Doc : Le changement climatique dans l’Arctique : une réalité chez les Inuits.
« […] Je vis à Inuvik, un village situé au-dessus du cercle polaire, sur le delta du Mackenzie, dans les territoires
du Nord-Ouest du Canada. Environ 4.000 personnes vivent à Inuvik — où sont exploitées les mines
d’extraction de pétrole et de gaz dans la région de la mer de Beaufort. L’Arctique circumpolaire n’est plus une
région isolée : la mondialisation y a fait son apparition. Le Sud est intéressé par notre pétrole, notre gaz et nos
minéraux et, dans de nombreuses parties de l’Arctique, les activités d’exploration se multiplient.
Selon l’Étude géologique des États-Unis, cette région contient 25% des réserves mondiales de pétrole et de gaz.
Le nord du Canada est le troisième producteur mondial de diamants. D’importants gisements de métaux de
base, de métaux précieux et de charbon ont été découverts dans le nord. Au cours des derniers 40 à 50 ans, les
Inuits se sont adaptés aux changements sociaux, économiques et culturels. […]
Dans une vidéo présentée à la Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques (CCNUCC) en 2000, les chasseurs et les anciens ont parlé sur un ton empreint
d’autorité des questions qui les touchent de près, comme […] la fonte du pergélisol entraînant l’effondrement
des plages et l’érosion des berges des lacs, l’intensification des chutes de neige, l’allongement des périodes où
la mer est libre de glaces, l’apparition de nouvelles espèces d’oiseaux et de poissons (l’effraie des clochers, le
canard colvert, le canard pilet et le saumon) […], la baisse de la population de lemmings (qui représentent le
régime de base du renard arctique, une espèce de choix pour les chasseurs) et la tendance générale au
réchauffement.
Ces changements ne sont pas uniques à cette région. Ils sont également observés par les Inuits au Groenland et
en Alaska, par les Saami dans le nord de la Norvège, […] et par les Nenets, les Chukchi et de nombreuses
autres populations autochtones du nord de la Russie. Notre monde change de plus en plus. Le savoir
traditionnel, représentation de notre vision du monde, transmis de génération en génération, se perd. Le
changement climatique n’est pas un problème théorique lointain que les générations futures auront à résoudre.
C’est un problème réel qui existe déjà dans l’Arctique, région qui s’efforce de s’adapter à ses effets. Les
communautés font face à la disparition des sites historiques, à la dégradation des lieux de sépulture, à la
déstructuration des communautés et à leur relocalisation. Les Inuits, comme de nombreux autres, ont des
capacités d’adaptation, mais celles-ci ont des limites.
À l’appui de nos observations, nous avons réussi à persuader les huit États arctiques de lancer en 2000
l’Évaluation des impacts du changement climatique dans l’Arctique (ACIA), une initiative à laquelle ont
participé plus de 300 scientifiques issus de 15 pays ainsi que les populations autochtones de l’Arctique. […]
Une des conclusions du rapport de l’ACIA de près de 1.000 pages est que le réchauffement risque de provoquer
dans la deuxième moitié ou à la fin de ce siècle la fonte ou la disparition de la glace de plusieurs années. […]
Depuis que l’Évaluation a été terminée, les scientifiques pensent que cette situation pourrait se produire dès
2040 ou même avant.
Je retiendrai deux points des conclusions de l’ACIA, au cas où l’océan Arctique serait dépourvu de glace en été.
Premier point, les mammifères marins, y compris les ours polaires, les morses et les phoques, ainsi que les
espèces d’oiseaux marins qui dépendent de la glace pour survivre, risquent d’être en voie de disparition. La
culture inuite et la relation des Inuits avec la nature étant uniquement liées à l’écosystème arctique, nous
sommes directement touchés par ce qui arrive aux espèces. […]
Deuxième point, l’accès, en particulier par la mer, sera beaucoup plus facile et facilitera l’exploitation des
gisements de minéraux et d’hydrocarbures de l’Arctique, dont beaucoup se trouvent au large des côtes. On
prévoit une augmentation du trafic maritime des cargos qui emprunteront les passages du nord-ouest ou du
nord-est ou même l’océan Arctique. Bref, le changement climatique encouragera et accélérera le
développement industriel dans une région unique, fragile et vulnérable. […]
Duane SMITH, Président de la Conférence circumpolaire Inuit du Canada et vice-président de l’Inuit Tapiriit
Kanatam, Chroniques de l'ONU, numéro 2, 2007 (extraits) (site www.goodplanet.info).