Pratiques d`investigations sociologiques

publicité
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Pratiques d’investigations sociologiques
I.
Sciences (de la nature) et sociologie <approche épistémologique>
1.
Sur la connaissance en général
Il convient tout d’abord de définir le concept comme élément de la connaissance. < ensemble de
concepts>. Qu’est-ce que connaître une réalité en général ? Il faut élaborer une représentation conceptuelle,
théorique.

Mais qu’est-ce qu’un concept ?
C’est une représentation générale et abstraite d’un groupe de phénomènes et réalités.
Un concept nous donne une représentation générale qui convient à l’ensemble des réalités. Le concept
retient les qualités communes à ce groupe de phénomènes, mais en même temps qui lui sont propres et qui le
différencient des autres.
La représentation abstraite résulte d’une analyse et d’une soustraction ; il s’agit de distinguer et séparer,
soustraire, les différentes caractéristiques essentielles d’un groupe de phénomènes. On soustrait donc les
caractéristiques secondaires.
Exemples :
« Le concept de chien n’aboit pas. » (Spinoza)
La division du travail <plusieurs travaux> Ce concept est une abstraction dans la mesure où
l’on ne s’intéresse pas à un métier particulièrement.
Le concept est un élément de la connaissance, dans un sens double :
sens de milieu (domaine),
sens d’atome.
Toute connaissance évolue au sein de concepts. Et toute représentation qui n’atteint pas le niveau de
concept, n’est pas une connaissance ! Le concept [la brique] est l’atome de la connaissance [le mur]. Connaître
consiste donc en plusieurs opérations :
produire des concepts,
rectifier les concepts,
enrichir / complexifier les concepts,
et mettre en relation / organiser les concepts
 élaborer une théorie.
Une théorie, c’est un ensemble organisé de concept. Une théorie est une totalité de concepts, l’unité résultant
des relations entre les concepts.
Il convient également de distinguer vérité et réalité. Le but de toute connaissance, c’est d’élaborer une
vérité, qui est une représentation de la réalité. Il ne faut pas confondre « représentation vraie » et « réalité »
<deux ordres différents>.

La réalité
Ce dont nous pouvons, directement ou indirectement, faire l’expérience. Ceci-dit, la réalité, c’est ce qui
se présente à nous ! C’est tout ce qui nous englobe, et en même temps, tout ce qui nous échappe (ce sur quoi
nous n’avons pas grande prise). C’est aussi ce sur quoi nous nous efforçons d’agir. C’est ce qu’il s’agit de
connaître. En ce sens, la réalité est l’objet de la vérité : ce que la connaissance se propose de découvrir, de
révéler (rendre intelligible).

La vérité
Manière de figurer la réalité, en ayant recours à des abstractions, des schémas, des nombres, etc. La
vérité est toujours une construction de l’esprit humain ; elle est le résultat de multiples opérations d’enquêtes,
d’analyses ou d’opérations de décomposition de la réalité en quelques éléments simples.
Le rapport entre vérité et réalité est plus complexe que ce l’on pense généralement. La vérité
<représentation vraie> ne se contente pas de découvrir la réalité, de la représenter telle qu’elle est : la vérité ne
se limite pas à l’information. La connaissance, c’est l’organisation de l’information en concepts (ou réseau de
concepts), c’est-à-dire en théorie. La connaissance vraie <vérité> cherche à rendre la réalité intelligible. Elle
cherche à nous faire :
saisir la réalité dans son unité complexe, aussi bien dans sa stabilité que son mouvement,
comprendre pourquoi et comment la réalité est ce qu’elle est,
découvrir les lois qui régissent la réalité <précisément les rapports réguliers, stables qui lient
entre eux un certain nombre de phénomènes, ainsi que les contradictions internes qui les
transforment>.
La vérité <représentation / connaissance vraie> n’est pas conforme à la réalité : la vérité, ce n’est pas une simple
copie de la réalité. Un ensemble organisé de concepts, une théorie, c’est autre chose.
1
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Exemple – Si on prend une carte géographique < =vérité >, ce n’est rien d’autre qu’une représentation
d’un territoire, elle condense un certain nombre d’informations en le simplifiant considérablement. La carte n’est
pas un décalque du territoire, ce n’est même pas la même échelle ; elle n’est pas conforme au territoire. Dans
chaque cas, la carte est une abstraction. Quel est son intérêt ? Elle permet d’embrasser d’un seul coup d’œil
l’ensemble du territoire, de condenser l’ensemble de l’information spécifique. L’abstraction de la carte fait aussi sa
limite par un certain point de vue < limité et arbitraire > : toute carte est un appauvrissement du territoire, elle tend
à être enrichie par d’autres cartes.
L’abstraction de la connaissance, qui est précisément sa caractéristique principale, produit en même
temps sa richesse, son gain en intelligibilité. En même temps, l’abstraction produit aussi sa pauvreté relative : on
ne peut s’assurer de gain en intelligibilité d’une information qu’au prix de cette perte considérable d’information,
de complexité, de sens.

Les conséquences
Epistémologique et méthodologique – Toute connaissance est nécessairement limitée, insuffisante,
unilatérale (elle privilégie / est relative à un point de vue, une méthode, un ensemble d’hypothèses). Toute
connaissance demande à être complétée, enrichie par d’autres connaissances, qui seront aussi unilatérales par
d’autres points de vue.
Toute vérité est nécessairement partielle, relative : provisoire. Toute vérité est destinée à être rectifiée,
dépassé par une autre. Toute vérité implique un risque d’erreurs à partir du moment où elle s’isole. Il y a risque
d’erreur à partir du moment où une connaissance se prétend absolue, unique, totale, immuable : une telle
connaissance n’existe pas.
La connaissance est un processus sans fin, qui doit, sans cesse dépasser ses résultats (partiels,
insuffisants, pris individuellement). La seule chose interdite pour quelqu’un qui cherche la connaissance est de
s’arrêter. La connaissance est un processus dynamique : si elle s’arrête, c’est sa mort.
2.
Sur les sciences (de la nature) comme forme particulière de connaissance
L’objectif est de préciser les caractéristiques particulières dans les sciences de la nature. Rappelons les
postulats (principes) dans les sciences de la nature :

Postulats des sciences de la nature
a. La conception réifiée <res : la chose, transformer en chose>
La nature est envisagée comme une réalité assimilable à une chose (ex. l’univers vu comme une
horloge mécanique). La question qui se pose alors est : comment ça fonctionne, selon quels principes la réalité
produit-elle ces phénomènes ? La nature est comprise comme une réalité dépourvue de buts propres. On ne se
demande pas pourquoi elle fonctionne de telle manière, mais plutôt comment. La réalité sera envisagée comme
étant totalement extérieure, étrangère et indépendante des intentions et volontés des hommes, ni de leurs projets
(ni favorable, ni hostile). Pour les sciences de la nature aux XVIIème et XVIIIème siècles, la nature et ses
phénomènes sont une réalité dépourvue de volonté et d’intentions propres.
b. Lé réduction d’un phénomène à une loi
La science (de la nature) présuppose que tout groupe de phénomènes, toute manifestation de la nature,
est réductible à une loi simple, que dans tout phénomène se cache, et se manifeste en même temps, une loi. Une
loi est la structure du phénomène : elle condense l’ensemble des relations régulières, stables (aspects comme la
dimension, la densité, etc.). La loi représente la simplification du phénomène, son ordre interne [Les phénomènes
apparaissent essentiellement comme désordonnés, mais la loi montre qu’un ordre interne se cache.], sa
régularité [Les phénomènes apparaissent superficiellement, semblent obéir à aucune loi ; la loi montre que ce
sont toujours les mêmes facteurs, forces qui interviennent.] et sa stabilité [Les phénomènes semblent soumis à
des changements incessants, il y a pourtant une permanence de la loi qui régit le phénomène de manière
précise.]. Ce second postulat accompagne le premier. Pour la science, la nature se réduit à un système de lois
objectives, indépendantes de la volonté de représentation des hommes : les hommes ne peuvent se soustraire à
ces lois, ils y sont forcément soumis.
c. La formulation matématique d’une loi
Les sciences présupposent que tout phénomène réponde à une loi simple et qu’elle est exprimable en
langage mathématique. Toute loi scientifique se rapporte à une fonction mathématique, à des paramètres. Dans
les sciences de la nature, la nature est réduite in fine à un ensemble d’abstractions mathématiques.
Exemple : L’attraction des corps de Newton :
Loi : 2 x = g t ²
x : distance (en m)
g : constante de l’attraction terrestre (en m.s-2)
t : temps (en s)

