans la prière, dans la Bible et dans les temps difficiles des gens. Auprès des prophètes et, surtout, auprès de Jésus, il trouvait des modèles de référence pour sa vocation missionnaire. Luimême nous dit: «Le Seigneur me fit également comprendre d’une façon très particulière ces paroles: L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi: il m’a envoyé porter la Bonne nouvelle aux pauvres, panser ceux qui ont le cœur brisé»32. Missionnaire apostolique à travers la Catalogne et les Canaries, Claret a senti l’impulsion de s’engager davantage dans une mission plus universelle. Comme il ne pouvait pas le faire tout seul, il se réunit avec d’autres pour former une communauté de vie à la manière des Apôtres et pour se donner à la prière, à l’étude et à la prédication33. 16. Ils sont nombreux les témoignages du Fondateur lui-même qui laissent voir clairement son intense zèle apostolique. Il suffit de lire les chapitres avant la fondation de la Congrégation. Parmi les témoignages externes, il vaudrait la peine de citer les paroles du P. José Xifré dans la «Crónica de la Congregación». Parlant du P. Claret comme fondateur, il dit: «Son zèle dépassait toute mesure. Il voulait étendre la voix de l’Évangile à tout l’univers. Il souhaitait, avec une très grande ardeur que l’on prêche et catéchise, jusqu’à la fin des temps et dans toutes les régions, les pauvres et les riches, les savants et les ignorants, les prêtres et les laïcs. Il voulait, avec ardeur, sauver tous les gens parce que tous sont faits à l’image de Dieu et ils sont le prix du sang du Christ. Ces désirs enflammés remplissaient son cœur et devenaient l’objet de ses prières ferventes au Seigneur et, parce qu’elles étaient conformes au Cœur de Jésus, elles ont été exaucées. Le Seigneur, qui a les yeux fixés sur les justes et les oreilles attentives à leurs supplications, s’est daigné d’écouter son serviteur en Lui inspirant l’idée de fonder une Congrégation d’hommes qui, revêtus du même esprit apostolique que lui, auraient l’objectif qu’il désirait et implorait»34. Le P. J. Jaime Clotet décrit l’histoire de la fondation et commence par dire «Depuis plusieurs années, le Missionnaire , plein de zèle, voyant clairement les besoins des gens, avait projété de réunir quelques prêtres qui l’aideraient dans la tâche très difficile de conquérir les âmes pour Dieu avec comme moyen les saintes missions. C’était dans le silence et la prière surtout qu’il sentait les élans pour cette immense entreprise»35. 17. Après les premiers mois d’expérience communautaire, Claret attestait que les membres de la communauté naissante agissaient sous la mouvance du même esprit: «Les Missionnaires vont très bien et on ne peut pas aller plus vite qu’à présent (…); nous nous exercerons dans toutes les vertus, spécialement dans l’humilité et la charité, et nous menerons en communauté, dans ce collège, une vie vraiment pauvre et apostolique; (…) plusieurs nous ont demandé de venir vivre avec nous, mais nous faisons beaucoup d’attention et nous examinons leur portrait physique et moral, puisque dans ce domaine, il faut viser juste car une brebis galeuse peut infecter les autres»36. À son retour de Cuba, Claret voit que sa mission dans l’Église est universelle. La vision de l’Ange de l’Apocalypse lui fait comprendre que son activité s’allonge et s’élargit: «À son cri, les sept tonnerres ont fait entendre leur propre voix. Voilà qu’arrivent les fils de la congrégation du Cœur Immaculé de Marie; l’ange dit: Sept. Ce nombre veut dire tous, il les appelle des tonnerres parce que, comme le tonnerre, ils parleront haut et feront entendre leurs voix». Et il ajoute: «Le Seigneur m’a dit à moi et à mes compagnons missionnaires: Ce n’est pas vous qui parlez, c’est l’esprit de votre Père et de votre Mère qui parle en vous. De sorte que chacun de nous pourra dire: L’esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m’a oint. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, soigner les cœurs brisés»37. Ce sont les paroles d’Isaïe, qui l’avaient poussé à sortir et annoncer la Bonne Nouvelle, qui doivent inspirer la vie missionnaire de ses compagnons. Le même esprit qui animait Claret et les co-fondateurs devra aussi animer tous les Missionnaires: «L’esprit de votre Père et de votre Mère parlera en vous». 18. Ces célébrations nous placent dans les origines de la source de tout renouveau: l’ouverture et la docilité à l’Esprit qui nous a convoqués et qui continue à nous pousser à être des témoins et des prophètes dans ce monde qu’il veut renouveler avec notre collaboration désintéressée. L’Onction de l’Esprit et la syntonie avec le peuple vont de pair dans notre vocation missionnaire. Vivre «à partir du même esprit», c’est vivre selon l’Esprit; c’est lui qui nous consacre et nous ouvre aux besoins des peuples où nous sommes envoyés; qui nous rend participants de son inventivité et de sa créativité, nous remplit d’audace prophétique et nous réconforte dans les moments de persécution, de difficulté et de découragement. «Aujourd’hui commence une grande oeuvre» 19. Ceux qui se rassemblèrent dans la cellule du séminaire de Vic ce 16 juillet 1849 étaient, à l’exception de Claret, des prêtres jeunes et inconnus, et l’un d’entre eux, plutôt fragile. Le début, d’ailleurs, ne pourrait qu’être plus humble. Ils n’avaient pas une maison à eux38, ni mobilier ni moyens financiers. Ce n’était pas un groupe aux conditions humaines et matérielles apte à crier haut et fort: «Aujourd’hui commence une grande oeuvre». Malgré tout cela, le Fondateur, homme de foi et plein de l’esprit prophétique, l’affirme et le réaffirme devant la méfiance de quelqu’un parmi les participants. Claret savait que Dieu peut faire de grandes choses à partir de notre petitesse afin que brille davantage sa Divine Providence39. 20. Sur quoi Claret s’appuyait-il pour penser que ce serait une grande œuvre? Il était convaincu que ses prières avaient été exaucées. Nous avons des preuves qu’il avait prié ainsi: «Appuyé sur votre grâce – disait-il à Dieu et à la Très Sainte Vierge – et sur les compagnons que vous me destinerez, je formerai la Congrégation dont je serai le dernier et le serviteur de tous, et, pour cette raison, je baiserai leurs pieds, servirai à table et je me considérerai heureux de rendre ces services»40. Lors de la première conférence des exercices de la fondation, selon le témoignage du P. Jaime Clotet, Claret montra sa grande consolation en voyant établie l’œuvre qu’il avait souhaitée des années auparavant41. Il en était certain que c’était l’œuvre de Jésus et de Marie. Il le déclara à plusieurs occasions42. Il n’était qu’un instrument dans les mains de Dieu43. Il prenait appui sur la croix, comme il l’a fait remarquer dès la prémière conférence des exercices. Il s’appuyait aussi sur l’image qu’il avait du Missionnaire Fils du Cœur Immaculé de Marie. Il pensait, sans doute, qu’il ne manquerait pas à la Congrégation des missionnaires de la taille et de l’étoffe reflété dans le «mémorial ou définition du missionnaire»44 écrit et commenté par le Fondateur lui-même pendant les Exercices de la fondation. Grâce à tout cela, la Congrégation serait «une grande oeuvre». La Congrégation, œuvre de Dieu et de Marie 21. Une des convictions les plus profondes et spontanées des premiers membres de la Congrégation, c’était qu’elle était l’œuvre de Dieu et de Marie. Ni le Fondateur ni les co-fondateurs ont eu le moindre scrupule d’appeler la Congrégation Sainte, Sacrée, Œuvre Divine. Au moins, dans deux lettres au P. José Xifré, le P. Claret parle de «la sainte Congrégation». Dans la première lettre, il écrit qu’il a pensé laisser ses économies à cette sainte Congrégation45; dans l’autre, à l’occasion du vingtième anniversaire de la fondation de la Congrégation46. Dans cette lettre et dans une autre, il se réfère à la Congrégation comme «œuvre de Dieu»47. Pendant les exercices qu’il donna aux communautés de Vic et Gracia en 1865, il disait que «la Vierge a fondé sa Congrégation en Espagne»48. Nous savons, par une lettre du Paladio Curríus, que le P. Sala parle de la Congrégation comme «la Sainte Oeuvre»49. Le P. Xifré, dans le «Espíritu de la Congregación», consacre le deuxième paragraphe de l’Introduction à prouver que «la Congrégation est l’œuvre de Dieu»50. 22. Comme une conséquence de cette forte conviction du Fondateur, des co-fondateurs et des premières communautés, est né l’espoir dans la durée et la Providence spéciale de Dieu et de Marie pour leur œuvre. Les premières années de la Congrégation ne furent pas très faciles. Le P. Claret a dû répéter à plusieurs reprises au P. Xifré des paroles d’encouragement: «Dites à tous les missionnaires qu’ils prennent beaucoup de courage en Dieu et en la Très Sainte Marie»51. «Courage! En avant! N’ayez pas peur! Jésus et Marie nous feront tirer de l’embarras! Nous travaillons pour eux»52. «Je félicite mille fois tous les membres de la Congrégation du bonheur d’être persécutés. Dites-leur de ma part qu’ils gardent courage et confiance dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie»53. «Courage, Dieu et Marie ne laisseront pas tomber leur Oeuvre»54. Cette confiance dans l’avenir de la Congrégation, parce qu’elle était l’œuvre de Dieu, a été une note constante dans notre histoire, une des plus belles traditions que nous avons reçue et que nous devons renouveller à partir de la foi, comme cela se faisait dans les prières communautaires lorsqu’on récitait cette antienne:: «Regarde du haut des cieux et vois cette vigne et protège-la, celle qu’a pantée ta main droite»55. C’était l’expression de la croyance dans l’origine divine de la Congrégation et que c’est le Seigneur qui la soutient et la fait grandir. 23. Marie est la Mère, la Fondatrice et la Patronne de la Congrégation. Ce ne sont pas des spéculations qui nous amènent à cette conviction profonde. Marie a été considérée comme telle depuis les origines. Nous pouvons le déduire des expressions que nous venons de citer. Il faut aussi ajouter le témoignage du P. Clotet qui participa aux exercices donnés par le P. Fondateur aux communautés de Vic et Gracia en 1865. Il raconte que le P. Claret, se tournant vers l’image du Cœur de Marie, avait dit: «La Congrégation est à vous. C’est vous qui l’avez fondée: ne vous rappelez-vous pas Madame, ne vous rappelez-vous pas? Il l’avait dit avec emphase et tout spontanément, ce qui laissait entendre qu’il se souvenait vivement en ce moment-là de l’ordre, des paroles et de la présence de la Mère de Dieu»56. En se voyant l’oeuvre de Marie, la Congrégation éprouve une sensation de confiance, de sécurité et d’élan missionaire. Marie exerce sa maternité en nous configurant à son Fils, l’Envoyé du Père et l’Oint par l’Esprit. La filiation cordimariale est une note essentielle de notre charisme missionnaire. En vivant cette grâce, notre foi et notre docilité à la mission augmentent; notre charité devient plus ardente. C’est la manifestation de notre façon d’être et de notre travail apostoliques. Nous sommes des Fils du Cœur Immaculé de Marie et, comme tels, nous travaillons à construire la fraternité universelle et nous prêchons la tendresse et la miséricorde de Dieu envers tous les humains. Ainsi nous embellissons le Corps du Christ; ainsi nous faisons Église. L’avenir de la Congrégation est entre les mains de Marie. Elle guide, forme et encourage tous les missionnaires. 24. C’est stimulant de voir que la Congrégation soit considérée comme «sainte» depuis le tout début. Elle n’était pas sainte grâce à ses membres ni à ses moyens mais parce qu’elle partageait la note essentielle de l’Église qui est sainte parce que le Christ l’a aimée et l’a enrichie du don du Saint-Esprit pour la gloire de Dieu, le Père. Le Fondateur et les premiers Missionnaires voyaient la Congrégation dans l’Église et pour l’Église, partageant dans la nouvelle alliance et le don de l’Esprit. Ils croyaient que, de la même manière que la sainteté de l’Église se manifeste et doit se manifester dans les fruits de grâce que l’Esprit produit dans les fidèles, la Congrégation, ayant reçu le don de l’Esprit, elle aussi devrait se manifester avec les fruits de fidélité à la vocation missionnaire que tous ses membres avaient reçue. Le meilleur moyen de corriger la tentation de croire que l’on peut rendre la Congrégation plus forte à base d’efforts humains, c’est de souligner que la Congrégation est l’œuvre de l’Esprit. Malgré tout ce que nous disons sur la gratuité et sur l’importante priorité donnée à l’Esprit, dans la pratique, ce sont la force humaine, le prestige et l’acceptation sociale qui s’imposent très souvent. C’est la mystique des ses origines et non pas le pouvoir de ses œuvres ou structures qui doivent inspirer la Congrégation. Même si elles manifestent beaucoup de force, elles ne pourront jamais faire croître l’enthousiasme et l’espoir missionnaires auprès des personnes et des communautés. 3. La Congrégation comme un arbre planté 25. Ce qui a commencé humblement à Vic s’est étendu à travers le monde. Ce qui, en 1849, semblait une graine de moutarde est devenu aujourd’hui un arbre feuillu aux fruits abondants: «l’abre de la Congrégation»57. Cette expression du Fondateur58 est devenu le symbole de la trajectoire vitale de notre Institut. Nous nous appuyons sur ce symbole pour parler de plusieurs facettes de l’histoire de la Congrégation à travers ses 150 ans. En commentant le texte biblique, nous pouvons dire que, ayant êté plantée aux bords du torrent de la Vie59, elle peut se compter parmi ces «arbres fruitiers dont le feuillage ne se flétrira pas et dont les fruits ne cesseront pas; ils produiront chaque mois des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture et les feuilles un remède»60. Enracinement, vigueur et solidité 26. Trois qualités d’un arbre61 qui synthétisent l’histoire de la Congrégation pendant ces 150 ans: enracinement, vigueur et solidité. Enracinement qui n’implique pas immobilité mais plutôt affirmation continuelle de l’identité propre; vigueur, qui n’est pas arrogance, mais plutôt force et fraicheur pour la croissance; et solidité, qui n’est pas non plus entêtement, mais capacité d’endurer les intempéries et adversités sans abdiquer sa propre mission. La Congrégation, comme l’Église et la société, a souffert les secousses des changements produits par la modernité et la post-modernité. Des changements rapides, profonds et universels. Nous nous sentons secoués par de grandes interrogations dans la société, la culture, la politique, l’économie, la religion et l’Église; beaucoup de doutes nous ont assaillis; on a mis en question beaucoup de croyances fondamentales. Même si tout n’est pas parfait ni réussi, même s’il y a eu des erreurs et failles regrettables, même si les ouragans ont brisé quelques branches et ont emporté beaucoup de feuilles sèches, l’arbre est encore débout, fleurissant et plein de fruits. Nous devons remercier le Seigneur du fait que, au milieu des épreuves endurées qui ont pris tant de victimes, la Congrégation s’est vue aidée par l’Esprit et par Marie et par la lucidité, l’audace missionnaire et la sérénité institutionnelle dont elle a joui. 27. La Congrégation, en fait, se présente dans l’Église comme un Institut de vie consacrée profondément enraciné dans son charisme fondationnel. Si l’on regarde la Congrégation dans son ensemble, on ne sait pas quoi admirer le plus: son fort enracinement dans l’expérience charismatique de Claret ou sa constante vision vers le haut qui nourrit l’utopie dans le service de l’Évangile; son tronc noueux fournissant sérénité et vigueur au milieu de tant de défis ou sa capacité d’accueillir tous ceux qui cherchent protection et bien-être. Pour nous, c’est la marque d’une histoire réussie dans la fidélité créatrice qui a connu tous les contrastes propres de la vie. Ce que nous savons, c’est que les meilleurs moments de la Congrégation ont été ceux qui sont marqués par la vie évangélique, le zèle apostolique et le martyre. La sève qui a nourri tout l’arbre a été l’intérêt persistant à atteindre le but de la Congrégation: «chercher en tout la gloire de Dieu, la sanctification de ses membres et le salut des hommes du monde entier, selon notre charisme des Missionnaires dans l’Église»62. Et les pires moments? Quels ont été les vents violents qui ont secoué l’arbre? Il serait très intéressant de les pointer pour une étude profitable mais nous n’en avons pas assez d’études historiques critiques. De toute façon, tenant compte de la richesse de notre héritage charismatique, nous pouvons déjà supposer que les pires moments de la Congrégation ont été lorsque l’on a obscurci la conscience de son identité et de sa mission dans l’Église, lorsque l’on n’a pas écouté la voix de Dieu à travers les signes des temps, lorsque l’on a déserté les sources de notre propre spiritualité et on a entrepris des œuvres qui n’étaient ni inspirées ni dirigées par le ministère de la Parole. À l’occasion, l’exercice d’un gouvernement peu responsable et une formation peu exigeante ont pu affaiblir la vie de la Congrégation. Également, on pourrait considérer comme des pires moments lorsque les clarétains ont arrêté de cultiver le détachement et le style de vie vraiment pauvre et se sont conformés à la société de consommation