Le Saint, le profane et l`idolâtre

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N’existe-t-il pas de lieux saints ?
2 Eloul 5738
04 septembre 1978
Cher pr.Leibowitz,
Personnellement je n’ai pas vu ton passage à la télévision jeudi 30.08.78 et généralement je
n’aime pas rapporter ce que j’entends de seconde main, mais lorsque je t’ai vu ce matin en
train de faire hagba’at haTotah1, j’ai décidé de t’écrire.
On m’a rapporté que tu as dis que selon la pensée juive il n’y a aucune sainteté dans un lieu,
ni dans un objet inanimé et que tu as employé le mot de « décharge » pour évoquer le
tombeau des Patriarches (Mé’arat Hapakh’pela), le tombeau de Rah’el, le Mont du Temple,
etc…
J’espère que tout cela est faux.
Cela pourrait être ton opinion, à toi, mais aurais-tu vraiment raison de l’avancer au nom du
judaïsme ?
De même qu’il y a de la sainteté dans un rouleau de la Torah qui n’est autre que la peau d’un
animal sur lequel ont été écrites des lettres, il y a aussi de la sainteté dans un lieu sanctifié par
les évènements et les associations qui y sont attachés.
Qu’en est-il de tous les passages dans la Torah dans lesquels un lieu saint est évoqué, et qu’en
est-il de la michna du traité Kelim (I, 6-9) qui recense dix saintetés en « Terre d’Israël »,
chacune plus élevée que la précédente ?
Je serais heureux de recevoir ta réaction de même que je suis sûr que tu l’expliqueras avec
plaisir.
Avec tout mon respect,
Le rav L.Y.Rabinovitch
1
L’auteur priait avec Y.Leibowitz à la synagogue Yéchouroun.
5 eloul 5738
07.09.78
Cher rav Rabinovitch,
Au sujet des dix saintetés de la michna Kelim je n’ai rien d’autre à te dire que, selon
l’expression de la guemara: “regarde la fin du passage!” (chapil le safa di qra). Qu’y est-il
dit ? « La Terre d’Israël est plus sanctifiée que toutes les autres pays, et en quoi réside sa
sainteté ? En ceci que l’on en apporte le ‘omer, les prémices et les deux pains »… en
d’autres termes : on n’apporte pas le ‘omer, etc, de la Terre d’Israël parce qu’elle est une terre
sainte, mais l’essence de sa sainteté réside en ceci que l’on en apporte, etc…Et il en va de
même pour les neufs autres saintetés. Cela signifie que la sainteté c’est la réalisation de
mitsvot, et pas une caractéristique propre aux éléments par lesquels s’accomplissent les
mitsvot.
Quant à la « sainteté » des choses et des lieux je loue le Roi juste H’izkiyahou qui « a pilé le
serpent d’airain que Moïse avait fait » ( !) , parce qu’il était considéré comme un objet saint
par le peuple d’Israël.
Je constate pour ma part que sur le plan de la conviction religieuse (emouna) et de la crainte
(du ciel) le Cheikh bédouin Ibn Saoud (18è) qui défendit avec zèle la « cause divine » et
ordonna la destruction de la mosquée qui avait été édifiée sur la tombe de Mahomet car la
prière et le fait de se prosterner sur la tombe d’un être humain (fût-il l’envoyé de Dieu) est un
culte idolâtre, s’est élevé au-dessus de nombreux maîtres d’Israël. Ce n’est pas pour rien que
le Rambam témoigna du fait que : «le monothéïsme des Ichmaëlites est un monothéïsme
convenable, un monothéïsme qui n’est pas altéré » (Tchouvot haRambam, éd. Freimann, §369
). Ce que l’on ne pourrait pas dire aujourd’hui des juifs qui associent la foi en la sainteté de
Dieu à la sainteté du peuple et de la Terre.
La sainteté du peuple d’Israël comme un fait établi a été inventée par Qorah’ : « Toute
l’assemblée, ils sont tous saints ». Alors que notre maître Moïse dit, en rapportant la parole du
Créateur : « Afin que vous vous souveniez et que vous accomplissiez toutes mes mitsvot, et
que vous soyez saints pour votre Dieu » . Cela signifie que vous n’êtes pas saints en vousmêmes mais que la sainteté doit s’acquérir dans la pratique des mitsvot. Je sais que le
Rabbi Yehoudah Halevi du Kouzari ainsi que le Maharal et le rav Qook ont prit parti pour la
sainteté de Qorah’, dans laquelle je vois une conception foncièrement idolâtre.
Ci-joint les mots d’un des derniers Grand de la Torah, de la crainte [du ciel] et de la pensée
religieuse du judaïsme, qui dit mieux que moi tout cela.2
Bien à toi, avec mon estime et tout mon respect,
Yechayahou Leibowitz
2
Mechekh Hokhma. Voir plus loin, p.
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