Méthodes dans les sciences expérimentales
Classiquement, on distingue trois étapes qui se déterminent réciproquement :
a. L’observation
2
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Toute analyse scientifique commence toujours pas son observation : elle est indispensable. De ce fait,
les sciences ne peuvent se proposer d’étudier que ce qui est observable : le non observable est en dehors du
champ des sciences de la nature. Les progrès de la science sont donc dépendants des progrès de l’observation.
Dans cette mesure, une partie de ses efforts consiste à perfectionner en permanence les moyens, techniques
d’observation et d’enregistrement.
La science cherche à substituer à l’observation directe ou indirecte du phénomène la reproduction
expérimentale du phénomène en laboratoire, dans la mesure du possible. Principalement, parce qu’elle offre au
savant de bien meilleures conditions d’observation : temps plus long, possibilité de répétitions, d’élimination des
perturbations ; soit purifier le phénomène et contrôler ses différentes variables.  Dans les sciences de la nature,
l’étude d’un phénomène commence par la construction d’un édifice expérimental.
L’observation du savant est une observation orientée par la recherche de la loi du phénomène. Le
savant cherche plus particulièrement à relever les stabilités, régularités du phénomène (invariance…). En second
lieu, il cherche à relever les relations entre les différents aspects : ainsi il parvient à établir la loi interne du
phénomène.
b. La formation d’hypothèses
L’hypothèse, c’est l’explication conditionnelle et anticipée des faits. Cette explication demande à être
prouvée, démontrée. Dans les sciences de la nature, les savants émettent une hypothèse sur le système de
relations stables entre les différents aspects du phénomène et transcrivent cette relation en formule
mathématique.  Formulation provisoire de la loi.
La manière dont une hypothèse scientifique est formée a toujours une double source / origine :
les résultats de l’observation expérimentale, de ce qu’il a pu apprendre en observant ou
reproduisant les phénomènes,
l’ensemble de la connaissance scientifique déjà accumulée par d’autres observations : les
théories déjà produites.
c. La vérification expérimentale des hypothèses
Une fois l’hypothèse formulée, elle doit subir l’épreuve de la vérification expérimentale, pour
éventuellement se transformer en loi. Une vérification expérimentale présente un double aspect théorique et
pratique. Théoriquement, elle se présente sous la forme d’un raisonnement hypothético-déductif. Si telle est, par
hypothèse, la loi du phénomène (si telles sont les relations existantes entre les différents paramètres ;…), alors,
dans telles conditions expérimentales données, on doit trouver tels résultats. Pratiquement, la vérification
expérimentale consiste à concevoir un dispositif expérimental, doit construire une série d’expériences qui
permettront de confronter, les résultats hypothétiques aux résultats effectifs donnés par l’expérience.
Dans un second temps, il faut insister sur l’importance de la vérification expérimentale dans les sciences
de la nature : elle est absolument cruciale car elle tient lieu de démonstration, de preuve, et qui va permettre de
transformer une simple hypothèse en une loi scientifique. Cela signifie qu’une hypothèse n’a une valeur
scientifique que pour autant qu’elle puisse être soumise à une vérification expérimentale.
« Une hypothèse n’a de valeur scientifique que si elle est falsifiable, récusable. »
C. Popper voulu généraliser sa propre hypothèse à l’ensemble des sciences. Son erreur est de confondre
sciences de la nature et sciences sociales, où il faut tenir compte de caractéristiques originales.
Seules les hypothèses qui ont subi avec succès l’épreuve de la vérification expérimentale peuvent être
considérées comme des lois scientifiques, des vérités ; mais elles ne conservent ce statut qu’aussi longtemps
qu’une expérimentation ne vienne les contredire. Une vérité scientifique est toujours une vérité provisoire : une
erreur potentielle. Cela signifie qu’au terme de la vérification, on ne peut être assuré que de sa fausseté. Une
hypothèse peut en effet se trouver remise en question. En conséquence, on comprend maintenant pourquoi la
méthode scientifique dans les sciences de la nature est une méthode expérimentale.
L’expérimentation est une représentation du phénomène et joue un rôle fondamental. Ce rôle est
toujours double : en effet, d’une part l’expérimentation est un point de départ, c’est à partir d’elle que le savant va
pouvoir dégager une ou plusieurs hypothèses quant à la loi régissant tel ou tel phénomène ; mais, d’autre part,
elle peut également être le point d’arrivée, car c’est à l’expérimentation que le savant va recourir pour vérifier
(confirmer ou infirmer) ses hypothèses.
La distinction classique entre les trois états [l’observation, la formation d’hypothèses, la vérification
expérimentale des hypothèses] n’est commode que pour l’exposé de la méthode ; mais dans la pratique effective
de la science, elles s’interpénètrent en permanence pour former une profonde unité.
d. La théorie scientifique
La science ne s’arrête pas à l’établissement de lois scientifiques, à la vérification expérimentation
expérimentale d’hypothèses. Son but est d’élaborer des théories scientifiques qui ont pour objectifs d’opérer la
synthèse de lois scientifiques qui ont été établies expérimentalement autour d’un petit nombre de principes très
généraux qui doivent permettre de déduire les lois.
Ces principes, qui sont les points de départ de la théorie, eux-mêmes ne peuvent pas toujours être
vérifiés expérimentalement. Leur valeur est essentiellement logique : ils permettent d’organiser les lois sur le
modèle déductif des mathématiques. Ils peuvent aussi avoir une valeur heuristique, suggérer de nouvelles
recherches, donner naissance à de nouvelles connaissances scientifiques,…
3
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
e. Le caractère circulaire de la démarche scientifique
La présentation faite précédemment semble indiquer que la science va toujours de l’observation à la
théorie, en passant par les hypothèses et la vérification : en vérité, les choses sont beaucoup plus complexes. Il
fait bien penser ces quatre états comme un tout. La théorie elle-même peut fournir suffisamment d’éléments pour
élaborer une nouvelle hypothèse. D’une manière générale, les sciences de la nature progressent toujours par un
va-et-vient permanent entre vérification et hypothèses, théorie et vérification, etc. ; il y a une profonde
complémentarité entre les pôles théorique et expérimental. En ce sens que chacun des deux pôles enrichit
l’autre. Sans l’observation, la vérification, les sciences de la nature sont incapables de produire de la théorie.
Cette dernière se développe au contact de l’observation, et l’expérimentation naît de la théorie, de même que la
théorie féconde constamment l’expérience. La théorie va s’efforcer d’organiser, d’ordonner. C’est la théorie qui
met le doigt sur les phénomènes étranges qui semblent contredire les théories établies. En ce sens, la démarche
scientifique, loin de répondre aux schémas observation-hypothèses-vérification ou vérification-hypothèsesobservation, opère plutôt de manière circulaire.
Il y a aussi une opposition entre les deux pôles théorique et expérimental, voire même une contradiction.
Une théorie cherche en permanence à déborder des limites de la connaissance expérimentale acquise pour
suggérer des nouvelles hypothèses et de nouvelles expériences (exemple de la théorie du chaos, théorie des
trous noirs). Inversement, l’observation et l’expérimentation viennent souvent bouleverser les lois établies et
obligent le savant à les remanier, les complexifier.
3.
Sur les obstacles de la reprise du modèle des sciences de la nature en sociologie

A l’application des principes
Deux des principes fondamentaux posent manifestement problème :
a. La conception réifiée des sujets d’analyse (la réalité sociale)
La nature se réduit à un système de choses. Comment réduire la réalité sociale à un rapport existant
indépendamment des actions, de la volonté des êtres humains ? On peut adopter l’idéal de la sociologie
positiviste < Durkheim >. Mais si on peut toujours considérer les faits sociaux comme des choses, on sait bien
qu’ils ne le sont pas. La réalité sociale, ce n’est pas autre chose que des intentions entre des individus et des
groupes.
b. La réduction de la réalité à un système de lois
Ce que la sociologie doit s’efforcer de saisir, c’est tout à la fois les rapports sociaux qui unissent,
différencient, opposent, mais aussi les actions, pratiques, projets, représentations par lesquels ces mêmes
individus, groupes, agissent réagissent, les uns sur les autres dans les actions qu’ils entretiennent ; c’est enfin
saisir la manière dont ces membres produisent la réalité sociale à travers ces interactions, actions réciproques
(c’est comprendre, expliquer la manière dont les membres de la société produisent des structures matérielles,
institutionnelles, symboliques, etc. – saisir en quoi cela constitue une réalité objective que échappe aux
individus).
Il s’agira toujours de comprendre la dimension subjective de la réalité objective, la manière dont cette
réalité objective est transformée par les représentations des individus.
En définitive, l’objet propre de la sociologie, c’est le rapport entre le sujet et l’objet, c’est-à-dire le rapport
entre la dimension subjective et celle objective de la réalité sociale, la manière dont les êtres humains vivent en
société, dont ils produisent la société, ses structures – toute cette production étant le résultat d’une somme
énorme d’interactions groupes-individus. En même temps, ces structures déterminent des limites, marges de
manœuvre, des actions réciproques. Il s’agit aussi de voir la manière dont ces actions réciproques tendent à
transformer ces nouvelles structures. Il n’y a pas que la reproduction, il y a aussi production.
On peut donc dire que la vision durkheimienne risque d’appauvrir la dimension sociale car elle néglige la
dimension subjective ; par analogie, la vision compréhensive de Weber a tendance à négliger la dimension
objective : les deux visions sont unilatérales, respectivement sur l’objet et le sujet. Il convient de prendre en
compte la dialectique sujet-objet.

A l’application des méthodes
a. Une conception monothétique de la réalité sociale
<du grec, nomos : la loi, thétis : l’affirmation> Une conception qui affirme l’existence de lois, la possibilité
de réduire la réalité sociale à un système de lois. Problème : dans les sciences de la nature, les lois sont
nécessaires et universelles ; alors que dans les sciences de l’esprit, ce n’est pas possible. S’il n’est pas exclu de
vouloir réduire la réalité sociale à un système de lois, il n’en reste pas moins qu’elle ne peut jamais être réduite,
car elle est le résultat d’actions multiples entre individus.
Universalité ? Tout simplement parce que la réalité sociale est toujours le produit de l’action des
hommes, vivant à un temps et en un lieu donnés. Les systèmes de valeurs changent. Toute la réalité sociale est
doublement relative à une civilisation et une époque données.
Nécessité ? Les phénomènes sociaux ne sont pas soumis avec la même inflexibilité aux lois que les lois
de la nature pour les phénomènes de la nature.
b. Une conception idiographique de la réalité sociale
4
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
<du grec, idios : la particularité, graphos : l’écriture>. Si la sociologie peut et doit clarifier une conception
nomothétique, elle doit aussi avoir une approche idiographique de la réalité. Il doit s’efforcer de saisir une réalité
sociale dans sa singularité.
Le sociologue doit donc conjuguer deux approches : celle nomothétique <réduire autant que c’est
possible, en sachant que les lois ne sont ni universelles ni nécessaires>, et celle idiographique <saisir la
singularité du groupe de phénomènes étudiés>.

A l’observation
La connaissance de la société doit s’appuyer sur l’observation : c’est par là que commence la
connaissance. La sociologie a besoin s’armer méthodologiquement pour observer le social. L’observation ne
correspond pas à la même situation en sciences naturelles (l’observation confronte un sujet humain à un objet,
une réalité extérieure) et en sciences sociales, notamment en sociologie (elle confronte un sujet humain,
l’observateur, à d’autres sujets humains, les observés) : en sociologie, elle est d’abord un rapport social qui
interagit avec la réalité.
a. Objets sociaux
L’observation sociologique se heurte ainsi à tous les obstacles que les objets sociaux peuvent poser à la
prise de connaissance des rapports sociaux, à ne pas les rendre accessibles.
Exemples :
Revenus des foyers
Pratiques sexuelles des français
Certains objets posent des interdits de caractère éthique, juridique ou politique. L’obstacle est aussi bien
du côté de l’observateur que de l’observé.
 Même lorsque les pratiques sociales sont visibles, l’observation risque d’altérer ces pratiques.
 L’observation risque d’être faussée parce qu’elle modifie l’observateur lui-même. Il n’existe pas en
sociologie d’enregistrer des paramètres sociologiques. L’observateur interprète ce qui apparaît dans son champ
d’observation. Il observe les réactions provoquées en lui-même par les réactions qu’il observe (appréciations
laudatives de ce qu’il observe : caractère moral, esthétique, politique, religieux,…). L’observateur arrive armé de
toutes ses prénotions ; s’il n’en est pas conscient, en ayant une capacité de réflexivité par rapport à lui-même, il
sera incapable de neutraliser ses réactions.
b. Conséquences méthodologiques
(1) La sociologie doit se donner des méthodes lui permettant de surmonter les obstacles : contourner les
interdits qui peuvent limiter le champ de l’observation ; neutraliser les effets de perturbation / d’altération que
produit l’observation elle-même. (2) Il s’agit d’objectiver l’observation en permettant à l’observateur de maîtriser et
neutraliser son implication personnelle, subjective et inévitable.