et ont diminué leur disponibilité pour les urgences missionnaires qui entraînent des sacrifices sérieux. Les cernes de la croissance 28. La Congrégation, en tant qu’organisme vivant, a eu sa trajectoire vitale durant ces 150 dernières années. C’est un itinéraire qui reste encore à étudier et à approfondir. Connaître les personnes et leurs actions ou les Organismes qui la composent ne serait pas assez pour apprécier la Congrégation; il faudrait encore bien étudier les générations, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui coexistent, vivent ensemble et collaborent à un moment donné. Ces générations se trouvent dans des contextes sociaux, culturels et ecclésiaux concrets et elles en sont débitrices. Les générations qui ont suivi ont marqué l’articulation du changement historique de la Congrégation. Il serait bon de les étudier et de trouver leurs traits. De toute façon, à l’intérieur de la continuité de la vie historique, nous trouvons différentes étapes, des jalons de récapitulation et de recommencement. Même si c’est un peu de façon artificielle, ces jalons, que nous pourrions considérer comme des cernes de croissance d’un arbre, pourraient coïncider avec les périodes jubilaires de notre Institut63: 1899, 1949 et 1999. Jusqu’au premier jubilé 29. Les 50 premières années ferment la première étape de la Congrégation. Pendant cette période, ont vécu les témoins de la première heure, ceux qui «avaient vu et entendu» le Fondateur et s’étaient trempés dans son charisme. En effet, même si on ne connaissait pas les écrits autobiographiques, on peut percevoir le vécu du feu des origines, avec tout ce que cela comporte de spontanéité et de dynamisme irrésistible, sans exclure, cependant, quelques tensions. Preuve de tout ceci – comme je l’ai déjà indiqué – pensons à la «Historia de la Congregación», publiée par le P. Mariano Aguilar. En novembre 1899, le P. Xifré est mort qui, pendant 41 ans et six mois, avait été le Supérieur Général. C’est lui le responsable de la croissance numérique, de l’expansion géographique et de la consolidation institutionnelle. Il a ouvert les premières missions aux non-chrétiens, le ministère scolaire et paroissial. À sa mort, il a laissé le chemin ouvert à une Congrégation jeune et pleine de vie, assez bien structurée et prête à faire face aux défis qui marquaient le début du 20e siècle. La Congrégation était présente dans 6 pays avec 60 maisons appartenant aux 2 Provinces créées en 1895: Catalogne et Castille. Le personnel était ainsi reparti: 463 Prêtres, 430 Étudiants, 451 Frères et 108 Novices. Jusqu’au deuxième jubilé 30. Les 50 ans qui ont suivi complètent le centenaire de la Congrégation. Il reste encore quelques témoins qui ont vu et entendu les premiers missionnaires. Il s’agit d’une étape de croissance en personnes et en œuvres apostoliques. L’Institut révèle un degré spécial de maturité de réflexion sur sa nature apostolique, sa spiritualité et son universalité missionnaire. C’est l’étape où on fait connaître la «Autobiografía» (1917) avec tout ce que cet événement a comporté de première approche à l’étude du charisme fondamental. Mais il y manquait une connaissance critique de l’histoire du Fondateur, de ses écrits, adhérences étrangères que la Congrégation avait peu à peu incorporées à sa forme d’exprimer et de vivre sa condition missionnaire. En 1946, on publie la volumineuse «Vida del Beato P. Claret»64. Pendant ces 50 ans, la Congrégation se fait présente en plusieurs pays de l’Amérique Latine. En 1902, nous allons aux États-Unis. On ouvre des communautés dans plusieurs pays de l’Europe (Angleterre, France, Italie). Le Chapitre Général de 1922 insiste pour que la Congrégation s’étende à d’autres pays. Comme fruits de ce désir, parmi d’autres, nous trouvons les fondations de Panamá et Venezuela (1923). Nous fondons en Allemagne en 1924; au Sao Tomé en 1927; à Cuba en 1930; en Chine en 1929. Plus tard, après l’expulsion de la Chine, nous allons aux Philippines (1947) et au Japon (1951). Pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), la Congrégation reçoit la grâce du martyre avec plus de 270 de ses membres. Tout le monde connaît les répercussions que cela a eues sur les Provinces espagnoles et sur toute la Congrégation. Au cours de la dernière décennie, on commence à ressentir dans l’Église une certaine inquiétude pour le renouveau de la vie religieuse qui veut devenir un ferment d’unité et d’élan évangélisateur dans le monde. Les activités apostoliques se multiplient de 1899 à 1949. En plus des grandes personnalités qui travaillent dans les territoires de mission ou dans les missions populaires, quelques-uns de nos frères se distinguent dans des champs aussi divers que le droit, les mass média, la musique, la direction spirituelle de séminaires, etc. Pendant cette période, la Congrégation publie beaucoup de revues et de brochures, toutes imprégnées de l’esprit missionnaire. Le 15e Chapitre Général a eu lieu en 1949. Quarante et un capitulaires y participent et 1 seulement n’est pas d’origine espagnole, le P. Peter Schweiger qui est élu Supérieur Général. À l’intérieur de ce centenaire, le P. Fondateur est canonisé. En 1950, la Congrégation comptait avec 241 maisons en 23 pays. Elle était formée de 15 Organismes Majeurs (Provinces, Sémi-Provinces et Délégations). Le personnel était distribué ainsi: 1154 Prêtres, 676 Étudiants, 501 Frères, 160 Novices. Jusqu’au troisième jubilé 31. Le troisième cinquantenaire était marqué par un grand événement ecclésial qui débute à la fin de la première décennie: le Concile Vatican II. Cet événement a forcé la Congrégation à initier un processus de discernement, d’éclaircissement et de responsabilité sur son identité et sa mission dans l’Église. L’itinéraire du renouveau a été toujours ouvert aux défis des différents contextes sociaux, culturels et ecclésiaux. Il nous a obligé à étudier plus attentivement le Fondateur et le développement du charisme de l’Institut. Un grand effort a été fourni pour éditer et faire connaître les écrits autobiographiques, spirituels, mariaux et pastoraux du P. Claret ainsi que son épistolaire actif et passif. En 1967 paraît la deuxième partie de la « Historia de la Congregación»65. Malgré les convulsions soudaines qui ont touché quelques groupes de personnes, la Congrégation a continué à s’affirmer progressivement dans les Chapitres post-conciliaires dans sa vocation au service missionnaire de la Parole. Essayant de conjuguer la fidélité créatrice avec l’esprit du Fondateur et l’attention aux signes des temps, elle a mis en relief l’une ou l’autre dimension de sa vocation, prenant comme critère de donner une réponse à ce qui est le plus urgent, opportun et efficace. Elles sont nombreuses les données sur la croissance de la Congrégation qui nous viennnent à l’esprit à nous tous. Je veux souligner le nombre d’Organismes qui, à partir du Chapitre du renouveau, ont assumé une mission à eux. Les présences missionnaires en Asie et en Afrique ont augmenté considérablement. Les Rencontres missionnaires par zones ont entretenu vif l’esprit missionnaire et ont facilité la coordination des programmes et des projets. En plus, la Congrégation a fait un grand effort pour promouvoir la vie religieuse avec la création de trois Facultés ainsi que la promotion du laïcat. Selon les statistiques dont nous disposons, nous sommes maintenant 2955 membres, dont 15 Évêques, 1985 prêtres, 2 diacres, 612 étudiants, 252 frères et 109 novices. Nous sommes présents dans 56 pays et nous travaillons dans 269 Eglises locales. Nous sommes distribués en 33 Organismes Majeurs avec 362 maisons et 59 résidences. 32. La Congrégation jouit aujourd’hui d’une riche et sérène autocompréhension de son identité et de sa mission dans l’Église et dans le monde, exprimée dans les Constitutions renouvelées66, le Directoire67, les Documents Capitulaires68, le Plan Général de Formation, etc. Tout ceci est, sans doute, le fruit d’une meilleure connaissance des sources clarétaines et d’avoir mis face à face ses intuitions, ses exigences et ses projets avec les défis du monde d’aujourd’hui. La Congrégation possède une structure juridique solide et flexible en même temps. Concernant la vie missionnaire, il est difficile aujourd’hui de la comprendre sans une planification adéquate selon les zones et les niveaux et sans tenir compte des options des sujets préférentiels des Eglises, de la Congrégation et des Organismes. Le pronostic de Claret sur la Congrégation et sur l’Amérique Latine, «la vigne jeune», s’est accompli à la perfection. Aujourd’hui nous comptons avec d’autres «vignes jeunes»: Asie et Afrique. Lorsque nous regardons notre histoire, nous voyons, comme qualités saillantes son extension et sa floraison dans la plupart des peuples et des cultures où elle est présente. Avec une grande reconnaissance, nous pouvons affirmer que l’expérience de l’Esprit de Claret, transmise aux premiers missionnaires, a été accueillie, vécue, protégée, approfondie et dévéloppée constamment en synthonie avec le Corps du Christ en croissance continuelle69. Cette expérience de l’Esprit a été la sève qui a donné des racines, de la solidité et qui a fait croître l’arbre de la Congrégation à travers son histoire dans les différents continents. Il y a déjà des vocations et des centres de formation dans la plupart des pays où nous travaillons. Plusieurs figures: une seule vocation 33. J’ai sur mon bureau le dernier «Catalogue» de notre Congrégation. Ce n’est qu’un symbole de la communauté universelle que nous formons. À la vue de tant de noms et d’origines, comment ne pas avoir un profond sentiment de gratitude? Il y a en nous des limitations et des péchés; chacun de nous, avec son histoire concrète, est un don de Dieu à l’Église et au monde. Nous ne nous sommes pas choisis les uns les autres. Nous tous avons été convoqués par le Seigneur et la grâce du «même esprit» de Claret nous a été accordée. Pour cette raison, en ce moment, ses paroles résonnent plus spontanément: «Merci, Seigneur, mille fois d’avoir daigné choisir vos humbles serviteurs pour devenir les fils du Cœur Immaculé de votre Mère!»70. Comment ne pas le remercier pour le don de notre appel commun lorsque nous nous rendons compte que ce n’est pas grâce à nos désirs ni à nos stratégies humaines? Beaucoup de nos frères ont laissé leur famille, leur ville, leur culture, leur langue pour partager la vie de Jésus dans d’autres contextes culturels et sociaux. D’autres ont fait des efforts pour s’ouvrir à un nouveau style de vie et de mission apostolique et s’efforcent pour l’accueillir et les faire siens. D’autres encore travaillent avec zèle dans la pastorale des vocations, dans la formation, dans l’accompagnement des nouvelles générations, dans le gouvernement, dans les multiples offices internes de nos communautés et, surtout, dans les plus divers ministères apostoliques. Nos frères âgés et nos malades constituent la force d’appui pour notre communauté missionnaire. Fruits de sainteté et d’héroïsme évangélique 34. Dans presque toutes nos communautés, on lit chaque jour le «Nécrologe». C’est un autre album de famille. Dès la fondation jusqu’à aujourd’hui, 3613 missionnaires sont passés à la maison du Père. Beaucoup d’entre eux ont brillé par leur sainteté, leur héroïsme dans leur vie missionnaire, par leurs dons de gouvernement et de formation, par les arts littéraires et musicaux, par leur sens d’organisation et par beaucoup d’autres activités. Le Fondateur a été glorifié par l’Église. L’héroïcité des vertus du P. Jaime Clotet a été reconnu déjà. Les PP. Estéban Sala et José Xifré ont joui d’une renommée spéciale de sainteté. La Congrégation a gardé dans sa mémoire la vie missionnaire héroïque des Pères Donato Berenguer71, Pablo Vallier, Julián Butrón, Mariano Avellana (vénérable), Clemente Serrat, Antonio Naval, José Arumí, Toribio Pérez, Francis Ambrosi, Tom Mitchelle, Leo Mattecheck…; des Frères Miguel Xancó, Manuel Fonseca, Manuel Giol, Pedro Marcé, Miguel Palau…; des Étudiants Ignacio Buil, Eusebio Bofill, Juan Puigmitjà, Jaime Puiggrós, Luis Alvarez Icaza, Pedro Mardones, Juan Llamosa, Félix J. Juaton… 35. D’une façon ou d’une autre, la souffrance et le martyre ont marqué l’histoire de notre vie missionnaire. Rappelons-nous la douleur de voir le Fondateur éloigné de la première communauté, à peine inaugurée; le premier sang versé par le P. Francisco Crusats et l’exil de la Congrégation en France; le martyre du P. Andrés Solá, au Mexique et de tant d’autres en Espagne pendant la guerre civile de 1936; les persécutions souffertes en Chine et en Guineé Équatoriale et à beaucoup d’autres endroits où, pour rester fidèles à leur vocation ou pour défendre les droits humains, assez de clarétains ont été victimes de la violence, blessés ou maltraités. Nous pouvons aujourd’hui nous mettre sous la protection de 51 missionnaires martyres (prêtres, étudiants et frères) de la communauté de Barbastro, proclammés Bienheureux par l’Église. C’est stimulant de se rappeler le sens du sacrifice de tant de clarétains qui s’offraient volontaires pour les missions si difficiles en ce temps-là de la Guinée Équatoriale, du Chocó, de Darién, San Blas (Kuna Yala) et de la Chine; la générosité sans frontières de tous ceux qui ont fait face à des difficultés dans leur ministère. 36. Le 7 mai 2000, date où nous finirons notre 150e anniversaire et célébrerons le 50e anniversaire de la canonisation du P. Fondateur, l’Église fêtera le martyrologe du siècle qui s’achève. Quelle belle occasion de nous unir à l’Église qui admire le témoignage de foi de ses enfants et de rendre grâces pour tous les missionnaires clarétains qui ont rempli tant de pages de ce martyrologe! Pendant ces fêtes jubilaires, nous devrions favoriser la communion avec les martyrs qui nous ont légué un signal clair de radicalisme évangélique dans la suite de Jésus et dans l’annonce de l’Évangile. Avec eux nous formons une communauté et nous recevons d’eux des forces neuves et l’enthousiasme pour solidifier notre vocation et la vivre avec un élan renouvelé, surtout face à la violence qu’il faut endurer afin de faire fructifier le Royaume. Des feuilles tombées et des branches sèches 37. Nous devons rendre grâces à Dieu et à Marie pour tous et chacun des clarétains. Leur vie et leur travail sont des signes de bénédiction. Nous ne sommes pas orgueilleux de ce que nous sommes mais plutôt reconnaissants à ceux qui ont rendu possible le bien-être dont nous jouissons. Nous ne formons pas une communauté de personnes parfaites mais plutôt des hommes qui cheminent vers la plénitude. Nous devrions tous aller dans cette direction mais, malheureusement, ce n’est pas le cas. Il y a parmi nous aussi des situations ambigües. Il y a un mélange de grâce et de péché; de sagesse et d’erreur; d’accueil reconnaissant et de recherche passionné des intérêts personnels; du désir humble et fatigant, d’avance et l’inhibition de ceux qui ne risquent rien. Personne ne doit s’étonner, alors, de trouver dans la Congrégation, comme dans n’importe quel arbre, des feuilles qui jaunissent et tombent ou des branches qui sèchent. D’autres, tout simplement, vont se planter ailleurs. Les abandons et les sorties, avec tout le mystère qui les entoure et la douleur qu’ils comportent pour ceux qui s’en vont et pour ceux qui restent, sont comme des feuilles qui tombent. Ceux qui restent chez nous sans s’intégrer, sans s’engager à fond, étant avec nous mais sans faire partie de nous, sont comme des branches sèches ou stériles. La sève du charisme clarétain ne circule plus en elles. Nous pouvons dire la même chose des activités ou des œuvres qui ne sont pas inspirées et animées à partir de l’esprit missionnaire de Claret. Tout ceci nous interpelle, nous rend vigilants et nous aide pour que les paroles du Seigneur ne s’appliquent pas à nous: «Je vous ai donné une terre qui ne vous a demandé aucune fatigue, des villes que vous n’avez pas bâties et dans lesquelles vous vous êtes installés, des vignes et des olivettes que vous n’avez pas plantées et qui sont votre nourriture»72. Une mission: des services multiples 38. La Congrégation, en tant que communauté apostolique itinérante et universelle, a exercé le service missionnaire de la Parole de plusieurs façons: catéchèse, missions populaires, exercices spirituels, mission «ad gentes», livres et publications, éducation chrétienne à différents niveaux, direction des associations, formation de leaders d’évangélisation, ministère paroissial, cours bibliques, pastorale de la famille, des malades et des prisonniers, accompagnement spirituel, services sociaux et humanitaires, dialogue foi-culture, dialogue oécuménique, interreligieux, promotion de justice et paix, expression artistique à travers la peinture, la sculpture et la musique, etc. Toute cette diversité de ministères ne doit pas nous amener à penser que chacun peut faire ce qui lui plaît. Le service missionnaire de la parole doit toujours inspirer et orienter tous et chacun des membres de l’Institut et toutes et chacune de nos œuvres apostoliques73. 