théologie Le Courrier théologique des professeurs de la faculté de

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& théologie
Le Courrier théologique
des professeurs de la faculté de théologie catholique
(Université de Strasbourg)
no 17, mai 2016
Billet : Les langues du Moyen Âge
Depuis quelques années, la question du rôle et du fonctionnement des langues vulgaires dans le
discours savant médiéval bénéficie d’une attention toute particulière de la part des historiens de la
philosophie médiévale, relevant la dimension politique du choix du vulgaire vis-à-vis du latin clérical.
L’imposition du latin comme langue du savoir est un aspect avéré de la culture médiévale, mais il ne
se fait pas sans la volonté politique des papes successifs. Celle-ci gagne toute son ampleur en 1215
avec le IV concile de Latran : l’éradication des hérésies allait de pair avec un effort d’uniformisation
des pratiques des fidèles, qui faisait de la maîtrise du latin scolaire une priorité chez les clercs. Si bien
qu’à la fin du XIIIe siècle, le théologien franciscain Jean Peckham émet l’hypothèse du latin comme
langue parlée au paradis, au détriment des autres langues référentielles de choix, l’hébreu et le grec.
C’était dire l’importance sociale qu’avait acquise le latin, symptomatique d’un « cléricalisme
scientifique » (Ruedi Imbach et Catherine König-Pralong) qui qualifiait les laïcs d’illettrés et les
savoirs alternatifs pratiqués en langue vulgaire comme suspects car échappant au contrôle de l’Église.
Au XIVe siècle, l’hégémonie du latin comme langue administrative et scientifique s’amoindrit. Le
Grand Schisme en sera partiellement responsable. Au cours du débat franco-italien sur le retour du
pape à Rome, et malgré la rhétorique de l’ambassade française de 1367, le pape quitte Avignon,
confortant ainsi l’opinion des humanistes florentins, dont Pétrarque comme chef de file. En réponse, le
roi Charles V s’investit dans un renouveau culturel qui aspire au dépassement des auteurs classiques
vers l’affirmation d’une supériorité française. Le mythe de la translatio studii refait alors surface pour
défendre l’idéal d’une culture de cour. Remontant à Flavius Josèphe au 1er siècle de notre ère, ce
mythe subit plusieurs transformations au cours des siècles, pour faire de Paris le réceptacle ultime d’un
patrimoine de savoir ancien qui remonterait au Paradis terrestre avant de passer par Athènes et Rome.
Associant grandeur politique et prestige du savoir, la translatio studii véhiculait l’idée que la
prospérité du royaume dépendait du bien-être des études universitaires (Serge Lusignan). Le mécénat
intellectuel du roi s’inscrivait dans cette perspective. Dans sa traduction d’Aristote commanditée par
Charles V, le philosophe Nicole Oresme met en parallèle les difficultés rencontrées dans l’Antiquité
pour traduire les ouvrages grecs en latin et celles qu’il affronte pour mettre le texte latin en français.
Dès lors considérée comme la « langue maternelle » des Romains, le latin perd son statut de langue
sapientielle pour devenir une langue analogue au français pratiqué à la cour.
Pour toute son audace, le geste fondateur d’Oresme ne doit pas masquer la complexité qui depuis le
haut Moyen Âge caractérise la relation entre le(s) latin(s) et les langues vulgaires : bilinguisme,
diglossie, appropriation cléricale du vulgaire pour des fins pastorales, revendications identitaires,
instrumentalisation politique du savoir… La pluralité linguistique au Moyen Âge mérite bien une
ouverture historiographique.
Isabel Iribarren
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La parole du mois
« Pour certain, translater telz livres en francoys et bailler en francoys les ars et les sciences est ung
labeur moult proffitable, car c’est ung langaige noble et commun à gens de grant engin et de bonne
prudence. Et comme dit Tulles en son livre de Achademiques, les choses pesantes et de grant auctorité
sont delectables et bien agreables à gens ou langaige de leur pays ».
Nicole Oresme (c. 1320-1382), Les Ethiques en françois, éd. A. Vérard, 1488.
Lectures
Béatrice DELAURENTI, La contagion des émotions. Compassio, une énigme médiévale, Paris :
Classiques Garnier, 2016.
L’histoire des émotions au Moyen Âge fait depuis quelques années l’objet de nombreuses études.
Que l’on pense au programme de recherches pionnier lancé par Piroska Nagy (UQAM) et Damien
Boquet (Aix-Marseille) en 2006, dont l’objectif est de mettre en question le processus de
rationalisation de la culture occidentale basé sur le dualisme raison / émotions au détriment de la part
affective de la nature humaine. C’est donc toute une nouvelle anthropologie qu’ils se proposent de
construire en ouvrant la voie à un savoir historique concernant la place et les enjeux de la vie affective
dans la conception du sujet et les relations sociales au Moyen Âge. Ainsi détrônée l’hégémonie de la
rationalité comme modèle d’anthropologie, des facultés longtemps reléguées au domaine de l’illusion,
comme limagination et les émotions, sont dès lors valorisées comme vecteurs d’un savoir
anthropologique. L’étude de B. Delaurenti s’inscrit dans ce renouveau historiographique. Se
concentrant sur des phénomènes attestant des effets de contamination émotionnelle, elle examine leur
trajectoire dans la tradition des Problemata attribués à Aristote. Car c’est à cette tradition que l’on doit
l’introduction du mot compassio dans son sens technique, comme une réaction involontaire de l’âme
ou du corps qui reflète le comportement d’autrui comme par imitation, selon un principe de sympathie.
Dans une seconde partie, le livre enquête sur les prolongements et impasses du nouveau paradigme en
repérant les traces de la compassion dans d’autres sources et d’autres champs : dans la médecine
médiévale principalement, mais aussi dans la théologie, la pastorale et la philosophie naturelle. Dans
les mots de l’auteur, « l’histoire de la notion de compassio apporte un éclairage sur la culture savante
des derniers siècles du Moyen Âge, qui se construit dans le rapport à l’écrit et à l’autorité : une culture
préoccupée par le corps et par l’ancrage corporel des passions, mais également soucieuse d’intégrer
l’être humain dans un univers qui le dépasse et l’englobe ». Cette étude constitue un démenti
convaincant de la prétendue immaturité émotionnelle des sociétés médiévales, promptes aux
débordements affectifs et aux effusions impulsives.
Nouvelles de la faculté et autres lieux
Lundi 9 mai à 16 h, un groupe de prêtres du diocèse de Châlons-en-Champagne en séjour dans le
diocèse de Strasbourg viendra nous rendre visite pour découvrir la faculté et son fonctionnement.
Faisons-leur bon accueil !
Soutenance de thèse de Monsieur Michel FARESCOUR le mardi 24 mai 2016 à 14 h au Palais
Universitaire, en salle Tauler (directeur de thèse M. Jan JOOSTEN) sur le thème « Psaume 92 : étude
exégétique».
Atelier VOCES :
VOCES est une base de données consacrée à la terminologie en usage parmi les spécialistes de l'écrit
dans les « régimes de scripturalité » manuscrite. Cette base a été élaborée par Thomas Brunner,
docteur en histoire du Moyen Âge, agrégé d’histoire, et est librement accessible. Les « ateliers
VOCES » ont pour but de réviser et enrichir cette base de données par un travail commun, mené par
ceux, chercheurs chevronnés, doctorants ou étudiants de master, qui travaillent dans ce champ d’étude.
L'atelier VOCES se réunit le vendredi 27 mai, de 13h à 15 h, salle 135 du Palais Universitaire.
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