A la formation d’hypothèses
Deux opérations sont nécessaires à la formation d’hypothèses en sciences naturelles, or ni l’une, ni
l’autre n’est directement possible dans les sciences sociales :
a. L’expérimentation
Le laboratoire de la sociologie, c’est la société elle-même, dans laquelle la réalité sociale se produit et se
reproduit en permanence : un sociologue ne peut observer un phénomène aussi longtemps qu’il en a envie sans
le reproduire. Le sociologue a toujours affaire à des phénomènes sociaux uniques : ils se produisent toujours
dans des conditions singulières, déterminées du double point de vue spatial, mais aussi temporel. Par
conséquent, un phénomène social qui se produit ici et maintenant, n’est jamais exactement le même que celui qui
se produit ailleurs en un autre moment. Les cadres généraux ne sont plus les mêmes.  faits similaires mais non
identiques.
b. L’induction
<raisonnement qui fait passer du particulier au général>. L’induction doit s’entourer de très grandes
précautions, parce que tout phénomène social est toujours un phénomène unique. Le sociologue ne dispose pas
de la possibilité de le reproduire pour l’abstraire de sa singularité.  prudence. La sociologie ne peut aboutir qu’à
des lois qui ne sont ni absolues, ni universelles : les lois sont « régionales », relatives à l’espace et au temps. Il
en résulte des conséquences méthodologiques particulières : pour tenir compte du manque d’homogénéité du
social, il faut que le sociologue
précise toujours le champ d’étude de sa recherche.  circonscrire le champ.
multiplie les observations, extraire des échantillons représentatifs de la population.
Au-delà des contraintes qui président à sa formation, l’hypothèse demeure astreinte à l’impératif de sa
vérification.

A la vérification expérimentale
Le sociologue ne peut pas réaliser une expérimentation dont il maîtriserait tous les paramètres. Ce qui
tient lieu, c’est l’enquête elle-même : elle doit pouvoir fournir au sociologue un matériau capable de lui fournir une
hypothèse et sa vérification :
fonction heuristique, découverte de l’hypothèse,
5
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
fonction démonstrative, « pseudo »-expérimentale.
On devine immédiatement que la validité et la validation n’est pas du même ordre que celle qui résulte
de la vérification expérimentale des sciences de la nature. Les lois des sciences sociales sont des lois à moindre
portée, dont la validité est moindre, ou davantage contestable, et fréquemment remise en question. Cependant, si
la complexité même de la réalité sociale offre par la variété des situations qu’elle implique la possibilité de vérifier
in vivo un certain nombre d’hypothèses : elle offre de comparer des situations similaires ou analogues.  mise en
évidence des relations, rapports, dans l’espace comme dans le temps. Les comparaisons dans l’espace social
permettent de saisir des états simultanés de deux parties différentes de la réalité sociale. S’ils présentent des
caractères différents et similaires.
Exemple : La population scolaire. Enfants de deux familles algériennes – d’un côté échec scolaire, de
l’autre la réussite (normale). Dans les deux cas, les parents des enfants avaient immigrés, le père était ouvrier. Ils
avaient ainsi les mêmes conditions et les mêmes origines. Il est apparu en fait que dans un cas la mère et les
enfants avaient immigré peu après leur mari / père et que l’autre famille avait eu une séparation plus longue.
Autres critères / paramètres : on passe d’une campagne à la ville ; analphabétisation plus ou moins grande chez
les parents, ils savent plus ou moins bien le français ; un projet de retour d’un côté, et de l’autre l’intégration de le
pays d’accueil : ici, la France,… On peut fait la même chose dans le temps avec la condition historique.

A la formation des théories sociologiques
Le sociologue a aussi recours à des théories sociologiques, mais celles-ci possèdent une différence
fondamentale des théories des sciences de la nature : c’est que les théories sociologiques n’ont pas les mêmes
caractéristiques. En effet, trois différences essentielles les séparent :
a. Leur forme
Une théorie scientifique dans les sciences de la nature consiste en un petit nombre de principes
explicatifs d’ordre général, à partir desquels le savant va pouvoir déduire un nombre plus ou moins grand de lois
déjà établies expérimentalement. En sociologie, aucune théorie ne se présente sous cette forme déductive. Elles
sont toujours sous la forme d’un ensemble de concepts fournissant une représentation de telle société globale,
portant sur la totalité ou des aspects.
b. Leur fonction
La fonction essentielle d’une théorie scientifique dans les sciences de la nature est d’unifier un ensemble
de connaissances déjà établies auparavant et indépendamment d’elle. Elle peut aussi être une théorie
heuristique <ouvrir de nouveaux champs de recherches>. Dans les sciences de l’esprit, la fonction est beaucoup
plus complexe : globalement, elle fournit un cadre explicatif général qui remplit 4 fonctions :
Fournir une problématique – Un certain nombre de questions se posent en fonction de la
théorie que le sociologue utilise comme point de départ.
Epurer la connaissance spontanée – L’un des obstacles, c’est la familiarité du sociologue avec
la réalité sociale qui peut aussi être un obstacle pour la connaître scientifiquement. Les
représentations courantes de celle-ci pouvant être une gêne. Par conséquent, les théories
sociologiques auxquelles les sociologues se réfèrent peuvent lui permettre de se distancier des
a priori, prénotions courantes (produits sociaux).
Définir son objet – Même en limitant sa définition, le sociologue se retrouve confronté à une
réalité trop complexe, dans laquelle il risque toujours de passer à côté de l’essentiel. Il doit
focaliser / concentrer son attention sur tel ou tel objet particulier, pour avoir un fil conducteur qui
lui permet de s’orienter.
Formuler des hypothèses – C’est en fonction des théories sociologiques et selon les objets que
le sociologue va rendre intelligibles les matériaux quali- / quantitatifs qu’il a recueillis.
La théorie sociologique participe pleinement à la production de la connaissance sociologique, à
l’établissement d’éventuelles lois sociologiques. Cet autre statut de scientificité est une des raisons pour
lesquelles les querelles sont particulièrement vives en sociologie.
c. Leur validité
Dans une théorie scientifique des sciences de la nature, même si les principes théoriques n’ont pas été
établis expérimentalement, ils n’en reçoivent pas moins une confirmation expérimentale pas les lois qui elles ont
été établies expérimentalement. Elles ont ainsi une très forte capacité / portée prédictive. Une théorie
sociologique n’a qu’une faible validité expérimentale : les lois sociologiques qu’elle permet d’établir n’ont ni
l’universalité ni la nécessité, au plus une portée régionale. D’une part, les théories ont plutôt la valeur de postulats
que l’on suppose vrais. D‘autre part, la valeur prédictive reste limitée : elles ne permettent pas de prévoir les
résultats d’une enquête. Bref, elles sont beaucoup plus fragiles.
d. Conséquences méthodologiques
Le recours à des théories explicatives est plus nécessaire que dans le domaine des sciences de la
nature ; mais simultanément, il est moins certain, plus aléatoire / discutable. Il faut le plus souvent mettre en
concurrence / combiner plusieurs théories pour parvenir à former une hypothèse explicative du phénomène
étudié.
6
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Conclusion
Il est impossible d’appliquer tel quel le modèle défendu par les sciences de la nature. Au sens strict du
terme de science expérimentale, il n’y a pas de modèle. Cependant, beaucoup de sociologues se sont malgré
tout alignés sur ce modèle. Par contre, la sociologie conserve le modèle scientifique de connaissance de la
nature, dans une double ambition :
Parvenir à formuler des lois des phénomènes sociaux,
Soumettre sa démarche à un contrôle « expérimental », une confrontation avec des données
de l’observation  va-et-vient théorie / empirie qui s’impose.
Si la sociologie ne peut prétendre à être une science, les phénomènes qu’elle étudie peuvent se subsumer à des
lois et se confronter au réel.
L’impossibilité de reprendre le modèle des sciences de la nature tient précisément à la dialectique sujet /
objet au cœur de cette réalité. La réalité sociale peut et doit toujours se comprendre comme le produit des
interactions / actions réciproques entre les membres individuels et collectifs de la société. La réalité sociale est
toujours l’objectivation de ces interactions, qui à la fois produisent la réalité et la débordent. Elle ne peut pas se
traiter de manière totalement réifiée, comme un système de choses, ou de rapport entre des choses.
S’il lui est impossible d’imiter le modèle de connaissance, il ne lui est pas interdit de s’en inspirer. Certes,
il n’est pas passible de reprendre le modèle expérimental, mais on peut créer des méthodes d’enquêtes
objectivantes qui neutralisent les effets de l’interaction de l’observateur et de l’observé. De même, on imite le
raisonnement inductif pour passer du particulier au général.
La sociologie ne peut pas faire l’économie de théories sociologiques. Elles sont destinées à fournir aux
sociologues des schémas d’organisation de la réalité. Ces théories sont des constructions de faible validité
expérimentale qu’il faudra remanier constamment. Ce qui caractérise les sciences sociales, c’est ce permanant
va-et-vient nécessaire entre les études de terrain et les élaborations théoriques. C’est en persistant dans ce vaet-vient que le sociologue reste fidèle à son aspiration scientifique.
En conséquence, il faut évidemment avoir un aperçu des méthodes d’enquêtes que la sociologie met en
œuvre pour recueillir des éléments de connaissance sur la réalité sociale.
II.
L’approche statistique en sociologie <approche quantitative>
Les objectifs de la méthode quantitative sont de produire des chiffres significatifs.  Ce que l’on va
pouvoir présenter sous la forme de tableaux, graphiques, etc. Le sociologue va devoir faire parler les chiffres, les
interprêter : il va devoir produire un discours censé à partir d’eux. Les chiffres ne parlent jamais d’eux-mêmes, ni
de manière univoque. Même des spécialistes peuvent rencontrer des difficultés. Les chiffres sont toujours des
productions d’une méthode et d’un objectif donnés.
Il faut savoir ce qu’ils permettent de mettre en lumière, ce qu’ils laissent dans l’ombre.
Il faut toujours les contextualiser, les éclairer par d’autres connaissances (temps, espace).
Il faut mobiliser des concepts, hypothèses interprétatives.
Le sociologue a le choix entre produire ses propres chiffres (temps et moyens considérables) ou
mobiliser des autres chiffres produits par des institutions publiques, dont les objectifs ne sont pas forcément les
mêmes que pour des analyses sociologiques (pas forcément les mêmes finesses). Il convient alors de faire une
analyse critique sur la manière dont ces chiffres ont été produits.
INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques ;
INED : Institut National des Etudes Démographiques ;
Les services statistiques de tous les ministères / administrations…
4.
Quelques jalons historiques