39. Le déploiement des activités apostoliques de tous nos frères dans le monde est étonnant. En les constatant directement, les mots du psalmiste nous montent à l’esprit et au cœur: «Rendez grâces au Seigneur, car il est bon, éternel est son amour. Qu’ils le disent, les rachetés du Seigneur, ceux qu’il racheta de la main de l’oppresseur, ceux qu’il rassembla du milieu des pays, orient et occident, nord et midi»74. C’est admirable la générosité et le sacrifice offerts, la solitude et l’incompréhension assumées, la satisfaction et la joie reçues. On constate souvent que ceux qui sèment dans les larmes, récoltent dans la joie75. Lorsque l’on regarde le travail accompli par les Missionnaires Clarétains, il faut bien se rappeler, encore une fois, les paroles que le P. Fondateur écrivait au P. J. Xifré en 1861: «Dites à mes très chers frères missionnaires qu’ils prennent courage, qu’ils travaillent tant qu’ils le pourront, Dieu et la très sainte Vierge le leur rendront. Je sens une telle affection pour les prêtres qui s’engagent dans les missions que je leur donnerais mon sang et ma vie; je laverais et baiserais mille fois leurs pieds, je leur ferais leur lit, préparerais leur repas et je me priverais de la nourriture pour qu’ils mangent. Je les aime tant que je deviens fou d’amour pour eux; je ne sais pas ce que je ne ferais pas pour eux. Lorsque je considère qu’ils travaillent pour que Dieu soit plus connu et aimé, pour que les âmes soient sauvées et ne se perdent pas, je ne sais pas ce que je ressens… En ce moment où je vous écris, j’ai dû laisser ma plume pour essuyer mes larmes… Ô fils du Cœur de ma très chère Mère!, je veux vous écrire mais je ne le peux pas parce que mes yeux sont pleins de larmes. Prêchez et priez pour moi»76. Ces paroles effusives du P. Fondateur deviennent vivantes dans l’actualité missionnaire de la Congrégation et encore plus que par le passé, si cela est possible, car les frontières se sont élargies et les postes d’avant-garde pour l’évangélisation se sont multipliés. Avançant entre ombres et lumières 40. Cependant, nous ne pouvons pas oublier, comme nous le rappellent plusieurs Chapitres, que la Congrégation a traversé des moments d’ombres, de reculs et de résistance dans son cheminement de fidélité aux exigences du charisme reçu. Elle a eu des occasions où elle a été perspicace pour capter les réponses aux signes des temps et d’autres occasions où il lui a manqué le sens critique et l’audace pour entreprendre de nouvelles actions en faveur du Royaume. Nous avons souffert des ratés dans le ministère de la parole parlée, écrite ou enseignée. Par exemple, le nombre de paroisses a augmenté outre mesure dans des pays qui n’en avaient pas besoin et nous avons perdu un peu de l’itinérance missionnaire. Nous avons eu des moments d’exaltation mariale au détriment de notre spiritualité Cordimariale, qui est authentiquement missionnaire. Il y a eu des moments où nous avons abandonné la lecture et la méditation de la Parole de Dieu et centré notre attention dans d’autres lectures qui, même si elles étaient bonnes, ne nourrissaient pas le charisme missionnaire. Dans le développement ou l’expansion de la Congrégation, reste toujours l’intérrogation sur les causes du manque d’équilibre de présence entre les continents, sur la concentration excessive dans les zones hispaniques même si l’on avait demandé une plus grande universalité, surtout à partir du Chapitre de 192277. Pourquoi la Congrégation, qui, par tradition, s’est occupée avec attention, de centres propres de formation, les a peu à peu laissés de côté et a négligé la formation de professeurs? Il serait bon de prendre l’occasion de ces fêtes jubilaires pour faire des études historiques critiques sur la vie de chacun de nos Organismes Majeurs. Il y a quelques années, CICLA organisa quelques ateliers sur la mémoire historique des Organismes dans cette zone de la Congrégation. On a pensé de les continuer. Nous espérons que d’autres Conférences entreprennent des travaux semblables. Sûrement, ce serait une façon de donner de la solidité et de la base à la révision des positions. 4. «Chère Congrégation» Une expression de famille 41. Je voudrais terminer ce bref itinéraire de notre héritage en me rapportant à une expression qui, il y a quelques années, était fréquente sur les lèvres des membres de la Congrégation. Elle fut prononcée par le Fondateur, répétée avec insistance par les co-fondateurs, les supérieurs généraux, les formateurs, les théologiens, les écrivains, les artistes, les martyrs, tous les clarétains d’une époque. Aujourd’hui, cette expression nous semble étrange et nous avons même honte de la prononcer comme telle. Cependant, nous y découvrons un sentiment qui nous semble très valide et même nécessaire à récupérer dans la Congrégation. Possiblement le monde symbolique – et, cependant, de vie – des religieux d’autrefois, était leur Institut. Aujourd’hui, en ayant élargi l’horizon ecclésial et social, nous mettons plus de relief sur l’amour de l’Église et de l’homme. On dirait que parler d’amour à la Congrégation ressemblerait à un «narcissisme de groupe», à se renfermer sur soi-même, à l’autocomplaisance et au désintérêt pour ce qui est Église et société. Il devrait neanmoins être tout à fait le contraire. Il suffit de réfléchir attentivement sur ce qui est véritablement une Congrégation. En tant que communauté d’apôtres et de disciples de Jésus, réunie par la force de l’Esprit, on ne peut, en aucune manière, la réduire à une simple institution ou ensemble d’œuvres matérielles. On ne peut même pas l’échanger avec le cadre de principes et de critères (projet de vie) qui la dirige. Ce sont les personnes qui, vivant d’un même esprit, constituent une Congrégation, qui est communauté de grâce offerte et acceptée. Mais laissons la théorie de côté. Voyons ce qui se cachait sous les expressions «chère Congrégation», «Congrégation aimée» ou «cher Institut». Claret et nous: père, frère et compagnon 42. Le P. Claret, au tout début, voyait la Congrégation comme une pensée78, comme une inspiration79. Il a eu, par après, l’expérience réelle des «frères», des personnes pleines du même esprit que lui, les missionnaires80. Lorsqu’il écrit de Madrid au Supérieur Général et fait allusion à la communauté des Frères de Vic et, plus tard, de Gracia, il emploie normalement les nom de «Congrégation». Puisque Claret n’était pas le Supérieur Général, il n’écrit pas directement à la Congrégation. Quand Claret s’adresse au P. Xifré ou au P. Clotet, il parle d’elle comme une communauté pour la mission. Pour Claret, la Congrégation est «la communauté au style des Apôtres» dont la seule raison d’être est la prédication de l’Évangile. Il manifeste son amour à travers ses soucis et sa sollicitude envers les membres qu’il considère comme frères et fils81. Il se dépense pour eux avant de voir la Congrégation reconnue, ses Constitutions approuvées, bien structurée dans son gouvernement et formation et étendue dans plusieurs pays. Il la fait connaître afin qu’elle ait de nouvelles vocations et laisse une bonne partie de ses économies afin de l’aider. Deux exemples d’amour à la Congrégation: Xifré et Clotet 43. Nous avons, dans les PP. Xifré et Clotet, dont nous commémorons le centenaire de la mort, deux formes, différentes et complémentaires à la fois, d’exprimer la sollicitude pour la Congrégation. Si nous devons nous les rappeler, avec gratitude et admiration, dans ce centenaire, nous devrions nous fonder surtout sur leur amour sincère de la Congrégation. Ils se sentaient liés à elle par une vocation et une mission spéciales. Ils avaient partagé le même esprit du Fondateur qui les incitait à mener à bien cette œuvre qui s’offrait à l’Église comme un don de Jésus et de Marie. Les personnes, les maisons, les travaux apostoliques, la vie spirituelle des missionnaires, la bonne formation des Missionnaires Étudiants, le soin des Missionnaires Frères, les réussites, les échecs, les persécutions, les nouvelles fondations…; tout était pour eux objet d’intérêt, de sollicitude, d’inquiétude, d’impatience, de préoccupation et de vif espoir. Bien entendu, chacun d’une manière très différente. 44. Le P. Xifré fut un homme de «caractère résolu, sans peur des dangers, entreprenant de grandes œuvres, courageux dans le combat, infatigable dans le travail, généreux dans les sacrifices, indomptable dans l’adversité et plein de courage». Il possédait, à la fois, «une foi vive et forte, une confiance illimitée en Dieu, un zèle brûlant et inépuisable pour la gloire divine»82. Cet homme, avec ses grandes vertus et ses limitations à cause de son fort caractère, fut le premier Supérieur Général qui a eu l’expérience de la Congrégation comme une communion de personnes et comme une institution. Il a travaillé à temps plein à sa consolidation institutionnelle et à sa croissance. Tous ceux qui ont étudié la vie du P. Xifré se lamentent de défigurement dont il a été victime. Peut-être, le centenaire de sa mort serait l’occasion de réhabiliter la figure d’un homme qui s’est dépensé pour la Congrégation. Nous voudrions espérer que, pendant ce temps jubilaire, nous puissions avoir un portrait de lecture facile et plus tard une biographie plus documentée de la vie et l’œuvre de ce grand homme qui a été appelé le «deuxième fondateur» de la Congrégation83. Dans le «Espíritu de la Congregación» et dans ses nombreuses circulaires paraît constamment «notre très aimée Congrégation». Derrière cette expression se trouvaient les personnes comme objet primaire de ses soucis et préoccupations84. Il lui a ouvert des horizons universels d’apostolat et lui a donné une consistance canonique. Il a travaillé pour l’approbation des Constitutions et l’a enrichie des centres de formation à toutes les étapes. Il fut élu Supérieur Général en 1858. La Congrégation comptait en ce temps-là 15 membres et elle avait 1 maison. Nous avons indiqué plus haut comment la Congrégation était constituée et étendue en 1899, l’année de sa mort. 45. Le P. Clotet était bien différent. Il était affable et doux, minutieux et bon conseiller. Il donnait toujours l’impression de sérénité propre de quelqu’un qui se trouve continuellement dans la présence de Dieu. Il possédait la sagesse du cœur ou de la foi vivante qui lui faisait voir Dieu dans tous les événements. Il offre à tous les premiers missionaires le témoignage de sa sainteté personnelle. Missionnaire zélé et maître de sourd-muets et fidèle transmetteur de l’esprit et de la vie du P. Fondateur. Comme il avait eu une relation très étroite avec Claret, il en a gardé une affection spéciale qu’il a voulu transmettre à tous les membres de la Congrégation. Grâce à son intérêt, nous avons beaucoup de documents et de données d’une valeur incalculable pour l’histoire de la Congrégation. C’est lui qui s’occupa de préparer le procès de la béatification du P. Fondateur. Il remplit le rôle de formateur de la communauté naissante, spécialement de celle des Frères. Il a eu une grande influence dans l’organisation de la vie spirituelle de la Congrégation. Il insistait et disait que notre façon de nous sanctifier, c’était à travers notre travail apostolique. 46. On a comparé les PP. Xifré et Clotet aux forces centrifuges et centripètes respectivement dans la vie et la mission de la Congrégation. Le P. Xifré a amené la Congrégation toujours vers de nouveaux horizons et nouvelles aventures missionnaires. Le P. Clotet devenait la mémoire des valeurs essentielles qui renforce le dynamisme missionnaire. Deux formes complémentaires de maintenir vivante la Congrégation. La façon actuelle de faire Congrégation a changé mais les attitudes à partir desquelles elle a pris les origines sont toujours les mêmes. Nos Martyrs 47. Notre héritage de martyre est grand. L’amour de la Congrégation est explicite chez nos frères martyrs. Les différents témoignages que nous conservons des Bienheureux Martyrs de Barbastro, de leur «amour fidèle, généreux et constant» sont assez bien connus. La lettre d’au-revoir que nos frères ont écrite mérite d’être méditée souvent, surtout dans les centres de formation. Ils se sentent fils de la Congrégation: «Ce sont tes fils, chère Congrégation!»; «Mère commune de nous tous». Ils se sentaient des membres d’un corps bien articulé et avec un avenir car ils désiraient que leur sang «pénètre rouge et vivant dans ses veines, stimule son dévéloppement et son expansion dans le monde entier». Ils étaient conscients que leur fidélité jusqu’à la mort n’était pas une perte mais une gloire pour la Congrégation. Le signe de maturité qu’ils ont montré dans leur recours à la foi en Jésus-Christ et dans l’Église, à l’Eucharistie, aux valeurs essentielles de leur vocation missionnaire, à leur condition de fils du Cœur de Marie, à la vie fraternelle en communauté, au Supérieur Général, à leurs familles, leurs villes et villages, aux persécuteurs et bourreaux, aux ouvriers, à un futur social, ecclésial et Congrégationnel plus encourageant, etc. devrait nous faire refléchir sur la façon dont se nourrit l’appartenance à notre communauté apostolique. Ce ne sont pas seulement les Martyrs de Barbastro car le P. José María Ruiz Cano, préfet des postulants à Sigüenza, nous a laissé de très beaux témoignages écrits, en plus du grand signe en donnant sa vie pour les postulants85. À travers le témoignage du P Estanislao Sanmartín, nous savons que le groupe des martyrs de Fernán Caballero (Ciudad Real) étaient heureux en prison, «prêts à souffrir tout ce que le Seigneur voudrait, même le martyre, qu’ils offraient pour la Congrégation et le salut de l’Espagne». Deux témoignages sur le Fr. Ramón Ríos Campos, de la communauté de Cervera (Lérida), s’accordent pour dire que «ils disaient que la seule peine qu’ils sentaient, c’était de se trouver loin de la Congrégation». Il y a des témoignages semblables chez les martyrs de Tarragona, Barcelona, Vic, Castro Urdiales, etc. …et le témoignage de tant de Missionnaires 48. Comme je l’ai déjà dit, l’expression «Chère Congrégation» semble être tombée en désuétude ces dernières dizaines d’années. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’amour à la Congrégation en soit diminué. C’est évident dans la façon communautaire de travailler, de prier et de souffrir pour Jésus-Christ et la cause de l’Évangile. La vocation missionnaire continue à être vécue à partir des expressions universelles, dynamiques et de l’engagement missionnaire. La conscience que nous formons une large communauté, présente dans plusieurs continents, se manifeste à travers l’intérêt et l’appui mutuels et la collaboration dans les différentes sphères et niveaux, selon les possibilités de chacun. Signes de tout ceci est l’air de famille que nous remarquons lorsque nous visitons les communautés; la communication facile des biens entre les Organismes; le désir d’être renseigné de ce qui arrive dans d’autres contextes géographiques et culturels de la Congrégation; la souffrance causée par la rareté des vocations dans certains endroits et la joie pour la croissance ailleurs. Tous ces signes ont un substrat d’attachement, de communion, du sens d’appartenance. 49. Nous trouvons souvent des témoignages personnels très émouvants d’amour de la Congrégation. Il y en a parmi eux qui, sous l’inspiration de Claret, des Martyrs et d’autres grands missionnaires, s’offrent à ouvrir de nouveaux chemins à l’Évangile là où humainement on dirait impossible de marcher. La disponibilité de nos frères est grande et généreuse! Sans l’amour de la Congrégation, il serait bien difficile de justifier le nombre de présences et de travaux que beaucoup de clarétains assument avec détachement, douleur et fatigue chez les exclus et les marginalisés. Et, comment ne pas reconnaître l’amour chez ceux qui, au nom de la Congrégation, se placent à l’avant-garde missionnaire parmi les non-chrétiens et qui acceptent ne pas être ni reconnus ni appréciés. Dans la vie de tous les jours, on peut voir des signes évidents d’amour pour la Congrégation. Il n’est pas rare de trouver dans nos communautés des frères qui, en lisant assidûment l’Autobiographie et les Constitutions, se sentent poussés à faire de leur vie missionnaire une offrande d’eux-mêmes dans la souffrance de la maladie ou dans le silence face aux calomnies. Un autre signe, c’est la prière constante des prêtres et de frères pour la Congrégation, pour sa croissance en vocations, pour les missionnaires qui se trouvent seuls ou qui souffrent une crise dans leur vie missionnaire. N’est-ce pas admirable que de savoir que beaucoup de nos malades offrent leur douleur pour que leurs frères vivent heureux leur vocation, pour que soit fécond le service du gouvernement, de la formation, de la pastorale des vocations et d’autres tâches apostoliques? Et tous, d’une façon ou d’une autre, savent que prier, travailler et souffrir pour la vocation, c’est prier, travailler et souffrir pour l’Église, dont nous faisons partie, et pour le monde entier que nous voulons servir. L’amour aide à grandir 50. L’amour aide à grandir. Mais l’amour et la croix vont ensemble. Accepter la croix, c’est un signe d’amour et de fécondité. Si nous voulons faire grandir la Congrégation, nous devons être prêts à sacrifier notre vie pour nos frères: «À ceci, nous avons connu l’Amour: celui-là a donné sa vie pour nous. Nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères»86. Aime vraiment la communauté celui qui est capable de rénoncer à ses projets individuels et se met sans conditions au service de sa mission dans l’Église et dans le monde. Ceci ne veut pas appuyer l’uniformisme dans la pensée ou dans les attitudes. Il faut tenir compte de tout ce qui est positif dans la différence. Les désaccords possibles sur quelques facettes de la vie et mission de la Congrégation sont toujours profitables lorsqu’ils sont exprimés auprès des instances qui peuvent offrir des alternatives pour la croissance. Dialoguer, confronter et discerner aident à s’améliorer. Les silences, les réserves, les soupçons, les fausses interprétations appauvrissent et déforment l’harmonie communautaire à tous ses niveaux. Sans cet amour, notre crédibilité sera toujours médiocre. Les saints qui ont souffert pour l’Église l’ont rendue grande. Les missionnaires qui souffrent pour la Congrégation la rendent vigoureuse et féconde. 