le même soir, Burt Lancaster parlait-il aussi allemand en Allemagne et, en
Espagne, certainement castillan, peut-être encore catalan, voire basque
et galicien. Mais, pour vivre depuis quelques années au Portugal, je sais
que, par contre, il n'y parlait pas portugais mais bien anglais, si telle était la
langue originale du film choisi pour lui rendre hommage à la télévision.
Le doublage n'existe pratiquement pas dans ce dernier pays : il est
réservé aux productions destinées aux enfants qui ne savent pas
encore lire. Les quelques essais récents suscitent de nombreuses
critiques et se limitent presque exclusivement à des feuilletons d'origine
sud-américaine diffusés à des heures de faible audience (au grand
désespoir de nombreux acteurs portugais qui défendent le doublage,
procédé dans lequel ils voient la possibilité de créations d'emplois). Cet
échec s'explique peut-être en partie par le fait que ces séries ont été en
général présentées dans des versions doublées en portugais du Brésil. Les
manifestations d'identité linguistique de la part des locuteurs du portugais
européen envers cette variante de leur langue sont de plus en plus
fréquentes. L'une des principales raisons vient d'un sentiment
d'infériorisation linguistique éprouvé devant le déferlement de produits
audiovisuels en provenance du Brésil. Comme il a été possible de
l'observer lors de récentes négociations en vue de l'établissement d'une
réforme orthographique, ce dernier pays commence à affirmer de plus
en plus nettement la légitimité de « sa » langue, en s'appuyant
notamment sur la considérable supériorité démographique de son
corps de locuteurs. Imaginons ce qui se passerait en France si d'aventure
le français du Québec venait à prendre une position hégémonique...
Toujours est-il que ce refus du doublage paraît assez remarquable
dans un pays qu'un demi-siècle de dictature a laissé avec un très fort taux
d'analphabétisme. Réduit aujourd'hui à environ 15 % de la population, ce
taux reste très élevé dans le contexte européen (il s'agit bien
d'analphabétisme au sens strict, et pas seulement d'une incompétence
fonctionnelle) ; il ne se réduit qu'avec le remplacement progressif des
générations, en dépit d'une scolarisation pas encore toujours parfaite et
d'une certaine. persistance du travail infantile. Comme la production
audiovisuelle portugaise est encore très réduite, la programmation des
chaînes de télévision, au moins en ce qui concerne la fiction, est
essentiellement d'origine étrangère. Il est donc très fréquent de voir une
femme de ménage portugaise - toutes ne sont pas à Paris - travailler chez
elle avec la télévision ronronnant dans un coin dans une langue qu'elle ne
comprend pas, ou une famille assister à un film dont elle ne peut suivre
l'action que grâce à ses éléments non-linguistiques. Ces situations sont
devenues d'ailleurs d'autant plus fréquentes que se sont multipliées ces
dernières années les antennes paraboliques qui permettent de capter
des multitudes de chaînes étrangères diffusées par des satellites. Ne
pouvant bien sûr supporter un sous-titrage pour toutes les langues des
divers pays atteints par le satellite, ces chaînes sont diffusées uniquement
dans leur langue d'origine. Il peut donc très bien arriver de se trouver au
restaurant (où, au Portugal, la télévision