Les précurseurs
Il est évident que remonter en arrière est un peu délicat. La statistique a été inventée pour servir les
intérêts de l’Etat (estimation de la population « ressource » en cas de guerre par exemple). <allemand : Staat>
 DESROSIERES A. (1993), La politique des grands nombres, « Histoire de la raison statistique », La
découverte, « Poche, n°99 », 2000.
Adolf Quetelet (1796-1874) – astronome et mathématicien belge, très influencé par des mathématiciens
et physiciens, tels Gauss, Laplace… Quetelet est l’exact contemporain de Auguste Comte (1796-1857),
l’inventeur du positivisme et du néologisme – bancal – « sociologie » [socio (latin) + logos (grec)]. Les deux
auteurs utilisaient un autre terme pour désigner la discipline : la « physique sociale » ; et Comte invente le terme
« sociologie » justement pour se différencier. Ils utilisent les mêmes méthodes que les sciences de la nature.
Quetelet va être un des auteurs inspirateurs pour Durkheim. Sur l’homme et le développement de ses facultés ou
essai de physique sociale : sa théorie de l’homme moyen sera critiquée notamment par M. Halbwachs ; mais
dans la presse, les journalistes y font référence : le Français moyen !
7
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Ernst Engel (1820-1895) – statisticien allemand. Il a notamment suivi les cours de F. Leplay qui utilise le
premier l’approche monographique, qui préconisait d’étudier les indigents et les familles ouvrières. Engel, n’étant
pas très convaincu de la méthode de son maître, s’est lancé dans la statistique morale. Il étudie notamment le
budget des ménages. Il construit une nomenclature des dépenses des ménages selon 9 postes :
1. Nourriture
6. Education
2. Habillement
7. Impôts
3. Habitation
8. Santé
4. Chauffage – éclairage
9. Payer et entretenir les domestiques
5. Outillage – instruments de travail (nécessaires aux membres actifs de la famille)
A partir de cette nomenclature, il va faire toute une série d’études et en dégager un certain nombre de
lois statistiques, dont l’une est encore valide et connue sous : la loi d’Engel – constat que plus le revenu
augmente, plus la part consacrée à la nourriture est faible.

Emile Durkheim (1858-1917) : Le suicide (1897)
C’est dans cet ouvrage qu’il met en œuvre la méthode statistique. Il montre que le taux de suicide est un
fait social, car il change en fonction de caractéristiques sociales (les hommes se suicident plus que les femmes,
les vieux plus que les jeunes…). Le suicide de Durkheim est le premier ouvrage systématique où l’on met en
œuvre l’approche statistique pour souligner un certain nombre de lois.
Durkheim utilise un appareil statistique extrêmement rudimentaire (chiffres de la gendarmerie et de la
police) dont il ne fait pas de critiques  taux de tentatives de suicides, suicides maquillés ? Des chiffres sur des
choses qui posent problème sont des problèmes. Certaines différences au niveau des chiffres peuvent donc être
expliquées comme ça. Tendances :
Le taux de suicide augmente dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Quel que soit le moment, on observe le même écart entre les régions, campagne / ville.
Le suicide varie en fonction des rythmes sociaux : on se suicide le plus quand l’activité reprend
(matin, lundi, printemps).
Les non-croyants se suicident plus que les religieux ; parmi ces derniers, les protestants se
suicident le plus <individualisme>.
L’intérêt de l’approche statistique permet de dégager des lois statistiques historiques,
géographiques.

Les disciples de Durkheim
Halbwachs va critiquer les lois d’Engel dans Sur la consommation ouvrière (années ’20-’30, France –
Europe – USA). Il prône un usage raisonné des statistiques. Alors que Durkheim s’intéresse à la moyenne – car
stabilité, équilibre, intégration, concensus, cohésion (le conflit relève pour lui de l’anomie)… –, Halbwachs
privilégie la dynamique des phénomènes sociaux. La moyenne statistique embête Halbwachs car elle efface les
écarts, disparités : la moyenne variable, la moyenne fictive (ex : revenu moyen des Français  sert à rien). Dans
une catégorie homogène, la moyenne a un sens.

L’empirisme quantificateur aux Etats-Unis
Notamment sur le campus de Columbia, on réalise des enquêtes sans avoir de théories solides.
P. Lazarsfeld <Viennois juif, émigré aux USA en 1938 : Anschluss>. Les chômeurs de Marienthal  orientations
générales.
Toutes nos connaissances de la réalité sociale ne peuvent s’obtenir que par l’expérience, son
observation directe la plus rigoureuse possible.  large panel / échantillon de la population. Les données
recueillies sont traitées de manière statistique. Une partie des méthodes statistiques a été perfectionnée par ce
courant.
5.
Principales caractéristiques
L’approche statistique se caractérise à la fois par :
ses techniques <variables qu’elle est amenée à privilégier> ;
et ses résultats <que cette approche permet de dévoiler>.

Les techniques utilisées
Définition – Les enquêtes à exploitation statistique, comme les enquêtes ethnographiques, permettent
d’appréhender de manière rigoureuse une partie de la réalité sociale étudiée, afin d’en tirer une portée plus
générale. Ces deux types d’enquête nécessitent à la fois une procédure d’observation et une procédure de
généralisation. Mais ces procédures ne sont pas les mêmes.
a. La procédure d’observation
8
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Dans le cas des enquêtes quantitatives, l’observation est fortement conditionnée par le traitement
statistique auquel sont destinées les données recueillies. De ce fait, ce type d’enquêtes suit un protocole
d’observation très normalisé. Ce protocole se présente souvent sous la forme d’un questionnaire très détaillé,
dont les questions sont prédéterminées, ainsi que les réponses (à cocher). Parfois, il y a des questions ouvertes :
dans ce cas, elles seront codées par la suite – et d’autres problèmes se posent. Ce type de questionnaire
uniforme doit être appliqué à tous de la même manière. Dans un tel protocole d’observation, la collecte de
données n’est donc pas un acte de recherche ; par conséquent, elle est parfaitement déléguable <pas forcément
un spécialiste du domaine, de la discipline sociologique>. Un tel protocole peut donc être mis en application
facilement par un non-spécialiste, moyennant une petite préparation. Dans le cas de l’enquête statistique, le
protocole peut être délégué à quelqu’un qui n’est ni sociologue ni spécialiste.
En ce qui concerne les enquêtes ethnographiques, c’est différent. Il est absolument nécessaire que
l’enquêteur soit un spécialiste du sujet, essentiellement car le dialogue est permanent entre enquêteur et sujets
d’observation. L’enquêteur se mêle à leurs activités  observation participante. Dans ce cas, il n’est pas possible
de déléguer. La grande différence d’observation entre les deux enquêtes, c’est la déléguabilité.
 SCHWARZ O. (1989), Le monde privé des ouvriers, « Hommes et femmes du Nord », Paris, PUF,
« Pratiques sociales » < ‘privé’ : par opposition à ‘public’ et ‘monde riche’>
 BEAUD S. & PIALOUX M. (1999), Retour sur la condition ouvrière, « Enquête aux usines Peugeot de
Sochaux-Monbéliard », Paris, Fayard.
b. La procédure de généralisation
Là aussi, elle est différente. Les enquêtes statistiques reposent essentiellement sur la loi des grands
nombres, sur l’idée que certaines régularités apparaissent dès lors que l’on multiplie les cadres d’observation.
Cela impose à l’enquêteur d’interroger un nombre suffisant de personnes pour réunir un degré suffisant de
validité.
Les enquêtes ethnographiques reposent elles sur le témoignage d’un nombre limité d’interlocuteurs. Il
faut des données suffisantes pour permettre de généraliser (reconstituer les règles sociales d’un groupe par
exemple). Ainsi, s’il y a trop d’entretiens, on aboutit à une saturation des données.
c. Conséquences théoriques sur le plan méthodologique
Le caractère normalisé implique toute une série de conséquences méthodologiques.
Il convient de veiller à ce que le questionnaire soit compréhensible pour l’enquêté. En effet, il n’est pas
possible d’interroger l’enquêteur pour demander des précisions, ni de digresser. En d’autres termes, les
questionnaires statistiques sont fondamentalement dépendants du niveau culturel des enquêtés <qui doivent
parfaitement comprendre toutes les questions posées>.
Ce type d’enquêtes repose sur un postulat rarement explicité : le postulat de l’unicité des interprétations
de l’information tout au long de la chaîne de traitement statistique. On présuppose que tous les enquêtés
comprennent bien, mais qu’ils posent le même sens que l’enquêteur. Ce sur quoi portent les questions peut être
désigné par des termes simples, univoques. Ce postulat découle tout simplement du fait que l’enquête statistique
est déléguable ; en effet, le chercheur ne vérifie pas que les gens ont bien compris. Ce postulat est évidemment
discutable : s’il n’est pas vérifié, les résultats de l’enquête ne sont pas vérifiés. Exemple de l’enquête de 1992 sur
les pratiques sexuelles des Français, à la question sur le nombre de partenaires sexuels des hommes et des
femmes, les enquêteurs se sont proposés de répondre à la question de la différence considérable de partenaires
entre les hommes et les femmes.
Il convient d’être très attentif : une fois les opérations de collecte lancées, le processus est irréversible.
En effet, il faut avoir le découpage de l’ensemble de la chaîne du traitement de l’information en tête :
Clarifier la problématique et le champ de l’enquête, choisir un échantillon représentatif ;
Etablir le questionnaire et le tester ! ;
Proposer le questionnaire à l’échantillon et recueillir les réponses ;
Chiffrer / coder les données pour les traiter informatiquement ;
Réaliser le traitement mathématique de l’information <mettre en évidence des corrélations entre
variables, en sélectionnant les corrélations pertinentes pour les interpréter>.
L’enquête ethnographique repose sur le précepte de retour : le sociologue va retourner chez l’enquêté (
irréversibilité statistique).
d. Conséquences pratiques
Les enquêtes statistiques sont lourdes, prennent du temps et coûtent cher ; c’est pourquoi ce sont les
institutions publiques qui les prennent en charge. En même temps, ces enquêtes présentent un certain nombre
de limites : certain(e)s questions / domaines / problématiques sont laissées de côté. Mais aussi, les institutions
s’interdisent fréquemment, en vertu d’une déontologie, de prendre en compte certaines variables (ex. : religion,
politique, etc.) ; simplement, le service public est confronté à un passé lourd (sous Vichy : exploitation pour
trouver les Juifs).
La question qui se pose, c’est à la fois une question scientifique et politique. Comment réaliser des
études sur des discriminations sans prendre en compte les variables « ethniques » et « raciales » ? Certains
chercheurs trouvent d’autres moyens pour discerner ces variables, mais qui montrent aussi leurs faiblesses :
9
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
G. Felouzis (à Toulouse) s’est procuré la liste des élèves et détermine l’origine des individus en fonction de leur
prénom. Un autre chercheur a eu accès aux fichiers de sa commune (en respectant la discrétion et l’anonymat)
pour mettre en évidence la discrimination à l’emploi : x 2,5 pour les jeunes maghrébins. Ou encore les langues
parlées dans les foyers. Les sociologues qui veulent mettre en évidence certains phénomènes pour lutter contre
ont des intentions légitimes. Mais ils s’exposent aux problèmes de caser les gens (une ? origine) et d’une variable
qui se durcit quand l’institution nationale la construit.  enquête « sortie des urnes ».