51. Le secret de l’espoir dans l’avenir reste dans les personnes qui aiment leur vocation et se dépensent pour la remplir du contenu missionnaire. La Congrégation ne subsistera pas grâce au nombre de ses membres, ni de ses œuvres ni de ses multiples services ni de sa bonne organisation mais grâce à la qualité de vie dans la communauté clarétaine. La survie est un don et nous assurerons l’avenir seulement si nous répondons à cette grâce. La Congrégation grandira et deviendra vigoureuse dans la mesure où nous maintiendrons vivant l’idéal de Claret et grandira le nombre de missionnaires qui, dans le silence, à l’ombre de la croix de chaque jour, renouveleront leur décision de croissance dans la vie missionnaire87. C’est l’expérience de l’amour fraternel qui tisse notre vie pour annoncer le mystère total du Christ jusqu’à ce qu’il vienne88, qui rend possible une vision pleine d’espoir pour l’avenir. … et aussi le pardon et la réconciliation 52. La plus grande expression que nous connaissions pour exprimer l’amour, c’est le pardon. Dieu est un père patient, bon et miséricordieux. Il pardonne, rend la liberté et espère la vie nouvelle. La Congrégation se sent aimée dans le pardon, même si, comme nous l’avons déjà vu, à côté des multiples vertus et activités pour le Royaume, les traces du mal n’ont pas manqué: infidélités, erreurs, péchés. C’est l’heure de la conversion. Parce que le pardon et la réconciliation font croître, nous devons encourager les demandes publiques de pardon et les expressions de pardon dans nos célébrations communautaires, provinciales et congrégationnelles de ce Jubilé. Nous devons demander le pardon de Dieu pour les infidélités au don reçu pour le bien de son Église et de tous les humains. Nous devons demander pardon les uns aux autres et nous réconcilier pour ne nous être pas entraidés à donner une réponse joyeuse et engagée dans notre vie missionnaire. Nous devons demander pardon aux peuples que nous desservons de notre manque de témoignage évangélique et des négligences, erreurs et incompréhensions dans l’évangélisation, comme, par exemple, le manque à reconnaître leurs valeurs culturelles ou à nous habituer à leurs coutumes. Ainsi, notre Congrégation, réconciliée, pourra entrer dans ce troisième millénaire avec vigueur pour aider dans le virage et la construction de la «civilisation de l’amour». 5. Qu’allons-nous faire de l’héritage reçu? 53. De tout ce que nous avons vu, le contenu fondamental de l’héritage que nous avons reçu n’est pas une conquête de ceux qui nous ont précédés ni la nôtre non plus. Par pure bonté, nous sommes des «cohéritiers» avec le Christ89. En définitive, l’héritage, c’est le Royaume de Dieu! Il s’agit d’un événement de grâce qui nous est arrivé sous la forme de filiation, fraternité et mission, toutes ensemble. Nous n’avons pas reçu cet héritage pour le dilapider, pour nous exalter ou pour l’enterrer mais plutôt pour le faire fructifier avec responsabilité au service des autres, comme une vraie prophétie pour le monde à l’aube du troisième millénaire. On nous demande non seulement de rendre témoignage de ce que nous avons reçu mais aussi de nous efforcer de le faire produire90. Ce qui veut dire dans notre cas de mettre ce que nous sommes et ce que nous avons au service de la croissance du Royaume. La vigne, ce Royaume de Dieu, nous a été confié, pour qu’il donne des fruits91. On aime seulement ce que l’on connaît 54. Pendant ce temps du jubilé, nous devrions nous efforcer de connaître plus et mieux ce que sont nos racines, la trajectoire de notre histoire et la situation actuelle de la Congrégation. C’est bien vrai qu’il nous reste encore beaucoup de recherche critique et la publication des œuvres sur le Fondateur et l’histoire de la Congrégation (à faire), mais nous avons déjà à notre disposition une large littérature clarétaine et congrégationnelle qui peut nous aider à renouveler les valeurs qui ont inspiré et sont encore à la base de la raison d’être de la vie et mission de la Congrégation au service de l’Église et du monde. Nous ne devons pas laisser passer cette période sans méditer l’Autobiographie, l’épistolaire, les écrits spirituels, les écrits mariaux et les écrits pastoraux du Fondateur et quelques autres œuvres qui recueillent les données les plus marquantes de l’histoire de la Congrégation92. Il faut connaître non seulement les origines et l’histoire des cent premières années. Il est important de fixer notre attention sur le changement sérieux qui a affecté la Congrégation ces cinquante dernières années, surtout à partir du Concile. Elle a vécu le processus du renouveau dans l’écoute de l’Esprit et dans le discernement des signes des temps; elle a acquis une nouvelle compréhension de son identité et de sa mission dans l’Église, bien concrétisés dans un nouveau texte des Constitutions. Elle a récupéré la primauté du service missionnaire de la Parole selon le style des Apôtres. Elle a pris des options et des engagements sérieux pour se trouver dans de nouveaux secteurs de l’évangélisation. Elle a initié des nombreux et très diversifiés postes de mission. La collaboration avec les Églises particulières et entre les Organismes s’est vue augmentée. On a multiplié la collaboration avec les laïcs et on a élargi les champs de la solidarité, etc. À la base de cette croissance, intensive et extensive, nous trouvons les cours de renouveau clarétain, les atéliers de spiritualité, les rencontres missionaires par zone géographiques, les rencontres de la Famille Clarétaine. Tout ceci nous stimule et nous oblige à ne pas ralentir notre marche parce que le renouveau continue. Connaître n’est pas tout: il faut vivre 55. La meilleure façon de faire en sorte que l’arbre de la Congrégation grandisse et porte du fruit, c’est de vivre le charisme reçu. Nou avons reçu de Claret un itinéraire de vie évangélique et de service missionnaire, façonné surtout dans sa vie évangélique, dans ses écrits autobiographiques et dans les Constitutions. Professer avec joie la suite de Jésus à la manière de Claret; être attentifs à la réalité déchirante de vie autour de nous si pleine de misère, d’injustice et de mensonge; calmer les désirs les plus profonds du cœur dans l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu, qui nous aide à donner une réponse aux défis du temps actuel; se laisser nourrir chaque jour du Corps du Christ offert en sacrifice eucharistique afin de rassembler les fils de Dieu dispersés; se sentir heureux d’appartenir à l’Église et cultiver à chaque instant sa mission évangélisatrice à travers une collaboration désintéresée; exprimer sa joie dans une vie pauvre, chaste, obéissante, fraternelle; embrasser avec enthousiasme le travail missionnaire qui nous a été alloué; garder avec régularité un temps de prière et de contemplation où l’on doit perdre du temps pour trouver un sens à ce qui paraît absurde; assumer responsablement la formation continue pour être à la hauteur de notre mission. Tout ceci, sous le regard maternel de Marie et avec le désir de continuer à être des missionnaires du Père, fait grandir la Congrégation. Nous trouvons cette synthèse de vie dans les Constitutions. Elles forment le chemin de l’Évangile pour nous et recueillent les valeurs essentielles de notre héritage. Pendant ce temps du jubilé, nous devons en faire notre livre de chevet, la source constante de notre méditation et le point de référence pour nos planifications apostoliques. Les Constitutions ne sont pas des normes statiques auxquelles nous devons nous conformer, mais plutôt une orientation et une incitation à donner des réponses aux défis de chaque moment et chaque endroit. Les vivre, c’est inculturer le charisme reçu dans les différents peuples où nous travaillons. Il faut aussi recréer 56. Vivre, c’est recréer. L’héritage que nous avons reçu porte en Lui-même une force créatrice qu’il faut concrétiser en nouvelles formes de spiritualité, des styles de vie, de gouvernement et de formation; des engagements et des institutions apostoliques. Ceux qui sont émerveillés par le passé, regrettent ce qu’ils croient que nous avons perdu. Il nous semble que ceci ne devrait pas être notre plus grande préoccupation. Ce que nous devrions regretter le plus serait, d’un côté, de ne pas avoir développé toute la subtilité, l’originalité et l’audace que comporte notre charisme afin de répondre aux défis du monde et de l’Église. Et, d’un autre côté, de ne pas avoir été assez cohérents dans les engagements proposés dans les Chapitres et Assemblées. Nous sommes très perspicaces à détecter les changements à promouvoir et très courageux pour redéfinir les modèles de comportement. Comme preuve de ceci, ce sont les documents élaborés. Mais nous ne déployons pas tout l’effort requis pour y donner suite. L’étourdissement de la vie quotidienne peut faire que nous les oublions assez tôt ou bien nous reduisons la radicalité qui nous est nécessaire si nous voulons devenir des agents de transformation. La qualité de notre vie missionnaire dépend de l’intérêt que nous portons à mettre en pratique ce que nous avons découvert être les valeurs qui nous font grandir dans le service du Royaume. La «réfondation» rêvée deviendra une réalité seulement si nous réussissons à faire la synthèse étroite de ces éléments: le vécu profond du charisme du Fondateur, le dialogue avec le monde d’aujourd’hui et l’effort pour donner une réponse aux défis qui nous parviennent comme signaux de la présence de Dieu dans notre histoire. II FAIRE DE NOTRE HÉRITAGE UNE PROPHÉTIE Pour proclamer une année de grâce du Seigneur (Cf Lc 4, 19) 57. Faire de l’héritage une prophétie, c’est l’objectif que le 22e Chapitre Général s’était proposé d’atteindre à la fin du troisième jubilé de la Congrégation et ainsi entrer, en communion avec l’Église, dans le troisième millénaire. C’est pour cela qu’il a choisi comme point de référence le texte d’Isaïe et de Jésus à Nazareth: «L’Esprit du Seigneur est sur moi… pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres…, pour annoncer une année de grâce du Seigneur»93. C’est le texte, comme nous le savons, qui a servi d’inspiration et donné de la consistance à la vie missionnaire de Claret et de la Congrégation94. L’«aujourd’hui» du monde, de l’Église et de la Congrégation, avec ses lumières et ses ombres, ses défis et ses opportunités, comme le même Chapitre nous a laissé voir, nous pousse à raviver la dimension prophétique de notre vocation missionnaire. Ceci explique que le souligner n’a pas été une concession au snobisme ni à l’opportunisme, mais une réaffirmation de la fidélité au charisme clarétain.. «L’Esprit nous pousse à poursuivre d’une façon créatrice la «grande œuvre» commencée par Claret et ses compagnons. Nous voulons entrer dans le troisième millénaire tout en soulignant la dimension prophétique de notre service de la Parole»95. 1. La Congrégation «en mission prophétique» Héritage prophétique 58. Claret qui s’était formé à l’école des prophètes et qui avait suivi Jésus, Prophète puissant en paroles et en œuvres devant Dieu et devant tout le peuple96, nous a laissé en héritage un style de vie et une façon d’exercer le ministère qui soulignent la dimension prophétique. Tout au long de l’histoire de la Congrégation, il y a eu des allusions à cette dimension de notre vocation missionnaire, au moins à son contenu. Dans les Chapitres d’après le Concile, on en a parlé d’une manière plus explicite97. Mais, elle a pris un relief spécial tout dernièrement pour plusieurs raisons: 1) Grâce à l’étude plus approfondie de la figure du P. Fondateur, aussi bien dans la spiritualité que dans l’apostolat98. 2) Grâce à une meilleure connaissance des Saintes Écritures et à une écoute plus assidue de la Parole de Dieu dans la prière, dans les événemenets de l’histoire, les cultures et la vie des peuples. 3) Grâce au besoin senti dans l’Église de récupérer la prophétie afin de réconduire l’humanité à vivre le dessein de Dieu sur elle. 4) Grâce aux orientations de l’exhortation «Vita Consecrata» laquelle, en parlant de la vie et mission des religieux, fait ressortir le témoignage prophétique comme une réponse aux défis du monde d’aujourd’hui99. Ces pistes nous aident à comprendre pourquoi la Congrégation a décidé, lors du dernier Chapitre, de s’arrêter sur la dimension prophétique de notre vie missionnaire. Le Seigneur a parlé, qui ne prophétiserait? 59. La Congrégation est consciente que nous vivons un vrai kairós, un moment spécial de grâce dont il faut profiter pour reconnaître le passage de Dieu à travers notre histoire et pour discerner sa voix. Le Seigneur Yahvé a parlé, qui ne prophétiserait?100. Plusieurs clarétains ont compris que l’Esprit veut nous dire quelque chose de neuf dans les événements présents qui élargissent de plus en plus les horizons des possibilités pour la vie et pour la mort. Nous agissons entourés de grands risques mais nous comptons aussi avec de grandes opportunités pour l’évangélisation. La déclaration capitulaire EMP nous a décrit les défis et les signes d’espérance101. Toute la nouveauté qui surgit nous défie autant sinon plus que le négatif neutralise et déforme notre travail apostolique. Il y a beaucoup de raisons pour faire de notre vie et de notre ministère un cri prophétique contre les idoles du pouvoir, de l’argent et du plaisir; pour s’efforcer de démystifier la culture du progrès et du succès, de l’opulence et du bien-être; pour démasquer les ambiguïtés de planifications modernes sur la population mondiale ou le progrès économique (le néo-libéralisme), qui comportent une conséquence logique d’exclusion. La prophétie est importante aujoud’hui, surtout à cause de la nécessité d’accueillir ce qui est nouveau dans l’explosion des valeur humaines, sociales et culturelles; à cause du besoin de libérer l’homme de la compléxité embrouillée qui le rend esclave et à cause aussi du besoin de lui redonner l’espoir en Dieu, Père de tous les humains. Un appel à tous 60. Le Chapitre s’adresse à tous les clarétains (prêtres, étudiants et frères), aussi bien à ceux qui travaillent dans les paroisses, les missions populaires, la pastorale des natifs, les centres bibliques, les mass média, le dialogue intereligieux, les centres d’accueil et l’accompagnement des marginalisés, que ceux qui oeuvrent dans les universités, les collèges, l’éducation populaire, ceux qui servent dans les communautés provinciales ou locales dans le gouvernement, la formation ou l’économie. Nous sommes tous héritiers d’un style de vie et d’un ministère prophétiques. Il est pressant de se créer une plus grande conscience de l’appartenance à une Communauté Congrégationnelle qui exerce le service missionnaire de la Parole d’une façon différenciée mais complémentaire. À nous tous, nous pouvons et nous devons rendre possible «la grande œuvre» de Claret et la doter de la force et de la créativité que l’annonce du Royaume demande aujoud’hui. 61. Mais parler de prophétisme n’implique pas seulement employer un nouveau mot et en étiqueter des attitudes et comportements, des activités et des structures. Le souci prioritaire a été de mettre la Congrégation toute entière en perspective prophétique et susciter dans les personnes une manière d’agir semblable à celle des Prophètes, de Jésus-Prophète telle que vécue par Claret. Regardant vers l’avenir, la Congrégation a voulu inspirer et motiver sa démarche avec le Peuple de Dieu dans le programme prophétique de Jésus. La prophétie exige de se placer dans l’autre dimension 62. Si vague soit pour nous le sens des mots tels que: prophétie, prophétique, prophétisme, ils suscitent toujours en nous fascination et défi. Il est évident que l’on ne puisse parler de prophétisme sans se référer au don de l’Esprit, à l’expérience de Dieu, à la passion pour le Dieu de la vie, au radicalisme évangélique, au mystère pascal, à la solidarité avec ceux qui souffrent l’injustice, la pauvreté, la douleur et la marginalisation, à la capacité de faire face aux situations de conflit avec courage jusqu’au martyre, au témoignage des mots dans la vie. Il n’y a rien de plus contraire au prophétisme que le manque de sensibilité religieuse, l’inhibition devant la culture de la mort et de la souffrance, l’incohérence, la confusion et l’individualisme. La prophétie est un correctif constant de la tentation du sécularisme et de l’ambiguïté dont nous, chrétiens et missionnaires, pouvons être victimes. 63. En se proposant de rester «en mission prophétique», la Congrégation veut implicitement éviter toute sorte de retard à se défaire de toute attache qui puisse l’empêcher d’avancer libre et souple dans l’annonce de l’Année de grâce du Seigneur. Il n’y a pas de prophétie sans prophètes. Le prophète se sent impliqué dans une singulière expérience du divin et de l’humain et, à partir de lui-même, il offre le signe, l’annonce ou la dénonciation. Il est l’homme de l’Esprit et pour cette raison, il est l’indicateur du nouveau, le promoteur de communion et le héraut du message du salut. Guidé par l’Esprit, il crie pour vaincre le chaos, la routine et le péché. Il se trouve dans l’éternel carrefour entre l’écoute de Dieu qui l’appelle et l’envoie et le cri du peuple qui souffre; entre la passion pour la gloire de Dieu et la passion pour le peuple qui demande la libération. C’est pour cela qu’il ne peut pas se taire: il proclame, conteste, aiguillonne, console, soutient et réconforte. Il prêche la compassion et la miséricorde de Dieu Père envers les pécheurs. Il est une personne incommodante car son point de vue, son style de vie, son message contrastent avec tout ce qui n’est pas en accord avec le dessein de Dieu sur le monde et sur la personne humaine. Arriver à être signes prophétiques du Royaume à partir de notre vie consacrée en communauté fraternelle nous constitue en voix autorisée du message de Dieu et éclaire l’avenir avec espoir. Ce sont des éléments d’un programme de vie assez exigeant, surtout lorsque l’on sait que le vrai prophète paie son message avec sa vie. 64. Le titre du document capitulaire «En mission prophétique» a voulu être l’expression de la façon de pratiquer le service missionnaire de la Parole. Il a essayé de refléter le dynamisme et l’attitude dont nous devons vivre et avec lesquels travailler. Le EMP n’est pas un livre de recettes de notre vie et mission pour chaque moment ou activité. À la base des 109 résolutions ou suggestions, il y a un questionnement de fond sur «l’altération» de nos coutumes et de notre façon de faire. Il nous oriente et nous parle de la façon dont nous devons évangéliser. Il laisse l’application pratique aux personnes et aux groupes avec qui nous travaillons en pastorale. Étant donné que toute prophétie possède son contexte historique et géographique102 dans chaque travail ou ministère, dans chaque conjoncture de la vie, nous devons nous efforcer de revivre, avec fidélité, un esprit inventif et avec audace le caractère prophétique de notre vie missionnaire. Malgré tout, je voudrais mettre l’accent sur quelques engagements qui demanderont, dans les années qui viennent, encore plus notre attention.. Amis des pauvres 65. Même si souvent nous sommes vctimes des événements et des incohérences et même si nous voudrions les mettre de côté, il est évident qu’un missionnaire ne peut pas fermer les yeux à la réalité déchirante et démoralisante des pauvres et des exclus de notre monde. Le Chapitre est très clair: «Nous allons être présents, d’une manière significative, au milieu des marginaux et là où la vie est menacée. Nous allons encourager notre participation d’entraide dans les endroits et institutions où l’on décide du sort des pauvres»103. Je sais très bien que cette deuxième proposition (celle de la participation subsidiaire) n’est pas facile et nous ne sommes pas tous en position de la pratiquer adéquatement, même si nous devons nous y préparer dans la mesure du possible. Mais rien ni personne ne peut nous empêcher de pratiquer la première: «être pésents» là où il y aura un homme ou une femme dans le besoin, un fils de Dieu victime d’exclusion. C’est ce que Jésus nous a enseigné: cherchant toujours l’absent, l’exclu, celui qui manque104. Ces marginalisés se trouvent partout et ils ont des visages qui nous semblent étranges: personnes âgées seules, immigrants, réfugiés, toxicomanes, chômeurs, paysans sans terres, mendiants, orphelins abandonnés, femmes battues, enfants et jeunes sans scolarisation, des sans-abris. Etre présent veut dire être près, partager du temps et des biens, nous faire leurs amis. Seulement à partir de la proximité, nous pourrons nous laisser interpeller et découvrir des moyens efficaces d’aide. La seule chose nécessaire, c’est une charité apostolique brûlante et une attitude évangélique sans équivoque. 66. Si nous renonçons aux grands discours adressés seulement aux autres, il nous sera beaucoup plus facile d’ouvrir les yeux et découvrir, vraiment et simplement, tant de pauvres près de nous – et loin aussi – dont nous pouvons et devons partager le sort. On nous critiquera, peut-être, des erreurs de stratégie, le manque de compétence technique dans la lutte contre l’injustice qui est à la source de la pauvreté. Nous devons apprendre constamment dans ces domaines, guidés par ceux qui connaissent les problèmes et les solutions. Le même Chapitre nous demande de consacrer quelques-uns «à une profonde étude du fontionnement actuel de l’économie mondiale et de ce qu’on appelle néolibéralisme, tout en essayant de comprendre ses mécanismes internes et ses effets réels»105. On ne devrait jamais dire de nous que nous ne sommes pas des amis des pauvres, que nous sommes jugés parmi ceux qui jouissent de toutes les sécurités, que nous avons honte d’être comptés parmi eux. C’est ici que se joue la vérité de notre prophétie. N’importe quel pas dans cette direction, si petit soit-il, nous approche toujours de l’Évangile et de Jésus qui a lié sa présence à la personne du pauvre. La plus grande partie de l’humanité vit dans des situations d’une pauvreté horrible. Des pays de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique Latine demandent notre présence. Soyons des missionnaires généreux. 67. Je voudrais adresser un mot spécial d’encouragement à vous qui, depuis plusieurs années, vivez et travaillez en permanence parmi les plus pauvres. Je pense à beaucoup d’endroits dans tous les continents. Même si, des fois, vous pouvez vous sentir seuls et incompris, le reste de la Congrégation ne vous oublie pas. Vous êtes en train d’expérimenter dans votre propre chair des situations de famine, de précarité, de violence, de mépris systématique des droits humains. Il y en a parmi vous qui souffrent parce que, après tant d’années de lutte en faveur des pauvres, vous constatez peu de réussite. Dans quelques endroits, vous voyez même du recul et que vous vivez «des nuits obscures». Gardez l’espoir. Vous êtes nos porte-paroles. Plus encore: vous êtes le visage de l’Église qui devient samaritaine sur les chemins les plus éloignés de la terre. Sans votre dévouement, la prophétie serait une moins Bonne Nouvelle et beaucoup en resteraient exclus. Ce n’est pas seulement les pauvres qui ont besoin de vous; nous aussi, vos frères clarétains, nous avons besoin de vous. Des experts dans le «dialogue de la vie» 68. Ils sont de plus en plus nombreux les clarétains (présents dans les quatre points cardinaux) qui vivent dans des sociétés pluriculturelles où plusieurs langues, coutumes et religions coexistent. Comment exprimer notre vocation prophétique dans des endroits pareils? Le Chapitre nous invite à configurer notre dialogue interreligieux et interculturel comme un «authentique dialogue de vie»106. Ici aussi – comme dans les cas des pauvres – la vie a la priorité sur les paroles. Notre vocation prophétique nous rend sensibles à toute manifestation du Royaume de Dieu là où elle se trouve. De là jaillit une attitude d’ouverture et d’écoute qui peut, plus tard, se traduire par des manifestations multiples: projets communs en faveur des nécessiteux, forums de discussion, prière partagée, location d’installations107. Nous, clarétains, devons avancer dans cette direction, sachant que le nouveau millénaire peut éclairer un monde plus uni dans sa pluralité, mais aussi un monde déséquilibré par la suprématie des plus puissants, les haines tribales, religieuses, etc. Si seulement là où il y a un clarétain, il y avait un expert pour établir des ponts, un homme de dialogue! Une prophétie faite coeur 69. La Congrégation a toujours considéré Marie comme Mère et Maîtresse. Elle est aussi un modèle de prophétie. Le EMP l’exprime ainsi: «Notre style de vie prophétique reçoit du Cœur Immaculé de Marie, mère de la Congrégation, une empreinte particulière. Elle nous enseigne que, sans cœur, sans tendresse, sans amour, on ne trouve pas de prophétie crédible. Marie a dit la fiat (cf Lc 1, 38), parce que précédemment elle l’a conçue dans son cœur; elle a proclamé un magnificat (cf Lc 1, 46-55) car elle a cru auparavant.; elle était là près de la Croix, et à la Pentecôte parce qu’elle a été la bonne terre qui a accueilli la Parole avec un cœur joyeux, elle l’a fait fructifier à cent pour un (cf Lc 8. 8, 15. 21) et elle a demandé à tous d’en faire de même (cf Jn 2, 5)»108. Marie, en montrant son cœur, n’est pas une image décorative dans nos maisons, mais bien plus la mémoire permanente de la façons dont nous devons évangéliser avec tendresse et miséricorde. En effet, notre mission clarétaine comprend regarder le monde de la douleur, de la violence, de l’agitation, de la convulsion et de la peur avec tendresse et entourer de miséricorde le cœur de celui qui se sent pécheur, coupable et défait par ses crimes. C’est notre mission de faire en sorte que dans le monde puisse se chanter sans cesse le «magnificat» parce que chaque homme et chaque femme a découvert que Dieu, par son amour infini, est plus grand et qu’il est au dessus de notre rébellion. 2. Marcher ensemble Marcher ensemble dans les grandes régions 70. L’origine de notre Congrégation est marquée par la communion et la mission. Communion avec le Christ et avec les peuples; communion fraternelle et communion ecclésiale; communion dans l’esprit apostolique et dans les faits de vie et de travail; communion toujours pour la mission, début et fin de notre raison d’être dans l’Église. De cette communion surgit la collaboration avec les Pasteurs dans le service missionnaire de la parole. Vatican II a répété que le Peuple de Dieu chemine pèlerin vers le but eschatologique. Il a laissé entrevoir que l’itinérance et marcher ensemble lui sont propres. Il a pris un comportement «synodal». Depuis la célébration du Concile, il y a eu IX Synodes de l’Église. Les trois derniers ont mis en relief, sous la même plate-forme eschatologique du mystère, la communion et la mission, l’identité des formes de vie: laïcat, ministres ordonnés et consacrés. Cela a contribué à donner une image plus articulée et complète de l’Église, et surtout à rendre plus vigoureuse la réponse aux grands défis de notre temps grâce à l’apport concerté des divers dons»109. Tout dernièrement, les Synodes nous ont présenté différents visages de l’Église en Afrique, en Amérique et en Asie et, dans l’avenir, ils nous montreront les visages de l’Église en Océanie et en Europe. Cette multiple expérience écclesiale peut devenir paradigmatique pour la Congrégation. 71. La Congrégation avait décidé, il y a déjà quelques années, de commencer une expérience de communion dans la diversité des aires culturelles et géographiques. Dans la pluralité d’expressions de notre service missionnaire de la Parole – toujours compris comme une manière d’être, d’agir et de signifier110 –, nous voulions que la communion missionnaire fût sentie par toute la Congrégation. Nous avions pensé que les différentes façons d’expression et les divers engagements opératifs étaient une richesse pour tous en tant qu’interpellation mutuelle et stimulant à la co-responsabilité111. Maintenant, la vie partagée et la réflexion qui se fait dans les différents Synodes continentaux nous encouragent à continuer le processus initié dans la Congrégation. Quelques conséquences pratiques pour nous découlant de ce mouvement synodal dans l’Église pourraient nous aider à intensifier notre travail dans les champs suivants: 1) fomenter la spiritualité de la communion ecclésiale qui aujourd’hui revêt un accent prophétique spécial à travers le dialogue, la collaboration et la coresponsabilité. 2) Approfondir les deux éléments du «parcourir ensemble un chemin» (la signification étymologique de synode): l’itinérance et partager, qui sont les contrepoints de l’immobilisme et de l’égoïsme. 3) Tracer des pistes pour vivre le charisme missionnaire de Claret dans les différents contextes, tout en gardant l’unité et le pluralisme. Les Conférences des Supérieurs majeurs devraient établir un programme d’actualisation dans ce sens. 4) Renforcer dans ce «cheminer ensemble» la collaboration avec les Évêques, les prêtres et les religieux et, surtout, avec les laïcs. Tout ceci nous aiderait à renforcer l’insertion dans les Eglises particulières et l’inculturation dans les différents peuples, dans notre vie missionnaire. En même temps que nous soulignons notre mission évangélisatrice, prenons soin de notre appartenance à l’Eglise locale et de notre responsabilité dans la croissance de sa vie et mission. Spiritualité de la communion 72. Elles sont nombreuses les forces centrifuges et désintégrantes qui troublent notre monde. Nous sommes en train de nous habituer à regarder, sans étonnement, les conséquences des passions incontrôlées, qui surgissent des intérêts bâtards et des haines incompréhensibles, nous déplorons également dans l’Église des conflits, des différences et des tensions; des groupes qui s’ignorent, se méfient et s’affrontent. C’est l’un des grands obstacles à l’évangélisation. Nous, qui, par charisme fondationnel, sommes nés dans l’Église pour collaborer dans l’annonce de l’Évangile et dans la transformation du monde112, nous sommes poussés, d’une manière spéciale, à assumer la proposition adressée à toutes les personnes consacrées, de promouvoir la spiritualité de la communion. Celle-ci fait ressortir le caractère ecclésial, c’est-à-dire l’attitude intérieure qui pousse le clarétain à partager tout le dynamisme de l’amour trinitaire envers l’intérieur et vers l’extérieur de l’Église. Elle comporte «une nouvelle façon de penser, de parler et d’agir qui fait grandir l’Église en profondeur et en extension. La vie de communion sera ainsi un signe pour le monde et une force d’attraction qui conduit à croire au Christ»113. Cette spiritualité devrait être le climat naturel où nous, clarétains, devrions fonctionner. Ce ne sont pas les récommendations éthiques ni stratégiques mais les exigences charismatiques qui nous mènent au dialogue de la charité sur tous les fronts et à tous les niveaux, dans l’Église et à l’extérieur de l’Église. Notre source et notre but, c’est la communion ecclésiale, la fraternité universelle. En tant que clarétains, nous devons collaborer afin que tous les membres de l’Église et tous les hommes de bonne volonté pensent, parlent et travaillent en harmonie pour la communion fraternelle, pour la solidarité de tous. Évidemment, ceci exige d’ouvrir le dialogue ou le rétablir là où il s’est coupé et seuls ceux qui se sont montrés des experts dans la communion et la coopération fraternelle peuvent l’ouvrir et y persévérer. Arrivés à ce point-ci, probablement que nous nous interrogeons sur la qualité de notre communication, participation et corresponsabilité dans la vie communautaire; sur l’intérêt que nous mettons à la programmation pastorale, au travail en équipe; à la valeur que nous attribuons à la pastorale d’ensemble, à la collaboration avec les Pasteurs et à l’intégration des laïcs dans les activités missionnaires. Prophétie de la vie ordinaire 73. À l’intérieur de cette spiritualité de la communion, des petits traits, qui configurent notre cheminement ensemble, prennent dans la Congrégation un relief spécial. Ouvrons les yeux. La vérité sur nous-mêmes et sur le sens de notre fraternité ne se joue pas, en général, dans les grands projets mais bien plus dans les détails de chaque jour. «La prophétie de la vie ordinaire, fréquente parmi nous, est celle qui rend possible la grande prophétie des moments extraordinaires. Elle se trouve dans la prière, en tant qu’expression de l’amitié avec Dieu, dans la recherche inlassable de sa volonté, dans les relations où percent d’abord la tendresse, la joie vitale, la compassion, la foi dans l’autre et le service»114. Nous savons, par expérience, combien les petites choses sont importantes dans la vie de la communauté: les salutations quotidiennes, les paroles de remerciement et de pardon, les petis services domestiques que nous nous prêtons: s’occuper des membres âgés et malades, accueillir les visiteurs, répondre au téléphone, s’occuper de la porte, dresser la table… Les omettre peut avoir des effets négatifs hors proportion. Par contre, la fidélité à ces petites choses peut contribuer à ce que notre marcher ensemble ne soit pas une fiction mais un véritable encouragement à se dépasser et à croître. Dans ce cas, la communauté est aussi comme une forge où se façonne le missionnaire que nous sommes appelés à être. 3. Vivre en fidélité dynamique et créative Célébrons et rendons grâces pour tant de fidélité 74. Célébrer les 150 ans de cheminement congrégationnel signifie, faire mémoire du Dieu toujours fidèle et de centaines d’histoires fidèles. Sans la fidélité de Dieu et de ceux qui nous ont précédés, nous