Les variables privilégiées
Le but est de mettre en évidence des corrélations entre différentes variables de la réalité sociale, mais
cela présuppose de pouvoir définir les variables retenues, plus ou moins faciles à mesurer. Exemples de
variables difficiles à définir : l’intelligence, le courage, le caractère autoritaire, le racisme, la xénophobie, le degré
d’intégration d’un groupe social… Par conséquent, les études statistiques ont tendance à sélectionner les
variables les plus faciles à définir, observer, mesurer, contrôler (du point de vue scientifique)… Mais les
sociologues cherchent à en construire de nouvelles, ils essaient de leur donner une rigidité égale aux autres.
Il y a grosso modo quatre grands types de variables, certaines étant plus générales que d’autres :
a. Les variables d’Etat
Toutes les variables de l’Etat – certifiées par lui : l’âge, le sexe, la nationalité, l’état matrimonial juridique,
le lieu de résidence, le logement, les diplômes, le revenu fiscal ( réel)…
b. Les variables de nomenclature des CSP <Catégories Socio-Professionnelles>
Cette nomenclature existe depuis le XIXème siècle et a été revue, notamment en 1954 (CSP), puis en
1992 (PCS). Cette nomenclature se construit sur plusieurs niveaux.
Au niveau le plus agrégé, l’INSEE distingue parmi les actifs 6 groupes de CS et 2 groupes
d’inactifs :
1. Agriculteurs exploitants
6. Ouvriers
2. Artisans, commerçants et chefs d’entreprise
7. Retraités <déclinés comme précédemment>
3. Cadres et professions intellectuelles supérieures
8. Autres inactifs <invalides, chômeurs n’ayant
jamais travaillé…>
4. Professions intermédiaires
5. Employés
Au niveau de la publication courante, l’INSEE distingue au total 24 postes <19 actifs et 5
inactifs> ; exemples :
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise : 1. artisans, commerçants <entre 0 et 9 salariés> ; 2. chefs
d’entreprise <plus de 10 salariés>.
Ouvriers : 1. ouvriers non-qualifiés ; 2. ouvriers qualifiés. La qualification se fait soit en fonction de la
qualification occupée dans l’entreprise, soit par la qualification financière.
Au niveau le plus détaillé, l’INSEE multiplie le nombre de postes à 42 <32 actifs et 10 inactifs> ;
exemples :
Agriculteurs exploitants – en fonction de la superficie : petite, moyenne ou grande exploitation. Tout
dépend du type de culture (élevage, vignoble… : relativité).
Ouvriers – On subdivise en distinguant : 1. ouvriers industriels ; 2. ouvriers artisanaux, en fonction du
nombre d’ouvriers dans l’entreprise.
Au niveau le plus fin, utilisé lors du recensement seulement, on rencontre 455 postes d’actifs
ayant un emploi.
 DESROSIERES A. & THEVENOT L. (2002), Les catégories socio-professionnelles, La découverte
« Repères n°62 »
Elles servent à classer, d’abord, les ménages <ensemble des occupants d’un même logement> : chaque
ménage aujourd’hui est rattaché à une « personne de référence » <avant : un « chef de famille »>. La CS est une
notion statistique construite pour rassembler un ensemble de ménages ayant des caractéristiques proches :
certains groupes sont homogènes (ouvriers), d’autres ont de très grandes différences (agriculteurs). Elles servent
à toutes les études qui servent à analyser les classes sociales. Avec les outils CS, on peut repérer les classes
sociales [là où l’on ne classe personne].
c. Les variables construites, propres à un champ particulier ou propres à un ensemble de pratiques
sociales spécifiques
Pour leurs enquêtes, l’INSEE et l’INED y font souvent appel. Certaines ont déjà fait l’objet de
codifications. Exemples :
la nomenclature des décès (qui date du XIXème siècle) ;
-
-
le codage des maladies  celui des facultés de médecine ;
10
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
le codage des produits alimentaires ;
le codage des pratiques culturelles <réalisé par des statisticiens et sociologues du service du
ministère de la culture, dans les années ’70. Etant de classes moyennes ou supérieures, ils ont
négligé les pratiques des classes populaires par manque de connaissance> ;
le codage des postes budgétaires <classement d’Engel repris>.
Concernant ces codages, ils sont modifiables, améliorales, et ils évoluent dans le temps.
 BIHR A. & PFEFFERKORN R. (1995), Déchiffrer les inégalités, Paris, Syros-La découverte « Alternatives
économiques », 1999
d. Les variables « ad hoc »
Ce sont des variables particulières construites spécifiquement par rapport à un sujet particulier. Chaque
sociologue peut construire ce type de variable. L’objectif est d’avoir des variables pertinentes destinées à vérifier
une hypothèse ou un groupe d’hypothèses particulière(s). Dans ce cas, le sociologue ne fait pas seulement appel
à des variables déjà construites par d’autres, il a une tâche originale de construire ses propres variables en
fonction du cadre d’analyse et du champ d’hypothèses retenus. Comment les construire ? Dans les années ’40,
P. Lazarsfeld propose de découper quatre étapes dans la construction d’une telle variable :
Il faut partir d’une intuition assez vague qui renvoit à un ou des concepts. Il faut « préciser les
impressions générales qui guident la curiosité du chercheur ».
Il s’agit de parvenir à un concept et de le décomposer en plusieurs facettes qui transparaissent
à travers cette représentation initiale très intuitive.
On essaie de construire, pour chaque dimension retenue, une série d’indicateurs permettant
d’attester l’existence ou non de telles dimensions.
Il s’agit de former un ou plusieurs indicateursqui permettent de synthétiser l’ensemble des
données recueillies précédemment.
Prenons l’exemple de la très célèbre enquête (surtout en Allemagne et aux Etats-Unis) de l’Ecole de
Francfort sur la personnalité autoritaire, après la seconde guerre mondiale. Il s’agit de déceler à travers la
personnalité l’existence d’un autoritarisme de tendance antisémite. Cette enquête dirigée par Adorno <plutôt
connu pour ses travaux théoriques> a pour objectif de vérifier (confirmer ou infirmer) l’hypothèse que
l’antisémitisme est l’expression d’un certain type de personnalité : la personnalité autoritaire. Il est impossible de
préciser cette hypothèse sans préciser la personnalité autoritaire. Il s’agit d’indiquer à quoi on va pouvoir la
mesurer, la distinguer : il faut construire la variable « personnalité autoritaire » pour l’étudier en confrontation avec
d’autres variables, tels l’âge, le sexe, le niveau d’instruction, la CS, etc. Les auteurs procèdent par étapes.
Ils partent d’une notion intuitive de la personnalité autoritaire : quelqu’un qui a un certain goût
pour l’autorité, est rigide, cassant, aime être obéi, mais aussi qui accepte facilement l’autorité et
la valorise, etc.  caractéristiques de l’état infantile. (bases psychologique et psychanalystique)
Ils font une pré-enquête et précisent les différentes dimensions de la personnalité autoritaire
(9) :
1. l’attachement aux conventions ;
2. la soumission à un principe d’autorité supérieure ;
3. l’agressivité autoritaire <tendance à rejeter les personnes qui ne suivent pas la
convention> ;
4. l’anti-« intraception » <refus de la vie subjective, de la sensibilité, de l’imagination, de la
pratique de l’introspection, de la réflexivité> ;
5. la tendance à la supersticion et aux stéréo-types ;
6. l’insistance sur l’opposition entre autorité et obéissance ;
7. l’esprit de destruction ;
8. le pessimisme ;
9. le moralisme sexuel <exigence de contrôle de la sexualité supérieure à la moyenne>.
Ils construisent des indicateurs pour chacune des 9 dimensions qui vont prendre la forme de
propositions d’ordre général où l’on demande au sujet enquêté de prendre position.
-

Est méprisable tout individu qui n’a pas de respect et d’obéissance – soumission – à ses
parents.

L’obéissance et le respect sont les principales qualités qu’il faut apprendre à un enfant.

Tout le monde devrait croire à une force surnaturelle (supérieure).

Il existe de nombreuses questions essentielles auxquelles l’esprit humain ne peut
répondre.
On peut construire une variable quantitative chiffrable : la « personnalité autoritaire ».
 BOUDON R. (1969), Les méthodes en sociologie, Paris, PUF, « Que sais-je ? », sixième édition mise à jour,
1984 (résumé p. 48-58)
11
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique

Les résultats obtenus
Quels sont les principaux apports de la mise en œuvre de l’approche statistique ? De manière
schématique, ils sont au nombre de deux, assez différents :
L’approche statistique nous permet d’objectiver les phénomènes étudiés, qui sont comparables à ceux
qui peuvent être obtenus dans les sciences de la nature (Durkheim et la méthode expérimentale).
L’approche statistique donne la possibilité d’extrapoler du particulier au général. Ce sont bien des
phénomènes particuliers à partir desquels on cherche à obtenir une généralisation, comme si les lois étaient
historiques et relatives. Cette généralisation doit se faire dans des conditions scientifiques satisfaisantes : c’est
pour cette raison que cette méthode s’approche de celle des sciences de la nature.
a. L’objectivation du social à travers son approche statistique
Les sociologues – et en particulier ceux d’aspiration durkheimienne : le positivisme – considèrent que
l’usage des statistiques est indispensable pour produire des données sociales ayant un caractère scientifique.
Mauss (1872-1950) notait à cet égard :
« Tout problème social est un problème statistique. La fréquence d’un fait, le nombre des
individus participants, la répétition au cours du temps, l’importance absolue et relative des actes et
leurs effets : tout est mesurable et devrait être compté. »
L’approche statistique est jugée fondamentale par les durkheimiens : c’est précisément l’usage des
statistiques qui doit pouvoir assurer la « rupture objectivante » (P. Bourdieu), sans laquelle aucune science n’est
possible.
Emile Durkheim demandait de considérer les faits sociaux comme des choses, dans Les règles de la
méthode sociologique, de les appréhender comme des réalités à la fois extérieures à la connaissance
individuelle, et en même temps contraignante par rapport à elle : il faut rompre avec l’idée que les individus se
font de la réalité sociale, comme obstacle à la connaissance de cette réalité sociale.  les prénotions. Parmi ces
croyances, il y a le préjugé individualiste : comme s’il n’y avait pas de détermination ; l’individu serait seul
souverain, maître de ses pratiques. Les statistiques permettent d’opérer une telle rupture.
Exemple de la formation des couples – Contrairement aux croyances des individus, l’amour ne frappe
pas au hasard  couples homogames (gens qui se ressemblent du point de vue de leurs caractéristiques
sociales). Vers la fin des années 1950, Alain Girard (sociologue et démographe) observe les mariages conclus
entre 1914 et 1959. Les familles interviennent assez peu. Puis Michel Bozon et François Héran ont fait de même
sur la période 1959-1984. Les conclusions de ces deux enquêtes sont remarquablement convergentes. Elles
établissent que « la disparition de tout dirigisme ou protestantisme n’a nullement empêché les couples
homogames ». On se marie essentiellement entre personnes du même milieu social, ou de milieux voisins. Les
régularités statistiques ont permis de mesurer la part d’illusions dans les représentations des couples, mais aussi
montrer l’existence de déterminismes sociaux, même de lois sociologiques régissant la formation des couples.
Ainsi, il faut rompre avec les prénotions que les acteurs se font de leurs propres pratiques, mais aussi de
dévoiler des aspects cachés de la réalité sociale. En ce sens, les statistiques ont une vertu objectivante.
b. La généralisation des résultats statistiques particuliers
En second lieu, l’approche statistique permet d’extrapoler scientifiquement les résultats. Effectivement,
l’approche est proche de la méthode expérimentale. Il convient de partir de résultats obtenus dans des
circonstances particulières et d’établir une loi, même historique et relative. Cette opération n’est légitime que pour
une stricte homologie entre l’échantillon et la situation sur laquelle on prétend établir une loi : cette légitimité est
garantie par le caractère représentatif de l’échantillon. Deux conditions doivent être remplies pour cela :
L’échantillon doit avoir une taille suffisante pour que la loi des grands nombres puisse être appliquée :
les résultats statistiques pourront apparaître. La marge d’erreur liée à la généralisation diminue en raison directe
de la taille de l’échantillon. Les enquêtes menées par l’INSEE et l’INED portent toujours sur des échantillons très
importants (plusieurs milliers ou dizaines de milliers de sondés). Elles sont, de ce point de vue, globales. D’autres
enquêtes, comme celles de la SOFRES, visent davantage par leurs résultats à influencer l’opinion qu’à en rendre
compte.  enquêtes de sondage publiées par les DNA, par exemple (échantillons de 300 ou 400 personnes :
trop petits).
 CHAMPAGNE P. (1994), Faire l’opinion : le nouveau jeu politique, Paris, Minuit, « Le sens commun ».
D’autre part, l’échantillon doit avoir les mêmes caractéristiques que la population qu’il est censé
représenter, du moins pour les variables qu’on souhaite mettre en corélation. Soit :
Les variables sont elles-mêmes distribuées de manière aléatoire. Exemple : La taille des
individus suit une loi normale. Si on veut étudier la taille des individus par rapport aux
générations, l’échantillon peut être aléatoire. Le poids et la taille varient suivant les milieux
sociaux.
On peut supposer qu’ils ne sont pas distribués de manière aléatoire. Il va falloir construire
l’échantillon de manière à ce qu’il soit le même que la population pour les variables étudiées.
Exemple des revenus qui dépend de la CSP de la personne responsable du ménage.
La validité des résultats repose donc sur la capacité des statisticiens à construire des échantillons
réprésentatifs. Cette capacité dépend elle-même de l’accumulation des ressources préalablement acquises
12
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
<corrélation et variation des variables étudiées ; il va y avoir accumulation des savoirs, garante de la fiabilité des
résultats obtenus>.
6.
Difficultés et limites

La fiabilité des données administratives
En dépit de l’impartialité, due à la neutralité supposée des administrations, les données produites <en
particulier, celles des administrations d’Etat> doivent toujours être passées au crible de la critique : la manière
dont elles sont produites est problématique par rapport à l’usage que le sociologue va en faire.
Exemple du suicide, étudié par E. Durkheim – Il s’est servi de la statistique publique sans le moindre
recul critique. Les administrations qui produisent ces statistiques sont la police et la gendarmerie. Or ces deux
administrations ne travaillent pas forcément de la même manière (ville / campagne). Ces données posent en plus
problème du point de vue moral, éthique, ethnique, de l’assurance, etc. : donc ce sont des données que l’on peut
vouloir cacher. A chaque fois qu’on a une statistique oprtant sur les réalités que les individus peuvent avoir envie
de cacher, il faut avoir un regard critique. Fr. Signant (1989) :
« Une critique préalable de la valeur respective selon les pays et les dates serait
souhaitable. Tout fait que quelqu’un a des raisons de dissimuler est difficilement atteint par la
statistique […]. »
Christian Baudelot et Roger Establet estiment que la sous-évaluation du suicide est de l’ordre de 25 % en France.
Il est toujours utile de passer des données brutes à des données corrigées : si des enquêtes nous permettent de
savoir le coefficient de sous-évaluation, on peut rectifier le chiffre brut. Il en est ainsi pour le suicide, mais aussi
pour les revenus, où il faut tenir compte de l’ampleur de la fraude fiscale <enquêtes du Centre des Revenus et
des Coûts>. Marcel Mauss :
« Dans tout travail qui s’appuie sur des éléments statistiques, il est nécessaire d’exposer
au préalable la façon dont ces données ont été produites […] » avant même de les utiliser.
Exemple du chômage – Le problème réside dans la définition-même du chômage, en ce qu’elle est
multiple, y compris en France : les définitions retenues par l’INSEE et l’ANPE sont différentes, ansi les résultats
obtenus sont différents.
L’ANPE prend les chiffres des Demandeurs d’Emploi en Fin de Mois (DEFM) : personnes
inscrites sur les registres en fin de mois. Il faut être inscrit à l’ANPE et prouver qu’on fait des
démarches effectives de recherche d’emploi, enfin d’être immédiatement disponible (la maladie
est excluante !). Parmi les DEFM, la presse se focalise sur la catégorie 1, alors qu’elles sont au
nombre de 8 [La baisse de chômage du gouvernement Jospin coïncide avec la création du
gouvernement Jupé des catégories 6, 7 et 8 pour y réléguer des personnes de catégorie 1.]
Depuis que le chômage a augmenté, les définitions sont constamment modifiées. Il y a un
renforcement des contrôles pour rayer des personnes du DEFM. En cherchant à voir ce qu’ils
sont devenus, on trouve des travailleurs, mais aussi des morts, retraités, inactifs, personnes en
formation, malades… Où classer les gens à temps partiel qui cherchent des temps pleins, ou
les travailleurs temporaires… ?
L’INSEE effectue au mois de mars une enquête « Emploi ». Cette enquête est menée sur un
échantillon de 60 000 personnes de la population active dans sa globalité, renouvelé par tiers
tous les ans. Leur définition du chômage est telle qu’elle est définie par le bureau international
du travail : est chômeur la personne sans emploi (dans la semaine qui précède l’enquête), à la
recherche effective d’un emploi (un acte de recherche au cours du mois), et disponible sous 15
jours.
Il y a la manière dont on mesure le chômage pendant les recensements : en fonction de ce que
déclarent les gens.
Toutes ces définitions sont discutables. Leurs mesures inscirvent un nombre de distorsions. Les DEFM
mesurent en premier lieu l’activité de l’ANPE : ces variations sont très sensibles aux règles administratives
(inscriptions, indemnisations…). Il faut manier cette statistique avec prudence. Pour l’enquête « Emploi »-INSEE,
le renouvellement par tiers montre que les déclarations changent. C’est dans le tiers nouveau que le chômage est
le plus élevé : il faut se fier aux déclarations des individus, dont leur comportement varie quand ils sont
réenquêtés < désir de ne pas perdre la face>.

L’usage de la nomenclature des CSP
Trois types sont à distinguer :
a. Les détournements vulgaires de la nomenclature
En effet, dans un grand nombre d’enquêtes statistiques, on demande aux enquêtés de se classer sur
une échelle sociale <CSP> : il peut y avoir déformation possible :
L’enquêté peut se tromper, si le principe de la classification, ou la signification des mots, ne sont pas
compris. Exemple : Quelqu’un qui travaille à la SNCF : il inscrit « employé SNCF ». on le retranscrit « employé »,
sans savoir s’il est employé en tant que ouvrier, conducteur, ou cadre administratif. Ainsi la catégorie
« employé », de même que celle « profession intermédiaire », est surestimée.  erreurs de retranscription.
L’enquêté peut aussi donner une indication en trichant plus ou moins consciemment (sur- ou sousclassement), selon l’image que l’on peut donner.
13
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
Les noms que l’on retient ne sont pas anodins. Exemple : Paysan / exploitant ; vigneron / viticulteur
 connotation différente : traditionnelle technicienne.
Les enquêtés ne souhaitent pas « perdre la face » mais « faire bonne figure » (termes goffmaniens), y
compris vis-à-vis d’eux-mêmes : ils ont ainsi tendance à donner la réponse qu’il croit être celle que l’enquêteur
attend. Le sociologue doit se rendre compte de ces stratégies dans l’analyse ; la stigmatisation et l’amplification
de ces stratégies sont pourtants privilégiées par les journalistes.
b) Le vrai problème de la construction savante de la nomenclature
Il y a le souci des fortes homogénéités sociales des groupements pour faire apparaître de fortes
corrélations entre la classe sociale et des variables sociologiques, démographiques, politiques, etc. La
classification standard doit répondre aux attentes de tout le monde : l’administration, les sociologues, les agences
marketing,… Les membres d’un groupe social sont présumés avoir un certain nombre de caractéristiques
communes. La construction d’une telle nomenclature reopose sur une démarche théorique, sur un certain nombre
de critères implicites :
la place occupée dans la division du travail et les rapports sociaux de production ;
la nature et les niveaux de revenus.
Ils ont procédé par agrégation de professions considérées comme proches, explicitement :
la profession exercée
le statut (salarié, à son compte…)
Il y a encore d’autres critères :
la qualification,
la position hiérarchique
public / privé,
la taille de l’entreprise
le secteur d’activité…
De cette manière, elle parvient à combiner les grandes oppositions de notre société :
patrons / employés,
ressources culturelles fortes / faibles
etc.
Elle présente un intérêt non négligeable pour montrer de manière indirecte et approximative les classes
sociales.
b. Ses limites
Elle ne fait pas clairement apparaître la classe capitaliste, borgeoise, où ils seront minoritaires dans
chaque groupe.
Une partie des grands groupes de CSP ont une homogénéité très limité. L’agrégation des données au
sein du groupe nous apporte finalement peu de résultats. Souvent, il est nécessaire d’utiliser la nomenclature à
un degré suffisamment détaillé.
Le code des CSP repose obligatoirement sur un certain arbitraire, comme tout système de classement.
 C’est inévitable, mais à garder en tête. Exemples :
-
? Patron de 9 salariés (artisan)  patron de 10 salariés (chef d’entreprise) ?
? Professeur des écoles (profession intermédiaire)  professeur d’enseignement général,
collège (profession intellectuelle supérieure) ?
Contre-maîtres : avant 1982 : ouvriers ; aujourd’hui : profession intermédiaire
Chauffeurs : avant : ouvriers non-qualifiés ; maintenant : ouvriers qualifiés.
Le code des CSP repose sur des mots / appellations en usage dans la société, qui renvoient aux
représentations ordinaires du monde social. Mais en même temps, ces mots ont souvent été forgés / produits par
les représentants de la profession. En ce sens, tous ces mots sont aussi le produit d’une histoire particulière et le
reflet de rapports de forces entre les différents groupes sociaux. Ces mots sont différents d’un pays et d’une
époque à l’autre ; ils sont ainsi difficilement comparables dans l’espace et le temps. Exemple : Les cadres :
apparition au cours des années ’30 parmi des organisations professionnelles. Le statut de cadre conférait un
certain nombre de droits et privilèges.
cadre moyen  (1982) profession intermédiaire
cadre supérieur  (1982) cadre.
 BOLTANSKI L. (1982), Les cadres, « La formation d’un groupe social », Paris, Minuit, « Le sens commun ».
-