pourrions difficilement vivre aujourd’hui le charisme de Claret. Chaque fois que l’on parle de fidélité, il faut commencer par chanter: «Louez Yahvé, tous les peuples, fêtez-le, tous les pays! Fort est son amour pour nous, pour toujours sa vérité»115. Le Seigneur a soutenu nos frères dans leur vocation missionnaire et il les a investis de force pour confesser et vivre à partir de l’amour trinitaire; il leur a offert la charité apostolique, leur a donné la confiance dans le travail malgré les risques et les difficultés, malgré les souffrances et les persécutions; leur a fait sentir la suprématie de son amour absolu et ils ont su tout laisser sans nostalgie ni regrets; il les a remplis de passion pour la vérité et la justice et ils ont eu de l’audace dans la proclamation du Royaume de Dieu sans ambiguïtés. Ce sont des expressions d’une vie vraiment libre, dynamique et fidèle dans la créativité. C’est un héritage que nous sommes appelés à convertir en prophétie. Un nuage de témoins nous précède116. Ils nous encouragent à vivre avec enthousiasme et fidélité. La Congrégation a été une vraie école de sainteté. Il serait bon de nous le rappeler les uns les autres, de raconter la vie de ceux qui ont vécu fidèles au Seigneur. La mémoire de ceux qui ont vécu en fidélité117 est un encouragement pour nous qui marchons à la suite de Jésus et sommes appelés à annoncer aux captifs la libération et un an de grâce du Seigneur. Des faits et des questions qui nous font penser 75. Vivre notre vocation missionnaire d’une façon créative a été l’un des plus clairs messages du dernier Chapitre Général. Il voulait ainsi donner une réponse aux faits qui nous obligent à penser et qui nous interpellent. D’un côté, les sorties de la Congrégation qui deviennent la plus grande souffrance dans notre vie communautaire. Même si, du point de vue des statistiques, nous avons passé les pires années, il y a encore un nombre significatif de clarétains qui demandent la dispense des engagements religieux et sacerdotaux, aussi bien pendant la période de vœux temporels comme peu après la profession perpetuelle ou l’ordination presbytérale. Il est vrai qu’il y a eu autrefois des sorties et abandons; nous devons cependant faire face avec courage à la situation actuelle et en extraire ses leçons. Nous ne voulons aucunement nous montrer juges des frères qui nous ont quittés. Le Seigneur seul connaît l’itinéraire de chacun, ses recherches et difficultés, ses espoirs et ses frustrations. Notre rôle, c’est de toujours entretenir une attitude de respect et d’aide fraternelle même lorsque nous ne savons pas très bien comment l’offrir. D’un autre côté, notre souci ne doit pas se centrer sur ceux qui nous quittent mais sur nous tous qui restons. Quelques-uns, simplement, par inertie; par habitude. Mais la fidélité est quelque chose de plus profond que la simple perséverance118. 76. Nous sommes tous appelés, chaque jour, à croître dans la fidélité, car il ne suffit pas de nous sentir bien à l’aise dans la Congrégation ou d’accomplir nos tâches. Il est question ici de répondre à la grâce de Dieu, comment être créativement fidèles au don que nous avons reçu et de pratiquer le ministère avec clairvoyance et enthousiasme. À la vue de nos faiblesses, de nos routines, de nos pactes avec la médiocrité, de notre incapacité d’offrir des nouveaux horizons ou des institutions adéquates, comment croire que Dieu lui-même, qui a commencé en nous une si bonne œuvre la menera à bon terme dans le jour du Christ Jésus?119 Comment offrir une vie qui donnera sécurité et espoir à ceux qui nous entourent parce que nous sommes appelés à soutenir la vocation de nos frères? Comment être joyeusement fidèles afin que l’homme d’aujourd’hui croit que notre style de vie est signe de «l’homme nouveau» présenté par l’Évangile? Si nous avons besoin de créer un climat de fidélité, ce n’est pas pour survivre mais pour que notre vie devienne «encouragement qui peut et doit attirer efficacement tous les membres de l’Église à remplir sans défaillance les devoirs de la vie chrétienne»120. Notre fidélité aide à vivre en fidélité les membres d’autres formes de vie chrétienne.. Difficultés actuelles 77. Aujourd’hui, parler de fidélité, c’est parler de quelque chose peu commune, d’un idéal impossible à atteindre. Ce qui arrive dans le monde post moderne culturel nous met en garde. Les possibilités de choix de vie se sont tellement multipliées que choisir l’une ou l’autre et y rester paraît presque un exercice d’irresponsabilité. Nous ne pouvons jamais savoir si demain paraîtra dans notre horizon quelque chose de plus agréable. Pourquoi fermer les portes? De plus, nous vivons dans un monde où le changement fait partie des valeurs évidentes. Les vieux idéaux de stabilité ne jouissent pas de prestige. Pourquoi affirmer aujourd’hui quelque chose qui demain pourra devenir provisoire? L’histoire nous a ouvert les yeux. Combien d’intolérance absurde au nom des convictions qui semblaient éternelles et qui se sont soldées dépassées! Combien de souffrances inutiles! L’éphémère semble dominer le style de vie. Notre relation avec les choses est chaque fois plus momentanée. Les fabriquants réduisent la durée de leurs produits afin d’assurer des nouvelles ventes. Le rapport avec les lieux a aussi changé. La mobilité constante favorise le relativisme sur les valeurs et fait que les rapports personnels soient plus superficiels. À cause de ceci, dans les pays développés, le modèle de l’homme «sans vocation» a vu le jour. Beaucoup de jeunes vivent affectés par le présentisme. Ils éprouvent une grande difficulté à percevoir le fil de l’histoire et les racines qui expliquent ce que nous sommes. Ils ne voient que des événements sans rapport entre eux qui n’ont pas de sens. Devant un avenir incertain, la capacité de faire des projets et l’intérêt d’améliorer le présent en souffrent. Ce qui est important, c’est de vivre le jour au jour et de jouir au maximum de chaque moment... 78. Si tout change tellement et si rapidement, il est très difficile d’acquérir des certitudes, d’assumer des engagements. Beaucoup de jeunes et des moins jeunes s’expriment ainsi: «Je sais ce que je veux aujourd’hui, mais, dans quelques années…! Ce n’est pas alors surprenant, qu’ils soient tellement à la mode les volontariats «pour une période de temps», plutôt que les engagements à vie (mariage ou toute autre forme de vie chrétienne). Il n’est pas surprenant, non plus, que beaucoup d’engagements scellés solennellement cèdent devant les premières difficultés. Nous vivons dans une époque de «pactes doux». Th. Adorno disait que les hommes d’aujourd’hui sont capables de beaucoup de choses, même d’aimer, mais ils ne sont pas préparés à la fidélité. La capacité de tolérance, d’endurance de la croix et de la souffrance, inhérentes à la vraie vie est maigre, très maigre. 79. Très souvent, cette façon de voir les choses est associée à une prédominance excessive de la sensibilité et de l’affectivité. Elle comporte aussi une exaltation démesurée de la subjectivité et de la réalisation de soi. Des questions telles «Qu’est-ce qui est vrai? Qu’est-ce qui est le plus raisonnable? Quelle est la volonté de Dieu sur moi? ont laissé la place à d’autres questions presque exclusivement en rapport avec les sentiments personnels: «Est-ce que je me sens à l’aise dans cette vocation, dans cette communauté? Le travail que je fais, me plaît-il?» Le fait de dire que «l’affectif est l’effectif» ne signifie pas que nous ne devions pas équilibrer nos sentiments avec nos idées et avec les engagements assumés. Il est important de se sentir bien, mais il est aussi important de chercher la vérité, l’accueillir et éduquer notre volonté pour ne pas dépendre seulement de notre propre état d’esprit. Cela ne suppose pas – comme l’on dit souvent superficiellement – ne pas être authentique, mais comprendre notre vie d’une manière plus large et plus ajustée à notre condition de personnes consacrées. Il n’est pas question de nier nos sentiments, mais d’apprendre à les percevoir, à ne pas les rendre absolus et à les orienter adéquatement. À l’origine de beaucoup de ruptures ou de beaucoup de «fidélités vides», on trouve un grand manque de capacité d’harmoniser les idées, les affections et les engagements. Que pouvons-nous faire? 80. Nous ne sommes pas en dehors de la mentalité post moderne. Elle nous touche de mille façons, Nous pouvons adopter trois positions: - Vivre comme si rien n’avait changé, prenant une attitude de résistance, faisant de la simple persévérance l’ultime idéal.. - Nous laisser toujours emporter par la dernière nouveauté sans nous demander son impact ni où elle peut nous amener.. - Apprendre à nous enraciner dans le Christ afin de rester pour toujours ouverts à la nouveauté de son Esprit. C’est seulement la troisième attitude qui nous aide à être fidèles à l’Évangile. N’oublions pas que, avant tout, la fidélité est une forme d’être de Dieu. Dieu est fidèle121, il est le rocher qui ne cède pas ni s’use122. Il garde son amour même s’il n’est pas partagé123. Le Christ est le «oui» des promesses124, le «amen»125, le «témoin fidèle» du Père126. La fidélité de l’homme est le résultat de la réponse généreuse au dialogue entre Dieu et nous, même si c’est Lui qui a commencé le premier. Le Fils, sa Parole mise en gage pour nous, est avec nous pour toujours127, nous remplit de confiance et fait germer en nous la stabilité nécessaire pour braver les changements brusques et constants du monde. Stabilité n’est pas synonyme d’immobilisme ni de simple équilibre, mais de sécurité et fermeté dans le chemin. De nos jours, il faut cultiver la stabilité d’esprit à partir du vécu des valeurs qui donnent sens et consistance à la vie humaine, chrétienne et missionnaire. 81. Il est évident que celui qui n’est pas bien préparé dans son intérieur, qui ne se trouve pas en condition d’engager, sans réserves, sa vie pour l’Évangile, il exercera difficilement le ministère avec la passion et l’audace des prophètes. Si on ne vit pas intensément les valeurs du Royaume, si on ne s’appropprie pas le message des Béatitudes, s’il n’y a pas une expérience joyeuse des vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, si on n’apprécie pas ni exprime la fraternité, il est bien difficile de dénoncer les idoles de pouvoir, d’avoir et de jouir; il est impossible de lutter contre l’égoïsme, l’ambition et l’hédonisme. Seul peut vivre en fidélité dynamique et ainsi exercer la prophétie de l’unique nécessaire celui qui s’est converti en signe pascal, qui a fait l’expérience de l’amour filial jusqu’à pouvoir tout donner comme Jésus. Qui d’autre, s’il n’a pas ces habiletés, pourra opter pour les pauvres, les marginalisés, les exclus, les pécheurs? 82. Plus les racines sont profondes, plus l’arbre est exubérant. En cet anniversaire congrégationnel, l’invitation à la fidélité peut revêtir des expressions concrètes. On a déjà mentionné l’explicite et continuelle action de grâces à Dieu, qui ne retire jamais ses dons et ses appels et qui reste toujours fidèle malgré nos infidélités personnelles et communautaires. Nous avons également fait allusion à ce que l’on maintienne une vive mémoire réconnaissante de ceux qui nous ont précédés et ont scellé le pacte de fidélité avec leur mort. D’autres expressions pourraient être: - Approfondir la force prophétique de la fidélité dans une conjoncture historique où elle est, à la fois, méprisée et souhaitée, considérée comme impossible et nécessaire. - Au niveau personnel, cultiver une spiritualité qui nous mène à revivre la joie de notre réponse à l’appel de Jésus. Entretenir la prière personnelle et le contact assidu avec la Parole de Dieu, renforcer la vie communautaire, se donner décidément à la mission et au travail qui nous a été confié, célébrer ou participer quotidiennement à l’Eucharistie, travailler à l’intégration de notre affectivité au projet évangélique de vie, «éviter les dangers comme par une sorte d’instinct spirituel»128, s’exercer dans l’humilité et le renoncement et demander de l’aide ou de l’accompagnement spécial en périodes de crise. - Au niveau communautaire: prier pour la fidélité de nous tous qui avons été appelés et créer un climat communautaire théologal et missionnaire qui rende possible aux personnes de donner une réponse joyeuse à leur vocation et mission - De la part des supérieurs, assumer la tâche d’accompagner, avec un soin spécial, les jeunes missionnaires, prêtres et frères129. - Au niveau de la Congrégation: continuer à mettre le maximum d’intérêt dans les personnes, qui sont notre plus grand trésor; réproduire, avec audace, la créativité et la sainteté du Fondateur comme une réponse aux signes des temps130; maintenir le climat qui favorise «le don total de soi» dans la vie missionnaire131; envisager notre mission à partir des options choisies et encourager notre présence parmi les non-chrétiens, sachant que, de la même façon que la foi s’affermit quand on la donne, cette présence aussi renforce notre vie consacrée, lui communique un enthousiasme renouvelé, des nouvelles motivations et stimule la fidélité132. 83. Le Fondateur se servait d’une comparaison pour exprimer sa résolution à demeurer fidèle: «Le chien est à tel point le fidèle compagnon et l’ami de l’homme que ni les durs travaux, ni la pauvreté, ni la plus grande misère, ni rien au monde, ne sont capables de le séparer de son maître. Il faut que ma conduite à l’égard de Dieu soit la même; c’est-à-dire, que ma constance dans le service et l’amour de Dieu doit être telle que je puisse dire avec saint Paul que ni la vie, ni la mort, ni aucune créature ne pourront me séparer de l’amour du Christ»133. Pour cette raison, il a voulu faire de sa vie une donation afin que tous servent Dieu «en toute fidélité et ferveur»134. Comme dans d’autres dimensions essentielles de notre vie, ici aussi Marie est un modèle et une source d’énergie. «Le rapport filial avec Marie constitue la voie privilégiée de la fidélité à l’appel reçu et une aide très efficace pour progresser dans sa réponse et vivre en plénitude sa vocation»135. Marie est la vierge fidèle dans la nuit sombre de la foi, en service à ceux qui en ont besoin, pendant que Jésus prêchait le Royaume et à côté de la croix. Nous faisons nôtre la prière du Fondateur adressée à Dieu «Je ne veux autre chose que vous aimer avec toute ferveur et vous servir en toute fidélité ! Ma Mère, Mère du bel amour, aide-moi!»136. 4. Réconciliés avec l’étude Il nous faut deux pieds pour marcher 84. Combien de fois n’avons-nous pas entendu que la prière et l’étude étaient comme les deux pieds du missionnaire? Qui ne se rappelle pas les paroles du Fondateur: «Moi, avant de prêcher, je dois agiter et battre les ailes de l’étude et de la prière?»137. Lorsque nous examinons la distribution de sa journée, nous sommes étonnés, non seulement du temps consacré à la prière mais aussi nous découvrons son dévouement intense à l’étude. Lui, si actif, savait que «un corps sans yeux ne voit pas et tombe, et, sans nourriture, il meurt»138. Sa bibliothèque personnelle est un signe de son intérêt pour être à la page en tout: depuis les sciences naturelles jusqu’aux langues et les sciences ecclésiastiques. Tout au long de notre histoire, l’étude a occupé une place de choix. Dans les premières décennies de la Congrégation, les missionnaires consacraient trois quarts de l’année aux tâches apostoliques (surtout missions populaires et exercices) et un quart à une formation intensive. Avec le temps, les modalités changeaient peu à peu, mais on a toujours essayé de prendre soin de la préparation intellectuelle avec les conférences hebdomadaires, le temps consacré à l’étude personnelle, aux spécialisations et à d’autres initiatives. Tout ceci est aussi héritage qu’il faut convertir en prophétie: la prophétie de la qualité de notre service missionnaire devant les multiples défis de l’évangélisation. Les «compensations culturelles» ne suffisent pas 85. Pressés par tant de besoins, nous courons aujourd’hui le risque de nous contenter de répondre au plus immédiat ou de réduire notre formation à des connaissances pratiques «à employer et jeter». Il nous paraît très dur d’acquérir une formation intellectuelle solide comprenant une connaissance suffisante des sciences humaines (particulièrement les courants de la pensée ou de la culture) et des matières théologiques, ou, à partir d’une perspective évangélisatrice, une formation qui nous permette de connaître plus à fond notre récepteur, les destinataires du message et le message lui-même. Souvent nous sommes satisfaits avec une compensation culturelle qui se réduit à consacrer du temps et des énergies dans l’usage excessif des media (presse, radio, TV, Internet) avec la vaine espérance d’être ainsi à jour. La tâche est certainement plus profonde et plus difficile. La vie aujourd’hui est très complexe, le niveau moyen d’éducation de plus en plus élevé et la spécialisation croît dans toutes les sphères professionnelles. On nous a rappelé que «la vie consacrée a besoin de renouveler l’attachement à l’engagement culturel, de se consacrer à l’étude comme moyen de formation intégrale et comme voie d’ascèse, extraordinairement actuelle, face à la diversité des cultures»139. Ces paroles du Pape ont une résonnance spéciale pour nous. Si le drame de notre temps est – comme Paul VI l’avait déjà signalé – l’abîme entre foi et culture140, comment ne pas nous sentir interpellés puisque nous sommes nés dans l’Église pour évangéliser? Pouvons-nous aider à établir des ponts sans une profonde expérience de foi et sans une solide connaissance des cultures où nous vivons? Il nous faut être lucides ici aussi afin de pas confondre la simplicité évangélique avec la médiocrité, le style populaire avec la vulgarité, la spontanéité avec la paresse. Une caractéristique des clarétains a toujours été l’application au travail et la sage utilisation du temps, qui vont ensemble. Établir des ponts entre la foi et les cultures 86. La foi est certainement une expérience de rencontre personnelle avec Dieu. Elle ne se réduit pas à une coutume ou à un trait culturel. Mais cette expérience ne peut se limiter non plus – comme la société bourgeoise le veut – à une affaire intimiste, de conscience. La foi crée la communion entre tous les croyants et, par son dynamisme propre, génère la culture. C’est-à-dire, elle veut recueillir en elle «tout ce qui est vrai, noble, juste, aimable, honorable»141 et l’exprimer à travers les médiations humaines normales: la science, la technique, l’art, l’économie, la politique. Est-il possible de vivre d’une façon durable la foi dans des conditions culturelles adverses ou dans une attitude permanente de confrontation avec la culture? Sommes-nous appelés à toujours être une minorité contreculturelle? Ou au contraire, la foi chrétienne constitue-t-elle une proposition de vie qui devient culture dans un dialogue ouvert à d’autres propositions? L’Église croit que l’Évangile qu’elle annonce, même si souvent il présente des traits qui se heurtent à d’autres cultures, est supposé être une bonne nouvelle pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui, une proposition de vie et de sens, un chemin d’humanisation. C’est la raison pour laquelle un groupe de missionnaires comme nous doit sentir une vraie passion culturelle. Nous avons encore besoin de missionnaires qui connaissent le monde de la science, de l’art, de la communication, qui puissent établir des ponts entre l’Évangile et les différentes cultures autour de nous. Ceci n’est point possible sans créer, dès la formation initiale, une mentalité ouverte, un désir d’admiration, de recherche, un don du dialogue et une solide habitude à l’étude142. Être à la hauteur des temps 87. Le dernier Chapitre Général a mis en relief le besoin de cultiver la formation «pour être à la hauteur de notre temps»143. Il nous a offert, en plus, une motivation missionnaire («Une communauté qui accueille le don de Dieu est à l’écoute des signes des temps et elle se laisse rajeunir sans cesse afin de réaliser l’annonce de l’Évangile d’une manière crédible et attrayante») et quelques propositions144. Dans les prochaines années, nous devons prendre au sérieux les neuf engagements proposés par le Chapitre. Il y a quelques années, un théologien bien connu disait «l’Esprit-Saint ne remplace pas le manque coupable de compétence». Sans des clarétains bien préparés, quelle sorte de discernement pouvons-nous faire dans nos Chapitres, assemblées, rencontres de pastorale, etc.? Quel va être notre apport dans le diverses structures des Eglises particulières? C’est pourquoi, par cette lettre circulaire, je veux lancer un appel à toute la Congrégation: donnons du temps à l’étude! Prenons au sérieux les personnes et leurs problèmes! Ne nous contentons pas de n’importe quoi! Gageons sur la qualité! Préparons-nous avec ceux qui cherchent la transformation du monde selon le dessein de Dieu! Ne nous laissons pas emporter par la superficialité»!145. Il est vrai que l’étude n’est pas tout mais, si j’insiste sur ce point maintenant, c’est parce que nous en avons beaucoup besoin. Soyons réalistes: faisons face aux défis 88. Être à la hauteur du moment que nous vivons et donner une réponse satisfaisante aux défis qui nous arrivent, c’est plus qu’en être renseignés ou sensibilisés. Parfois, il nous semble que, parce que nous avons énuméré les défis de l’évangélisation, tout est déjà résolu. Il faut parcourir tout le processus: analyse de la réalité, éclaircissement et engagement. Beaucoup restent au premier point. D’autres passent de l’analyse de la réalité à l’engagement sans avoir refléchi suffisamment. À cause de la vitesse de la vie actuelle, il est absolumment nécessaire d’être bien préparé afin de donner des réponses efficaces à ces défis. Il faut les affronter avec une étude sérieuse et préparer des stratégies aux réponses adéquates. Certains s’illusionnent en étant dans les «centres de décision» où se discutent des solutions aux grands problèmes, mais ils ne sont pas capables de se préparer comme il le faudrait. Nous devons jeter de la lumière à partir de la Parole de Dieu, la pensée des Saints Pères, le Magistère de l’Église, la théologie, l’expérience religieuse des peuples et les sciences humaines. 89. Dans les six prochaines années, – tel que le Chapitre Général146 l’a demandé – il faudra favoriser les spécialisations, surtout dans les disciplines écclesiastiques: études bibliques, théologiques, pastorales, morales, catéchétiques. Nous avons besoin de personnes préparées dans les media, la missiologie et la spiritualité. La poursuite des sciences humaines comme la sociologie, la psychologie, la pédagogie, doit être prise à partir de notre charisme missionnaire. Nous sommes tous invités à construire la communauté avec les dons reçus. À l’heure de déterminer les spécialisations, il faudra tenir compte des qualités des personnes et les besoins de la mission évangélisatrice de la Province et de la Congrégation. Les spécialisations visent le bien commun et non la satisfaction des intérêts personnels. Les Provinces devraient établir leurs priorités dans la préparation des personnes selon une planification, surtout dans les domaines de la formation et de l’apostolat. Une fois les études réalisées, il faudra les rendre rentables. La préparation doit contribuer à une amélioration de la vie culturelle et spirituelle de tous. Il y a parmi les nôtres des personnes dont les diplômes ne sont pas «utilisés» adéquatement. Parmi d’autres raisons, parce qu’elles n’ont pas cultivé le professionalisme ou parce qu’elles ont été éloignées des urgences de la mission. D’autres ne sont pas valorisées à leur juste titre, pendant que d’autres montrent des prétentions démesurées ou hors proportion. La tendance des dernières dizaines d’années à remplir les trous a empêché d’apprécier comme il le fallait la contribution apostolique de ceux qui se consacrent au monde de la pensée et de l’étude. On a classé d’une certaine marginalisation (dans certains cas aussi «automarginalisation») ceux qui, par leur préparation spécialisée auraient dû être comme des «sentinelles critiques» de notre démarche missionnaire. Quelque chose fonctionne mal lorsque un groupe n’écoute pas la voix de ceux qui sont compétents dans les diverses matières et se laisse entraîner par la mode, les préjugés ou les opinions superficielles. 90. Le Gouvernement Général continuera à promouvoir la qualification des personnes pour les trois Instituts de Vie Consacrée (Madrid, Rome et Manille). Il a un intérêt spécial pour qu’entrent en vigueur les Centres Supérieurs de Curitiba (Brésil), Villa Claret (Argentine), Madrid (Espagne), Maryland (Nigéria), Wardha (Inde), Quezon City (Philippines) et appuyera la sélection et la préparation des équipes de Formateurs pour tous les Centres de Formation. Pendant les prochaines années, il faudra étudier la possibilité d’ériger quelques Centres Supérieurs dans des Organismes d’Asie et d’Afrique. Nous avons la conviction que les centres Supérieurs d’Études apportent et encouragent la vie missionnaire d’avant-garde de la Congrégation. Il essayera aussi de promouvoir des groupes de refléxion inter-disciplinaire et d’autres initiatives qui rehausseront notre niveau culturel et qui aideront à jeter de la lumière sur les problèmes qui préoccupent notre tâche évangélisatrice. Si nous ne disposons pas d’hommes qui éclairent, ouvrent des chemins, nourrissent nos utopies, élargissent nos horizons, nous tomberons peu à peu dans la «médiocrité» et une Congrégation appauvrie intellectuellement est aussi une Congrégation incapable de répondre aux défis de la mission prophétique. Nous ne sommes pas appelés à gérer le présent seulement mais, dans une certaine mesure, à anticiper l’avenir, à chercher des réponses aux multiples problèmes que l’évangélisation présente aujourd’hui. En tant que clarétains qui avons reçu en héritage l’engagement à multiplier les leaders d’évangélisation, nous ne pouvons pas nous contenter de notre propre bonne préparation mais nous devons plutôt faire en sorte que d’autres soient également bien équipés pour prêter un service évangélisateur de qualité. 5. Inviter d’autres avec audace Une préoccupation de toujours 91. L’héritage se fait prophétie lorsque nous osons embrasser la vocation du Seigneur, lorsque nous rendons le bonheur de l’Évangile contagieux pour que les hommes de notre temps vivent un peu mieux. Voici notre souhait et souvent notre tracas. La préoccupation pour les vocations a toujours été constante dans notre histoire. L’écho des messages du Fondateur nous arrive jusqu’à aujourd’hui: «Il faut avoir du monde»147, «Il ne faut pas s’endormir»148, «Prions le Seigneur céleste afin qu’il envoie des ouvriers, car les ouvriers sont vraiment peu nombreux et la moisson très abondante en Espagne et en dehors de l’Espagne»149, «J’ai confiance dans le Seigneur qu’il nous enverra des ouvriers pour cultiver sa vigne, prions beaucoup le Père céleste»150. Quelques années avant le centenaire de la Congrégation, le P. Nicolás García, dans une circulaire sur «La vocation missionnaire», encourageait les membres de notre Institut à travailler pour les vocations: «Sans de nombreux ouvriers, la Congrégation ne pourra pas réaliser le plan très vaste tracé dans les Constitutions. Ne soyons pas la cause de l’échec de la Congrégation dans la poursuite de son but; ce serait sa mort. Demandons constamment au Maître de la moisson de nous envoyer des ouvriers»151. Ces dernières années, nous avons acquis une conscience plus aigüe de ce besoin. Les chapitres, les assemblées et les rencontres l’ont répété maintes et maintes fois. Le P. Gustavo Alonso, dans sa circulaire «Les Clarétains en formation», l’exprimait ainsi au début de cette décennie que nous sommes à la veille de clore: «On a besoin de plus de disciples de Jésus qui se consacrent, pour la vie, à l’annonce de son Évangile. Dans cette perspective, il faut renouveler la vigueur de l’œuvre de promotion des vocations (…). Des nouvelles vocations à l’œuvre évangélisatrice seront le fruit, surtout, du nouvel enthousiasme missionnaire dont nous ferons preuve afin de faire face à cet avenir qui est à nos portes»152. Pourquoi vouloir être plus nombreux? 92. Je ne crois pas qu’aujourd’hui notre intérêt pour les vocations naisse seulement d’une préoccupation humaine de notre survie, surtout dans les Organismes dont le taux de viellissement est assez élevé et les jeunes clarétains se font rares ou non-existants, ni le désir de voir nos multiples œuvres évangélisatrices continuer. Si c’était le cas, nous devrions continuer à purifier nos motivations. Durer ne veut pas dire mieux vivre. Lorsque le désir démesuré devient une obsession, il lève une barrière devant une proposition claire et évangélique et il nous rend inaptes à accueillir d’une manière désintéressée les frères que le Seigneur nous envoie. La raison en est plus profonde. Nous souhaitons avoir des vocations parce que Jésus et son Royaume sont notre plus précieux trésor153, parce que nous voulons partager avec les générations futures un style de vie évangélique qui nous rend heureux, parce que nous désirons, comme notre Fondateur, «faire avec d’autres ce que nous ne pouvons pas faire seuls». Ces paroles, si vivantes au moment de la fondation, nous offrent, encore aujourd’hui un horizon et un encouragement. Au fur et à mesure que notre conscience missionnaire s’agrandit, nous sentons le besoin de partager ce don avec beaucoup d’autres. Nous ne pouvons pas appeler d’autres en nous vantant d’une perfection que nous n’avons pas. Mais nous ne pouvons pas non plus le faire sans une profonde attitude de reconnaissance pour ce que Dieu a fait avec nous. Les jeunes ne cherchent pas de modèles parfaits mais des hommes émus par le passage de Dieu. Notre situation vocationnelle 93. Comme nous le savons bien, la situation vocationnelle de la Congrégation est très différente selon les endroits. Nous continuons à croître en Asie et en Afrique; nous restons stables en Amérique Latine mais diminuons en Europe et en Amérique du Nord. Nous observons un déplacement évident vers les régions du monde où la Congrégation est plus jeune. Dans un certain sens et en paraphrasant les paroles de l’Apocalypse, le premier monde est en train de passer et quelque chose de nouveau voit le jour154. N’est-il pas encourageant de remarquer que la Congrégation, 150 ans après sa fondation, s’élargit dans des pays très différents en Asie et en Afrique? Le dernier Chapitre Général nous encourage à être reconnaissants pour les vocations que Dieu nous donne, aussi bien dans les endroits d’abondance comme dans ceux de pénurie. Dans les deux cas, nous devons répondre au don reçu. Mais la quantité n’est pas tout. Notre service à l’Évangile dépend plus de l’authenticité et de la qualité de notre vie plutôt que du nombre. Les Organismes qui jouissent de beaucoup de vocations ont encore besoin d’aide pour effectuer un discernement juste et garantir une formation solide155. Dans les prochaines années, nous aurons à construire six séminaires (Guinée Équatoriale, Cuba, Tanzanie, Uganda, Indonésie et Kenya). Dans la conjoncture actuelle de la Congrégation, il nous faut atteindre la plus grande corresponsabilité par la prière, la disponibilité personnelle à des tâches formatives et la solidarité économique. Sérénité et discernement devant la rareté de vocations 94. Mais, quoi faire là où, malgré tous nos efforts, nous ne trouvons pas l’écho souhaité? Les terres qui ont vu naître notre Congrégation, paradoxe de l’histoire, ce sont elles qui enregistrent aujourd’hui le plus bas taux vocationnel. Que d’efforts fournis, d’heures de prières, de refléxion et de planification consacrées! Combien de moyens n’a-t-on pas employés! La nuit obscure ou le dur hiver est cependant là. Je veux, au nom de la Congrégation, montrer dans ces lignes le travail splendide de tous ceux qui, ces dernières années, se sont consacrés à la pastorale vocationnelle de la jeunesse. En même temps, je les exhorte à l’espérance, car les images employées ne sont pas négatives mais porteuses de promesses. La nuit obscure est un préambule d’une option théologale. L’hiver est un passage vers un nouveau cycle de vie. Si nous regardons vers l’avenir, il n’y a pas de sens à ignorer la réalité, à nous contenter des explications simplistes ou juste des exercices de survie. Nous devons, en tout cas, éviter la nostalgie, le désenchantement ou de la pure considération du nombre156. Le Seigneur sait ce qu’il fait avec son œuvre et c’est à nous de discerner le sens évangélique des événements et en tirer profit pour croître en fidélité: «Les nouvelles situations de pénurie doivent donc être abordées avec la sérénité de ceux qui savent que l’on demande à chacun plus l’engagement de la fidélité que la réussite. On doit absolument éviter le véritable échec de la vie consacrée, qui ne vient pas de la baisse numérique, mais de la perte d’adhésion spirituelle au Seigneur, à la vocation propre et à la mission»157. N’oublions pas les paroles du Fondateur – transmises par le P. Clotet – lorsque les premiers clarétains ont éprouvé aussi le sentiment d’être peu nombreux: «Si nous sommes peu nombreux, la grande puissance de Dieu resplendira encore plus». N’oublions pas non plus la logique surprenante de l’Évangile: parfois, il faut que quelque chose meure afin qu’une autre réalité surgisse avec une vigueur renouvelée, afin que le nouveau ne soit pas une simple retouche sur un vieux tissu. Nous n’avons pas encore une perspective historique pour savoir si ce que nous appellons aujourd’hui mort n’est pas un temps de grâce qui nous prépare à une vie nouvelle plus authentique, plus ouverte et plus généreuse. Là où nous souffrons de cette pénurie vocationnelle, profitons de ce petit exil en Babylone pour tourner nos yeux vers Dieu et nous laisser renouveler pour Lui. 95. Là où il y a de l’espoir, il y a aussi de la lucidité pour ne pas s’abandonner à de élans émotifs ou à de simples calculs numériques. Souvent, la réalité de la pénurie nous fait poser beaucoup de questions auxquelles nous ne donnons pas toujours des réponses calmement: Pourquoi cela arrive-t-il? Sommes-nous moins fidèles que dans le passé? Notre charisme missionnaire a-t-il perdu de sa vigueur? Pourquoi quelques Instituts ont-ils des vocations pendant que nous n’en avons pas? Donnons-nous la réponse adéquate? Le Chapitre Général a fait une brève présentation des quelques causes158. Le Congrès Continental latino-américain sur les vocations (Italie 1994) et le plus récent Congrès européen (Rome 1997) nous ont offert aussi une refléxion clairvoyante qui nous est très utile afin de cheminer avec l’Église sur cette question si déterminante pour le présent et l’avenir. Il nous faut reconnaître les efforts déjà réalisés dans différentes zones pour repenser entre nous ces orientations159. Un signe de lucidité dans la pastorale des vocations, c’est le soin mis au discernement dans la sélection des candidats. C’est depuis longtemps que nous, Clarétains, avons opté pour la qualité. Nous mettons la qualité avant la quantité160. C’est un critère de base pour la formation et pour la vie missionnaire. 