L’usage des nomenclatures des collectes de données
C’est la question des CSP que l’on peut poser de manière beaucoup plus large : le problème de la
pertinence des catégories utilisées par les chercheurs pour le découpage de la réalité sociale. Deux questions
particulières se posent la plupart du temps :
14
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
a. Faut-il utiliser des catégories « savantes » ou « indigènes » ?
Par « indigène », on entend les catégories utilisées dans le langage courant par les personnes
interrogées.
Exemple – La question des loisirs – En fait, le terme « loisirs » et ce qu’il recouvre ne vont pas de soi. Si
les catégories moyennes et supérieures utilisent ce terme, il l’est rarement par les catégories populaires : plutôt
« ce qu’ils font <activité> à côté de leur travail » ou « travail à côté ». Le terme de « loisirs » n’est pas adéquat.
 WEBER F. (1988), Le travail à côté, « Etude d’ethnographie ouvrière », Ed. INRA/EHESS.
Dans des sociétés dites « primitives », les comportements économiques, tels qu’ils sont rencontrés dans
des sociétés dites « modernes », ne sont pas d’usage : catégories d’une société plaquées sur une autre. Il faut
tenir compte de la pertinence des termes dans l’esprit des personnes interrogées.
b. Dans une enquête sur une pratique où l’on ne prévoit pas assez de questions, l’analyse est
problématique.
Exemple : Enquête du ministère de la culture sur les bibliothèques. A la question : combien de livres
empruntez-vous ?
femmes : beaucoup  empruntés pour qui ? Enfants, mari / elle
hommes : peu
Exemple : Enquête sur la pêche en amateur : 20 % de femmes ; enquête sur la fréquentation des stades de
football.  Pourquoi, pour qui ? Sinon, on passe à côté de l’essentiel. On pointe ici le rôle délégataire des
femmes dans la société.

Problèmes posés par l’enregistrement statistique d’objets socialement précontruits
Les statistiques jouent un rôle particulièrement important dans la rupture objective. Attention, ce n’est
pas une condition suffisante pour rompre avec le sens commun, dans la mesure où elle l’enregistre souvent : la
statistique risque d’accréditer les représentations communes.
Exemple de la mesure du chômage dans le passé (avant 1930, pas d’ANPE). A l’époque, on reprenait la
définition sociale du chômage. Dans cette définition commune, un chômeur était : quelqu’un sans emploi, à qui la
société devait fournir un emploi. On ne comptait en fait que les hommes qui travaillaient dans les grandes
entreprises <lieu d’embryon de politiques sociales> : personnes considérées comme ne pouvant être ailleurs. Les
chômeurs étaient masculins, en ville, dans des grandes entreprises.  Les statisticiens ont renforcé cette idée en
l’officialisant.
 SALAIS R. (1986), L’invention du chômage, « histoire et transformations d'une catégorie en France des
années 1890 aux années 1980 », Paris, PUF, « Economie en liberté ».
Exemple, dans les années ’80-’90 de l’entrée du FN sur la scène politique française.  Electorat de ce
parti. Dans quelles mesures l’existence et l’importance de cet électorat peuvent s’expliquer par la présence de
populations d’origines étrangères ? <corrélation ?> Les conclusions sont très variables, voire contradictoires. Le
défaut fondamental de toutes ces études, c’est que l’hypothèse accrédite le discours de cette formation
d’extrême-droite. Ainsi, l’étude statistique accrédite le sens commun de la propagande FN.

Problèmes posés par l’interprétation correcte d’une liaison statistique
Ce que les statistiques peuvent mettre en évidence, c’est une corrélation, par exemple, entre deux
variables : mais encore faut-il l’interpréter de manière correcte. Souvent, nous ne connaissons pas les éléments
nécessaires à l’explication évidente. Parfois, c’est une troisième variable qui est explicative. Dans certains cas, la
corrélation n’est pas évidente.
Exemple
X:
Y1
Y2
Y3
N
X1
80
15
5
100
X2
20
60
20
100
X3
5
15
80
100
Age de N sujets
Y:
Autre variable : musique
X1 : 20 ans
Y1 : préfère la musique rock
X2 : 45 ans
Y2 : préfère la musique française
X3 : 70 ans
Y3 : préfère l’accordéon
Parmi les 100 sujets de 20 ans, 80 préfèrent le rock. Problème : Comment interpréter de manière satisfaisante ce
type de tableau ?
 Ambiguïté de l’âge :
15
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
effet d’âge <quelles que soient les époques>
ou effet de génération <d’aujourd’hui>
Exemple – La consultation des médecins est un effet d’âge : les vieilles personnes sont plus malades
que les jeunes.
Exemple – La croyance religieuse. En 1950, le taux de croyance était beaucoup plus élevé. Si c’est un
effet de génération, les jeunes d’aujourd’hui seront toujours aussi peu croyants quand ils seront vieux
[socialisation dans la croyance].
Exemple – Trois tableaux : taux de réussite en % dans l’enseignement supérieur ; premier, deuxième et troisième
cycles.
1. cycle
Réussite
Echec
Total
cl. sup.
70
30
100
cl. pop.
30
70
100
Réussite
Echec
Total
cl. sup.
30
70
100
cl. sup. : classe supérieure
cl. pop.
70
30
100
cl. pop. : classe populaire
3. cycle
2. cycle
Réussite
Echec
Total
cl. sup.
55
45
100
cl. pop.
45
55
100
Problème : On ne connaît pas les effectifs de départ. Il nous manque le fait que la sélection sociale joue au
niveau des études supérieures. L’effectif de la classe populaire a été auparavant écrémé. Il faut s’enquérir des
éléments de contextualisation.
III.
L’approche ethnographique en sociologie <approche qualitative>
Sous le nom générique de l’approche ethnographique, on regroupe en fait différentes méthodes :

L’observation directe d’un terrain
… en position d’extériorité,
… à l’intérieur du groupe concerné <observation participante>.
Ce qui est essentiel, c’est la tenue d’un carnet d’enquêtes, pour y retranscrire les modalités de prise de
contact, les impressions, etc.

-
Les entretiens (quand ils sont réitérés)
l’histoire de vie,
le récit de vie,
la biographie.
 La consultation de documents
lettres,
documents administratifs,
documents historiques,
journaux…
Documents, de diverses natures, qui peuvent éclairer l’enquête. On les appelle « enquêtes qualitatives »
parce qu’elles font appel à des mots et non des chiffres.
approche ethnographique <d’abord dans le cadre ethnologique>,
monographie,
étude de cas <particulier>
étude idiographique <idios (grec) : singularité du groupe étudié>.
16
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
7.
Quelques jalons historiques
enquêtes de Villermé
enquêtes de Leplay, premier à réfléchir sur les méthodes mises en œuvre dans le cadre de ces
enquêtes.
Les ethnographes étudiaient les sociétés « primitives ».
De grandes enquêtes ont été ménées en Angleterre (première moitié du XIX ème siècle) par F. Engels sur
les moyens de la classe laborieuse anglaise.
 C’est une longue tradition historique qui n’est pas inventée par la tradition de Chicago.

Situation en France
La première sociologie dominante est celle de Durkheim : le positivisme. Durkheim utilise la méthode
ethnographique pour son ouvrage sur les formes de religion. De même pour Mauss. Ce sont des auteurs qui ne
l’ont pas pratiquée eux-mêmes, mais ils n’opposaient pas les deux méthodes.
Dans la période récente (les 30 à 40 dernières années), il y a eu un véritable renversement :
Les ethnographes, formés à travailler dans des osciétés différentes, se sont mis à travailler sur
la société française <vie rurale, mais aussi périphérie des villes>.
Les enquêtes ethnographiques sont réalisables par peu de personnes et mobilisent peu de
moyens (mais du temps) : moins chères que les enquêtes statistiques.
Il y a eu un développement considérable des études de sociologie à partir des années ’70
(avant : Paris, Lille, Boreaux, Strasbourg) : cela se traduit par la multiplication de thèses.
Beaucoup de travaux sont financés par des organisations publiques sur certains thèmes
considérés comme importants ou problématiques <sociologie urbaine, développement de
l’épidémie du SIDA sur le comportement sexuel…>
Aujourd’hui, on a clairement deux approches en sociologie, au niveau méthodologique, de manière forte.
On a l’idée de la complémentarité des deux approches.
Exemple sur la condition des ouvriers.
 BOURDIEU P. (1979), La distinction, « Critique sociale du jugement », Paris, Minuit, « Le sens commun »,
chapitre « Le goût du nécessaire ».
dimension statistique : privilégiée en terme de « plus » et de « moins », elle tend à mettre
l’accent sur les inégalités. Elle nous conduit insensiblement vers une approche misérabiliste.
dimension ethnographique : sens de l’activité.
Cela permet de voir les aspects différents. Si on prend juste en compte l’approche ethnographique, on risque de
ne voir que le surcroît de sens. Le sociologue doit tenir une « ligne de crête » entre le misérabilisme <statistique
 la domination> et le populisme <ethnographie  sens pour les gens>.
 GRIGNON Claude & PASSERON Jean-Claude (1989), Le savant et le populaire, « Misérabilisme et
populisme en sociologie et en littérature », Paris, Gallimard : Le Seuil, « Hautes Etudes ».
8.
Principales caractéristiques

Les différentes techniques
L’outil de base du sociologue, c’est le carnet d’enquête, qui doit servir pour tout noter.
a. L’observation
C’est la découverte et l’exploratoin systématique d’un terrain. Le terrain lui-même désigne d’une part
l’objet d’étude, d’autre part le lieu de séjour. L’observation suppose toujours un séjour plus ou moins prolongé du
sociologue auprès de ceux / ce qu’il se propose d’étudier : observer, c’est regarder de près (être proche), donc
vivre avec plus ou moins longtemps. En tant que méthode, elle est pratiquée par les ethnographes <à qui les
ethnographes ont emprunté la méthode>. Le sociologue doit se déplacer auprès de la population qu’il étudie.
Principales règles :
La préparation – c’est-à-dire la consultation préalable de toute la documentation préexistante sur le
domaine .C’est la théorie nous permettant de structurer l’observation, sinon on se perd. La documentation peut
être d’origine :
publique, quelle qu’elle soit : état civil, cadastre, liste électorale, résultats d’enquêtes INSEE,
archives…
privée : archives, textes / programmes officiels, correspondance, journaux intimes…
associative ou institutionnelle : notes de service, procès verbaux de réunions…
Cette documentation fournit toujours des informations utiles qui permettent de diversifier les points de vue.
La rencontre avec des intermédiaires-informateurs :
des personnes qui ont une position de pouvoir particulier par rapport à la population étudiée
<porte-parole officiel ou officieux par exemple> ;
17
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
des personnes en situation intermédiaire qui ne sont pas dans la population, mais la
connaissant.
Ces auxiliaires sont extrêmement précieux, et souvent indispensables. Ils occupent une place
particulière : il faut donc se servir et se méfier de leur point de vue. Le sociologue doit éviter de s’enfermer dasn
ces réseaux d’informations <représentations particulières>. Il lui faut prendre une distance critique.
L’enregistrement continu des informations – Le chercheur doit procéder à ces enregistrements des
informations recueillies, d’où l’importance du carnet de bord. Il pourra le compléter par l’utilisation de toute
technologie possible. Il va lui falloir exploiter ces données de manière à rediriger l’étude assez facilement. Il faut
aussi s’appuyer sur des plans / grilles d’observation établis en fonction des hypothèses de travail. Les premiers
résultats vont nous aider à les redéfinir. Ces plans et grilles sont donc provisoires et costamment révisés quand
se développent observatinos et analyses.
Toute observation est un processus, une dynamique, une démarche évolutive, qui fait entrer en
interaction hypothèses et terrain de recherches. L’observation aura principalement une ofnction de vérification
<confirmation ou inflexion des hypothèses pour faire l’analyse>.
b) L’observation participante
La plupart du temps, l’observation ne se fait pas en extériorité : l’observateut est amené à entrer en
interaction. Dans la mesure où il y a interaction observateur / observé, l’observation est toujours plus ou moins
perticipante. L’observation participante est une insertion personnelle de longue durée du sociologue dans le
groupe qu’il étudie – il en devient plus ou moins membre pendant une durée donnée. Son intérêt principal est de
pouvoir percevoir des séquences d’activité in situ, en vivant les mêmes conditions sociales et matérielles que le
groupe qu’on étudie. Cela permet au sociologue de se familiariser avec les représentations des personnes du
groupe. L’insertion prolongée permet d’assister à des événements exceptionnels <situations de crise ou
changements imprévus : se révèlent alors des choses cachées>. La forme concrète peut être extrêmement
diverse.
Exemple de TENEF – sociologue à Nantes – embauché à mi-temps en service d’urgence. Il peut
davantage se mettre par empathie à la place de l’autre.
Elle suppose que l’observateur puisse non seulement pénétrer dans le groupe social étudié
<acceptation : suppose de passer éventuellement par des médiateurs>, mais aussi qu’il puisse se familiariser
avec ce milieu (pratiques, usages, coutumes, langue, vision du monde, valeurs, croyances)  rentrer dans le
monde étudié. Il doit se « mettre à l’école » de ceux qu’il veut observer, apprendre comment se comporter,
d’abord pour se faire accepter. Difficulté : il doit en même temps rester en position d’observateur. Cette source de
données est très précieuse et demande du temps. La principale difficulté tient à la question de la « bonne
distance » par rapport à l’objet. Contradiction : il doit s’immerger dans le milieu sans s’y noyer <dialectique difficile
à tenir>. Il doit se familiariser et maintenir la nécessaire étrangeté. Il faut aussi garder de la distance pour avoir de
la scientificité. Par conséquent, l’observateur participant doit avoir une grande souplesse de comportement : un
grand sens de l’art dramatique <capacité d’improvisation, de prendre des rôles…>.
Exemple de Florence WEBER – Bourgogne – qui participe à une association en tant que secrétaire qui
prépare le carnaval.
b. L’entretien
Il y a toujours une situation d’interaction qui modifie les rapports, la nature de l’information produite. La
situation est extraordinaire, pas quotidienne, normée : l’entretien donne la possibilité de s’exprimer aux personnes
pour exprimer ce qui d’ordinaire n’est pas dit. L’entretien peut mettre à jour des problèmes et peut avoir des effets
<il n’est pas sans conséquence>. Il y a un rapport égalitaire. Il faut que l’interviewé parle librement. L’entretien est
toujours un moyen de désenfouir la réalité. Le discours de l’enquêté, même quand il semble s’écarter du sujet,
est toujours préférable à une réponse ponctuelle. L’entretien libre, ou smei-directif, permet de parvenir aux
questions que se pose l’enquêté, et on arrive à ce qui pose un problème pour lui et on voit ses représentations. Il
est essentiel d’avoir accès aux mots utilisés par les enquêtés <pas influencés>. Il faut faire attention à l’ambiance,
au contexte, au style…  cela suppose certaines capacités d’empathie de l’enquêteur.
-
9.
Difficultés et limites

Les effets de l’interaction enquêteur /enquêté
C’est un problème classique. L’observateur a une influence sur les comportements de ceux qu’il observe
<paradoxe de l’observateur>. Il s’agit d’observer, mais en même temps c’est nécessairement perturber le
fonctionnement et la situation ordinaires. Cela rend la connaissance de certaines situations difficile, voire
impossible. L’intervention de l’enquêteur au sein de la situation peut susciter des réactions :
la dérobade ou l’occultation volontaire,
les différentes formes d’inhibition et d’autocensure,
les différentes mises en scène de soi réalisées,
la mise en place d’un processus de contre-interprétation de l’observateur par les observés…
L’observateur ou l’enquêteur fait forcément partie de l’enquête. Quelques soient les réactions, l’enquête
suscite toujours des effets induits et leur analyse doit prendre place dans l’étude du sociologue. Les matériaux
18
SOC10C, 2004-2005, cours de R. PFEFFERKORN, Pratiques d’investigation sociologique
d’enquête doivent d’abord être traités comme effets de la situation d’enquête. Ils ne sont jamais la révélation
immédiate de la situation précédant à la situation d’enquête.  matériaux bruts.
L’ethnographe doit mettre en œuvre une démarche auto-critique, réflexive. Il doit se voir dans la situation
d’enquête. Il doit objectiver les processus en jeu et les prendre comme tels dans l’analyse. Ce faisant, le
sociologue arrivera à les mettre à distance. D’où l’importance du journal d’enquête.  implication du chercheur
sur son terrain.
Le bon observateur doit savoir choisir les bons rôles : ceux qui perturbent le moins la situation
d’enquête. Toute perturbation d’une situation nous apprend toujours quelque chose sur l’ordre ordinaire, mais il
faut faire attention au fait que l’un n’est pas l’autre. La ressource pour atténuer la situation de perturbation est le
temps : disparaissent l’auto-censure, l’inhibition, l’enquêteur prend un rôle particulier (à la fois dehors et dedans).
 WEBER Florence (1988), Le travail à côté, « Etude d’ethnographie ouvrière », Ed. INRA/EHESS.

La fiabilité et le contrôle des données
a. L’abondance de la matière
Que noter du donné de l’observation ?
La surabondance nuît, mais le contraire peut nous faire passer à côté de points essentiels. Le problème
est d’avoir la « bonne » loupe : établir une problématique et voir les aspects, questions, thématiques qui nous
intéressent. Questions et hypothèses sont nécessairement élaborées provisoirement, avant même d’aborder le
terrain. La première tâche de l’enquêteur est de parvenir à élaborer les questions que l’on va se poser au bout du
compte. Il faut aussi comprendre les problèmes et enjeux qui comptent dans l’univers des enquêtés, pour
préciser notre problématique. Plusieurs phases de relative passivité, d’attente, jalonnent le début de l’enquête
mais dans laquelle l’attention de l’enquêteur doit être maximale et ouverte (en même temps qu’imprécise).
b. Le mode d’enregistrement des données
Ce sont des moments féconds pour l’enquête. L’emploi du dictaphone (il s’oublie très vite) est le meilleur
moyen de recueillir le plus grand nombre de données possible, en renfort d’un bloc note. Il s’agit d’établir la
confiance avec l’interrogé.
c. Le discours
Les « choses dites » évoquent des choses, des pratiques, etc., mais ce n’est pas la chose, ni la pratique
elle-même. L’enquêteur peut être amené à vérification, par recoupage de données ou lors d’une enquête de
terrain. Mais ce n’est pas toujours possible. Quand on entend parler d’autre chose que ce qui nous intéresse,
mais qui l’intéresse, cela a de l’importance pour lui donc pour nous aussi : on n’écarte pas ces éléments, même
pour la retranscription.

Les difficultés et les conditions de l’induction
Généralisation. Il faut que l’enquête soit assez approfondie. Mais à quel moment peut-on se rendre
compte de la « suffisance » ? Quand les entretiens / observations n’apportent plus de connaissances nouvelles,
qu’il y a répétition et saturation des données, quand il n’y a plus rien de nouveau ni d’infirmation.
Précautions :
diversifier les observations,
compléter l’approche ethnographique par une approche statistique  complémentarité des
méthodes,
éviter l’impressionnisme et la subjectivité de l’enquêteur : soumettre le contrôle de l’enquête à
des tiers.
Toute science est de toute façon une œuvre collective : celle de la communauté scientifique.
L’objectivité, dans le sens de la rigueur intellectuelle, procède toujours du contrôle par des scientifiques de leurs
travaux.
 Référencer les sources (citations et idées).
19
Téléchargement