96. Les interrogations autour de la problématique de diverses vocations dans l’Église, tant du point de vue anthropologique, social, ecclésial que de la vie consacrée sont multiples et bien connues. Nous recevons des descriptions exhaustives de la façon d’être et de vivre de la jeunesse actuelle. Tout ceci nous fait penser aux difficultés réelles que les jeunes rencontrent avant d’embrasser le radicalisme évangélique ou pour s’incorporer definitivement dans une Congrégation afin d’y servir le Royaume. Que faire devant tant d’obstacles? Comment faire face aux multiples défis et questionnements posés aux niveaux de la Congrégation et de l’Église? Comment accueillir les jeunes dans des communautés qui, en communion avec toute l’Église, offrent un climat vraiment accueillant où chacun puisse se sentir reconnu et accepté pour y faire mûrir sa décision? Comment établir un lien entre le «grand» idéal de Jésus et les petits gestes qui tissent la trame de la vie de chaque jour afin que les jeunes réalisent qu’il est possible de vivre joyeux en étant pauvres, obéissants, chastes et en fraternité au service missionnaire de la Parole? Inviter d’autres implique vivre autrement 97. Les pressions du milieu social dominant, la situation de l’Église et les problèmes internes de la vie consacrée et de la Congrégation ne doivent jamais devenir une excuse pour nous dérober à notre responsabilité. L’Esprit de Dieu reste actif en tout temps et dans toutes les cultures. Cela ne sert à rien de continuer à nous lamenter ou à répéter presque jusqu’à l’ennui les appels à «faire quelque chose». Il nous faut nous rapprocher de la réalité d’une autre façon, avec une autre mentalité. Nous devons créer une vraie «culture vocationnelle», telle que Jean-Paul II nous la propose161. Il est humainement impossible qu’une communauté découragée soit aussi attrayante. L’heure est venue de réviser notre engagement vocationnel à partir de nouvelles attitudes. Afin de vivre cette nouveauté, il est péremptoire de passer: - D’une pastorale vocationnelle d’urgence à une pastorale qui soit «l’expression normale et continue de la maternité de l’Église» qui engendre toujours la vie avec la force de l’Esprit, «seigneur et donneur de vie». - D’une préoccupation obsessive de remplir nos trous vides à une préoccupation sincère pour toutes les vocations. Si nous ne grandissons pas ensemble dans une Église en communion, personne ne grandira. Quand allons-nous arrêter de considérer la pastorale vocationnelle comme un appendice de la pastorale-jeunesse? - D’un travail limité aux plus proches (ceux qui se trouvent dans nos groupes) à une proposition vocationnelle adressée à tous, puisque le Seigneur peut appeler là où nous l’imaginons le moins. - D’une attitude de peur et de timidité à une attitude de joie et de conviction dans la force de Dieu qui n’abandonne jamais sa communauté et qui peut faire d’une minuscule graine de moutarde un arbre où viennent se nicher les oiseaux. - D’un simple récrutement à une pastorale qui accompagne les personnes avec proximité et respect profond. - De déléguer le travail à quelques franc-tireurs à vivre la pastorale vocationnelle comme une tâche commune à tous, même si certains se consacrent d’une manière plus spéciale à accompagner de près ceux qui sont appelés. - De la fatigue et la résignation comme attitude habituelle à un témoignage simple, plein d’espoir et créatif. Dans notre pastorale vocationnelle, nous devons avoir en tête que la vocation du missionnaire clarétain peut être vécue comme ministres ordonnés (missionnaires prêtres et diacres) et comme laïcs consacrés (missionnaires frères)162. Il y a un chemin 98. Les Constitutions nous indiquent le chemin à suivre pour encourager la promotion des vocations163. Le Plan Général de Formation concrétise les moyens les plus adéquats164. Nous avons donc à notre disposition des éléments suffissants pour savoir ce que nous devons faire. Pour cette raison, je me limiterai à souligner l’importance que les éléments suivants ont pour les vocations: le vécu joyeux de la propre vocation, la prière pour les vocations et l’invitation à travers la parole et le style de vie. Il faut intensifier la pastorale des vocations par la contagion de la joie d’avoir été appelés. Celui qui vit avec joie le don vocationnel même au milieu d’ennuis financiers et d’obstacles, devient un sacrement de l’appel. C’est comme s’il disait: «Venez et voyez. Le doigt de Dieu est ici». La prière du 150e anniversaire de la Congrégation contient une humble demande afin que le Seigneur envoie des ouvriers dans notre Congrégation et qu’il les remplisse de son Esprit. Récitons, avec une vraie ferveur d’esprit, cette prière tous les jours pendant le jubilé. En ce qui touche l’invitation et le style de vie, rappellons-nous que, tout au long de notre histoire, la simplicité de vie et le style jovial et amical ont été des caractéristiques du missionnaire clarétain. Si vraiment nous souhaitons avoir des vocations, nous devons être près des jeunes, les accueillir, les accompagner dans la prière, dans le discernement et dans les moments de décision. Nos maisons, auxquelles les jeunes peuvent être invités afins qu’ils «voient», doivent respirer un climat de grande joie et confiance dans la mission que l’on réalise pour le bien de l’Église et des hommes. Elles doivent, en même temps, laisser voir que notre mission est universelle; que nous sommes préoccupés par l’annonce du Royaume dans le monde entier. 99. Dans un climat de proximité humaine, de profondeur spirituelle et de passion missionnaire, il est toujours possible d’adresser une parole explicite, de faire une proposition claire. Sans fatiguer les jeunes avec une insistance qui porte atteinte à leur liberté, on peut pratiquer une pédagogie de «toi-aussi tu peux». La vocation est avant tout une expérience de grâce, de gratuité au milieu d’une société compétitive et professionnalisée. Nous qui avons été séduits par Jésus, nous savons jusqu’à quel point sa grâce nous a permis d’avancer dans le chemin malgré nos faiblesses. Pourquoi n’arrivera-t-il pas aux autres ce qui nous est arrivé à nous? Aujourd’hui encore Jésus regarde avec amour beaucoup de jeunes et leur dit: «Si tu veux être un homme en plénitude, va, ce que tu as,vends-le et donne-le aux pauvres et tu trouveras que Dieu est ton trésor»165. C’est à nous que revient la responsabilité de diriger ce regard et cette proposition aux jeunes dans le chemin de la vie. Celui qui se sent aimé est capable d’entendre l’invitation à suivre Jésus comme une promesse de bonheur et non comme une intrusion dans sa vie ou comme un arrêt de ses rêves. Dans notre histoire, il y a eu et il y a encore de beaux exemples de clarétains qui ont su pratiquer ce délicat ministère166 de la parole opportune. 100. Une pastorale vocationnelle ainsi comprise, comme rencontre et dialogue sur le chemin de la vie, trouve dans le Cœur de Marie sa plus profonde inspiration. Marie est Mère et Maîtresse des Missionnaires Fils de son Cœur Immaculé. Dans notre pastorale vocationnelle, Marie occupe une place privilégiée. Elle nous inspire, nous assiste, nous stimule dans les méandres vocationnels. Elle nous ouvre au mystère, nous aide à discerner à partir de la foi, nous donne son témoignage dans la décision, nous revèle sa joie dans le service. Dans la pastorale vocationnelle clarétaine, l’on doit donner une importance spéciale à la relation personnelle au sujet des plans, au soin de l’intériorité avant le cumul des actions externes, l’expérience de la grâce («Réjouis-toi, Marie, le Seigneur est avec toi») comme base pour prendre une option («Voici la servante du Seigneur»), bien avant tout calcul humain. Espérons que la même Mère qui était présente aux débuts de notre Congrégation continue à nous accompagner dans les périodes de difficulté et de pénuire. CONCLUSION: L’HEURE DE L’ENTHOUSIASME 101. Qui ne rêve pas d’une Congrégation rajeunie pour une Église jeune à l’aube du troisième millénaire? Nous sommes tous ravis de voir des frères à nous centrés vocationnellement, qui vivent joyeusement leur service missionnaire, même si cela s’avère difficile; qui sentent comme propre à eux tout ce qui arrive aux autres; qui ont toujours un regard positif sur tout ce qui les entoure? Ils vivent chaque moment et chaque événement pleins de joie et avec enthousiasme. Il n’est pas question d’une fantaisie éphémère. Au fond de cette vie de joie et d’enthousiasme, il y a des croyances et des convictions profondes capables d’étouffer toute ombre de doute, de découragement ou de peur. Parce qu’ils croient à l’idéal de vie qu’ils ont embrassé, ils s’adonnent avec passion à la cause de la communauté, de ses options les plus radicales et à l’exercice du ministère qui leur est confié. Combien vivent-ils dans l’état d’illusion et d’enthousiasme? Nous ne le savons pas. Il n’est pas facile non plus de savoir combien souffrent d’apathie, de désillusion ou d’indifférence167. Je veux seulement vous rappeler ce que l’essayiste et poète américain Ralph Waldo disait: «Tout grand mouvement dans l’histoire des annales du monde est un produit de l’enthousiasme. Aucune grandeur n’a été atteinte sans enthousiasme». 102. Lorsque l’on regarde vers l’an 2000 et l’on contemple la réalité de la Congrégation dans toute sa richesse et complexité, dans toutes ses limitations et possibilités, notre plus grand désir, c’est que nous soyons envahis toujours d’un enthousiasme corporatif afin de faire face au défi de l’évangélisation. Il est bien vrai que l’on n’est pas enthousiasmé par décret ni par obligation. L’enthousiasme est le fruit d’un côté, d’une grâce spéciale de l’Esprit qui fait sentir une force capable d’approfondir dans les valeurs essentielles et de surmonter n’importe quelle limitation, et, d’un autre côté, le fruit aussi des conditions favorables que nous créons, nous tous les membres de la Congrégation. Il est fréquent d’entendre que nous sommes dans le printemps de l’Esprit. C’est possible qu’aujourd’hui plus que jamais, nous soyons conscients de sa présence dans l’Église. Dans le livre des Actes des Apôtres, lorsque l’on raconte la venue de l’Esprit-Saint, on fait allusion aux paroles de Pierre qui évoque le prophète Joël: «Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Alors, vos fils et vos filles prophétiseront; vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards des songes»168. Que veulent-ils dire ces «visions» et ces «songes» sinon la riche expérience de tout homme ou tout groupe – sans distinction d’âge ni de condition sociale – qui se trouve sous l’influence de l’Esprit qui le fait participant de sa force innovatrice et créatrice? L’expression de cette influence, c’est l’enthousiasme, l’illusion capable de contempler et affronter la vie à partir de l’expérience sans égale de la résurrection de Jésus. 103. Pendant plusieurs années, nous avons conservé la tradition de prier oralement pour la Congrégation: pour le fruit apostolique des missionnaires et pour les vocations. On devrait récupérer cette prière dans l’un ou l’autre moment de prière communautaire de chaque jour. Plus nous faisons des plans pour répondre aux problèmes que nous découvrons, plus nous devenons conscients du besoin de rester unis à Jésus et de vivre de son Esprit. L’avenir de la Congrégation, en tant que communauté apostolique, dépend de la participation à la vie de Jésus, de la communication de son Esprit. La conséquence des paroles de Jésus est tout à fait logique: «Je suis la vigne; vous, les sarments. Celui que demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit; car hors de moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche; puis on les ramasse et on les jette au feu et ils brûlent»169. A cause de notre mentalité pratique, il nous est difficile de comprendre l’efficacité mystérieuse de la prière. Nous aimerions avoir plutôt des stratégies garantissant des résultats tangibles. Cependant, seul celui qui croit que «si le Seigneur ne bâtit pas la maison, en vain peinent les bâtisseurs»170 peut être porteur des fruits évangéliques. 104. Ayons recours à l’Esprit-Saint et demandons-lui qu’il nous fasse rêver encore une fois et qu’il nous tire de l’insatisfaction résultant de la confrontation avec la pauvre réalité de la vie. Claret et les premiers missionnaires ont pu embraser tout sur leur passage parce qu’ils brûlaient de charité. Leur vie et leur annonce étaient cohérents. Ils disposaient de moins de moyens que nous, mais peut-être ils débordaient de plus de zèle que nous, de la vraie ardeur prophétique171. Que le même Esprit nous fasse voir les obstacles que nous mettons aux autres à vivre avec joie et qu’il nous remplisse de force pour créer des conditions favorables afin de devenir une communauté de témoins et de prophètes qui annoncent la Bonne Nouvelle et proclament un an de grâce du Seigneur: «Esprit qui as suscité dans l’Église cette Congrégation des Missionnaires, viens en nous tous et faisnous vivre une nouvelle Pentecôte». Rome 22 août 1998 Fête de Marie Reine. Aquilino Bocos Merino, C.M.F. Supérieur Général HÉRITAGE ET PROPHÉTIE Cent cinquante ans de grâce et de service à l’Évangile I. «J’ADORE CET HÉRITAGE» pag. 5 1. La Congrégation en fête C’est le temps de célébrer [n° 2] Les célébrations dans le passé [n° 3] Comment célébrer aujourd’hui? [n° 4] Une fête à l’intérieur du Jubilé de l’Eglise [n° 7] Une fête de famille [n° 8] » 6 » 6 » 7 » 8 » 10 » 11 2. «Tout commença à Vic» Claret, une lumière et une voix nouvelles [n° 11] «Animés par le même esprit» [n° 15] « A u j o u r d ’ h u i , n o u s c o oeuvre» [n° 19] La Congrégation, œuvre de Dieu et de Marie [n° 21] » » » m » 3. La Congrégation comme un arbre planté Enracinement, vigueur et solidité [n° 26] Les cernes de la croissance [n° 28] Jusqu’au premier jubilé [n° 29] Jusqu’au deuxième jubilé [n° 30] Jusqu’au troisième jubilé [n° 31] Plusieurs figures: une seule vocation [n° 33] Fruits de sainteté et d’héroïsme évangélique [n° 34] Des feuilles tombées et des branches sèches [n° 37] Une mission: des services multiples [n° 38] Avançant entre ombres et lumières [n° 40] » » » » » » » 12 14 20 m e n ç o n s 24 » 26 u n e g r a n d e 30 31 33 34 35 37 39 » 40 » 42 » 43 » 45 4. «Chère Congrégation» » 47 Une expression de famille [n° 41] » 47 Claret et nous: père, frère et compagnon [n° 42] » 48 D e u x e x e m p l e s d ’ a m o u r p o u r Xifré et Clotet [n° 43] pag. 49 Nos Martyrs [n° 47] » 53 … et le témoignage de tant de missionnaires [n° 48] » 55 L’amour aide à grandir [n° 50] » 56 l a C o n g r é g a t i o n : …et aussi le pardon et la réconciliation [n° 52] 5. Qu’allons-nous faire de l’héritage réçu? On n’aime que ce que l’on connaît [n° 54] Connaître n’est pas tout: il faut vivre [n° 55] Il faut aussi recréer [n° 56] » 58 » » » » 59 60 62 63 II. FAIRE DE NOTRE HÉRITAGE UNE PROPHÉTIE » 65 1. La Congrégation «en mission prophétique» » 66 Héritage prophétique [n° 58] » 66 Le Seigneur a parlé, qui ne prophétiserait?[n° 59] » 68 Un appel à tous [n° 60] » 69 L a p r o p h é t i e e x i g e d e s e p l a c e r d a n s l ’ a u t r e dimension [n° 62] » 70 Amis des pauvres [n° 65] » 72 Des experts dans «le dialogue de la vie» [n° 68] » 74 Une prophétie faite coeur [n° 69] » 75 2. Marcher ensemble Marcher ensemble dans les grandes régions [n° 70] Spiritualité de communion [n° 72] Prophétie de la vie ordinaire [n° 73] » 76 » 76 » 78 » 80 3. Vivre en fidélité dynamique et créative » 81 C é l é b r o n s e t r e n d o n s g r â c e s p o u r lité [n° 74] » 81 Des faits qui nous font penser [n° 75] » 82 Difficultés actuelles [n° 77] » 84 Que pouvons-nous faire? [n° 80] » 87 4. Réconciliés avec l’étude pag. 91 Il nous faut deux pieds pour marcher [n° 84] » 91 L e s « c o m p e n s a t i o n s c u l t u r e l l e s » n e pas [n° 85] » 92 Établir des ponts entre la foi et les cultures [n° 86] » 93 Être à la hauteur des temps [n° 87] » 94 Soyons réalistes: faisons face aux défis [n° 88] » 96 5. Inviter d’autres avec audace » 99 Une préoccupation de toujours [n° 91] » 99 Pourquoi vouloir être plus nombreux? [n° 92] » 101 Notre situation vocationnelle [n° 93] » 102 S é r é n i t é e t d i s c e r n e m e n t d e v a n t vocations [n° 94] » 103 Inviter d’autres implique vivre autrement [n° 97] » 106 Il y a du chemin [n° 98] » 108 CONCLUSION: L’HEURE DE L’ENTHOUSIASME » 111 t a n t n o u s l a d e f i d é - s u f f i s e n t r a r e t é d e s Finito di stampare nel mese di ottobre 1998 Tipografia «La Roccia» - Via delle Calasanziane, 64 - 00167 Roma - Tel. 6282744